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Climat : que faire ?
À la lecture des chiffres, des figures et des encadrés contenus dans ses 3949 pages, on ne peut que blêmir : le dernier rapport du Giec sur les bases physiques du changement climatique est un livre d’horreur. Avec énormément de prudence, les scientifiques dissèquent différents scénarios possibles et, quel que soit le scénario suivi, l’avenir ne […]
À la lecture des chiffres, des figures et des encadrés contenus dans ses 3949 pages, on ne peut que blêmir : le dernier rapport du Giec sur les bases physiques du changement climatique est un livre d’horreur. Avec énormément de prudence, les scientifiques dissèquent différents scénarios possibles et, quel que soit le scénario suivi, l’avenir ne s’annonce pas radieux. « De nombreux changements dans le système climatique vont s’aggraver, en lien direct avec l’intensification du réchauffement climatique. Parmi eux : une augmentation de fréquence et d’intensité des températures élevées, des vagues de chaleur océaniques, des sècheresses agricoles et environnementales dans plusieurs régions, une proportion plus importante de cyclones tropicaux intenses, ainsi qu’une réduction de la banquise arctique, de la couverture neigeuse et du permafrost. » Les moussons vont aussi devenir plus fréquentes, plus intenses et concerner de plus en plus de régions. L’augmentation du niveau de la mer — inéluctable — entrainera de plus fréquentes inondations des villes côtières, une diminution des surfaces habitables et exploitables notamment pour l’élevage et l’agriculture et des marées de plus en plus violentes. En d’autres termes, peu importe le niveau de réduction des émissions du dioxyde de carbone, les catastrophes vont se multiplier. Et si l’on n’agit pas vite, fort, efficacement, cette multiplication sera très rapide. Les scientifiques soulignent qu’en la matière, chaque tonne de CO2 a son importance.
Alors même que ce rapport était rendu public, la Belgique et plusieurs des pays limitrophes connaissaient des inondations d’une rare force, qui ont causé d’immenses dégâts matériels, ont ruiné des familles et, pire, emporté plusieurs vies. Le lien entre ces inondations, causées par un épisode pluvieux de grande intensité et le dérèglement climatique peut, d’après plusieurs climatologues, être établi avec un certain niveau de confiance. Nous ne sommes plus, comme à l’origine des rapports du Giec, dans une situation où les dérèglements seraient en passe d’advenir : nous sommes déjà au temps des catastrophes.
Le dossier que vous tenez entre vos mains est né de ce constat et d’une question, lancinante : comment faire face ? Comment briser le désespoir et le sentiment d’impuissance qui nous prend à la lecture de ce rapport du Giec ? Bref, que faire ?
Cette question, nous l’avons posée à plusieurs personnalités, issues de milieux variés et aux compétences très diverses. Elles nous apportent chacune leur version, leur point de vue, depuis leur domaine d’activités. Ce dossier ressemble donc quelque peu à un kaléidoscope, mais il nous apparait évident que si l’on veut des mesures fortes pour endiguer autant que possible la course aux catastrophes, il faut mobiliser dans tous les domaines des pistes de solutions.
Bien sûr, la réponse politique est indispensable, centrale : il ne s’agit pas de croire ici que la Conférence de Glasgow sur les changements climatiques, qui se tiendra au moment même où ce numéro sortira de presse, n’est pas porteuse d’enjeu. Mais il s’agit aussi d’interroger les conditions effectives d’une réponse politique, d’interroger comment contribuer à construire un « climat chaleureux » pour la transformation écologique et la lutte contre le réchauffement de l’autre climat, celui de la planète…
Pour l’anthropologue Eléonore Haddioui, les luttes écoféministes constituent une contribution aussi radicale qu’essentielle pour dégager les pistes d’action. Pointant que le système capitaliste repose sur une logique d’exploitation, elle souligne l’importance de l’auto-organisation des exploitées. En disséquant les nombreuses tensions qui peuvent exister dans la convergence entre combats féministes et écologistes, elle trace sur le fil des pistes pour un changement de paradigme.
Ce changement de paradigme ne sera accessible qu’au travers des espaces de délibération collective : voilà une conviction profonde d’Ariane Estenne, présidente du Mouvement ouvrier chrétien (MOC), qui nous a accordé un entretien. Elle y revient sur l’importance de coupler luttes écologiques et luttes pour l’égalité : la transition n’aura pas lieu sans justice sociale. Ce qui implique, forcément, de repartir des vécus, singulièrement des personnes issues des milieux populaires, pour penser des politiques qui prennent sens et suscitent l’adhésion.
Arnaud Ruyssen, journaliste à la RTBF, propose, quant à lui, six balises pour guider le travail des journalistes confrontés au changement climatique. Parmi celles-ci, il insiste lui aussi sur la nécessité de retisser du lien, d’ouvrir des espaces de dialogue et d’échange. Il propose par ailleurs une réflexion sur le temps pris à couvrir cette « actualité », la manière aussi de l’envisager : la multiplicité des enjeux liés à la lutte contre le réchauffement, celle-là même qui implique de construire un autre paradigme, impose sans doute aussi de mieux intégrer les différentes spécialités, de couvrir la chose comme un véritable enjeu transversal.
Baptiste Campion chausse, lui, ses lunettes de spécialiste de la communication, particulièrement rompu à l’étude des discours climatosceptiques, pour proposer une réflexion sur leur apparente disparition du débat public. Il souligne que cette disparition est liée à un double mouvement de radicalisation, d’une part, et de mutation vers une doctrine de la transition lente, d’autre part. Toutefois, comme le montre la transformation de certains groupes climatosceptiques en groupes covidosceptiques, le type de schéma narratif caractéristique des climatoscepticismes semble s’être installé durablement, notamment au sein des réseaux sociaux.
C’est de l’école que traite la contribution de Maud Delepière, qui met en exergue à quel point le débat sur la manière d’aborder les enjeux écologiques dans l’institution scolaire constitue une mise à l’épreuve des finalités même de l’éducation ! Elle ouvre ce faisant des brèches vertigineuses, d’où résonne une nouvelle fois la même question : ne faut-il pas réellement tout changer dans notre société, revoir en profondeur le fonctionnement de toutes nos institutions, pour réussir à répondre à l’enjeu climatique ?
José Halloy conclut ce dossier par une réflexion documentée sur les perspectives que nous offrent les technologies. Est-ce de là que viendra le salut ? La réponse est glaciale : non, à moins d’une révolution technologique équivalente à celles que connut la révolution industrielle. Mais il ne s’agit pas de dire que les technologies ne seraient pas indispensables dans la lutte contre les dérèglements climatiques et « l’acclimatation » des sociétés à la nouvelle donne. Elles ne pourront simplement pas suffire, l’investissement dans la recherche technologique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre doivent donc aller de concert.
L’objectif de ce dossier n’est pas de proposer une réponse exhaustive : il est de montrer quelques lueurs d’espoir et, surtout, d’œuvrer à une (re)mobilisation collective. Il est aussi de faire exploser la « machine à expérience » dans laquelle nous baignons1, qui fait que nos modes de vie nous empêchent de percevoir la gravité de la crise climatique et l’ampleur des enjeux à venir. En réunissant cet intellectuel collectif, amené à élargir et à poursuivre ses travaux, nous espérons juste aider à mettre en marche cette transformation en profondeur de nos sociétés que nous savons désormais indispensable.