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Chronique de crise (2). Fédéralisme et chicons

Numéro 11 Novembre 2009 par André Jakkals

novembre 2009

Le same­di 17 octobre 2009, les habi­tants d’Eupen, la capi­tale de la Com­mu­nau­té ger­ma­no­phone, eurent la sur­prise de décou­vrir leur ville habi­tuel­le­ment si pai­sible enva­hie par des dizaines de dra­peaux noir et or. « Vous vous croyez au tour de France ? », lan­çait iro­ni­que­ment un res­sor­tis­sant local face aux mani­fes­tants fla­min­gants fraî­che­ment débar­qués du train pour une […]

Le same­di 17 octobre 2009, les habi­tants d’Eupen, la capi­tale de la Com­mu­nau­té ger­ma­no­phone, eurent la sur­prise de décou­vrir leur ville habi­tuel­le­ment si pai­sible enva­hie par des dizaines de dra­peaux noir et or. « Vous vous croyez au tour de France ? », lan­çait iro­ni­que­ment un res­sor­tis­sant local face aux mani­fes­tants fla­min­gants fraî­che­ment débar­qués du train pour une ten­ta­tive déses­pé­rée d’empêcher que le Par­le­ment ger­ma­no­phone intro­duise un recours sus­pen­sif contre la pro­po­si­tion de loi de scis­sion de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vil­vorde. Ni les quelques chi­cons gra­cieu­se­ment offerts aux Eupe­nois éba­his ni les nom­breux mes­sages envoyés de Flandre aux par­le­men­taires ger­ma­no­phones ne firent cepen­dant le poids face aux pres­sions exer­cées par le Pre­mier ministre Her­man Van Rom­puy sur les par­tis ger­ma­no­phones. Sans leur pré­cieux recours et bien qu’ils ne soient nul­le­ment concer­nés par cette affaire, le gou­ver­ne­ment fédé­ral était, il est vrai, condam­né à la chute, la majo­ri­té fla­mande de la Chambre n’ayant d’autre choix que de voter en séance plé­nière la pro­po­si­tion approu­vée en commission.

D’ici la fin avril 2010, le Pre­mier ministre doit donc impé­ra­ti­ve­ment trou­ver une pro­po­si­tion à même de réunir un consen­sus mini­mal de part et d’autre de la fron­tière lin­guis­tique afin de régler un dos­sier qui empoi­sonne la vie poli­tique belge depuis bien­tôt cin­quante ans. Au-delà, il n’y aura plus de recours pos­sible, le gou­ver­ne­ment tom­be­ra et il fau­dra retour­ner aux urnes avant de connaître de nou­velles négo­cia­tions sans doute aus­si pénibles que celles de l’orange-bleue, il y a déjà bien­tôt trois ans…

Un compromis sur BHV avant avril, sinon…

Pour y par­ve­nir, Her­man Van Rom­puy devra déployer non seule­ment toute la « déter­mi­na­tion tran­quille » (rus­tige vas­theid) dont il a fait le slo­gan de sa ren­trée, mais il devra éga­le­ment comp­ter sur un mini­mum de loyau­té de la part de toutes les com­po­santes de sa majo­ri­té hété­ro­clite, voire au-delà dans les par­tis d’opposition qui ont un inté­rêt struc­tu­rel à une paci­fi­ca­tion com­mu­nau­taire. Du côté fran­co­phone, on ne voit en effet que le FDF à n’avoir guère d’intérêt à ce qu’une solu­tion inter­vienne. Nul par­ti ne se sépare de gaî­té de cœur d’une par­tie de son fonds de com­merce. Et si l’éclatement du car­tel CD&V/N‑VA n’est pas étran­ger à la chute de la fièvre com­mu­nau­taire au sein de la majo­ri­té fédé­rale, il faut craindre que la gué­guerre interne au Mou­ve­ment réfor­ma­teur ne soit un fac­teur pour la faire remon­ter dere­chef. À l’inverse, les appels au com­pro­mis qui sont venus du PS et d’Écolo se fondent sur l’idée qu’il ne faut plus repor­ter la conclu­sion, la confi­gu­ra­tion poli­tique qui res­sor­ti­ra des pro­chaines élec­tions fédé­rales ne pou­vant que débou­cher sur un sur­croît de radi­ca­li­té fla­mande. Le sort de la majo­ri­té dépend donc for­te­ment de l’évolution interne d’une fédé­ra­tion dont le pré­sident très contes­té sait qu’il ne peut en aucun cas sor­tir encore per­dant du pro­chain scrutin.

