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Chronique de crise (4): de Copenhague à Bruxelles

Numéro 1 Janvier 2010 par André Jakkals

janvier 2010

Le som­met cli­ma­tique de Copen­hague a donc été un échec. Tout l’enjeu pour l’Europe est désor­mais de contri­buer à relan­cer une dyna­mique de négo­cia­tion dont elle a été en par­tie exclue par les États-Unis et la Chine. Elle peut y par­ve­nir en ren­for­çant ses propres objec­tifs de réduc­tion des gaz à effet de serre. Mais les Euro­péens en sont-ils capables ? […]

Le som­met cli­ma­tique de Copen­hague a donc été un échec. Tout l’enjeu pour l’Europe est désor­mais de contri­buer à relan­cer une dyna­mique de négo­cia­tion dont elle a été en par­tie exclue par les États-Unis et la Chine. Elle peut y par­ve­nir en ren­for­çant ses propres objec­tifs de réduc­tion des gaz à effet de serre. Mais les Euro­péens en sont-ils capables ? La réponse à cette ques­tion dépend autant du cou­rage des poli­tiques que de la capa­ci­té des socié­tés euro­péennes à accep­ter les rapides chan­ge­ments de mode de vie qu’un tel ren­for­ce­ment néces­si­te­ra. Elle dépend peut-être aus­si voire sur­tout de ce que les poli­tiques pré­sument de la capa­ci­té de chan­ge­ment des citoyens.

Le cliquet environnemental

Les der­nières semaines de l’année 2009 ont été assez riches en leçons à tirer sur ce plan. D’une part, le thème cli­ma­tique n’est plus seule­ment évo­qué dans les milieux les plus conscien­ti­sés. La presse popu­laire — par exemple le quo­ti­dien La Der­nière Heure — en fait désor­mais ses choux gras. D’autre part, les poli­tiques ont éga­le­ment com­pris l’importance, au moins sym­bo­lique de l’enjeu, comme l’illustre le chas­sé-croi­sé des ministres belges en charge de l’Environnement pour « être à Copen­hague ». Il ne suf­fit cepen­dant plus d’être pré­sent dans la sphère ins­ti­tu­tion­nelle pour don­ner l’impression au sys­tème média­tique que l’on prend l’enjeu éco­lo­gique suf­fi­sam­ment au sérieux. L’écologiste Eve­lyne Huy­te­broeck, ministre bruxel­loise de l’Environnement, en a fait la dure expé­rience, en étant accu­sée de négli­gence envi­ron­ne­men­tale, parce que pen­dant plu­sieurs jours de décembre la sta­tion d’épuration du nord de Bruxelles avait ces­sé de fonc­tion­ner. Quelles que soient les res­pon­sa­bi­li­tés, cela n’aurait rien chan­gé. Il y a une sorte d’effet cli­quet dans la conscience envi­ron­ne­men­tale : des situa­tions qui étaient socia­le­ment ou média­ti­que­ment accep­tées jusqu’à il n’y pas long­temps sont deve­nues into­lé­rables. Il y a aus­si peu moyen de reve­nir en arrière sur le niveau d’acceptation de pol­lu­tion d’une rivière belge que de reve­nir en arrière sur les inter­dic­tions de fumer dans les lieux publics.

Le politique contre les experts

Le chas­sé-croi­sé de la majo­ri­té fédé­rale sur l’entrée en vigueur de l’interdiction de fumer dans l’horeca a cepen­dant mon­tré que les choses n’étaient pas néces­sai­re­ment aus­si simples. Entre les pré­oc­cu­pa­tions de san­té publique expri­mées par les experts médi­caux, les clien­tèles poli­tiques et bras­si­coles du sec­teur hore­ca, cer­tains comme Elio Di Rupo n’ont pas hési­té à sor­tir l’argument de la crise éco­no­mique pour ten­ter de repor­ter la géné­ra­li­sa­tion de l’interdiction de fumer dans les cafés. Dans le champ poli­tique, cer­tains conti­nuent visi­ble­ment de pen­ser qu’il ne faut pas aller trop vite, trop fort et qu’il peut même être ren­table de don­ner l’impression qu’on ne suit pas trop doci­le­ment les avis des experts parce que de toutes les manières « il faut bien mou­rir de quelque chose ».

L’auto comme la cigarette ?

Il faut bien aus­si que les garages conti­nuent de tra­vailler, qu’Opel Anvers ne ferme pas et qu’on ne soit quand même pas obli­gé de prendre le bus pour aller tra­vailler… C’est en tout cas ce que l’on lit sur les forums qui évoquent les ques­tions de mobi­li­té tout à côté des rubriques, qui, un peu plus haut, sont consa­crées à la der­nière confé­rence de presse orga­ni­sée sous la mer par le conseil des ministres des Tuva­lus. Au fond, seuls les habi­tants de l’océan Indien auraient vrai­ment de quoi s’en faire, puisqu’en une année de réces­sion, le recul du mar­ché belge des voi­tures neuves n’a été que de 11% alors que cer­tains avaient car­ré­ment pré­dit une baisse de 20%. La crise a donc été moins forte que prévu.

