Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Citoyenneté des ainés, un fondement dans la construction des solidarités locales

Numéro 8 - 2017 - Citoyenneté Génération Participation solidarité Vieillissement actif par Myriam Leleu

décembre 2017

Nous ana­ly­sons le déploie­ment d’un pro­ces­sus par­ti­ci­pa­tif enga­geant pou­voirs locaux et per­sonnes âgées, dans le cadre d’une recherche-action par­ti­ci­pa­tive, Wal­lo­nie amie des ainés (Wada). La pers­pec­tive d’un chan­ge­ment en pro­fon­deur des inter­ac­tions vécues dans la cité repose ici sur le pos­tu­lat d’une citoyen­ne­té pan-géné­ra­tion­nelle acti­vée par les ainés. Les notions de citoyen­ne­té, de soli­da­ri­té et de par­ti­ci­pa­tion sont inter­pe­lées à l’aune d’un vieillis­se­ment actif et en santé.

Dossier

« Les villes peuvent-elles chan­ger le monde ? » Cette phrase, emprun­tée à l’introduction d’un pas­sion­nant ouvrage de Durand Fol­co (2017, p. 7), donne le ton des idées qui vont suivre. De même, peut-on se deman­der si les ainés peuvent encore chan­ger le monde ? Et de quels chan­ge­ments il s’agit ? Des chan­ge­ments qui touchent à leur quo­ti­dien, de l’ordre de la vie pri­vée ? Des chan­ge­ments glo­baux, d’ordre poli­tique ? Des chan­ge­ments tou­chant la vie de tous dans la cité, les espaces sociaux et com­mu­nau­taires, les espaces publics ? Des chan­ge­ments visant l’amélioration de la qua­li­té de vie des dému­nis, des plus fra­giles ? Ces ques­tions éta­blissent la trame de fond d’un pro­ces­sus par­ti­ci­pa­tif mené par, pour et avec les ainés, au départ d’un pro­jet pilote, Wal­lo­nie amie des ainés.

Être âgé et citoyen

La citoyen­ne­té des ainés connait de nou­veaux déploie­ments à dif­fé­rents niveaux. Elle fait en effet l’objet de nou­velles formes de sou­tien voire de modu­la­tion vers d’autres types d’engagement, que ce soit au niveau local ou au niveau plus glo­bal des poli­tiques publiques. On peut en obser­ver des élé­ments dans dif­fé­rents champs :

  • le champ de la san­té et des pra­tiques de soins, avec l’actuelle réflexion autour des moda­li­tés d’expression et d’accompagnement des per­sonnes âgées en fin de vie, la vali­da­tion de leurs droits, grâce notam­ment au Car­net de vie ou au Pro­jet de soins per­son­na­li­sé et anti­ci­pé, lan­cé en 2012 par l’asbl Pal­lium dans la pro­vince du Bra­bant wallon,
  • le champ du loge­ment, au tra­vers de la concep­tion d’un habi­tat adap­té aux besoins et aux aspi­ra­tions des per­sonnes âgées, que ce soient des mai­sons de repos et de soins, des habi­tats grou­pés ou par­ta­gés, des habi­ta­tions modulables,
  • le champ poli­tique, avec l’affirmation d’une parole et d’avis via les conseils consul­ta­tifs com­mu­naux des ainés (CCCA), le déve­lop­pe­ment d’associations repré­sen­tant les ainés,
  • le champ social, avec le volon­ta­riat, les pra­tiques inter­gé­né­ra­tion­nelles, etc.

