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Chronique de crise (3): de BHV au CBV, les chocs des vieillissements

Numéro 12 Décembre 2009 par André Jakkals

décembre 2009

Retour vers un futur, incer­tain, où la poli­tique semble hési­ter entre deux géné­ra­tions, la plus jeune sem­blant inca­pable de faire ses preuves sans béné­fi­cier de la tutelle de celle qui l’a pré­cé­dée. Il y a là comme une sorte de méta­phore d’un autre chan­ge­ment de géné­ra­tion, encore plus lourd d’incertitudes col­lec­tives, que les experts en finances […]

Retour vers un futur, incer­tain, où la poli­tique semble hési­ter entre deux géné­ra­tions, la plus jeune sem­blant inca­pable de faire ses preuves sans béné­fi­cier de la tutelle de celle qui l’a pré­cé­dée. Il y a là comme une sorte de méta­phore d’un autre chan­ge­ment de géné­ra­tion, encore plus lourd d’incertitudes col­lec­tives, que les experts en finances publiques dési­gnent par les trois consonnes C, B et V, pour choc bud­gé­taire du vieillis­se­ment. Dans l’un comme dans l’autre cas, dans le chan­ge­ment de géné­ra­tion poli­tique, comme dans celui du « papy­boom », ce qui vient est inquié­tant et ce qui per­siste, s’accroche, et se montre aus­si ras­su­rant qu’insuffisant pour pen­ser le chan­ge­ment nécessaire.

Célébration d’une vertu défunte

Le 25 novembre 2009, Yves Leterme a donc re-prê­té ser­ment devant le roi pour re-deve­nir Pre­mier ministre. Qui aurait parié un seul cen­time sur un tel scé­na­rio, il y a tout juste un an, lorsque le 19 décembre 2008, il était contraint de démis­sion­ner, empor­té dans la tour­mente de l’affaire For­tis ? L’accusation de trans­gres­sion du sacro-saint prin­cipe de la sépa­ra­tion des pou­voirs a sem­blé tout d’un coup bien loin. Mais tout le monde a gar­dé en mémoire les innom­brables mal­adresses d’un homme qui incarne à lui seul la dif­fi­cul­té intrin­sèque de gou­ver­ner la Bel­gique. Gou­ver­ner ? Quel étrange métier, du moins sous nos lati­tudes ! Le qua­si-plé­bis­cite d’Herman Van Rom­puy à la pré­si­dence du Conseil euro­péen a été célé­bré dans une tou­chante qua­si-una­ni­mi­té comme la recon­nais­sance d’une ver­tu natio­nale dont nous avons en réa­li­té cruel­le­ment man­qué ces der­nières années, à savoir celle de l’art du compromis.

Le retour des « papyboomers »

C’est qu’à côté du chaos leter­mien, le ron­ron ges­tion­naire de Van Rom­puy avait quelque chose d’un peu mira­cu­leux. Nous avions tel­le­ment envie de croire que la Bel­gique était tou­jours ce pays où l’on finit soi-disant tou­jours par s’arranger entre gens de bon sens et de bonne volon­té. Et cette chi­mère, nous nous y rac­cro­chions d’autant plus faci­le­ment qu’elle était incar­née par des presque sep­tua­gé­naires1, qui avaient su nous pilo­ter au cours des décen­nies de crise qui avaient sui­vi les trente glo­rieuses. L’échec du jeune Leterme, nous le met­tions plus sur le compte de la per­son­na­li­té incer­taine d’un homme un peu falot et très com­plexé. Il avait pour­tant remis le CD&V de la déban­dade de 1999, quand le par­ti avait été ren­voyé dans une oppo­si­tion qu’il n’avait connue qu’entre 1954 et 1958 et que le « petit comp­table d’Ypres » était appa­ru comme l’homme pro­vi­den­tiel aux yeux de la géné­ra­tion des Van Rom­puy et Dehaene, un peu beau­coup usés par le long tra­vail de réduc­tion du défi­cit qu’ils avaient réa­li­sé tout au long des années nonante.

Budget : le brouillard avant la nuit

Mais en réa­li­té, il se pour­rait bien que la figure d’Yves Leterme incarne à elle seule la dif­fi­cul­té de la Bel­gique poli­tique à pro­duire une géné­ra­tion de res­pon­sables capables de construire les nou­veaux consen­sus dont nous avons besoin pour affron­ter ce XXIe siècle. Et qu’au-delà, cette dif­fi­cul­té propre à la classe poli­tique ren­voie non seule­ment à l’improbable entente entre les Régions et les Com­mu­nau­tés, mais éga­le­ment aux diver­gences d’intérêts de plus en plus pro­fondes entre les groupes sociaux et les géné­ra­tions qui peuplent la Belgique.

Jean-Luc Dehaene a donc été char­gé d’effectuer l’indispensable tra­vail de démi­nage du dos­sier BHV dont semble bien inca­pable le « nou­veau » Pre­mier ministre. Para­doxa­le­ment, le « tau­reau de Vil­vorde » risque de béné­fi­cier d’une conjonc­ture éco­no­mique extrê­me­ment dif­fi­cile qui for­ce­ra les par­tis à évi­ter l’aventure ins­ti­tu­tion­nelle pour for­cer la solu­tion d’un dos­sier en souf­france depuis cin­quante ans. Et inver­se­ment, on semble, au CD&V cré­di­ter Yves Leterme d’un talent de négo­cia­teur bud­gé­taire qu’il n’a pas encore le moins du monde affi­ché, alors que les efforts à accom­plir sont énormes.

