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Combattre la pauvreté alimentaire : un enjeu de civilisation

Numéro 8 - 2017 par Olivier de Schutter

décembre 2017

Il est déci­dé­ment plus facile d’annoncer de bonnes réso­lu­tions que de les mettre en œuvre. En 2010, les États membres de l’Union euro­péenne s’étaient enga­gés à réduire de 20 mil­lions le nombre de per­sonnes en risque de pau­vre­té pour 2020. Pour­tant, alors que cette échéance se rap­proche à grands pas, l’agence euro­péenne de sta­tis­tiques Euro­stat annon­çait le […]

Le Mois

Il est déci­dé­ment plus facile d’annoncer de bonnes réso­lu­tions que de les mettre en œuvre. En 2010, les États membres de l’Union euro­péenne s’étaient enga­gés à réduire de 20 mil­lions le nombre de per­sonnes en risque de pau­vre­té pour 2020. Pour­tant, alors que cette échéance se rap­proche à grands pas, l’agence euro­péenne de sta­tis­tiques Euro­stat annon­çait le 17 octobre 2017 que la pau­vre­té résiste. Près d’un quart de la popu­la­tion euro­péenne (23,4% exac­te­ment) se situait en risque de pau­vre­té en 2016, cela repré­sente 117 mil­lions de per­sonnes. Or, c’est d’abord sur les achats ali­men­taires, seul poste du bud­get du ménage qui n’est que rela­ti­ve­ment com­pres­sible, que les ménages les plus pré­caires tentent d’économiser. Et quand même cela ne suf­fit plus, ils se tournent en der­nier recours vers les orga­ni­sa­tions cari­ta­tives. Dans toute l’Europe, l’on s’habitue à ce que les banques ali­men­taires fassent par­tie du pay­sage de la pro­tec­tion sociale. En Bel­gique, le recours à l’aide ali­men­taire a aug­men­té de 17,3% entre 2013 et 2016.

Ce sont ces réa­li­tés que sont venus décrire les repré­sen­tants de banques ali­men­taires, d’organisations de lutte contre la pau­vre­té, de ser­vices sociaux et d’organismes cari­ta­tifs pour les sans-abris, lors d’une réunion que le Panel inter­na­tio­nal d’experts sur les sys­tèmes ali­men­taires durables (IPES-Food) a convo­quée au Par­le­ment euro­péen sur le thème de la pau­vre­té ali­men­taire1. Un double consen­sus se dégage, appa­rem­ment para­doxal : un régime ali­men­taire sain reste hors de por­tée pour beau­coup de familles à faible reve­nu et, cepen­dant, pour­suivre dans la voie actuelle en encou­ra­geant une baisse des prix des den­rées ali­men­taires, et un meilleur accès à l’aide ali­men­taire, conduit à l’impasse. Des prix bas et l’aide ali­men­taire sont, au mieux, des pal­lia­tifs. Ce ne sont pas des solu­tions durables.

Depuis cin­quante ans, on a pré­ten­du répondre aux attentes des familles les plus défa­vo­ri­sées en encou­ra­geant une pro­duc­tion ali­men­taire de masse, une agri­cul­ture à grande échelle et capable par consé­quent de réa­li­ser des éco­no­mies d’échelle, une logis­tique de grands volumes, une pro­duc­tion stan­dar­di­sée, une dis­tri­bu­tion par les grandes chaines via le canal des « hyper » et des « super » mar­chés. On a vou­lu faire peu cher car on a vou­lu évi­ter les choix poli­tiques dif­fi­ciles. L’alimentation « low cost » a fonc­tion­né comme le sub­sti­tut de fait de poli­tiques sociales plus robustes qui auraient pu pro­té­ger les ménages les plus pré­caires de la pau­vre­té alimentaire.

Mais une prise de conscience se fait jour. Les obser­va­teurs sont à peu près una­nimes à pré­sent pour consi­dé­rer que cette ali­men­ta­tion « low cost », issue des choix qui ont été faits dans le cadre de la poli­tique pro­duc­ti­viste lan­cée au cours des années 1960, est un échec patent. On a vou­lu aider les ménages pauvres à avoir accès à une ali­men­ta­tion à un prix abor­dable, façon com­mode de se dis­pen­ser de mettre sur pied une pro­tec­tion sociale qui fasse vrai­ment rem­part à la pau­vre­té. Mais parce que les dimen­sions qua­li­ta­tives de l’alimentation ont été négli­gées au nom de la réduc­tion des couts, ce sont ces ménages qui paient aujourd’hui le prix exor­bi­tant de ces choix.