L’intérêt pour l’émergence voire l’affirmation de nou­velles formes de citoyen­ne­té des ainés réside ici dans son impact sur les types de soli­da­ri­té, entre per­sonnes d’une même géné­ra­tion ou entre per­sonnes de géné­ra­tions dif­fé­rentes. On peut parier d’ailleurs à pro­pos des soli­da­ri­tés sur leur recom­po­si­tion en regard des effets du vieillis­se­ment de la socié­té. Le pari peut être opti­miste et croire en une refon­da­tion des soli­da­ri­tés de proxi­mi­té et socié­tales, visant un pacte pour des géné­ra­tions futures ancrées dans les racines de l’expérience, un pacte pour l’émulation des liens sociaux, la recherche d’affinités et de sou­tien entre les géné­ra­tions. Il peut tou­te­fois être d’ordre pes­si­miste si l’on consi­dère le vieillis­se­ment sous l’angle de la dépen­dance, d’un poids à finan­cer, d’une charge à assu­rer. On en revient ici à deux para­digmes oppo­sés, celui de « l’ère de géri­tude », conçu dans les années 1980 par Michel Loriaux qui voyait dans le vieillis­se­ment démo­gra­phique une source de déve­lop­pe­ment socié­tal ou celui de la « peste blanche », conçu dans les années 1930 par Alfred Sau­vy qui per­ce­vait le vieillis­se­ment comme une cause de dés­in­té­gra­tion sociale et d’appauvrissement économique.

Wada : un processus participatif engageant pouvoirs locaux et personnes âgées

On peut s’intéresser aux diverses formes de citoyen­ne­té et de soli­da­ri­té ou à leur aban­don, dans les dif­fé­rents champs du social, mais on peut aus­si s’y inté­res­ser à par­tir d’une obser­va­tion trans­ver­sale. C’est là tout l’intérêt du pro­jet de recherche-action par­ti­ci­pa­tive, Wal­lo­nie amie des ainés (et de tous les âges), mené en Région wal­lonne, à par­tir de la facul­té d’architecture, d’ingénierie archi­tec­tu­rale, d’urbanisme de l’université catho­lique de Lou­vain, et sou­te­nu par l’Agence pour une vie de qua­li­té (AViQ)1. Ce pro­jet sol­li­cite le point de vue des dif­fé­rents acteurs sociaux concer­nés, que ce soient les ainés, membres ou non d’un conseil consul­ta­tif com­mu­nal des ainés, les asso­cia­tions les repré­sen­tants (Enéo, Espace Séniors, Coor­di­na­tion des asso­cia­tions de séniors, etc.) ou encore les pou­voirs poli­tiques et sociaux (conseils com­mu­naux, admi­nis­tra­tions com­mu­nales et CPAS), les élus (bourg­mestres, éche­vins des Affaires sociales, des Tra­vaux publics, du Loge­ment, etc.).

Wal­lo­nie amie des ainés (Wada) s’inspire direc­te­ment du pro­gramme des Villes amies des ainés lan­cé dès 2006 par l’Organisation mon­diale de la san­té (OMS). Des modèles existent, notam­ment en France ou au Qué­bec, où l’on dénombre sur 1134 muni­ci­pa­li­tés, plus de huit-cents muni­ci­pa­li­tés amies des ainés (Mada). Bien au-delà du Qué­bec ou de la France, il existe aujourd’hui un réseau inter­na­tio­nal des « Age-friend­ly Cities and Com­mu­ni­ties », créé en 2010 par l’OMS qui compte 533 villes et com­mu­nau­tés dans 37 pays, cou­vrant une popu­la­tion de plus de 158 mil­lions de per­sonnes2.

En 2012, les res­pon­sables poli­tiques de la Région wal­lonne lan­cèrent un pre­mier appel en faveur des « com­munes, pro­vinces, régions amies des ainés » : soixante pro­jets furent finan­cés dans ce cadre, dont douze firent l’objet d’une ana­lyse par­ti­cu­lière (Mou­laert, Houioux, 2016). Cette expé­rience se pour­suit aujourd’hui, à la suite du lan­ce­ment en 2015 d’un deuxième pro­gramme qui concerne six com­munes pilotes : Braine‑l’Alleud (pro­vince du Bra­bant wal­lon), Far­ciennes (pro­vince du Hai­naut), Vaux-sur-Sûre (pro­vince du Luxem­bourg), Namur (pro­vince de Namur), Mal­me­dy et Spri­mont (pro­vince de Liège). L’objectif de la recherche-action, Wal­lo­nie amie des ainés : étude pilote pour une approche métho­do­lo­gique inté­grée en faveur de « com­munes amies des ainés », est une appro­pria­tion concrète de la démarche Wada à par­tir des réa­li­tés wal­lonnes ain­si qu’une meilleure com­pré­hen­sion de la dyna­mique par­ti­ci­pa­tive des ainés.

