Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Climat, dix ans après Stern, dix semaines après Paris

Numéro 2 - 2016 par Olivier Derruine

mars 2016

En octobre 2016, cela fera dix ans que Sir Nicho­las Stern jeta son pavé (lit­té­ra­le­ment : 662 pages quand même!) dans la mare en pré­sen­tant son rap­port sur le cout des chan­ge­ments cli­ma­tiques qui lui avait été com­man­dé par Gor­don Brown, ministre des Finances bri­tan­niques de l’époque. Pour la pre­mière fois, un éco­no­miste avec une solide […]

Dossier

En octobre 2016, cela fera dix ans que Sir Nicho­las Stern jeta son pavé (lit­té­ra­le­ment : 662 pages quand même!) dans la mare en pré­sen­tant son rap­port sur le cout des chan­ge­ments cli­ma­tiques qui lui avait été com­man­dé par Gor­don Brown, ministre des Finances bri­tan­niques de l’époque. Pour la pre­mière fois, un éco­no­miste avec une solide répu­ta­tion éta­blie notam­ment à la Banque euro­péenne de recons­truc­tion et de déve­lop­pe­ment, puis à la Banque mon­diale (dont il fut vice-pré­sident) moné­tise les chan­ge­ments cli­ma­tiques. Et ses conclu­sions sont alar­mantes puisqu’il avance que ces phé­no­mènes pour­raient entrai­ner une chute du PIB/tête allant jusque 20%! À titre de com­pa­rai­son, cette baisse est simi­laire à celle enre­gis­trée par la Grèce depuis le début de la crise. En emme­nant les chan­ge­ments cli­ma­tiques dans le champ éco­no­mique, il touche là où ça fait mal et for­cé­ment, là où ça parle : au por­te­feuille des gou­ver­ne­ments et de Mon­sieur et Madame Tout-le-Monde.

Au-delà de ce chiffre, Stern déclare que les chan­ge­ments cli­ma­tiques sont le résul­tat de l’échec de mar­ché le plus impor­tant. Autre­ment dit, il ne sera pas pos­sible d’enrayer les hausses de tem­pé­ra­ture en se bor­nant à lais­ser jouer la Main invi­sible, laquelle est cen­sée com­bi­ner la pour­suite des inté­rêts égoïs­tes et donc dés­in­té­res­sés de ce genre de pré­oc­cu­pa­tions de manière à réa­li­ser un objec­tif d’intérêt géné­ral de grande ampleur. Il faut donc de la régu­la­tion, ce qui implique, pour l’État, de reprendre pied dans la sphère éco­no­mique de laquelle il s’est pro­gres­si­ve­ment reti­ré depuis le début des années 1980.

Entre la publi­ca­tion du rap­port de Stern et l’accord cli­ma­tique de Paris frai­che­ment agréé en décembre 2015, presque une décen­nie s’est écou­lée. Une décen­nie de stag­na­tion dans les négo­cia­tions et les pro­grès en vue de limi­ter les émis­sions de gaz à effet de serre comme l’a illus­trée la confé­rence de Copen­hague qui s’est sol­dée par un échec cui­sant presque trau­ma­ti­sant. Mais pas une décen­nie de stag­na­tion des tem­pé­ra­tures : sans poli­tiques nou­velles, la hausse s’établirait à envi­ron 3,6 °C d’ici la fin du siècle ou, au mieux, à 2,7 °C si les enga­ge­ments annon­cés à Paris sont respectés.

Or, l’attentisme face aux chan­ge­ments cli­ma­tiques n’est pas sans cout : l’inaction entre 2012 et 2015 a été éva­luée par l’Agence inter­na­tio­nale de l’énergie à 8000 mil­liards de dol­lars, ce qui por­te­rait la fac­ture totale à 44000 mil­liards de dol­lars pour enta­mer la tran­si­tion éner­gé­tique. En per­met­tant l’essor des éner­gies renou­ve­lables et la pro­mo­tion de l’efficacité éner­gé­tique, les émis­sions de gaz à effet de serre induites par le bru­lage des com­bus­tibles fos­siles seraient conformes à ce que la pla­nète elle-même peut absor­ber et gérer. Ces inves­tis­se­ments à prio­ri astro­no­miques ne seront pas à fonds per­dus car les ren­de­ments seront supé­rieurs pour l’ensemble de la socié­té et, en par­ti­cu­lier, pour les pays pauvres qui subissent les consé­quences des abon­dantes émis­sions des pays riches (Europe et États-Unis prin­ci­pa­le­ment) depuis les débuts de la Révo­lu­tion indus­trielle au XIXeplan de relance met en par­ti­cu­lier l’accent sur l’innovation et le ver­dis­se­ment des inves­tis­se­ments UE. »

Ce plan qui enten­dait mobi­li­ser 1,5% du PIB euro­péen fit long feu : per­sonne n’y don­na suite. Et l’intention de ver­dir l’économie s’évanouit tout aus­si rapi­de­ment. Le Fonds euro­péen pour les inves­tis­se­ments stra­té­giques (ou, plus com­mu­né­ment appe­lé Fonds Jun­cker) qui, à la dif­fé­rence de son pré­dé­ces­seur, repose sur des règle­men­ta­tions euro­péennes adop­tées à l’été 2015 et qui est cen­sé mobi­li­ser des fonds publics et pri­vés à hau­teur de 3% du PIB, ne fait réfé­rence qu’accessoirement à la lutte contre les chan­ge­ments cli­ma­tiques. Ce qui importe est d’investir, peu importent les sec­teurs et la nature des investissements.

