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Chronique de crise (4): de Copenhague à Bruxelles
Le sommet climatique de Copenhague a donc été un échec. Tout l’enjeu pour l’Europe est désormais de contribuer à relancer une dynamique de négociation dont elle a été en partie exclue par les États-Unis et la Chine. Elle peut y parvenir en renforçant ses propres objectifs de réduction des gaz à effet de serre. Mais les Européens en sont-ils capables ? […]
Le sommet climatique de Copenhague a donc été un échec. Tout l’enjeu pour l’Europe est désormais de contribuer à relancer une dynamique de négociation dont elle a été en partie exclue par les États-Unis et la Chine. Elle peut y parvenir en renforçant ses propres objectifs de réduction des gaz à effet de serre. Mais les Européens en sont-ils capables ? La réponse à cette question dépend autant du courage des politiques que de la capacité des sociétés européennes à accepter les rapides changements de mode de vie qu’un tel renforcement nécessitera. Elle dépend peut-être aussi voire surtout de ce que les politiques présument de la capacité de changement des citoyens.
Le cliquet environnemental
Les dernières semaines de l’année 2009 ont été assez riches en leçons à tirer sur ce plan. D’une part, le thème climatique n’est plus seulement évoqué dans les milieux les plus conscientisés. La presse populaire — par exemple le quotidien La Dernière Heure — en fait désormais ses choux gras. D’autre part, les politiques ont également compris l’importance, au moins symbolique de l’enjeu, comme l’illustre le chassé-croisé des ministres belges en charge de l’Environnement pour « être à Copenhague ». Il ne suffit cependant plus d’être présent dans la sphère institutionnelle pour donner l’impression au système médiatique que l’on prend l’enjeu écologique suffisamment au sérieux. L’écologiste Evelyne Huytebroeck, ministre bruxelloise de l’Environnement, en a fait la dure expérience, en étant accusée de négligence environnementale, parce que pendant plusieurs jours de décembre la station d’épuration du nord de Bruxelles avait cessé de fonctionner. Quelles que soient les responsabilités, cela n’aurait rien changé. Il y a une sorte d’effet cliquet dans la conscience environnementale : des situations qui étaient socialement ou médiatiquement acceptées jusqu’à il n’y pas longtemps sont devenues intolérables. Il y a aussi peu moyen de revenir en arrière sur le niveau d’acceptation de pollution d’une rivière belge que de revenir en arrière sur les interdictions de fumer dans les lieux publics.
Le politique contre les experts
Le chassé-croisé de la majorité fédérale sur l’entrée en vigueur de l’interdiction de fumer dans l’horeca a cependant montré que les choses n’étaient pas nécessairement aussi simples. Entre les préoccupations de santé publique exprimées par les experts médicaux, les clientèles politiques et brassicoles du secteur horeca, certains comme Elio Di Rupo n’ont pas hésité à sortir l’argument de la crise économique pour tenter de reporter la généralisation de l’interdiction de fumer dans les cafés. Dans le champ politique, certains continuent visiblement de penser qu’il ne faut pas aller trop vite, trop fort et qu’il peut même être rentable de donner l’impression qu’on ne suit pas trop docilement les avis des experts parce que de toutes les manières « il faut bien mourir de quelque chose ».
L’auto comme la cigarette ?
Il faut bien aussi que les garages continuent de travailler, qu’Opel Anvers ne ferme pas et qu’on ne soit quand même pas obligé de prendre le bus pour aller travailler… C’est en tout cas ce que l’on lit sur les forums qui évoquent les questions de mobilité tout à côté des rubriques, qui, un peu plus haut, sont consacrées à la dernière conférence de presse organisée sous la mer par le conseil des ministres des Tuvalus. Au fond, seuls les habitants de l’océan Indien auraient vraiment de quoi s’en faire, puisqu’en une année de récession, le recul du marché belge des voitures neuves n’a été que de 11% alors que certains avaient carrément prédit une baisse de 20%. La crise a donc été moins forte que prévu.
Même si toutes les marques font désormais assaut de promesses écologiques, il n’est pas certain qu’il sera aussi « facile » de réduire la part des automobilistes que celle des fumeurs dans la population du Royaume. À moins que d’ici quelques années, tout comme aujourd’hui, nous nous étonnons de notre longue tolérance passée pour la présence de la cigarette dans les espaces publics, nous nous demandions, en traversant une rue de la Loi réduite à deux bandes, comment nous avons bien pu supporter aussi longtemps autant de bagnoles dans nos villes. Il est vrai que la place de l’automobile continue d’être importante dans l’économie belge et singulièrement dans l’économie flamande. Même si le transport routier reste le secteur où la croissance des émissions a été la plus importante depuis 1990 (+ 28% entre 1990 et 2007, selon la dernière communication de la Belgique à l’ONU), la tentation de ne pas faire de zèle climatique dans ce secteur reste donc importante.
Partage du travail : le retour
L’emploi reste en l’occurrence la grande préoccupation de l’heure. Avec la perspective de voir le nombre total de chômeurs passer à 750.000 unités en 2010 — portant le taux de chômage à son maximum historique de 14,6% —, c’est le débat sur la réduction du temps de travail qui revient insensiblement. Le 7 janvier, Anne Demelenne, la secrétaire générale de la FGTB, a relancé la piste de la semaine de quatre jours, partant de l’idée simple que si le travail manque, il faut le partager. Quelques jours plus tôt, l’économiste Philippe Defeyt avait insisté sur le caractère depuis longtemps structurel du sous-emploi. Entre 1970 et 2010, la Belgique avait ainsi vu augmenter sa population active d’environ 1.300.000 personnes alors que dans le même temps, l’emploi disponible n’augmentait que de 650.000 unités, « soit la moitié seulement de ce qu’il aurait fallu pour “occuper” tout le monde ». Sur la même période, c’est moins la croissance économique que la réduction du temps de travail qui a permis la création d’emplois, estime encore Philippe Defeyt.
Divergences et nouvelles convergences
Pour l’heure, aucun parti n’a vraiment relayé ce constat et la revendication implicite qui l’accompagne. Du côté wallon, l’Union des classes moyennes a jugé la réduction du temps de travail « indiscutable ». Quant à la FEB, elle a accusé le syndicat socialiste de « se tromper de siècle ». « C’est au cours du siècle précédent qu’on a expérimenté cela et c’est la plus grande bêtise que l’on a faite en France…, bêtise avec laquelle on a ridiculisé toutes les entreprises françaises, aux yeux des investisseurs étrangers, en France… cela a été la mesure des 35 heures », a déclaré l’administrateur-délégué de la FEB Rudi Thomaes, lors de l’émission Matin Première de la RTBF du 8 janvier. Il semble donc que les partisans du partage ou de la réduction du temps de travail doivent encore gagner la bataille (au moins) culturelle face aux tenants de l’activation à tous crins. Mais pour l’heure, ce retour d’un thème mis au placard dans les années nonante par tous les partis et par les syndicats semble plutôt porté par les appareils que par un mouvement de fond dans la société. Il reste pris dans sa tension traditionnelle entre la redistribution et la promotion de modes de vie alternatifs. Les deux ne sont d’ailleurs pas contradictoires, loin de là, car ils offrent un terrain propice à de nouvelles convergences entre le monde syndical et le mouvement de la décroissance.
10 janvier 2010