Vada s’appuie sur une démarche par­ti­ci­pa­tive dans laquelle les ainés sont non seule­ment consul­tés, mais aus­si impli­qués tout au long d’un pro­ces­sus de co-recherche dans un « comi­té de pilo­tage» ; ils par­ti­cipent direc­te­ment au diag­nos­tic des besoins et des ser­vices exis­tants et sont ensuite par­tie pre­nante de la mise en œuvre et de l’évaluation des actions pro­po­sées qui s’effectuent au terme de la phase de diag­nos­ti­cet une vision du vieillis­se­ment qui dépasse une approche défi­ci­taire, médi­co-cen­trée, pour consi­dé­rer les forces et expé­riences des ainés et les sou­te­nir dans une vision large d’un vieillis­se­ment actif (aujourd’hui requa­li­fié par l’OMS de vieillis­se­ment en san­té) ins­crit dans la par­ti­ci­pa­tion sociale.

Notons en ce sens que le pro­gramme de l’OMS ne place pas le vieillis­se­ment, encore moins la vieillesse, comme porte d’entrée de sa démarche (et de son nom). C’est la ville (le vil­lage, la muni­ci­pa­li­té ou la com­mune) qui est la pre­mière consi­dé­rée. La ville est le vocable sous lequel s’articulent indis­so­cia­ble­ment un envi­ron­ne­ment phy­sique et un envi­ron­ne­ment social. Quand on dit la ville, on pense autant à une réa­li­té maté­rielle qu’à tout ce qui s’y passe. Cette ville est d’abord exté­rieure au vieillis­se­ment, mais elle est le lieu com­mun des géné­ra­tions, celui où les ainés, comme les autres âges de la vie, doivent trou­ver leur place. La ville est bien le lieu du vivre ensemble (mais aus­si de l’exclusion). De ce fait, elle doit être atten­tive aux ainés, à leurs fra­gi­li­tés et à leurs vul­né­ra­bi­li­tés et les ainés doivent pou­voir contri­buer, de par leurs forces et expé­riences, à cette com­mu­nau­té de vie qu’est la cité.

Expérience de solidarité innovante

Pour à la fois confir­mer et pré­ci­ser sa dimen­sion pan-géné­ra­tion­nelle et orga­ni­ser son ana­lyse et ses voies de modi­fi­ca­tion, l’OMS pro­pose huit champs défi­ni­toires de la ville dont trois se rat­tachent à l’environnement phy­sique (espaces exté­rieurs et bâti­ments, trans­ports, habi­tat) et cinq à l’environnement social (par­ti­ci­pa­tion au tis­su social, res­pect et inclu­sion sociale, par­ti­ci­pa­tion citoyenne et emploi, com­mu­ni­ca­tion et infor­ma­tion, sou­tien com­mu­nau­taire et ser­vices de san­té). Ces champs concernent toutes les géné­ra­tions, qui peuvent s’y retrou­ver, s’y oppo­ser et en débattre. La ville revêt ain­si une dimen­sion uni­fi­ca­trice qui est ren­con­trée par le carac­tère trans­ver­sal des obser­va­tions menées, des constats et des pistes d’action qui en résultent.

