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Code des sociétés et associations, déjà des conséquences
Depuis notre dernier article dans la revue sur le sujet, le projet a effectué son chemin parlementaire, de la Commission droit commercial et économique de la Chambre des Représentants à un vote majorité suédoise contre opposition en période d’affaires courantes, le 28 février dernier. Un triptyque partiellement en application Déposé finalement en juin 2018, le projet du […]
Depuis notre dernier article dans la revue sur le sujet, le projet a effectué son chemin parlementaire, de la Commission droit commercial et économique de la Chambre des Représentants à un vote majorité suédoise contre opposition en période d’affaires courantes, le 28 février dernier.
Un triptyque partiellement en application
Déposé finalement en juin 2018, le projet du gouvernement concluait l’ensemble des réformes du droit commercial entamées par le vote du volet « Continuité des entreprises » le 13 juillet 2017.
Par ce premier texte, les associations connaissent depuis le 1er mai 2018 l’application du droit des entreprises en matière de procédure de réorganisation judiciaire, de faillite et de liquidation. Elles dépendent du Tribunal des entreprises (nouveau nom du Tribunal du commerce depuis le 1er novembre 2018) et sont donc susceptibles de devoir répondre à des enquêtes si certains indicateurs automatiques ou si des plaintes les font craindre en difficulté. L’absence de dépôt de comptes, des jugements par défaut à l’encontre de l’association ou des manquements à l’ONSS font partie de ces indicateurs économiques.
Vint ensuite la réforme du droit des entreprises qui abrogeait le Code de commerce sauf pour quelques matières hors de propos ici. Cette modification touche les associations qui sont désormais des « entreprises » telles que définies par ce texte. Toutes les asbl et certaines associations de fait sont désormais, pour le droit, des acteurs économiques soumis aux mêmes règles que les sociétés. Ce faisant, et surtout du fait des raisons invoquées dans l’exposé des motifs, les asbl ne connaissent plus beaucoup de différences d’approche par rapport aux sociétés commerciales quant à leurs activités. Les règles économiques et notamment en matière de concurrence déloyale s’appliquaient déjà au secteur à profit social. Mais le regard que les juristes portaient sur ces structures à but désintéressé en modalisait l’application. Rappelons l’épisode des ambulances de la Croix-Rouge bloquées aux garages à la suite d’une action introduite par une compagnie privée de transport de malades. Quel aurait été le verdict sur la base des textes actuels ? Seule la jurisprudence à venir nous le dira.
Acte trois : le nouveau Code des sociétés et des associations s’ajoutera dès le mois de mai à ces deux textes, toujours à partir de ce principe fondateur d’acteur économique duquel on déduit qu’il y a lieu pour les asbl d’aligner les règles de gouvernance, les obligations envers les tiers, les procédures et les prescrits comptables sur ce qui sied aux sociétés. Ce faisant, l’intérêt sociétal et sa distinction avec l’activité marchande s’en trouvent embrouillés entrainant des dégâts collatéraux déjà évoqués dans une analyse de 2017 parue sur le site d’Énéo.
Où en est-on à ce stade ?
Les deux premiers textes s’appliquent déjà aux associations. Au niveau des Tribunaux des entreprises, les premiers juges consulaires issus du monde associatif ou qui en sont proches ont été nommés en deux vagues et ont pris leurs fonctions à Bruxelles, Nivelles, Liège… Ils découvrent les matières et les pratiques. Ils ont déjà dû ici et là tenter de déterminer ces fameux indicateurs spécifiques aux associations notamment pour les chambres d’enquête. Il se projette d’ici peu des échanges entre les ressorts pour harmoniser ces éléments, mais la pratique débute et doit encore trouver ses lignes de forces.
En ce qui concerne le nouveau Code des sociétés et associations proprement dit, la Commission parlementaire a tenté de mettre le turbo dès le dépôt du texte le 4 juin 2018. Dès le 25 juin, de premiers amendements de la majorité fleurissaient, suivis mi-juillet et à la rentrée de septembre par d’autres émanant de l’opposition. Un premier avis du Conseil d’État a été reçu le 27 septembre et un rapport a été adopté en première lecture le 12 décembre et renvoyé en seconde lecture à la suite de nouveaux amendements en Commission. Un nouvel avis du Conseil d’État a été demandé sur ces amendements.
