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Chronique de la crise libérable (3)

Numéro 4 Avril 2009 par André Jakkals

avril 2009

Tristes jeux de rôles poli­tiques en ce début de prin­temps. Pour­sui­vant dans la ligne de com’ choi­sie quelques mois plus tôt, le PS, par la voix de son pré­sident Elio Di Rupo, conti­nue d’associer sys­té­ma­ti­que­ment le nom com­mun « crise » et le qua­li­fi­ca­tif « libé­ral ». La ficelle, grosse comme un câble de télé­phé­rique, n’a d’autre fin que […]

Tristes jeux de rôles poli­tiques en ce début de prin­temps. Pour­sui­vant dans la ligne de com’ choi­sie quelques mois plus tôt, le PS, par la voix de son pré­sident Elio Di Rupo, conti­nue d’associer sys­té­ma­ti­que­ment le nom com­mun « crise » et le qua­li­fi­ca­tif « libé­ral ». La ficelle, grosse comme un câble de télé­phé­rique, n’a d’autre fin que de cacher le débat cru­cial sur l’avenir du finan­ce­ment des fonc­tions col­lec­tives et sur les res­pon­sa­bi­li­tés de cha­cun dans la nou­velle tra­ver­sée du désert bud­gé­taire qui s’annonce pour les pro­chaines décen­nies. Le rap­port du Conseil supé­rieur des Finances publié en mars ne laisse pour­tant aucune équi­voque. La dégra­da­tion de la situa­tion des finances publiques belges n’est pas seule­ment impu­table à la crise. En sa page 8, ce rap­port affirme tout sim­ple­ment que « sur la base des infor­ma­tions actuel­le­ment dis­po­nibles, on peut éva­luer pour 2008 à 1,7 % de PIB envi­ron le défi­cit public struc­tu­rel enre­gis­tré, soit lar­ge­ment plus que ce qui était encore récem­ment esti­mé ». Et le Conseil supé­rieur ajoute tout aus­si clai­re­ment que « ce défi­cit struc­tu­rel ne trouve pas son ori­gine dans la crise actuelle ». Autre­ment dit, la res­pon­sa­bi­li­té des par­tis qui se sont suc­cé­dé au gou­ver­ne­ment fédé­ral depuis 1999 est clai­re­ment enga­gée et sin­gu­liè­re­ment celle des par­tis socia­listes et libé­raux qui ont eu la haute main sur le bud­get, la sécu­ri­té sociale et les finances et qui ont négli­gé de réduire davan­tage l’endettement public quand c’était rela­ti­ve­ment plus facile, à savoir en période de crois­sance et de baisse des taux d’intérêts. Et donc si crise bud­gé­taire il y a, la res­pon­sa­bi­li­té n’en incombe pas aux seuls par­tis libé­raux, mais à tous ceux qui ont contri­bué à une poli­tique fon­dée essen­tiel­le­ment sur l’encouragement de la consom­ma­tion, sou­vent au détri­ment de l’investissement dans les fonc­tions col­lec­tives et en mul­ti­pliant les opé­ra­tions « one shot » (vente des bijoux de famille ou en lan­gage poli­ti­que­ment cor­rect, valo­ri­sa­tion des actifs de l’État). Pour la seule année 2009, l’impact de la crise dite finan­cière sur les finances publiques peut, lui, être esti­mé, sur une base annuelle à 0,15 % du PIB, soit à 500 mil­lions d’euros, c’est-à-dire le coût des charges d’intérêt que l’État belge va devoir payer sur les 20 mil­liards d’euros qu’il a emprun­tés pour sau­ver les banques. Mais il fau­dra bien sûr y ajou­ter l’impact de la baisse de la crois­sance sur l’ensemble des recettes et des dépenses des pou­voirs publics.