À ce niveau, on peut obser­ver que ce qui est mis en place, amé­lio­ré, pen­sé par, pour et avec les ainés peut être utile à toute une com­mu­nau­té. Dès lors, Wada, tout en favo­ri­sant un vieillis­se­ment actif et en san­té, sou­tient aus­si la qua­li­té de vie de tous les habi­tants. On peut prendre pour exemple les élé­ments sui­vants, rele­vés lors des diag­nos­tics en déam­bu­lant et effec­tués dans quatre com­munes pilotes : des trot­toirs mal entre­te­nus, trop étroits, inexis­tants, non adap­tés aux per­sonnes à mobi­li­té réduite, une signa­lé­tique absente ou non visible, un manque d’éclairage, autant d’éléments qui ren­voient à des ques­tions d’accessibilité et de sécu­ri­té et qui concernent non seule­ment les ainés, mais aus­si d’autres géné­ra­tions mar­quées par des écueils ou des obs­tacles iden­tiques, qui entravent la vie quo­ti­dienne, limitent les contacts vers l’extérieur, insé­cu­risent les habitants.

On se situe ici au croi­se­ment de deux dimen­sions fon­da­men­tales : une soli­da­ri­té revi­si­tée par l’émergence d’une forme de citoyen­ne­té nou­velle. Reve­nir sur la notion de soli­da­ri­té à par­tir d’Emile Dur­kheim aide à éclai­rer le point de vue défen­du. Pour lui, et dit sim­ple­ment au regard de la com­plexi­té de ses tra­vaux, il convient de dis­tin­guer entre soli­da­ri­té méca­nique et soli­da­ri­té orga­nique, la pre­mière cor­res­pon­dant à la volon­té orga­nique et la deuxième à la volon­té réflé­chie de Fer­di­nand Tön­nies (Dur­kheim, 2007). Par­lant de soli­da­ri­té méca­nique, on peut se réfé­rer au prin­cipe de com­mu­nau­té, qu’on peut obser­ver comme étant la base des soli­da­ri­tés natu­relles et spon­ta­nées des indi­vi­dus, ren­voyant à une forme d’individualisation et plu­tôt à l’affirmation d’un Moi ou d’un Je pétri d’une volon­té de liber­té indi­vi­duelle. Paral­lè­le­ment s’observe la soli­da­ri­té orga­nique orien­tée sur un « Moi » social, voire un « Nous » gui­dé par des prin­cipes et valeurs com­muns qui per­mettent d’induire une puis­sance col­lec­tive en ver­tu d’un prin­cipe de col­lec­ti­vi­sa­tion d’intérêts indi­vi­duels pas­sant cepen­dant par une forme contrac­tuelle3.

Si l’on accepte les effets de cette double dyna­mique citoyenne et soli­daire, on peut obser­ver qu’au-delà de logiques mana­gé­riales et tech­no­cra­tiques, Wada per­met de rap­pe­ler que « les citoyens font la cité » (Rous­seau cité par Durand Fol­co, 2017, p. 10), dans la mesure où les ainés par­ti­ci­pant au pro­ces­sus de recherche-action ins­crivent leur Moi indi­vi­duel dans un Moi social qui entend se pro­je­ter dans un ave­nir dont ils se réap­pro­prient le deve­nir col­lec­tif, cela en ver­tu de prin­cipes qui touchent les géné­ra­tions exis­tantes et à venir.

Une inter­pel­la­tion majeure émane du pro­ces­sus par­ti­ci­pa­tif construit dans le cadre de Wada. En quoi la mise en œuvre et les effets d’un diag­nos­tic par­ti­ci­pa­tif peuvent-ils être consi­dé­rés comme une source de déve­lop­pe­ment du pou­voir d’agir des ainés dans la cité, comme un lieu de ren­for­ce­ment de leur citoyen­ne­té ? La démarche Wada est axée sur une par­ti­ci­pa­tion réelle et effec­tive des ainés dans la mise en évi­dence de leurs besoins, des besoins pen­sés au niveau des com­mu­nau­tés locales, en regard de liens ins­crits dans une com­plexi­té géné­ra­tion­nelle qui n’exclut pas une géné­ra­tion par rap­port à une autre. On ne peut donc qu’être inter­pe­lé par la poten­tia­li­té de chan­ge­ment por­tée par une logique de soli­da­ri­té revisitée.