Car que découvre-t-on aujourd’hui ? Que l’alimentation « low cost » ne l’est, en réa­li­té, qu’en appa­rence. Elle a en fait un cout exor­bi­tant, aus­si bien pour les consom­ma­teurs qui en dépendent — les per­sonnes à faible niveau de reve­nus en par­ti­cu­lier2 — que pour la col­lec­ti­vi­té. Une étude récente estime que les per­tur­ba­teurs endo­cri­niens pré­sents dans l’alimentation, en rai­son des pes­ti­cides uti­li­sés dans l’agriculture conven­tion­nelle, des embal­lages, des hor­mones de crois­sance dans l’élevage indus­triel ou des pré­ser­va­teurs coutent 217 mil­liards par an aux pays de l’Union euro­péenne, l’équivalent de 1,48% du PIB euro­péen ou 428 euros par an et par per­sonne3. En outre, la consom­ma­tion de pro­duits ali­men­taires for­te­ment trans­for­més par des pro­ces­sus indus­triels explique lar­ge­ment l’explosion des taux d’obésité, et donc des mala­dies non trans­mis­sibles comme le dia­bète, les mala­dies car­dio­vas­cu­laires et les can­cers gas­tro-intes­ti­naux qui y sont liés et, fina­le­ment, une espé­rance de vie moindre. Envi­ron 80% des couts en soins de san­té dans l’Union euro­péenne sont consa­crés au trai­te­ment de ces mala­dies chro­niques dans le déve­lop­pe­ment des­quelles nos régimes ali­men­taires ont un rôle déci­sif4. On a men­ti, au fond, au consom­ma­teur. Ces prix « bas » de la grande indus­trie agroa­li­men­taire ne le sont que parce que les « exter­na­li­tés néga­tives », comme les nomment les éco­no­mistes, ne sont pas réper­cu­tées sur le prix des pro­duits sur les rayons des super­mar­chés, mais ce que le consom­ma­teur ne paie pas à la caisse du super­mar­ché, il le paie­ra en tant que contri­buable, pour effa­cer les consé­quences envi­ron­ne­men­tales et sani­taires de cette ali­men­ta­tion industrielle.

Ces poli­tiques du « low cost » ont été une erreur. Le diag­nos­tic est juste et il était temps qu’on le fasse. Mais il n’en découle pas que, pour ren­ver­ser la ten­dance, il suf­fit de chan­ger les signaux qu’envoient les prix. Il faut bien enten­du aug­men­ter les prix des bois­sons gazeuses sucrées5, des confi­se­ries et des snacks à haute teneur éner­gé­tique, par une aug­men­ta­tion de la TVA sur ces pro­duits qu’on hési­te­rait à qua­li­fier d’alimentaires. C’est ce qu’a fait la Bel­gique à la suite d’autres États de plus en plus nom­breux, et cela fait cer­tai­ne­ment par­tie de la solu­tion6. En contre­par­tie, il faut sub­si­dier la pro­duc­tion de fruits et légumes et en faci­li­ter la dis­tri­bu­tion par des inves­tis­se­ments dans la logis­tique. Il faut aus­si rendre les pro­duits issus de l’agriculture bio­lo­gique plus abor­dables, en finan­çant les couts liés à la cer­ti­fi­ca­tion et aux contrôles. Car le « bio » ne doit sa répu­ta­tion d’être cher qu’à une double erreur comp­table. La pro­duc­tion indus­trielle d’aliments n’a jusqu’à pré­sent pas été for­cée d’internaliser les couts consi­dé­rables qu’elle impose à la col­lec­ti­vi­té — en dom­mages envi­ron­ne­men­taux, en soins de san­té liés à une mau­vaise ali­men­ta­tion ou en dépeu­ple­ment des cam­pagnes. Quant à l’agriculture bio­lo­gique, comme plus géné­ra­le­ment l’agriculture rai­son­née ou agroé­co­lo­gique, elle n’est pas récom­pen­sée des ser­vices qu’elle rend. Démo­cra­ti­ser le bio, lui per­mettre de rompre avec cette image éli­tiste qui lui est encore acco­lée, doit faire par­tie des priorités.