Et la concertation ? Sur ce texte les parlementaires n’ont pas procédé à des auditions du monde associatif. Quelques personnes ont été amenées à produire des contributions écrites qui ne sont malheureusement pas encore disponibles sur le site de la Chambre. L’auteur de ces lignes y a participé et vous trouverez sa contribution telle que publiée via une autre analyse du site Énéo.
Il est étonnant cependant que les textes des contributions ne soient pas divulgués. Il semblerait que dorénavant elles ne seront publiques qu’après le vote… de quoi amputer les débats dans la presse et les pressions ? Au moment où un des arguments de ces modifications réside dans la transparence des structures, on ne peut que relever la contradiction !
Puis le gouvernement est tombé, on est passé brièvement sous « Michel 2 » sans la N‑VA. La démission s’est ensuivie et les affaires courantes ont démarré fin décembre 2018. Comme le projet de loi sur le Code des sociétés et des associations a déjà connu deux votes partiels en Commission et que le dernier avis du Conseil d’État sur les derniers amendements tombait ce 7 février, le texte se retrouvait en vue de la piste d’atterrissage. Le ministre de la Justice y tient. Le monde marchand y est favorable et le « Vlaams non-profitsector » n’y voit pas d’inconvénient.
La position de l’associatif francophone — le retrait du volet associatif du projet — n’a donc finalement pas été entendue malgré les nombreux arguments déjà développés et que vous retrouverez dans les textes et analyses référencées plus haut. Nous n’y reviendrons donc pas.
Les carottes sont cuites
Une réalité cependant : les entités fédérées n’ont pas encore pris la mesure des risques et de la charge de travail que ce texte va leur apporter. Il ne nous est pas revenu qu’elles aient été concertées par le gouvernement fédéral ni entendues par la Commission parlementaire. Et ce n’est pas en cette période préélectorale qu’on lancera la sonnette d’alarme ! Restera donc aux nouveaux exécutifs régionaux et communautaires à s’atteler au travail de mise en conformité de leurs nombreux décrets.
Une autre question cependant reste en jachère : le volet fiscal, indispensable, qui intéresse les associations, mais aussi les sociétés. Le juriste Michel Coipel a en effet noté qu’«il y a bien eu dépôt, le 24 janvier 2019, à la Chambre d’un projet fiscal qui date du mois de novembre et qui vise “l’adaptation de certaines dispositions fiscales fédérales au nouveau Code des sociétés et des associations” (Doc 54 3367/004), mais ce projet n’adapte nullement les articles 180 et surtout 182 du CIR 92, lacune qui a été critiquée par d’excellents fiscalistes. L’article 182 continue donc à prévoir que les asbl et autres personnes morales sans but de lucre ne sont pas soumises à l’impôt des sociétés, notamment et principalement pour des “opérations qui constituent une activité ne comportant qu’accessoirement des opérations industrielles, commerciales ou agricoles ou ne mettant pas en œuvre des méthodes industrielles ou commerciales”. Or, dans le nouveau Code, les asbl voient supprimée l’interdiction des activités industrielles et commerciales. Comment dès lors appliquer l’article 182 non adapté ? »
Une disposition transitoire rédigée en urgence à ce sujet a été votée en même temps que le code, mais elle risque bien d’être insuffisante, ne rencontrant pas tous les cas de figure…
Déjà d’autres dispositifs s’imposent
Une proposition de loi de la majorité modifiant le Code des sociétés et des associations concernant les libéralités et les comptes annuels d’associations et de fondations (Doc 54 3550/001) a été votée à la fin mars en Commission droit économique et sera approuvée en plénière courant avril. Elle contient deux dispositifs :
La centralisation des comptes
La proposition de loi s’inscrit dans la foulée des avis du Gafi dans le cadre de la lutte contre la criminalité, le terrorisme et le blanchiment d’argent. Ce que nous ne pouvons qu’approuver. Elle vise à « renforcer d’urgence la transparence financière du secteur non marchand (recommandation n°8 et action immédiate n°10)». En ce elle pose la question des mesures équivalentes prises envers le monde marchand afin de ne pas stigmatiser l’essor associatif vital pour le dynamisme de la citoyenneté.
Pour y parvenir, le dispositif avancé « prévoit la généralisation de l’obligation de dépôt des comptes annuels des associations et des fondations, quelle que soit leur taille, à la Centrale des bilans de la Banque nationale de Belgique ». Ce faisant elle annihile la protection qui avait été mise en place pour les petites asbl en les dispensant des formalités de la BNB et en les astreignant au recours à la transmission informatique standardisée. Certes des éléments positifs sont invoqués tels la simplification pour les services et greffes, l’abandon de l’obligation de se déplacer ou la possibilité de mieux détecter les associations dormantes et de réaliser des statistiques. Il n’en reste pas moins que la fracture numérique est ici oubliée et que nombre de petites associations risquent de ne pas pouvoir suivre les obligations de mise en conformité de leur informatique si les standards des logiciels de la BNB évoluent trop vite pour respecter les normes de sécurité par exemple.