Dyna­mique par­ti­ci­pa­tive et effi­ca­ci­té citoyenne

La recherche-action Wada s’est enga­gée dans un véri­table par­te­na­riat dans lequel les par­ties pre­nantes (citoyens, experts, poli­tiques, man­da­taires, repré­sen­tants d’associations, etc.) par­ti­cipent acti­ve­ment aux débats. Il s’agit donc d’une forme de consul­ta­tion bidi­rec­tion­nelle (top/bottom — bottom/up) dans laquelle les ainés sont invi­tés à par­ti­ci­per à l’observation de ce qui pose pro­blème, à l’élaboration d’un plan d’action, à la pla­ni­fi­ca­tion des ren­contres et des actions et à l’évaluation de l’entièreté du pro­ces­sus (FRB, 2006). Outre ce qui s’apparente à une consul­ta­tion dont les avis sont por­tés vers le « haut », les déci­deurs et les dif­fé­rents acteurs socio­po­li­tiques sont eux-mêmes invi­tés à la réflexion, à la pro­duc­tion d’actions et à leur évaluation.

Der­rière ce qui peut être qua­li­fié de prin­cipe d’activation de citoyen­ne­té et de soli­da­ri­té, se découvre une dimen­sion quelque peu inat­ten­due dans le vieillis­se­ment, du moins sous cet angle. Wada emprunte en effet aux cri­tères de la péda­go­gie active car, pour atteindre cette dyna­mique dans le res­pect des citoyens âgés, il faut ins­tal­ler un cli­mat de confiance dans lequel les ainés vont oser agir, leur don­ner confiance indi­vi­duel­le­ment et col­lec­ti­ve­ment ; pro­po­ser un cadre moti­vant, qui ne soit ni trop com­plexe ni trop sim­pliste ; sus­ci­ter l’action, la réflexion, le tis­sage de liens, et lais­ser faire, lais­ser prendre les choses en mains et se les appro­prier (avec le risque que cela s’écarte trop, cas dans lequel il faut par­fois inter­ve­nir pour rap­pe­ler les néces­si­tés de la démarche); faire des retours pour que l’action en cours, ain­si que futures, éma­nant d’un plan d’action construit par les ainés sur la base des élé­ments issus du diag­nos­tic puissent se pour­suivre ; don­ner des cri­tères d’autoévaluation pour que les effets et le sens du tra­vail soient per­çus, per­mettre aux ainés de mesu­rer l’impact de ce qu’ils ont fait ; sou­te­nir jusqu’au bout la mise en œuvre des plans d’action pour que le diag­nos­tic n’apparaisse pas comme une consul­ta­tion sté­rile pro­dui­sant le sen­ti­ment d’avoir été uti­li­sé, d’avoir per­du son temps, d’avoir été joué par d’autres géné­ra­tions, par des déci­deurs experts, d’avoir créé en défi­ni­tive de la déso­li­da­ri­sa­tion générationnelle.

Ce qui sous-tend une pra­tique, une démarche telle qu’une ville amie des ainés n’est pas un prin­cipe de réflexion déta­ché de son objet. Si Vada/Wada veut atteindre l’objectif de vieillis­se­ment actif, de par­ti­ci­pa­tion sociale, il ne peut réso­lu­ment que s’orienter et sou­te­nir l’une des com­po­santes pri­mor­diales évo­quées par l’OMS, à savoir l’inclusion et le res­pect, qui sont pro­pices à la déstig­ma­ti­sa­tion d’une vieillesse encore trop sou­vent vue sous l’angle de la dépen­dance et de la consom­ma­tion de ser­vices. S’il est ques­tion d’inclusion dans les dimen­sions d’une ville amie des ainés, le pro­ces­sus même d’une Vada est une moda­li­té d’inclusion en soi.

