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Colombie. Juan Manuel Santos, le triomphe de l’unité nationale ?
Le 20 juin dernier, Juan Manuel Santos remportait le deuxième tour des élections présidentielles colombiennes avec 69,05% des voix. Cette majorité écrasante, la plus grande dans l’histoire électorale du pays, est le résultat de son appel à l’unité nationale. La naissance de ce gouvernement dit d’unité, ainsi que ses fondements — l’héritage d’Alvaro Uribe et une coalition de […]
Le 20 juin dernier, Juan Manuel Santos remportait le deuxième tour des élections présidentielles colombiennes avec 69,05% des voix. Cette majorité écrasante, la plus grande dans l’histoire électorale du pays, est le résultat de son appel à l’unité nationale. La naissance de ce gouvernement dit d’unité, ainsi que ses fondements — l’héritage d’Alvaro Uribe et une coalition de la classe politique traditionnelle — posent des défis importants au pays en termes démocratiques.
Quelques jours avant le premier tour des élections présidentielles, il était difficile de prévoir l’existence d’un gouvernement basé sur l’unité. Les sondages effectués au mois de mai laissaient prévoir une « égalité technique » au premier tour entre les deux principaux candidats, Juan Manuel Santos et Antanas Mockus, et une victoire de ce dernier au deuxième tour.
Il est vrai que le pays semblait immergé dans la « vague verte », nom donné au mouvement civique qui suivait avec ferveur la candidature du mathématicien et professeur de philosophie Antanas Mockus. La popularité du nouveau Parti Vert1 donnait l’impression qu’il croissait à une vitesse accélérée grâce à son programme innovateur basé sur la transparence, le respect des lois et des règles civiques ainsi qu’une distance vis-à-vis de la classe politique traditionnelle. Le discours se présentait d’autant plus attractif qu’il s’inscrivait dans le contexte de la fin du deuxième mandat d’Álvaro Uribe. Ce dernier concluait ses huit années au pouvoir avec une popularité de près de 70%, grâce à ses victoires face aux Farc et au maintien de la croissance économique, mais avec une longue liste de scandales de corruption et de violation des droits de l’homme derrière lui.
Mais le 30 mai, lors du premier tour, Antanas Mockus n’a remporté que 21,49% des voix, alors que Juan Manuel Santos, le candidat du gouvernement en place, célébrait déjà sa victoire avec 46,56% des votes. La conjoncture électorale a montré que les sondages ne sont jamais fiables, mais plus important encore, les résultats confirmaient la puissance de l’uribisme dans la politique nationale. C’est d’autant plus évident que les propositions innovatrices de Mockus ne portaient que sur les pratiques politiques, c’est-à-dire la forme de gouverner et non pas sur le contenu de l’uribisme lui-même.
Le deuxième tour a accentué cette tendance. L’abstentionnisme a certes été de 55%, mais près de neuf millions de Colombiens ont voté pour Santos (69,05%) alors que seulement trois millions et demi continuaient à suivre le Parti Vert (27,52%). Certains ont cherché à expliquer ces résultats par les faiblesses de Mockus : son discours trop intellectuel et confus, son inexpérience sur l’arène politique nationale, son manque de détermination face aux Farc et même (pour une petite minorité) son adhésion aux politiques néolibérales constatées lors de ses mandats à la mairie de Bogota.
La vérité est qu’un changement des structures du pays n’intéresse qu’une petite partie de la population. Au premier tour, le parti de gauche PDA (Parti démocratique alternatif), incarnant une véritable force de changement, n’a obtenu que 9,15% des voix. Pour le reste, l’opposition entre Mockus et Santos était surtout une question de forme, très importante en termes éthiques dans un pays où règnent la corruption, l’impunité et l’argent facile, mais finalement pas convaincante pour la majorité des Colombiens qui préfère voir consolidés les résultats d’Uribe en termes de sécurité, de croissance économique et de politiques sociales, sans tenir compte des moyens mis en place pour y arriver.
Cette grande adhésion de la société colombienne aux principes de l’uribisme — basée elle-même sur la peur face au « terrorisme » et à un manque de conscience face aux structures socioéconomiques — permet donc de comprendre un des premiers fondements du gouvernement d’unité de Santos : l’héritage d’Álvaro Uribe.
Poursuite du projet uribiste
Juan Manuel Santos a quitté son poste de ministre en mai 2009 pour devenir candidat présidentiel dans des conditions incertaines puisque le projet de référendum populaire qui devait conduire à la deuxième réélection d’Uribe a seulement été annulé par la Cour Constitutionnelle à la fin du mois de mars 2010. La campagne électorale a été courte, mais Santos en est sorti gagnant parce qu’il représentait le parti le plus radical de l’uribisme (le Parti de la U) et qu’en tant que ministre de la Défense, il se montrait comme le meilleur garant des piliers de ce gouvernement.
En termes de sécurité, Santos bénéficie d’un taux élevé de popularité grâce aux résultats militaires historiques de ces dernières années : la libération d’un grand nombre de personnes détenues par les Farc ; les coups portés contre des membres « intouchables » du secrétariat de la guérilla ; la capture de plusieurs chefs des cartels de la drogue et la démobilisation de milliers de combattants des différents groupes armés.
Sur le plan économique, Santos inspire la confiance nécessaire pour le maintien de l’investissement de capital étranger dans le pays, d’une part parce qu’il appartient à l’élite économique du pays, mais surtout parce qu’il a été ministre du Commerce extérieur et ministre de l’Économie dans des gouvernements pionniers en politiques d’ouverture et de privatisations.