Le mythe de la relance par la consommation

On pour­rait espé­rer que la cam­pagne élec­to­rale en cours finisse par por­ter sur la manière dont les par­tis en place aus­si bien au niveau fédé­ral que régio­nal vont agir rapi­de­ment pour évi­ter le retour de l’effet boule de neige bud­gé­taire (quand la hausse des taux d’intérêts et de la charge de la dette autoa­li­mente la crois­sance de la dette publique). Mais jusqu’à pré­sent, il semble que tout soit mis en place pour esca­mo­ter ce débat cru­cial. L’opportunité d’un plan dit de relance a per­mis aux par­tis de conti­nuer à se livrer à une sur­en­chère de pro­messes. Le MR a ten­té de flat­ter son élec­to­rat en fai­sant miroi­ter une TVA à 6 % dans la res­tau­ra­tion qui coû­te­rait 500 mil­lions, sans garan­tie d’impact réel sur la réduc­tion du tra­vail au noir dans l’Horeca. Le PS n’est pas en reste et s’accroche à sa reven­di­ca­tion tout aus­si déma­go­gique qu’inefficace d’une baisse de la TVA sur la fac­ture de gaz et d’électricité. Quant aux par­tis fla­mands, ils réaf­firment tous en chœur qu’il ne sau­rait être ques­tion d’un ren­for­ce­ment de la fis­ca­li­té. De même, du côté de la droite fla­mande, la ten­dance est-elle à refu­ser toute nou­velle contri­bu­tion de la Flandre en l’absence de nou­veaux trans­ferts de com­pé­tences, à la dif­fé­rence du gou­ver­ne­ment wal­lon et de la Com­mu­nau­té fran­çaise qui ont fait savoir par la bouche de leur ministre-pré­sident Rudy Demotte qu’ils étaient prêts à contri­buer à l’effort col­lec­tif… Pour­tant, les deux enti­tés fédé­rées fran­co­phones risquent dans les pro­chaines années de subir, elles aus­si, de plein fouet l’impact de la baisse de la crois­sance éco­no­mique qui va contri­buer à réduire les moyens finan­ciers qui servent notam­ment à finan­cer tout le sec­teur non marchand.

Décroissants et non-marchand sous-financé

Mais ce n’est pas la ques­tion de ce lien com­plexe — pas seule­ment éco­no­mique et bud­gé­taire — entre le mar­chand et le non-mar­chand, mais celle de la décrois­sance qui a émer­gé ces der­nières semaines dans l’espace public fran­co­phone. Le 22 mars, pas moins de neuf cents per­sonnes se sont ain­si retrou­vées à l’ULB pour par­ti­ci­per à une jour­née de réflexion orga­ni­sée par l’ADOC (asso­cia­tion des objec­teurs de crois­sance) fraî­che­ment créée en Bel­gique fran­co­phone. Les médias y ont fait beau­coup d’échos, indi­quant que l’interrogation radi­cale du mou­ve­ment de la décrois­sance sur les impasses de notre sys­tème éco­no­mique com­men­çait à inté­res­ser le grand public, bien au-delà des petits cercles d’alternatifs aux­quels elle était jusqu’ici cir­cons­crite. On y a enten­du beau­coup de cri­tiques (pas tou­jours très neuves) sur la socié­té de consom­ma­tion. Il y a été ques­tion de fon­der un mou­ve­ment poli­tique, sans tran­cher encore la ques­tion d’une par­ti­ci­pa­tion éven­tuelle aux élec­tions. Mais fon­da­men­ta­le­ment, il semble qu’il y ait encore beau­coup de pain sur la planche pour faire en sorte que les modes de vie sobres en empreinte éco­lo­gique soient géné­ra­li­sés à des couches de plus en plus larges de la population.

Tout autant que par des chan­ge­ments indi­vi­duels, cela pas­se­ra par la mise en œuvre de poli­tiques glo­bales et donc, par les ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques et les par­tis, que le mou­ve­ment des objec­teurs de crois­sance consi­dère comme étant « otages de la croissance ».

L’interpellation s’adresse de manière aiguë à Éco­lo. En cas de nou­velles par­ti­ci­pa­tions gou­ver­ne­men­tales à la Région wal­lonne et à la Com­mu­nau­té fran­çaise, les Verts, que les son­dages annoncent comme les grands gagnants du scru­tin du 7 juin, auront donc fort à faire pour faire le lien entre les enjeux sou­le­vés par les objec­teurs de crois­sance et leurs nou­veaux élec­teurs qui ne seront pas néces­sai­re­ment tous prêts à sou­te­nir jusqu’au bout les indis­pen­sables mesures de recon­ver­sion éco­lo­gique de notre éco­no­mie ain­si que les réformes sociales qui devront les accompagner.

André Jakkals


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