À ce pro­pos, il est inté­res­sant de se pen­cher sur les atti­tudes des acteurs enga­gés dans ce type d’action. Mou­laert et Houioux (2016, p. 289 – 327) dans un texte repre­nant l’historique et le déve­lop­pe­ment des villes amies des ainés en Bel­gique, plus pré­ci­sé­ment en Wal­lo­nie, pro­posent une ébauche de typo­lo­gie assez per­ti­nente. Il y aurait ain­si plu­sieurs profils.

Par­mi les élus : des élus ini­tia­teurs, qui se pro­posent comme « outils » au ser­vice des per­sonnes âgées et du vieillis­se­ment ; des élus consom­ma­teurs, plu­tôt qu’instrumentalisés au ser­vice d’un par­ti, d’une idéologie.

Par­mi les agents admi­nis­tra­tifs : des agents de réseau/initiateurs qui prennent une part active à un pro­jet vu comme une inno­va­tion sociale ; des agents exé­cu­tants qui s’inscrivent dans une forme de sous-trai­tance par rap­port à des supé­rieurs hiérarchiques.

Par­mi les ainés : des ainés acteurs enga­gés qui vivent une mobi­li­sa­tion effec­tive, dans une pos­ture d’induction de chan­ge­ment social ; des ainés participants/consommateurs, figures ins­ti­tu­tion­na­li­sées du béné­fi­ciaire, usa­gers de ser­vices, qui répondent à une attente socié­tale réduc­trice, en ren­trant dans des cases pré­cons­truites, celles d’une pos­ture de repli, d’effacement.

En réfé­rence au cadre de pen­sée du sep­tième congrès de l’Association inter­na­tio­nale pour la for­ma­tion, la recherche et l’intervention sociale (Aifris, 2017, p. 2), Wada se situe à l’intersection d’un « modèle social démo­crate qui mise sur des mesures uni­ver­selles de soli­da­ri­té » (Esping-Ander­sen, 2008) et d’un « modèle socio­com­mu­nau­taire qui favo­rise des mesures volon­taires d’engagement réci­proque entre des indi­vi­dus » (Vaillan­court, 2002). Wada est en effet bien por­tée par des élus, des agents admi­nis­tra­tifs enga­gés dans ce pro­ces­sus à un niveau local ou supra local, mais elle ne peut exis­ter sans une culture de proxi­mi­té entre citoyens, en l’occurrence âgés, des lieux de la déci­sion, de l’espace public et de l’action politique.

Un acteur particulier, le Conseil consultatif communal des ainés

C’est en 1989 que Kofi Yam­gnane, maire de Saint Cou­litz en Bre­tagne, créa le pre­mier conseil des sages « dans le but de pro­mou­voir la par­ti­ci­pa­tion des retrai­tés à la vie dans la cité » (Qui­bel, 2012, p. 77 – 81). En Bel­gique, les pre­miers conseils des sages appa­raissent dans les années 1990, avec Ciney comme ville pion­nière (Mou­laert, Houioux, 2013, p. 300). En 2006, le ministre des Affaires inté­rieures et de la Fonc­tion publique, Phi­lippe Cou­rard, pro­po­sa une cir­cu­laire minis­té­rielle afin de régu­ler les CCCA et d’inciter les com­munes à les mettre en place. En 2012, le ministre en charge des Pou­voirs locaux, Paul Fur­lan, pro­cède à une mise à jour de cette cir­cu­laire, avec l’appui de la Coor­di­na­tion des asso­cia­tions de séniors, afin d’améliorer l’aspect démo­cra­tique des CCCA.

Les membres d’un CCCA ont plus de cin­quante-cinq ans et sont élus par le conseil com­mu­nal pour la durée d’une man­da­ture (six ans); ils siègent à titre indi­vi­duel ou sont man­da­tés par une struc­ture offi­cielle ou asso­cia­tive. Les CCCA res­tent de l’ordre de la volon­té des com­munes ; il n’y a pas d’obligation à en instituer.