De plus on passe, comme nous le craignions, vers une démarche payante. Même si les 30 euros annoncés au départ peuvent paraitre dérisoires, ils seront évidemment au minimum indexés et suivront l’inflation comme les tarifs des services bancaires.
Une autre crainte réside dans la standardisation des exigences comptables en les alignant progressivement, pour des facilités d’analyses et de statistiques, vers celles régissant l’ensemble des sociétés et des « grandes » associations.
Tout cela sera vécu sur le terrain comme des contraintes importantes et diminuera l’engagement volontaire dans des fonctions de gestion déjà fort difficiles à pourvoir, comme s’en inquiète le Conseil supérieur des volontaires. À la fin, l’objectif de transparence poursuivi risque de freiner le recours à la personnalité juridique en renvoyant les initiateurs de projets vers la précaire association de fait encore moins traçable…
Un registre des libéralités
L’exposé des motifs nous annonce que « la proposition prévoit l’obligation, pour toutes les associations et fondations, de tenir un registre des libéralités entrantes et sortantes, de et vers l’étranger. » Ce registre devra contenir des informations précises sur l’auteur ou le bénéficiaire résidant à l’étranger : « la date de réception ou d’envoi, le nom, le prénom et le domicile de la contrepartie ou, lorsqu’il s’agit d’une personne morale ou d’une structure dépourvue de personnalité juridique, la dénomination, le cas échéant le numéro d’entreprise, la forme légale et l’adresse du siège ainsi que les données de transaction et les particularités de la transaction (mode d’exécution, numéros de compte des contreparties, etc.).»
Si la nécessité de transparence est indiscutable, on peut se demander si tous ces éléments sont essentiels, s’ils resteront circonscrits à cette liste et s’ils ne constituent pas une lourdeur administrative disproportionnée.
D’autre part, la transmission de telles données pour des associations qui ont une connotation philosophique, politique ou religieuse pose la question du respect de la vie privée et de la sécurité des données. Partant, il est à craindre qu’ici aussi les exigences en matière de sécurité des logiciels et donc de capacités informatiques ne cesseront d’évoluer, pénalisant les petites structures ou celles gérées par des personnes plus éloignées de l’évolution des technologies. Dès lors ne pourrait-on se satisfaire de la tenue desdits registres au siège de l’association, le texte ne prévoyant l’utilisation du dépôt informatique par les services agréés qu’en cas de suspicion ?
Par ailleurs le dispositif entend assimiler les dons en nature dans l’ensemble de ces libéralités : « Par libéralités, on entend toute forme de dons ou de legs, tout acte juridique ayant pour objet un transfert ou un abandon d’un droit, à titre gratuit, entrainant pour la personne gratifiée un enrichissement corrélatif à l’appauvrissement du disposant. » Quid dès lors d’échange de cadeaux, de services, de prestations notamment lors de rencontres sportives, de camps à l’étranger, de jumelages ? Quid des transferts de fonds dans les structures internationales propres à une ONG (vers un projet de coopération par exemple) ou au sein d’une fondation ? L’exonération de registre en dessous de 3.000 euros/an incorpore-t-elle aussi ces échanges non financiers, et si non, comment évaluer leurs valeurs ?
Ces questions soulèvent aussi le manque de gradation de la sanction prévue (la dissolution) de même que la charge de travail supplémentaire pour les Tribunaux des entreprises.
Il sera dès lors intéressant de voir préciser le périmètre de ces libéralités. L’asbl prudente dont les dons ne sont pas prévisibles s’imposera donc d’enregistrer chaque don étranger à titre de précaution, au cas où leur total de l’année dépasserait 3.000 euros. On notera aussi que la vérification du domicile à l’étranger n’est, dans de nombreux cas, pas possible en cas de récolte via Facebook, par SMS ou crowdfunding. Vu les pénalités, ces modes de financement seront-ils abandonnés par les associations au risque de freiner certains projets ?
On le voit, ces dispositifs interrogent pleinement la liberté associative.
15 avril 2019
Cet article complète et actualise un texte publié par Énéo en février 2019)