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Cocorico !

Numéro 7 - 2016 par Etienne Verhasselt

novembre 2016

Tout a com­men­cé par les coqs. À l’aube, en plein chant, ils s’enflammaient comme des torches et, durant des mois, jusqu’à ce qu’il n’y eût plus de coq, aux pre­mières lueurs du jour les cam­pagnes se constel­laient de petits bra­siers endia­blés cou­rant en tous sens. Il fut vite éta­bli que le chant déclen­chait l’incendie des oiseaux, aussi […]

Tout a com­men­cé par les coqs. À l’aube, en plein chant, ils s’enflammaient comme des torches et, durant des mois, jusqu’à ce qu’il n’y eût plus de coq, aux pre­mières lueurs du jour les cam­pagnes se constel­laient de petits bra­siers endia­blés cou­rant en tous sens. Il fut vite éta­bli que le chant déclen­chait l’incendie des oiseaux, aus­si pen­sa-t-on à leur clouer le bec : sans résul­tat, car la seule inten­tion de chan­ter suf­fi­sait à leur bou­ter le feu.

Puis ce fut le tour des chiens. Par­tout on assis­tait à d’horribles scènes : un chien aboyait et, d’un seul coup, il s’embrasait, au bout de sa laisse, dans son panier, n’importe où. On ne comp­tait plus les incen­dies domes­tiques et les bru­lures chez les hommes, les femmes et les enfants. Il y eut plu­sieurs décès pathé­tiques : des maitres se jetaient sur leur fidèle com­pa­gnon pour par­ta­ger son sort affreux et mou­rir avec lui, bru­lés vifs. Le der­nier chien sur terre mou­rut — je n’ose dire s’éteignit — d’avoir rêvé qu’il était un loup hur­lant à la pleine lune.

Faute de chiens, les chats régnèrent alors en maitres incon­tes­tés sur les mai­sons, les rues et les pou­belles. Mais une nuit, on enten­dit deux gros matous se cha­mailler bruyam­ment sur un toit et, sou­dain, l’obscurité s’illumina de deux boules de feu hystériques.

Aujourd’hui, il y a des chats cal­ci­nés par­tout et les sou­ris dansent. Mais il y a plus pré­oc­cu­pant, car depuis quelque temps une rumeur court. Ici et là on entend dire que le phé­no­mène fini­ra par affec­ter un jour les humains et qu’il y a urgence à trou­ver une solu­tion : et si, de chan­ter, d’élever la voix ou tout bon­ne­ment de se faire entendre, on allait tout à coup connaitre le sort ter­rible des coqs, des chiens et des chats ? D’ailleurs, on peut déjà consta­ter que les gens ont com­men­cé à bais­ser la voix et que nom­breux sont ceux qui, désor­mais, chuchotent.

Ce matin, j’ai assis­té à une scène sur­pre­nante : deux auto­mo­bi­listes, des­cen­dus de leur véhi­cule à un feu rouge et prêts à en découdre, s’invectivaient silen­cieu­se­ment dans la langue des signes.

Etienne Verhasselt


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