Les CCCA sont tou­te­fois des par­te­naires indis­pen­sables au pro­jet de recherche-action Wal­lo­nie amie des ainés. Une des condi­tions sine qua non d’entrée des com­munes pilotes dans ce pro­jet était d’avoir un CCCA, conçu comme outil de démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive, mal­gré un fonc­tion­ne­ment hété­ro­gène. Le CCCA per­met en effet d’ouvrir un espace de parole aux « pré­su­més silen­cieux », de valo­ri­ser les ainés en leur don­nant les moyens d’affirmer un pou­voir politique.

En impli­quant les ainés de manière for­melle, tout en lais­sant les portes ouvertes à l’informel par un renou­vè­le­ment pos­sible des par­ti­ci­pants, le pro­jet Wal­lo­nie amie des ainés se veut pro­duc­teur de chan­ge­ment, d’innovation sociale, par la voie et les voix de l’expérience, par l’oser dire et l’oser faire sou­te­nus par la construc­tion et la déter­mi­na­tion de com­mu­nau­tés locales qui s’engagent dans un agir citoyen ouvert aux géné­ra­tions futures.

Il n’y a là, idéa­le­ment, pas d’idéologie uti­li­ta­riste, pas de logique mana­gé­riale, pas de stra­té­gie occu­pa­tion­nelle mais sur­tout une option pour des actions concrètes, réa­listes, per­ti­nentes qui confère du sens au tra­vail mené par dif­fé­rents acteurs, qui ouvre le débat dans la cité et qui per­met le déve­lop­pe­ment du pou­voir d’agir «… par lequel des per­sonnes accèdent ensemble ou sépa­ré­ment à une plus grande pos­si­bi­li­té d’agir sur ce qui est impor­tant pour elles-mêmes, leurs proches ou le col­lec­tif auquel elles s’identifient » (Le Bos­sé, 2012).

Conclusion

Ne peut-on voir dans les fina­li­tés d’une Wal­lo­nie amie des ainés et d’un pro­ces­sus par­ti­ci­pa­tif axé sur une véri­table citoyen­ne­té active, l’émergence d’une volon­té de réap­pro­pria­tion par les citoyens de leurs villes, vil­lages et ter­ri­toires ? Un acte pro­fon­dé­ment démo­cra­tique por­té par ceux et celles qui à prio­ri pour­raient être consi­dé­rés comme peu ou pas inté­res­sés par l’avenir d’un monde, en rai­son de leur vieillis­se­ment qui pour­tant condi­tionne cet inté­rêt au vu d’un poids démo­gra­phique cer­tain et de l’affirmation deve­nant aujourd’hui effec­tive d’une véri­table conscience de génération.

Adap­tant les pro­pos de Durand Fol­co (2017, p. 10), la ville peut ain­si être pen­sée « comme une com­mu­nau­té poli­tique ou une cité, où les citoyennes et les citoyens par­ti­cipent plei­ne­ment aux déci­sions col­lec­tives qui affectent leur vie […] dans la pers­pec­tive d’un espace par­ta­gé ou d’une com­mu­nau­té gou­ver­née par nous-mêmes » sous l’impulsion d’une volon­té des ainés.

« Je me suis réjoui que les citoyens âgés prennent en main leur com­mune » (Mme M., retrai­tée, membre d’un des six groupes de tra­vail Wada, novembre 2017).

  1. Avec le sou­tien finan­cier de la Wal­lo­nie (sub­ven­tion n° 15 52 115, visa 15/22 398).
  2. Consul­té le 15 novembre 2017.
  3. Nous ne débat­trons pas ici de l’évolution de ces concepts durkheimiens.

Myriam Leleu


Auteur

sociologue et gérontologue, assistante de recherche (UCL-faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale, d’urbanisme), maitre-assistante en Haute école