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Climat : que faire ?

Numéro 7 – 2021 - changement climatique par Renaud Maes

novembre 2021

À la lec­ture des chiffres, des figures et des enca­drés conte­nus dans ses 3949 pages, on ne peut que blê­mir : le der­nier rap­port du Giec sur les bases phy­siques du chan­ge­ment cli­ma­tique est un livre d’horreur. Avec énor­mé­ment de pru­dence, les scien­ti­fiques dis­sèquent dif­fé­rents scé­na­rios pos­sibles et, quel que soit le scé­na­rio sui­vi, l’avenir ne […]

Dossier

À la lec­ture des chiffres, des figures et des enca­drés conte­nus dans ses 3949 pages, on ne peut que blê­mir : le der­nier rap­port du Giec sur les bases phy­siques du chan­ge­ment cli­ma­tique est un livre d’horreur. Avec énor­mé­ment de pru­dence, les scien­ti­fiques dis­sèquent dif­fé­rents scé­na­rios pos­sibles et, quel que soit le scé­na­rio sui­vi, l’avenir ne s’annonce pas radieux. « De nom­breux chan­ge­ments dans le sys­tème cli­ma­tique vont s’aggraver, en lien direct avec l’intensification du réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Par­mi eux : une aug­men­ta­tion de fré­quence et d’intensité des tem­pé­ra­tures éle­vées, des vagues de cha­leur océa­niques, des sèche­resses agri­coles et envi­ron­ne­men­tales dans plu­sieurs régions, une pro­por­tion plus impor­tante de cyclones tro­pi­caux intenses, ain­si qu’une réduc­tion de la ban­quise arc­tique, de la cou­ver­ture nei­geuse et du per­ma­frost. » Les mous­sons vont aus­si deve­nir plus fré­quentes, plus intenses et concer­ner de plus en plus de régions. L’augmentation du niveau de la mer — iné­luc­table — entrai­ne­ra de plus fré­quentes inon­da­tions des villes côtières, une dimi­nu­tion des sur­faces habi­tables et exploi­tables notam­ment pour l’élevage et l’agriculture et des marées de plus en plus vio­lentes. En d’autres termes, peu importe le niveau de réduc­tion des émis­sions du dioxyde de car­bone, les catas­trophes vont se mul­ti­plier. Et si l’on n’agit pas vite, fort, effi­ca­ce­ment, cette mul­ti­pli­ca­tion sera très rapide. Les scien­ti­fiques sou­lignent qu’en la matière, chaque tonne de CO2 a son importance.

Alors même que ce rap­port était ren­du public, la Bel­gique et plu­sieurs des pays limi­trophes connais­saient des inon­da­tions d’une rare force, qui ont cau­sé d’immenses dégâts maté­riels, ont rui­né des familles et, pire, empor­té plu­sieurs vies. Le lien entre ces inon­da­tions, cau­sées par un épi­sode plu­vieux de grande inten­si­té et le dérè­gle­ment cli­ma­tique peut, d’après plu­sieurs cli­ma­to­logues, être éta­bli avec un cer­tain niveau de confiance. Nous ne sommes plus, comme à l’origine des rap­ports du Giec, dans une situa­tion où les dérè­gle­ments seraient en passe d’advenir : nous sommes déjà au temps des catastrophes.

Le dos­sier que vous tenez entre vos mains est né de ce constat et d’une ques­tion, lan­ci­nante : com­ment faire face ? Com­ment bri­ser le déses­poir et le sen­ti­ment d’impuissance qui nous prend à la lec­ture de ce rap­port du Giec ? Bref, que faire ?

Cette ques­tion, nous l’avons posée à plu­sieurs per­son­na­li­tés, issues de milieux variés et aux com­pé­tences très diverses. Elles nous apportent cha­cune leur ver­sion, leur point de vue, depuis leur domaine d’activités. Ce dos­sier res­semble donc quelque peu à un kaléi­do­scope, mais il nous appa­rait évident que si l’on veut des mesures fortes pour endi­guer autant que pos­sible la course aux catas­trophes, il faut mobi­li­ser dans tous les domaines des pistes de solutions.

Bien sûr, la réponse poli­tique est indis­pen­sable, cen­trale : il ne s’agit pas de croire ici que la Confé­rence de Glas­gow sur les chan­ge­ments cli­ma­tiques, qui se tien­dra au moment même où ce numé­ro sor­ti­ra de presse, n’est pas por­teuse d’enjeu. Mais il s’agit aus­si d’interroger les condi­tions effec­tives d’une réponse poli­tique, d’interroger com­ment contri­buer à construire un « cli­mat cha­leu­reux » pour la trans­for­ma­tion éco­lo­gique et la lutte contre le réchauf­fe­ment de l’autre cli­mat, celui de la planète…

Pour l’anthropologue Eléo­nore Had­dioui, les luttes éco­fé­mi­nistes consti­tuent une contri­bu­tion aus­si radi­cale qu’essentielle pour déga­ger les pistes d’action. Poin­tant que le sys­tème capi­ta­liste repose sur une logique d’exploitation, elle sou­ligne l’importance de l’auto-organisation des exploi­tées. En dis­sé­quant les nom­breuses ten­sions qui peuvent exis­ter dans la conver­gence entre com­bats fémi­nistes et éco­lo­gistes, elle trace sur le fil des pistes pour un chan­ge­ment de paradigme.