Même si toutes les marques font désor­mais assaut de pro­messes éco­lo­giques, il n’est pas cer­tain qu’il sera aus­si « facile » de réduire la part des auto­mo­bi­listes que celle des fumeurs dans la popu­la­tion du Royaume. À moins que d’ici quelques années, tout comme aujourd’hui, nous nous éton­nons de notre longue tolé­rance pas­sée pour la pré­sence de la ciga­rette dans les espaces publics, nous nous deman­dions, en tra­ver­sant une rue de la Loi réduite à deux bandes, com­ment nous avons bien pu sup­por­ter aus­si long­temps autant de bagnoles dans nos villes. Il est vrai que la place de l’automobile conti­nue d’être impor­tante dans l’économie belge et sin­gu­liè­re­ment dans l’économie fla­mande. Même si le trans­port rou­tier reste le sec­teur où la crois­sance des émis­sions a été la plus impor­tante depuis 1990 (+ 28% entre 1990 et 2007, selon la der­nière com­mu­ni­ca­tion de la Bel­gique à l’ONU), la ten­ta­tion de ne pas faire de zèle cli­ma­tique dans ce sec­teur reste donc importante.

Partage du travail : le retour

L’emploi reste en l’occurrence la grande pré­oc­cu­pa­tion de l’heure. Avec la pers­pec­tive de voir le nombre total de chô­meurs pas­ser à 750.000 uni­tés en 2010 — por­tant le taux de chô­mage à son maxi­mum his­to­rique de 14,6% —, c’est le débat sur la réduc­tion du temps de tra­vail qui revient insen­si­ble­ment. Le 7 jan­vier, Anne Deme­lenne, la secré­taire géné­rale de la FGTB, a relan­cé la piste de la semaine de quatre jours, par­tant de l’idée simple que si le tra­vail manque, il faut le par­ta­ger. Quelques jours plus tôt, l’économiste Phi­lippe Defeyt avait insis­té sur le carac­tère depuis long­temps struc­tu­rel du sous-emploi. Entre 1970 et 2010, la Bel­gique avait ain­si vu aug­men­ter sa popu­la­tion active d’environ 1.300.000 per­sonnes alors que dans le même temps, l’emploi dis­po­nible n’augmentait que de 650.000 uni­tés, « soit la moi­tié seule­ment de ce qu’il aurait fal­lu pour “occu­per” tout le monde ». Sur la même période, c’est moins la crois­sance éco­no­mique que la réduc­tion du temps de tra­vail qui a per­mis la créa­tion d’emplois, estime encore Phi­lippe Defeyt.

Divergences et nouvelles convergences

Pour l’heure, aucun par­ti n’a vrai­ment relayé ce constat et la reven­di­ca­tion impli­cite qui l’accompagne. Du côté wal­lon, l’Union des classes moyennes a jugé la réduc­tion du temps de tra­vail « indis­cu­table ». Quant à la FEB, elle a accu­sé le syn­di­cat socia­liste de « se trom­per de siècle ». « C’est au cours du siècle pré­cé­dent qu’on a expé­ri­men­té cela et c’est la plus grande bêtise que l’on a faite en France…, bêtise avec laquelle on a ridi­cu­li­sé toutes les entre­prises fran­çaises, aux yeux des inves­tis­seurs étran­gers, en France… cela a été la mesure des 35 heures », a décla­ré l’administrateur-délégué de la FEB Rudi Tho­maes, lors de l’émission Matin Pre­mière de la RTBF du 8 jan­vier. Il semble donc que les par­ti­sans du par­tage ou de la réduc­tion du temps de tra­vail doivent encore gagner la bataille (au moins) cultu­relle face aux tenants de l’activation à tous crins. Mais pour l’heure, ce retour d’un thème mis au pla­card dans les années nonante par tous les par­tis et par les syn­di­cats semble plu­tôt por­té par les appa­reils que par un mou­ve­ment de fond dans la socié­té. Il reste pris dans sa ten­sion tra­di­tion­nelle entre la redis­tri­bu­tion et la pro­mo­tion de modes de vie alter­na­tifs. Les deux ne sont d’ailleurs pas contra­dic­toires, loin de là, car ils offrent un ter­rain pro­pice à de nou­velles conver­gences entre le monde syn­di­cal et le mou­ve­ment de la décroissance. 

10 jan­vier 2010

André Jakkals


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