La cigale violette

Il est vrai que jusqu’à pré­sent, le débat n’a pas encore véri­ta­ble­ment démar­ré. Et sans doute parce que per­sonne dans les par­tis, ni les par­te­naires sociaux n’ose s’avancer pour expri­mer clai­re­ment com­ment seront sau­vées les finances publiques. Depuis des années, les alarmes lan­cées par le Conseil supé­rieur des finances, le chien de garde des finances publiques, ont été lar­ge­ment igno­rées par tous les gou­ver­ne­ments. Long­temps, le consen­sus de façade affi­ché sur la néces­si­té d’anticiper le CBV pro­vo­qué par l’arrivée à la pen­sion des « papy­boo­mers » nés dans les années d’après-guerre a dis­si­mu­lé les com­por­te­ments de cigale des coa­li­tions arc-en-ciel et vio­lettes. Celles-ci, loin de pro­fi­ter des cir­cons­tances favo­rables, ont man­gé une grosse par­tie des marges qu’il aurait fal­lu affec­ter à une accé­lé­ra­tion de la réduc­tion de la dette publique et à la consti­tu­tion de réserves pour affron­ter l’hiver du vieillis­se­ment. Rap­pe­lée à la res­cousse, la four­mi Van Rom­puy (il avait été ministre du Bud­get dans les années nonante et n’avait pas peu contri­bué au redres­se­ment) a tout juste été en mesure de paci­fier la coa­li­tion fédé­rale, sans enta­mer vrai­ment l’épure d’un futur com­pro­mis bud­gé­taire, qui sera inévi­ta­ble­ment aus­si de nature sociale et communautaire.

Retour au plan global

Pour don­ner une fois encore une idée de l’effort à accom­plir, il suf­fit de rap­pe­ler qu’en 2009, le défi­cit de la Bel­gique pèse­ra l’équivalent de 6% du PIB, alors que les tra­jec­toires éta­blies il y a trois ans pour que le pays soit en mesure de faire face au CBV sans remettre en cause son sys­tème de sécu­ri­té sociale impo­saient la pro­duc­tion d’un sur­plus de 0,7%. En sep­tembre der­nier le Conseil supé­rieur des finances a d’ailleurs rap­pe­lé aux gou­ver­ne­ments que sans réac­tion suf­fi­sante, la dette publique belge ris­quait d’ici dix ans de repas­ser au-des­sus de la barre his­to­rique des 133% qu’elle avait fran­chie en 1993. Rien d’étonnant dès lors à ce que la Com­mis­sion euro­péenne mette la pres­sion sur la Bel­gique pour qu’elle ramène dès 2012 son défi­cit sous les 3% et non en 2013 comme les gou­ver­ne­ments belges en ont l’intention. Or pour arri­ver à ce seul résul­tat, il fau­dra déjà réa­li­ser un effort équi­valent à 4% du PIB entre 2010 et 2013, soit l’équivalent de celui qui avait dû être accom­pli entre 1993 et 1997, à l’époque du célèbre « plan glo­bal » pour per­mettre à la Bel­gique d’entrer dans l’euro, confor­mé­ment au trai­té de Maestricht.

Débat ou combat ?

Le débat cru­cial est de savoir com­ment nous allons y par­ve­nir. Du côté de la gauche fran­co­phone, on feint de croire que tout l’effort pour­ra se faire par une aug­men­ta­tion des recettes. Mais on sait bien qu’il ne s’agit que d’une posi­tion de com­bat, car avec la majo­ri­té de centre droit qui domine la Flandre — et donc le pays —, un tel scé­na­rio s’apparente à un conte de fées. La ten­ta­tion de conti­nuer à faire le gros dos et d’attendre un hypo­thé­tique redres­se­ment est grande. Et s’il peut paraître géné­reux de réduire voire de repor­ter autant que pos­sible les efforts bud­gé­taires — sin­gu­liè­re­ment ceux à mener au niveau des com­mu­nau­tés —, c’est éga­le­ment prendre la res­pon­sa­bi­li­té de moins bien pré­pa­rer le CBV et par­tant, d’élargir la brèche dans laquelle n’hésiteront pas à se pré­ci­pi­ter tous les tenants des solu­tions néo­li­bé­rales pour la sécu­ri­té sociale. Alors que le rap­port capi­tal-tra­vail n’a ces­sé de se dégra­der tout au long des années nonante au pro­fit du pre­mier, il faut en effet s’attendre à un retour en force des reven­di­ca­tions d’allongement de la car­rière, de sup­pres­sion des pré­pen­sions et d’activation des chô­meurs, au motif qu’il fau­dra plus d’emplois pour finan­cer des pen­sions de papy-boo­mers qui seront deve­nues de plus en plus dif­fi­ciles à payer. Il y a donc urgence à chan­ger de cadre de repré­sen­ta­tions, à remettre en ques­tion ces sché­mas de pen­sée, à relan­cer le débat sur le temps de tra­vail dans toutes ses com­po­santes et sur­tout, à le faire des deux côtés de la fron­tière lin­guis­tique. Sinon, cela risque de ne pas ser­vir à grand-chose. 

4 décembre 2009

  1. Wil­fried Mar­tens est né en 1936, Jean-Luc Dehaene en 1940, Her­man Van Rom­puy en 1947 et Yves Leterme en 1960.

André Jakkals


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