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Code des sociétés et associations, déjà des conséquences

Numéro 4 – 2019 par Philippe Andrianne

mai 2019

Depuis notre der­nier article dans la revue sur le sujet, le pro­jet a effec­tué son che­min par­le­men­taire, de la Com­mis­sion droit com­mer­cial et éco­no­mique de la Chambre des Repré­sen­tants à un vote majo­ri­té sué­doise contre oppo­si­tion en période d’affaires cou­rantes, le 28 février der­nier. Un trip­tyque par­tiel­le­ment en appli­ca­tion Dépo­sé fina­le­ment en juin 2018, le pro­jet du […]

Le Mois

Depuis notre der­nier article dans la revue sur le sujet, le pro­jet a effec­tué son che­min par­le­men­taire, de la Com­mis­sion droit com­mer­cial et éco­no­mique de la Chambre des Repré­sen­tants à un vote majo­ri­té sué­doise contre oppo­si­tion en période d’affaires cou­rantes, le 28 février dernier.

Un triptyque partiellement en application

Dépo­sé fina­le­ment en juin 2018, le pro­jet du gou­ver­ne­ment concluait l’ensemble des réformes du droit com­mer­cial enta­mées par le vote du volet « Conti­nui­té des entre­prises » le 13 juillet 2017.

Par ce pre­mier texte, les asso­cia­tions connaissent depuis le 1er mai 2018 l’application du droit des entre­prises en matière de pro­cé­dure de réor­ga­ni­sa­tion judi­ciaire, de faillite et de liqui­da­tion. Elles dépendent du Tri­bu­nal des entre­prises (nou­veau nom du Tri­bu­nal du com­merce depuis le 1er novembre 2018) et sont donc sus­cep­tibles de devoir répondre à des enquêtes si cer­tains indi­ca­teurs auto­ma­tiques ou si des plaintes les font craindre en dif­fi­cul­té. L’absence de dépôt de comptes, des juge­ments par défaut à l’encontre de l’association ou des man­que­ments à l’ONSS font par­tie de ces indi­ca­teurs économiques.

Vint ensuite la réforme du droit des entre­prises qui abro­geait le Code de com­merce sauf pour quelques matières hors de pro­pos ici. Cette modi­fi­ca­tion touche les asso­cia­tions qui sont désor­mais des « entre­prises » telles que défi­nies par ce texte. Toutes les asbl et cer­taines asso­cia­tions de fait sont désor­mais, pour le droit, des acteurs éco­no­miques sou­mis aux mêmes règles que les socié­tés. Ce fai­sant, et sur­tout du fait des rai­sons invo­quées dans l’exposé des motifs, les asbl ne connaissent plus beau­coup de dif­fé­rences d’approche par rap­port aux socié­tés com­mer­ciales quant à leurs acti­vi­tés. Les règles éco­no­miques et notam­ment en matière de concur­rence déloyale s’appliquaient déjà au sec­teur à pro­fit social. Mais le regard que les juristes por­taient sur ces struc­tures à but dés­in­té­res­sé en moda­li­sait l’application. Rap­pe­lons l’épisode des ambu­lances de la Croix-Rouge blo­quées aux garages à la suite d’une action intro­duite par une com­pa­gnie pri­vée de trans­port de malades. Quel aurait été le ver­dict sur la base des textes actuels ? Seule la juris­pru­dence à venir nous le dira.

Acte trois : le nou­veau Code des socié­tés et des asso­cia­tions s’ajoutera dès le mois de mai à ces deux textes, tou­jours à par­tir de ce prin­cipe fon­da­teur d’acteur éco­no­mique duquel on déduit qu’il y a lieu pour les asbl d’aligner les règles de gou­ver­nance, les obli­ga­tions envers les tiers, les pro­cé­dures et les pres­crits comp­tables sur ce qui sied aux socié­tés. Ce fai­sant, l’intérêt socié­tal et sa dis­tinc­tion avec l’activité mar­chande s’en trouvent embrouillés entrai­nant des dégâts col­la­té­raux déjà évo­qués dans une ana­lyse de 2017 parue sur le site d’Énéo.

Où en est-on à ce stade ?

Les deux pre­miers textes s’appliquent déjà aux asso­cia­tions. Au niveau des Tri­bu­naux des entre­prises, les pre­miers juges consu­laires issus du monde asso­cia­tif ou qui en sont proches ont été nom­més en deux vagues et ont pris leurs fonc­tions à Bruxelles, Nivelles, Liège… Ils découvrent les matières et les pra­tiques. Ils ont déjà dû ici et là ten­ter de déter­mi­ner ces fameux indi­ca­teurs spé­ci­fiques aux asso­cia­tions notam­ment pour les chambres d’enquête. Il se pro­jette d’ici peu des échanges entre les res­sorts pour har­mo­ni­ser ces élé­ments, mais la pra­tique débute et doit encore trou­ver ses lignes de forces.