Ce chan­ge­ment de para­digme ne sera acces­sible qu’au tra­vers des espaces de déli­bé­ra­tion col­lec­tive : voi­là une convic­tion pro­fonde d’Ariane Estenne, pré­si­dente du Mou­ve­ment ouvrier chré­tien (MOC), qui nous a accor­dé un entre­tien. Elle y revient sur l’importance de cou­pler luttes éco­lo­giques et luttes pour l’égalité : la tran­si­tion n’aura pas lieu sans jus­tice sociale. Ce qui implique, for­cé­ment, de repar­tir des vécus, sin­gu­liè­re­ment des per­sonnes issues des milieux popu­laires, pour pen­ser des poli­tiques qui prennent sens et sus­citent l’adhésion.

Arnaud Ruys­sen, jour­na­liste à la RTBF, pro­pose, quant à lui, six balises pour gui­der le tra­vail des jour­na­listes confron­tés au chan­ge­ment cli­ma­tique. Par­mi celles-ci, il insiste lui aus­si sur la néces­si­té de retis­ser du lien, d’ouvrir des espaces de dia­logue et d’échange. Il pro­pose par ailleurs une réflexion sur le temps pris à cou­vrir cette « actua­li­té », la manière aus­si de l’envisager : la mul­ti­pli­ci­té des enjeux liés à la lutte contre le réchauf­fe­ment, celle-là même qui implique de construire un autre para­digme, impose sans doute aus­si de mieux inté­grer les dif­fé­rentes spé­cia­li­tés, de cou­vrir la chose comme un véri­table enjeu transversal.

Bap­tiste Cam­pion chausse, lui, ses lunettes de spé­cia­liste de la com­mu­ni­ca­tion, par­ti­cu­liè­re­ment rom­pu à l’étude des dis­cours cli­ma­tos­cep­tiques, pour pro­po­ser une réflexion sur leur appa­rente dis­pa­ri­tion du débat public. Il sou­ligne que cette dis­pa­ri­tion est liée à un double mou­ve­ment de radi­ca­li­sa­tion, d’une part, et de muta­tion vers une doc­trine de la tran­si­tion lente, d’autre part. Tou­te­fois, comme le montre la trans­for­ma­tion de cer­tains groupes cli­ma­tos­cep­tiques en groupes covi­dos­cep­tiques, le type de sché­ma nar­ra­tif carac­té­ris­tique des cli­ma­tos­cep­ti­cismes semble s’être ins­tal­lé dura­ble­ment, notam­ment au sein des réseaux sociaux.

C’est de l’école que traite la contri­bu­tion de Maud Dele­pière, qui met en exergue à quel point le débat sur la manière d’aborder les enjeux éco­lo­giques dans l’institution sco­laire consti­tue une mise à l’épreuve des fina­li­tés même de l’éducation ! Elle ouvre ce fai­sant des brèches ver­ti­gi­neuses, d’où résonne une nou­velle fois la même ques­tion : ne faut-il pas réel­le­ment tout chan­ger dans notre socié­té, revoir en pro­fon­deur le fonc­tion­ne­ment de toutes nos ins­ti­tu­tions, pour réus­sir à répondre à l’enjeu climatique ?

José Hal­loy conclut ce dos­sier par une réflexion docu­men­tée sur les pers­pec­tives que nous offrent les tech­no­lo­gies. Est-ce de là que vien­dra le salut ? La réponse est gla­ciale : non, à moins d’une révo­lu­tion tech­no­lo­gique équi­va­lente à celles que connut la révo­lu­tion indus­trielle. Mais il ne s’agit pas de dire que les tech­no­lo­gies ne seraient pas indis­pen­sables dans la lutte contre les dérè­gle­ments cli­ma­tiques et « l’acclimatation » des socié­tés à la nou­velle donne. Elles ne pour­ront sim­ple­ment pas suf­fire, l’investissement dans la recherche tech­no­lo­gique et la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre doivent donc aller de concert.

L’objectif de ce dos­sier n’est pas de pro­po­ser une réponse exhaus­tive : il est de mon­trer quelques lueurs d’espoir et, sur­tout, d’œuvrer à une (re)mobilisation col­lec­tive. Il est aus­si de faire explo­ser la « machine à expé­rience » dans laquelle nous bai­gnons1, qui fait que nos modes de vie nous empêchent de per­ce­voir la gra­vi­té de la crise cli­ma­tique et l’ampleur des enjeux à venir. En réunis­sant cet intel­lec­tuel col­lec­tif, ame­né à élar­gir et à pour­suivre ses tra­vaux, nous espé­rons juste aider à mettre en marche cette trans­for­ma­tion en pro­fon­deur de nos socié­tés que nous savons désor­mais indispensable.

  1. Maes R., « Cani­cule et machine à expé­riences », La Revue nou­velle, n° 6, 2019, p. 3 – 5.

Renaud Maes


Auteur

Renaud Maes est docteur en Sciences (Physique, 2010) et docteur en Sciences sociales et politiques (Sciences du Travail, 2014) de l’université libre de Bruxelles (ULB). Il a rejoint le comité de rédaction en 2014 et, après avoir coordonné la rubrique « Le Mois » à partir de 2015, il était devenu rédacteur en chef de La Revue nouvelle de 2016 à 2022. Il est également professeur invité à l’université Saint-Louis (Bruxelles) et à l’ULB, et mène des travaux de recherche portant notamment sur l’action sociale de l’enseignement supérieur, la prostitution, le porno et les comportements sexuels, ainsi que sur le travail du corps. Depuis juillet 2019, il est président du comité belge de la Société civile des auteurs multimédia (Scam.be).