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Comment désactiver les activateurs ?

Numéro 4 Avril 2010 - chômage par Degraef

mars 2015

Depuis son lan­ce­ment en juillet 2004, à l’initiative du ministre de l’Emploi socia­liste fla­mand Franck Van­den­broucke, la poli­tique d’activation des chô­meurs a fait cou­ler beau­coup d’encre, grin­cer beau­coup de dents et, sans doute aus­si, arra­ché beau­coup de larmes de rage et de déses­poir. Au cœur de la cri­tique, por­tée avec force par la pla­te­forme asso­cia­tive et syndicale […]

Depuis son lan­ce­ment en juillet 2004, à l’initiative du ministre de l’Emploi socia­liste fla­mand Franck Van­den­broucke, la poli­tique d’activation des chô­meurs a fait cou­ler beau­coup d’encre, grin­cer beau­coup de dents et, sans doute aus­si, arra­ché beau­coup de larmes de rage et de déses­poir. Au cœur de la cri­tique, por­tée avec force par la pla­te­forme asso­cia­tive et syn­di­cale contre la « chasse aux chô­meurs », la hausse conti­nue du nombre d’exclusions et de sus­pen­sions du béné­fice des allo­ca­tions de chô­mage. Le der­nier rap­port annuel de l’Onem n’en fait pas mys­tère : de 4.523 per­sonnes exclues en 2008 à 6.530 en 2009, soit une hausse de 44,37 %; de 6.425 per­sonnes sus­pen­dues en 2008 à 7.885 en 2009 (+ 22,72 %), sans oublier les 3.272 per­sonnes qui ont subi une réduc­tion des allo­ca­tions de chô­mage. Au total, près de 90.000 déci­sions (dont 14.656 exclu­sions) ont été appli­quées depuis l’entrée en vigueur du sys­tème en 2004. À ceux qui disent qu’en période de défi­cit struc­tu­rel d’emplois, les sanc­tions liées à l’activation poussent les exclus du chô­mage vers les CPAS et pas vers le tra­vail, l’Onem répond que, selon une étude réa­li­sée par l’HIVA de la KUL, 10% des per­sonnes sanc­tion­nées font appel aux CPAS, 19% sortent vers un emploi et 25% se retirent du mar­ché du travail.

Crise ou pas, l’augmentation annuelle des sanc­tions, dont l’exclusion, est iné­luc­table tout sim­ple­ment parce qu’il faut un cer­tain délai avant que les effets de cette mas­sive machine de contrôle bureau­cra­tique n’apparaissent clai­re­ment. Son­gez donc que depuis la mi-2004, 873.934 aver­tis­se­ments ont été envoyés pour infor­mer du lan­ce­ment du pro­ces­sus et qu’au 31 décembre 2009, 489.895 deman­deurs d’emploi étaient impli­qués dans une pro­cé­dure en cours ! De plus, les sanc­tion­nés d’aujourd’hui sont des chô­meurs d’avant 2008. Le nombre de chô­meurs ayant explo­sé en 2009 (30.000 chô­meurs com­plets en plus) et les pré­vi­sions pour 2010 étant du même ordre de gran­deur, il est vrai­sem­blable que le nombre d’exclus et sanc­tion­nés ira en s’amplifiant, en dépit de la réforme du « plan d’accompagnement des chô­meurs » (PAC), pro­po­sée par la ministre de l’Emploi Joëlle Mil­quet, et qui vient d’être adop­tée par le gouvernement.