En ce qui concerne le nou­veau Code des socié­tés et asso­cia­tions pro­pre­ment dit, la Com­mis­sion par­le­men­taire a ten­té de mettre le tur­bo dès le dépôt du texte le 4 juin 2018. Dès le 25 juin, de pre­miers amen­de­ments de la majo­ri­té fleu­ris­saient, sui­vis mi-juillet et à la ren­trée de sep­tembre par d’autres éma­nant de l’opposition. Un pre­mier avis du Conseil d’État a été reçu le 27 sep­tembre et un rap­port a été adop­té en pre­mière lec­ture le 12 décembre et ren­voyé en seconde lec­ture à la suite de nou­veaux amen­de­ments en Com­mis­sion. Un nou­vel avis du Conseil d’État a été deman­dé sur ces amendements.

Et la concer­ta­tion ? Sur ce texte les par­le­men­taires n’ont pas pro­cé­dé à des audi­tions du monde asso­cia­tif. Quelques per­sonnes ont été ame­nées à pro­duire des contri­bu­tions écrites qui ne sont mal­heu­reu­se­ment pas encore dis­po­nibles sur le site de la Chambre. L’auteur de ces lignes y a par­ti­ci­pé et vous trou­ve­rez sa contri­bu­tion telle que publiée via une autre ana­lyse du site Énéo.

Il est éton­nant cepen­dant que les textes des contri­bu­tions ne soient pas divul­gués. Il sem­ble­rait que doré­na­vant elles ne seront publiques qu’après le vote… de quoi ampu­ter les débats dans la presse et les pres­sions ? Au moment où un des argu­ments de ces modi­fi­ca­tions réside dans la trans­pa­rence des struc­tures, on ne peut que rele­ver la contradiction !

Puis le gou­ver­ne­ment est tom­bé, on est pas­sé briè­ve­ment sous « Michel 2 » sans la N‑VA. La démis­sion s’est ensui­vie et les affaires cou­rantes ont démar­ré fin décembre 2018. Comme le pro­jet de loi sur le Code des socié­tés et des asso­cia­tions a déjà connu deux votes par­tiels en Com­mis­sion et que le der­nier avis du Conseil d’État sur les der­niers amen­de­ments tom­bait ce 7 février, le texte se retrou­vait en vue de la piste d’atterrissage. Le ministre de la Jus­tice y tient. Le monde mar­chand y est favo­rable et le « Vlaams non-pro­fit­sec­tor » n’y voit pas d’inconvénient.

La posi­tion de l’associatif fran­co­phone — le retrait du volet asso­cia­tif du pro­jet — n’a donc fina­le­ment pas été enten­due mal­gré les nom­breux argu­ments déjà déve­lop­pés et que vous retrou­ve­rez dans les textes et ana­lyses réfé­ren­cées plus haut. Nous n’y revien­drons donc pas.

Les carottes sont cuites

Une réa­li­té cepen­dant : les enti­tés fédé­rées n’ont pas encore pris la mesure des risques et de la charge de tra­vail que ce texte va leur appor­ter. Il ne nous est pas reve­nu qu’elles aient été concer­tées par le gou­ver­ne­ment fédé­ral ni enten­dues par la Com­mis­sion par­le­men­taire. Et ce n’est pas en cette période pré­élec­to­rale qu’on lan­ce­ra la son­nette d’alarme ! Res­te­ra donc aux nou­veaux exé­cu­tifs régio­naux et com­mu­nau­taires à s’atteler au tra­vail de mise en confor­mi­té de leurs nom­breux décrets.