Toutes ces mesures sont urgentes. À moins qu’on aligne mieux les prix sur les couts sociaux réels, c’est-à-dire sur les couts envi­ron­ne­men­taux et de san­té des pro­duits ali­men­taires trans­for­més issus des filières indus­trielles. Les ménages les plus pauvres peuvent conti­nuer d’être ten­tés de se rabattre sur les solu­tions appa­rem­ment les plus abor­dables, celles qu’offrent les cir­cuits ali­men­taires indus­triels, cham­pions des éco­no­mies d’échelle et de la pro­duc­tion de masse, mais dont l’offre en ali­ments ultra-trans­for­més, conserves et plats pré­pa­rés est géné­ra­le­ment trop riche en calo­ries, en graisses, en sucres ajou­tés et en sel7. Obli­ger les filières de pro­duc­tion agroa­li­men­taire indus­trielle à prendre en compte les couts que leur manière de pro­duire impose à la col­lec­ti­vi­té — à inter­na­li­ser les exter­na­li­tés néga­tives, comme l’expriment les éco­no­mistes — per­met­trait en outre aux filières plus durables d’être plus com­pé­ti­tives. Le recours aux taxes et l’orientation des sub­ven­tions ont donc un rôle essen­tiel à jouer.

Ces efforts ne doivent cepen­dant pas détour­ner l’attention de l’essentiel à savoir l’augmentation des salaires les plus bas et des aides sociales ain­si qu’une répar­ti­tion plus égale du temps de tra­vail dans la socié­té, afin que tout le monde puisse y être plei­ne­ment inté­gré. Mais en outre et sur­tout, pour indis­pen­sables qu’ils soient, ces efforts ne débou­che­ront sur des résul­tats tan­gibles, et n’amèneront un véri­table chan­ge­ment de cap, que s’ils s’accompagnent d’une démarche plus ambi­tieuse, qui pro­voque une véri­table révo­lu­tion cultu­relle dans nos manières de nous alimenter.

Les liens entre pré­ca­ri­té socioé­co­no­mique, ali­men­ta­tion et san­té sont en effet com­plexes et ne se laissent pas réduire à la seule ques­tion de l’offre que l’on sti­mule, de la demande que l’on crée ou des prix qui relient l’une à l’autre. Car si on laisse de côté le bio, man­ger sai­ne­ment, en cui­si­nant des pro­duits frais et de sai­son, notam­ment des légumes, et en modé­rant sa consom­ma­tion de fri­tures, de confi­se­ries et de viande rouge, cela ne coute pas néces­sai­re­ment plus cher. Cela demande, en revanche, du temps et de l’organisation, dont les per­sonnes au sta­tut le plus pré­caire, qui enchainent par­fois plu­sieurs petits bou­lots sur la jour­née et que de longues navettes séparent par­fois de leur lieu de tra­vail, ne dis­posent pas tou­jours. Cela exige aus­si un savoir culi­naire, com­ment pré­pa­rer des légumes, par exemple, qui est en voie de dis­pa­ri­tion rapide. Et cela sup­pose une moti­va­tion qu’il n’est pas tou­jours facile de trou­ver quand l’on vit seul ou en famille mono­pa­ren­tale, sur­tout lorsque les membres de la famille ont des horaires dif­fé­rents et variables. La pau­vre­té ali­men­taire, c’est par­fois une ques­tion de pou­voir d’achat, mais c’est aus­si, et peut-être sur­tout, une ques­tion de mode de vie, d’équilibre entre vie fami­liale et vie pro­fes­sion­nelle, et d’information.

L’explication seule­ment par les prix ne suf­fit pas non plus pour une autre rai­son. Ce n’est pas seule­ment le niveau socioé­co­no­mique de la famille qui explique les choix ali­men­taires et les consé­quences que ces choix entrainent sur la san­té, c’est aus­si le quar­tier où l’on vit. Même les ménages rela­ti­ve­ment plus à l’aise finan­ciè­re­ment courent un risque plus éle­vé d’obésité et de dia­bète s’ils résident dans une zone urbaine socioé­co­no­mique défa­vo­ri­sée. Cela peut tenir à plu­sieurs fac­teurs. L’offre ali­men­taire dans ces quar­tiers peut être de moins bonne qua­li­té. Bien que l’on ne puisse sans doute pas évo­quer, en Europe conti­nen­tale, ces « déserts ali­men­taires » qui carac­té­risent cer­taines villes d’Amérique du Nord ou de Grande-Bre­tagne, il existe des quar­tiers moins bien des­ser­vis tels que cer­tains quar­tiers du centre de villes de taille moyenne comme Liège ou de vil­lages, où il est dif­fi­cile de trou­ver des pro­duits frais, variés et de qua­li­té. Et le temps peut man­quer pour se dépla­cer afin de faire ses courses ailleurs, d’autant plus que les trans­ports en com­mun peuvent être peu aisés à emprun­ter ou trop chers. Les normes sociales dans ces quar­tiers peuvent ne pas favo­ri­ser une bonne ali­men­ta­tion et les mau­vaises habi­tudes ali­men­taires peuvent se trans­mettre, de proche en proche, à l’échelle locale, ce qui peut jus­ti­fier que l’on parle de l’obésité comme d’une « épi­dé­mie », même si l’usage du mot reste de l’ordre de la méta­phore. Enfin, un quar­tier défa­vo­ri­sé, c’est sou­vent un quar­tier où les emplois sont rares et où la plu­part des actifs perdent beau­coup de temps, par­fois plu­sieurs heures par jour, à se dépla­cer du lieu où ils habitent vers le lieu où ils tra­vaillent. Com­ment, dans ces horaires pres­sés, au cours de ces soi­rées où l’on rentre épui­sé d’avoir tra­vaillé, accor­der à la pré­pa­ra­tion du repas du soir l’attention qu’il mérite ?