Ces flot­te­ments, pour ne pas dire le repli, dans l’approche de l’UE à l’égard de ce grand défi socié­tal, ont pris une dimen­sion par­ti­cu­lière avec la nomi­na­tion de l’Espagnol Miguel Canete à la Com­mis­sion euro­péenne où il est res­pon­sable de l’action cli­ma­tique et du volet éner­gé­tique. Les débuts de M. Canete sur les planches euro­péennes ont sur­tout été mar­qués par la polé­mique autour de l’implication de sa famille dans l’industrie du pétrole. Le conflit d’intérêt est patent lorsque l’on sait qu’il faut lais­ser dans le sol 80% des réserves de com­bus­tibles fos­siles pour gar­der une chance d’éviter des hausses exces­sives de tem­pé­ra­ture ! Le sou­tien poli­tique dont il béné­fi­cia ain­si que la ces­sion (tar­dive) de tous ses titres finan­ciers en lien avec ce sec­teur lui ont per­mis de pré­ser­ver son poste. Cepen­dant, la méfiance à son égard demeu­rait… et, à rai­son, puisque, lors de la confé­rence de Paris, un docu­ment éma­nant de sa direc­tion géné­rale insis­tait pour que le com­merce ne soit pas affec­té par l’accord qui res­sor­ti­rait des négociations….

La Bel­gique ne peut se tar­guer de faire mieux : la saga Doel-Tihange n’en finit pas d’inquiéter et d’agacer les Belges et les pays fron­ta­liers au point qu’une péti­tion deman­dant une éva­lua­tion de l’impact envi­ron­ne­men­tal trans­fron­ta­lier du main­tien et de la pro­lon­ga­tion de leurs acti­vi­tés récol­ta près de 900.000 signa­tures ! Quant aux négo­cia­tions de Paris, la Bel­gique y est venue les mains vides, sans avoir le moindre accord natio­nal à pré­sen­ter. Là où le sur­réa­lisme à la belge fai­sait encore rire ou sou­rire, les pro­por­tions atteintes dans le dos­sier cli­ma­to-éner­gé­tique sont telles que le royaume est la risée des pays riches. Rien d’étonnant à ce qu’elle se soit vue décer­ner le prix Fos­sile (qui « récom­pense » le plus mau­vais élève en matière envi­ron­ne­men­tale) par un réseau d’ONG envi­ron­ne­men­tales. L’article de Julien Van­de­bu­rie retrace les erre­ments de la poli­tique cli­ma­tique belge depuis sa nais­sance en 1994 et éva­lue le res­pect des enga­ge­ments pris et leur adé­qua­tion à l’égard des efforts réel­le­ment nécessaires.

A contra­rio de la rela­tive pas­si­vi­té euro­péenne, Lau­rence Van­de­walle et Juliette Hanin rendent compte des déve­lop­pe­ments posi­tifs en Chine. D’intransigeante à conci­liante, la posi­tion de la Chine dans les négo­cia­tions cli­ma­tiques a évo­lué au fur et à mesure que le gou­ver­ne­ment cen­tral pre­nait conscience que la ques­tion envi­ron­ne­men­tale, s’il n’y pre­nait garde, pour­rait être l’étincelle qui met­trait le feu au régime.

L’article de Ben­ja­min Denis montre qu’il n’y a pas que la Chine qui a chan­gé : c’est éga­le­ment le cas de l’esprit des accords envi­ron­ne­men­taux mul­ti­la­té­raux. Si beau­coup se sont féli­ci­tés de l’accouchement de l’accord de Paris, il ne faut pas se leur­rer : on est loin de la phi­lo­so­phie qui ani­mait le pro­to­cole de Kyo­to et, le diable se cachant dans les détails, la gou­ver­nance mise en place en décembre der­nier risque de pécher par sa trop grande sou­plesse… d’autant que comme l’illustre l’article d’Olivier Der­ruine, les accords com­mer­ciaux, dont l’OCDE estime qu’ils recèlent le plus grand poten­tiel de crois­sance, posent éga­le­ment les plus grands dan­gers à la réa­li­sa­tion de nos ambi­tions envi­ron­ne­men­tales. Même s’il est tou­jours en cours de négo­cia­tion entre les États-Unis et l’Europe, le Trai­té trans­at­lan­tique illustre ici le propos.

Dans la fou­lée, Julien Vas­te­nae­kels nous invite à voir plus loin en esquis­sant des pistes pour trans­for­mer radi­ca­le­ment notre éco­no­mie. Pour cela, il fau­dra renouer avec l’audace et le prag­ma­tisme qui ont mar­qué de grandes réformes dans le pas­sé. Ces traits de carac­tère nous auraient-ils aban­don­nés ? Il existe une alter­na­tive à l’austérité, mais pour qu’elle puisse adve­nir, il fau­dra se sevrer du pro­duc­ti­visme et du tout-à-la-croissance.

Olivier Derruine


Auteur

économiste, conseiller au Parlement européen