Une autre ques­tion cepen­dant reste en jachère : le volet fis­cal, indis­pen­sable, qui inté­resse les asso­cia­tions, mais aus­si les socié­tés. Le juriste Michel Coi­pel a en effet noté qu’«il y a bien eu dépôt, le 24 jan­vier 2019, à la Chambre d’un pro­jet fis­cal qui date du mois de novembre et qui vise “l’adaptation de cer­taines dis­po­si­tions fis­cales fédé­rales au nou­veau Code des socié­tés et des asso­cia­tions” (Doc 54 3367/004), mais ce pro­jet n’adapte nul­le­ment les articles 180 et sur­tout 182 du CIR 92, lacune qui a été cri­ti­quée par d’excellents fis­ca­listes. L’article 182 conti­nue donc à pré­voir que les asbl et autres per­sonnes morales sans but de lucre ne sont pas sou­mises à l’impôt des socié­tés, notam­ment et prin­ci­pa­le­ment pour des “opé­ra­tions qui consti­tuent une acti­vi­té ne com­por­tant qu’accessoirement des opé­ra­tions indus­trielles, com­mer­ciales ou agri­coles ou ne met­tant pas en œuvre des méthodes indus­trielles ou com­mer­ciales”. Or, dans le nou­veau Code, les asbl voient sup­pri­mée l’interdiction des acti­vi­tés indus­trielles et com­mer­ciales. Com­ment dès lors appli­quer l’article 182 non adapté ? »

Une dis­po­si­tion tran­si­toire rédi­gée en urgence à ce sujet a été votée en même temps que le code, mais elle risque bien d’être insuf­fi­sante, ne ren­con­trant pas tous les cas de figure…

Déjà d’autres dispositifs s’imposent

Une pro­po­si­tion de loi de la majo­ri­té modi­fiant le Code des socié­tés et des asso­cia­tions concer­nant les libé­ra­li­tés et les comptes annuels d’associations et de fon­da­tions (Doc 54 3550/001) a été votée à la fin mars en Com­mis­sion droit éco­no­mique et sera approu­vée en plé­nière cou­rant avril. Elle contient deux dispositifs :

La cen­tra­li­sa­tion des comptes

La pro­po­si­tion de loi s’inscrit dans la fou­lée des avis du Gafi dans le cadre de la lutte contre la cri­mi­na­li­té, le ter­ro­risme et le blan­chi­ment d’argent. Ce que nous ne pou­vons qu’approuver. Elle vise à « ren­for­cer d’urgence la trans­pa­rence finan­cière du sec­teur non mar­chand (recom­man­da­tion n°8 et action immé­diate n°10)». En ce elle pose la ques­tion des mesures équi­va­lentes prises envers le monde mar­chand afin de ne pas stig­ma­ti­ser l’essor asso­cia­tif vital pour le dyna­misme de la citoyenneté.

Pour y par­ve­nir, le dis­po­si­tif avan­cé « pré­voit la géné­ra­li­sa­tion de l’obligation de dépôt des comptes annuels des asso­cia­tions et des fon­da­tions, quelle que soit leur taille, à la Cen­trale des bilans de la Banque natio­nale de Bel­gique ». Ce fai­sant elle anni­hile la pro­tec­tion qui avait été mise en place pour les petites asbl en les dis­pen­sant des for­ma­li­tés de la BNB et en les astrei­gnant au recours à la trans­mis­sion infor­ma­tique stan­dar­di­sée. Certes des élé­ments posi­tifs sont invo­qués tels la sim­pli­fi­ca­tion pour les ser­vices et greffes, l’abandon de l’obligation de se dépla­cer ou la pos­si­bi­li­té de mieux détec­ter les asso­cia­tions dor­mantes et de réa­li­ser des sta­tis­tiques. Il n’en reste pas moins que la frac­ture numé­rique est ici oubliée et que nombre de petites asso­cia­tions risquent de ne pas pou­voir suivre les obli­ga­tions de mise en confor­mi­té de leur infor­ma­tique si les stan­dards des logi­ciels de la BNB évo­luent trop vite pour res­pec­ter les normes de sécu­ri­té par exemple.

De plus on passe, comme nous le crai­gnions, vers une démarche payante. Même si les 30 euros annon­cés au départ peuvent paraitre déri­soires, ils seront évi­dem­ment au mini­mum indexés et sui­vront l’inflation comme les tarifs des ser­vices bancaires.

Une autre crainte réside dans la stan­dar­di­sa­tion des exi­gences comp­tables en les ali­gnant pro­gres­si­ve­ment, pour des faci­li­tés d’analyses et de sta­tis­tiques, vers celles régis­sant l’ensemble des socié­tés et des « grandes » associations.