Il n’est pas accep­table qu’en Europe aujourd’hui, être pauvre conti­nue de consti­tuer un risque pour la san­té. Mais pour sor­tir de la culture ali­men­taire que cin­quante années de pro­duc­ti­visme ont façon­née, trans­for­mant nos gouts et jusqu’à nos manières de table, il fau­dra davan­tage qu’une réorien­ta­tion des sub­sides, une uti­li­sa­tion intel­li­gente de l’outil fis­cal et quelques cam­pagnes d’information. Il fau­dra faire de l’alimentation une ques­tion de civi­li­sa­tion. Réap­prendre à cui­si­ner. Y prendre plai­sir, le vivre comme une diver­sion et non pas comme une cor­vée. Se rap­pe­ler que les repas sont un moment de convi­via­li­té. Retrou­ver le plai­sir des saveurs. Prendre le temps de décou­vrir des légumes oubliés. Renouer le lien social, à tra­vers la cui­sine et l’alimentation. Bref, repla­cer l’alimentation comme élé­ment de notre culture, et ne plus la voir seule­ment comme une néces­si­té phy­sio­lo­gique. Non pas la médi­ca­li­ser, mais se la réap­pro­prier et en faire une com­po­sante de nos modes de vie.

C’est un effort de longue durée. Mais il est plus que temps que l’on aille au-delà de l’aide ali­men­taire et des solu­tions d’urgence pour les plus pauvres, pour per­mettre à cha­cun et cha­cune, quels que soient son niveau de reve­nus, son niveau d’études ou son sta­tut pro­fes­sion­nel, d’avoir accès à une ali­men­ta­tion adé­quate. Cela sup­pose de repla­cer l’alimentation comme com­po­sante de notre civi­li­sa­tion et de lui recon­naitre la place cen­trale qu’elle mérite.