D’un point de vue social, il a mis en avant sa volonté de poursuivre les programmes d’action sociale mis en place depuis 2005, dont le plus populaire est « Familles en action », un subside octroyé à près de deux millions de familles défavorisées en échange de garanties concernant la scolarisation et la santé des enfants.
Toutefois, la continuité qu’incarne Juan Manuel Santos n’explique pas à elle seule le triomphe le plus important dans l’histoire électorale nationale. La différence de voix entre le premier et le deuxième tour est à comprendre aussi dans l’habileté politique qu’il a développée lors de sa campagne électorale qui reflétait sa trajectoire dans la vie publique. Le nouveau président appartient à la classe dirigeante du pays : il est descendant d’Eduardo Santos, ancien président et chef du Parti libéral, et sa famille a été propriétaire d’El Tiempo, journal de grande influence politique. Il a lui-même longtemps milité au sein du Parti libéral et a été membre du cabinet ministériel du conservateur Andrés Pastrana avant de fonder par la suite le Parti de la U.
Fort de ses influences et de son opportunisme politique, il n’a pas hésité à se servir de tous les moyens possibles lors de sa campagne électorale : les programmes assistentialistes d’action sociale, un arsenal économique qui lui a permis de combiner anciennes et nouvelles pratiques électorales (du transport, de la nourriture et de l’argent dans les quartiers pauvres et un groupe d’experts en marketing électoral venu des États-Unis) et surtout les réseaux clientélistes de la classe politique traditionnelle, proche d’Uribe ou non, qui ont permis cette accablante majorité du deuxième tour. Avoir construit cette coalition clientéliste constitue donc le deuxième fondement du gouvernement d’unité de ce grand stratège.
Fragilité du système démocratique
En somme, Juan Manuel Santos représente la combinaison parfaite de l’élite technocratique et de la classe politique traditionnelle. Dans une perspective historique, il incarne la capacité de la classe dirigeante colombienne à s’adapter aux changements afin de rester au pouvoir. C’est en tout cas à partir de cette combinaison idéale que l’appel à l’unité nationale est devenu possible. Le nouveau projet d’unité nait de l’uribisme, mais cherche à le dépasser : il accepte tous ceux qui ne veulent pas être exclus du pouvoir. En regardant de près ces deux fondements, on peut prévoir que le nouveau gouvernement dit d’unité aura d’importants défis à relever en termes démocratiques.
En effet, Santos hérite également des points noirs de l’uribisme. Le plus grave excès de la politique de « sécurité démocratique » concerne le non-respect des droits de l’homme. Le pays garde en mémoire la mort de près de deux-mille jeunes assassinés par l’armée et présentés comme des militants des Farc dans le but de montrer des résultats au gouvernement. L’ombre de ce scandale — découvert lorsque Santos était encore ministre de la Défense — et les démarches judiciaires entamées par un collectif des mères de ces jeunes vont peser sur Santos et sa politique militaire. Dans le même registre, Santos devra gérer le sort du DAS (service d’intelligence colombien) qui, sous le gouvernement d’Uribe, a mis sur écoute, infiltré des espions et mené des campagnes de discrédit contre les membres de l’opposition et des magistrats des cours de justice. En matière socioéconomique, avec un taux de chômage de 12,2%, un secteur informel de près de 55% et une augmentation du déplacement forcé de près de 25% chaque année, on peut espérer que les promesses de Santos concernant une meilleure « prospérité démocratique » soient réelles et que son programme ne s’arrête pas à l’augmentation de l’investissement étranger et aux programmes sociaux assistentialistes.
De manière générale, une réforme du système judiciaire s’impose après la politique d’impunité du gouvernement précédent concernant les affaires de corruption qui impliquaient toutes les branches du gouvernement et de l’État ainsi qu’en matière des droits de l’homme (manque de garanties pour l’opposition, les syndicalistes et les juges et non-réparation aux victimes du conflit armé). Quant aux relations internationales, Santos hérite des tensions avec les pays voisins. Le système judiciaire équatorien a lancé un ordre de capture contre lui à cause du bombardement en territoire équatorien du camp de Raúl Reyes et, du côté vénézuélien, Hugo Chávez reproche à cet ancien ministre d’avoir signé un accord avec les États-Unis pour l’utilisation de sept bases militaires colombiennes.
Le deuxième pilier du gouvernement dit d’unité est le style conciliateur qui permet à Santos de se distancier de l’intolérance caractéristique d’Uribe. Il s’avère certes intéressant dans certains cas, comme celui de l’amélioration des relations avec les cours de justice et donc de l’indépendance du pouvoir judiciaire, mais il est aussi porteur des dérives antidémocratiques. Dans un contexte où les forces de l’uribisme, avec le Parti de la U en tête, regroupent plus de 80% des sièges dans les deux chambres du Congrès, la seule force d’opposition sera le PDA avec à peine 8% de représentation. Par ailleurs, la coalition créée par Santos inclut des forces politiques et des personnalités tellement différentes qu’il est difficile de ne pas croire à l’augmentation des accords clientélistes et bureaucratiques.
Le grand perdant de ces élections sera surement le système politique colombien dans la mesure où les partis continueront à être affaiblis par l’uribisme et ses alliances clientélistes. À ce sujet, certains Colombiens se souviennent de la période du « Frente Nacional », accord réalisé entre le Parti libéral et le Parti conservateur, qui instaurait leur alternance au pouvoir pendant seize ans et excluait du système toute forme d’opposition. C’est au cours de cette période des années soixante et septante qu’émergèrent et se consolidèrent différents groupes armés.
- La couleur verte a été choisie par les trois anciens maires de
Bogota qui ont fondé ce parti pour renforcer l’idée de rénovation politique en se différenciant des autres couleurs des partis existants et non pas comme une branche colombienne des partis écologiques connus ailleurs dans le monde.