Tout cela sera vécu sur le ter­rain comme des contraintes impor­tantes et dimi­nue­ra l’engagement volon­taire dans des fonc­tions de ges­tion déjà fort dif­fi­ciles à pour­voir, comme s’en inquiète le Conseil supé­rieur des volon­taires. À la fin, l’objectif de trans­pa­rence pour­sui­vi risque de frei­ner le recours à la per­son­na­li­té juri­dique en ren­voyant les ini­tia­teurs de pro­jets vers la pré­caire asso­cia­tion de fait encore moins traçable…

Un registre des libé­ra­li­tés

L’exposé des motifs nous annonce que « la pro­po­si­tion pré­voit l’obligation, pour toutes les asso­cia­tions et fon­da­tions, de tenir un registre des libé­ra­li­tés entrantes et sor­tantes, de et vers l’étranger. » Ce registre devra conte­nir des infor­ma­tions pré­cises sur l’auteur ou le béné­fi­ciaire rési­dant à l’étranger : « la date de récep­tion ou d’envoi, le nom, le pré­nom et le domi­cile de la contre­par­tie ou, lorsqu’il s’agit d’une per­sonne morale ou d’une struc­ture dépour­vue de per­son­na­li­té juri­dique, la déno­mi­na­tion, le cas échéant le numé­ro d’entreprise, la forme légale et l’adresse du siège ain­si que les don­nées de tran­sac­tion et les par­ti­cu­la­ri­tés de la tran­sac­tion (mode d’exécution, numé­ros de compte des contre­par­ties, etc.).»

Si la néces­si­té de trans­pa­rence est indis­cu­table, on peut se deman­der si tous ces élé­ments sont essen­tiels, s’ils res­te­ront cir­cons­crits à cette liste et s’ils ne consti­tuent pas une lour­deur admi­nis­tra­tive disproportionnée.

D’autre part, la trans­mis­sion de telles don­nées pour des asso­cia­tions qui ont une conno­ta­tion phi­lo­so­phique, poli­tique ou reli­gieuse pose la ques­tion du res­pect de la vie pri­vée et de la sécu­ri­té des don­nées. Par­tant, il est à craindre qu’ici aus­si les exi­gences en matière de sécu­ri­té des logi­ciels et donc de capa­ci­tés infor­ma­tiques ne ces­se­ront d’évoluer, péna­li­sant les petites struc­tures ou celles gérées par des per­sonnes plus éloi­gnées de l’évolution des tech­no­lo­gies. Dès lors ne pour­rait-on se satis­faire de la tenue des­dits registres au siège de l’association, le texte ne pré­voyant l’utilisation du dépôt infor­ma­tique par les ser­vices agréés qu’en cas de suspicion ?

Par ailleurs le dis­po­si­tif entend assi­mi­ler les dons en nature dans l’ensemble de ces libé­ra­li­tés : « Par libé­ra­li­tés, on entend toute forme de dons ou de legs, tout acte juri­dique ayant pour objet un trans­fert ou un aban­don d’un droit, à titre gra­tuit, entrai­nant pour la per­sonne gra­ti­fiée un enri­chis­se­ment cor­ré­la­tif à l’appauvrissement du dis­po­sant. » Quid dès lors d’échange de cadeaux, de ser­vices, de pres­ta­tions notam­ment lors de ren­contres spor­tives, de camps à l’étranger, de jume­lages ? Quid des trans­ferts de fonds dans les struc­tures inter­na­tio­nales propres à une ONG (vers un pro­jet de coopé­ra­tion par exemple) ou au sein d’une fon­da­tion ? L’exonération de registre en des­sous de 3.000 euros/an incor­pore-t-elle aus­si ces échanges non finan­ciers, et si non, com­ment éva­luer leurs valeurs ?

Ces ques­tions sou­lèvent aus­si le manque de gra­da­tion de la sanc­tion pré­vue (la dis­so­lu­tion) de même que la charge de tra­vail sup­plé­men­taire pour les Tri­bu­naux des entreprises.

Il sera dès lors inté­res­sant de voir pré­ci­ser le péri­mètre de ces libé­ra­li­tés. L’asbl pru­dente dont les dons ne sont pas pré­vi­sibles s’imposera donc d’enregistrer chaque don étran­ger à titre de pré­cau­tion, au cas où leur total de l’année dépas­se­rait 3.000 euros. On note­ra aus­si que la véri­fi­ca­tion du domi­cile à l’étranger n’est, dans de nom­breux cas, pas pos­sible en cas de récolte via Face­book, par SMS ou crowd­fun­ding. Vu les péna­li­tés, ces modes de finan­ce­ment seront-ils aban­don­nés par les asso­cia­tions au risque de frei­ner cer­tains projets ?

On le voit, ces dis­po­si­tifs inter­rogent plei­ne­ment la liber­té associative.

15 avril 2019

Cet article com­plète et actua­lise un texte publié par Énéo en février 2019)

Philippe Andrianne


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