  1. Cette consul­ta­tion s’inscrivait dans le cadre d’un pro­ces­sus trien­nal de réflexion sur le déve­lop­pe­ment d’un pro­jet de « poli­tique ali­men­taire com­mune » pour l’Europe.
  2. Dans les pays riches, où les pauvres sont frap­pés de manière dis­pro­por­tion­née par le sur­poids et l’obésité, les femmes sont par­ti­cu­liè­re­ment expo­sées, à la fois car leur reve­nu est en moyenne infé­rieur à celui des hommes et parce que les hommes de classe sociale modeste ont sou­vent une acti­vi­té pro­fes­sion­nelle phy­sique qui entraine de grosses dépenses éner­gé­tiques. Les femmes en sur­poids ou obèses ont sou­vent des enfants qui ont eux-mêmes ten­dance à être en sur­poids ou obèses, donc à être moins pro­duc­tifs, mais plus vic­times de dis­cri­mi­na­tion. Les inéga­li­tés socioé­co­no­miques se per­pé­tuent donc à tra­vers les géné­ra­tions par le biais du sur­poids ou de l’obésité : voy. F. Sas­si, L’obésité et l’économie de la pré­ven­tion : objec­tif san­té, Paris, OCDE, 2010, p. 83 et 84.
  3. Tra­sande L., Zoel­ler R.T., Hass U., Kor­ten­kamp A., Grand­jean P., Myers J.P., DiGan­gi J., Hunt P.M., Ru­del R., Sathya­na­raya­na S., Bel­lan­ger M., Hau­ser R., Legler J., Skak­ke­baek N.E., Hein­del J.J., « Bur­den of disease and costs of expo­sure to endo­crine dis­rup­ting che­mi­cals in the Euro­pean Union : An upda­ted ana­ly­sis », Andro­lo­gy, 4, 2016, p. 565 – 572.
  4. Ces don­nées et d’autres rela­tives aux impacts sur la san­té des filières indus­trielles de l’agroalimentaire sont pré­sen­tées dans un rap­port que IPES-Food a pré­sen­té le 9 octobre 2017, dis­po­nible sur www.ipes-food.org.
  5. La res­pon­sa­bi­li­té des bois­sons gazeuses sucrées dans l’augmentation des taux d’obésité est avé­rée : voy. L. R. Var­ta­nian et al., « Effects of soft drink consump­tion on nutri­tion and health : a sys­te­ma­tic review and meta-ana­ly­sis », Ame­ri­can Jour­nal of Public Health, vol. 97, n° 4, 2007, p. 667 – 675 ; Wood­word-Lopez G. and others, « To what extent have swee­te­ned beve­rages contri­bu­ted to the obe­si­ty epi­de­mic ? », Public Health Nutri­tion, vol. 14, n° 3, 2011, p. 599 – 609.
  6. La Stra­té­gie mon­diale pour l’alimentation, l’exercice phy­sique et la san­té adop­tée en 2010 au sein de l’OMS invite les gou­ver­ne­ments à recou­rir à des taxes sur les ali­ments et à des sub­ven­tions pour pro­mou­voir l’adoption d’un régime ali­men­taire sain (doc. ONU A/66/83, par. 42). Par une loi n° 247 du 30 mars 2011 (loi rela­tive à la taxe sur les graisses), le Dane­mark a impo­sé, à par­tir du 1er octobre 2011, une nou­velle taxe sur les graisses satu­rées pour toute une gamme de pro­duits ali­men­taires, en par­tant du constat que le rem­pla­ce­ment de graisses satu­rées par des acides gras poly-insa­tu­ré réduit le risque de mala­dies car­dio­vas­cu­laires (Astrup A. et al., « The role of redu­cing intakes of satu­ra­ted fat in the pre­ven­tion of car­dio­vas­cu­lar disease : where does the evi­dence stand in 2010 ? », Ame­ri­can Jour­nal of Cli­ni­cal Nutri­tion, vol. 93, n° 4, 2011, p. 684 – 688). Il a ensuite dû reve­nir sur cette mesure sous la pres­sion du sec­teur concer­né. Mais d’autres États de l’Union euro­péenne ont sui­vi cet exemple. En Hon­grie, depuis le 1er sep­tembre 2011, une taxe est per­çue sur les pro­duits conte­nant « trop » de sel, de sucres ou de graisses, c’est-à-dire sur la « mal­bouffe », tan­dis que les taxes sur les sodas ont aug­men­té de 10%. Tou­jours en 2011, la Fin­lande a aug­men­té la TVA sur les confi­se­ries et les bois­sons gazeuses sucrées. La France a intro­duit une taxe sur les bois­sons conte­nant des sucres ajou­tés ; le gou­ver­ne­ment fran­çais a cepen­dant dû renon­cer, en novembre 2012, au pro­jet d’introduire une taxe (dite « taxe Nutel­la ») sur l’huile de palme. Ces déve­lop­pe­ments sont exa­mi­nés dans le rap­port sou­mis par le Rap­por­teur spé­cial sur le droit à l’alimentation, Oli­vier De Schut­ter, à la dix-neu­vième ses­sion du Conseil des droits de l’homme (doc. ONU A/HRC/19/59, 26 déc. 2011, para. 39), et par E. van Nieu­wen­huyze, Regu­la­ting Nutri­tion and Health Claims : EU Food Law’s Poi­so­ned Cha­lice ?, thèse de doc­to­rat pré­sen­tée à la Facul­té de droit de l’université catho­lique de Lou­vain (dir. P. Nihoul), non publiée, mars 2015, p. 489 – 490.
  7. À l’inverse, les études dis­po­nibles montrent que l’introduction d’une taxe sur les bois­sons ou ali­ments les moins sains peut avoir un impact signi­fi­ca­tif sur la consom­ma­tion : une taxe de 10% sur les sodas entraine ain­si en moyenne une baisse de 8 à 10% des achats de ces bois­sons, et la baisse est sur­tout impor­tante par­mi les ménages pré­ca­ri­sés : voy. Andreye­va T. et al., « The impact of food prices on consump­tion : a sys­te­ma­tic review of research on the price elas­ti­ci­ty of demand for food », Ame­ri­can Jour­nal of Public Health, vol. 100, n° 2, 2010, p. 220.

Olivier de Schutter


Auteur

Chargé de cours à la faculté de droit de l'UCL. Il a été expert auprès du Comité économique et social européen sur le dossier de la Charte des droits fondamentaux de l'UE.