Or, n’importe quel lec­teur atten­tif de ce cau­che­mar kaf­kaïen qu’est le rap­port annuel 2009 de l’Onem, com­prend rapi­de­ment que les sanc­tions prises dans le cadre de l’«activation du com­por­te­ment de recherche d’emploi du chô­meur com­plet » sont vrai­ment l’arbre qui cache la forêt. Pour s’en convaincre, j’invite le lec­teur dubi­ta­tif à lire le compte ren­du détaillé des « acti­vi­tés des ser­vices de sau­ve­garde du sys­tème » et des « ser­vices litiges ». En clair, le sys­tème de contrôle dont le cœur s’appelle Promes (Pro­duc­ti­vi­ty Mea­su­re­ment and Enhan­ce­ment Sys­tem), un « ins­tru­ment de mesure et de ges­tion en matière de poli­tique de sau­ve­garde du régime » qui per­met de « mesu­rer les efforts et véri­fier si ceux-ci sont four­nis au bon moment, au bon endroit et auprès des per­sonnes appro­priées. L’indicateur de qua­li­té du sys­tème véri­fie éga­le­ment si les efforts sont pré­pa­rés d’une manière effi­cace et s’il en est fait rap­port de manière satis­fai­sante et utile tant pour le conte­nu que pour la forme ». Promes repose sur D‑Base fraude et OASIS (Orga­ni­sa­tion anti-fraude des ser­vices d’inspection sociale), soit deux outils d’exploitation des banques de don­nées de l’ONSS (en par­ti­cu­lier la base Dimo­na), per­met­tant d’enquêter et contrô­ler avec « plus d’efficience et d’efficacité, le dépis­tage et la lutte contre l’usage impropre et la fraude ». Depuis 2009, le contrôle des cumuls illé­gaux, appli­qué par l’Onem et tous les orga­nismes de paie­ment, ne s’opère plus seule­ment à pos­te­rio­ri, mais aus­si à prio­ri. Résul­tat ? « En octobre 2008, 32.655 cas Dimo­na ont été pré­sé­lec­tion­nés, […]. En octobre 2009, 34.322 nou­veaux cas de cumul éven­tuel ont été détec­tés. En 2009, après exa­men et enquête de 39.074 cas, les contrôles ont décou­vert 21.143 cas de cumul non décla­ré (54% des cas).» Il va de soi que ces contrôles débouchent sur ce que l’Onem appelle pudi­que­ment des « déci­sions néga­tives » pour le chô­meur : 36.287 mesures d’exclusion par­tielle ou totale en 2009 !

Votre ser­vi­trice, res­ca­pée de la lutte anti-fraude à pos­te­rio­ri, tient à témoi­gner pour les 46% de cas que l’Onem recon­nait avoir accu­sés à tort et pour tous les inno­cents inca­pables de se défendre inclus dans les 54% de cas dits cou­pables. J’ai en effet reçu en février 2010, un cour­rier de J.‑P. Blom­bed, « assis­tant tech­nique » agis­sant par délé­ga­tion pour le direc­teur de l’Onem, qui m’accusait, sur la base « des fichiers de don­nées », d’avoir cumu­lé des allo­ca­tions de chô­mage avec des jours de tra­vail en mai 2008. « Par consé­quent, vous serez, en prin­cipe, exclue (sic) pour la période pré­ci­tée du droit aux allo­ca­tions de chô­mage et vous devrez rem­bour­ser les mon­tants indu­ment per­çus. J’ai pro­vi­soi­re­ment fixé à 297,33 euros, le mon­tant que vous devez rem­bour­ser. En outre, je peux vous appli­quer une sanc­tion admi­nis­tra­tive sous la forme d’une exclu­sion du droit aux allo­ca­tions pen­dant un cer­tain nombre de semaines ou me limi­ter à vous don­ner un aver­tis­se­ment. Je n’ai pas encore pris de déci­sion. Vous avez la pos­si­bi­li­té de vous défendre par écrit ou vous pou­vez deman­der à être entendue. »

Après avoir bataillé avec l’organisation syn­di­cale dont je suis membre depuis quinze ans pour qu’elle ins­truise mon dos­sier (ce qu’elle n’a pas fait) et m’accompagne à l’audition deman­dée (je n’ai reçu confir­ma­tion que la veille), je me suis ren­due le 4 mars 2010 à l’Onem. L’entretien avec Mme de Jonge, « cal­cu­la­teur » (sic), s’est dérou­lé dans un énorme cou­loir amé­na­gé de petites cabines où défi­laient au pas de charge des dizaines de chô­meurs. Après avoir pris connais­sance du cour­rier accu­sa­teur de l’Onem, elle a mis deux minutes, montre en main, pour retrou­ver la carte de poin­tage incri­mi­née et consta­ter que la pré­ten­due fraude était inexis­tante ! Le 11 mars 2010, Veerle Van Riet, atta­ché (sic), agis­sant tou­jours par délé­ga­tion pour le direc­teur de l’Onem, me com­mu­ni­quait par cour­rier que « l’enquête pour laquelle vous avez été convoqué(e) au bureau de chô­mage le 4 mars 2010 a été clô­tu­rée et n’a pas d’incidence néga­tive sur votre droit aux allocations ».

Quelles sanc­tions sont pré­vues pour les acti­va­teurs incom­pé­tents ? Et com­ment les désactiver ?

Degraef


Auteur

Véronique Degreef est sociologue, elle a mené de nombreuses missions de recherche et d'évaluation pour des centres universitaires belges et étrangers, des autorités publiques belges et des organisations internationales.