La confiance n’est pas le conservatisme

Il est vrai que la famille libé­rale ne peut pas se tar­guer du résul­tat des négo­cia­tions sur le bud­get. On estime que le mon­tant des nou­velles recettes qui y ont été conve­nues est deux fois plus impor­tant que celui des réduc­tions de dépenses. Guy Van Hen­gel, le ministre du Bud­get, a eu beau se gaus­ser du tra­vail accom­pli, c’est un démen­ti cin­glant appor­té aux impré­ca­tions libé­rales de la ren­trée. Quant au ministre des Finances, Didier Reyn­ders, il peut certes se van­ter auprès de sa clien­tèle d’avoir obte­nu une baisse condi­tion­nelle de la TVA dans la res­tau­ra­tion (un vrai non-sens au vu de la situa­tion bud­gé­taire géné­rale), mais il a dû ava­ler en contre­par­tie une réduc­tion des déduc­tions pour les inté­rêts notion­nels dans le cadre de l’impôt des socié­tés. De manière géné­rale, la réces­sion a offert un pré­texte com­mode pour limi­ter l’effort bud­gé­taire à 1,5% du PIB (4 mil­liards d’euros), en ce com­pris le finan­ce­ment des mesures dites de relance, comme la baisse de la TVA dans la res­tau­ra­tion. Faut-il rap­pe­ler qu’en 2011, à poli­tique inchan­gée, le trou bud­gé­taire s’élèvera à quelque 20 mil­liards d’euros et qu’il s’agira d’éviter à tout prix le retour de l’effet boule de neige de la charge d’intérêts, avec une dette publique qui s’autoalimente et qui détruit les fonc­tions col­lec­tives ? Le gou­ver­ne­ment évoque la néces­si­té de main­te­nir la confiance des citoyens en période de crise. Mais quelle est la dif­fé­rence entre sa poli­tique et un conser­va­tisme qu’on devra bien­tôt aban­don­ner sous la pres­sion des réa­li­tés budgétaires ?

Absence de vision fédérale…

On cherche en vain dans ce bud­get la moindre trace de la vision nou­velle dont la Bel­gique a pour­tant besoin pour affron­ter simul­ta­né­ment les crises bud­gé­taire, éco­no­mique, éco­lo­gique, éco­no­mique et sociale. En matière de fis­ca­li­té, par exemple, la coa­li­tion fédé­rale conti­nue de confondre l’écofiscalité avec un méca­nisme clas­sique de finan­ce­ment alors qu’elle doit ser­vir à chan­ger les com­por­te­ments et dis­pa­raître à mesure que ceux-ci se modi­fient dans un sens éco­lo­gique. Sur le plan social, on attend tou­jours le moindre début de réflexion sur l’enjeu des biens publics, la fonc­tion publique conti­nuant d’être consi­dé­rée comme une simple variable d’ajustement où l’on peut impu­né­ment réduire le nombre de fonc­tion­naires, comme s’il y en avait de toutes les manières tou­jours trop. Quant aux recettes nou­velles escomp­tées auprès des banques et du sec­teur de l’énergie, elles fleurent bon l’ancienne Bel­gique et ses com­pro­mis peu glo­rieux avec un sec­teur pri­vé aux ten­dances mono­po­listes. On revien­dra dans ces colonnes plus en détail sur la remise en ques­tion de la loi de sor­tie du nucléaire, mais elle est bien symp­to­ma­tique d’un manque d’ambition et de fer­me­té, en l’espèce par rap­port au cynisme du groupe Suez.

… et attentisme francophone

Du côté fran­co­phone, le gou­ver­ne­ment conso­li­dé de la Wal­lo­nie et de la Com­mu­nau­té fran­çaise a lui aus­si bou­clé un dou­lou­reux exer­cice bud­gé­taire por­tant à 477 mil­lions d’euros, le total des éco­no­mies et des recettes nou­velles pour 2010. Mais ici aus­si on ne peut se défaire de l’impression d’un cer­tain atten­tisme. Certes les efforts sont réels, mais ils sont essen­tiel­le­ment consti­tués de reports ou de sup­pres­sions d’initiatives prises par le gou­ver­ne­ment pré­cé­dent. On ne voit pas encore de début de réflexion sur l’organisation des éco­no­mies d’échelles struc­tu­relles à tirer d’une ratio­na­li­sa­tion des ins­ti­tu­tions fran­co­phones et sin­gu­liè­re­ment de son ins­ti­tu­tion pro­vin­ciale. Quant à l’enseignement, il échappe pour l’heure à toute remise en ques­tion de son emploi. Ses défen­seurs s’en réjoui­ront sans doute. Mais le répit pour­rait bien être de très courte durée, tant est grande la volon­té fla­mande de remettre en ques­tion une loi de finan­ce­ment dans laquelle on conti­nue — erro­né­ment — de voir l’une des causes prin­ci­pales du désar­gen­te­ment fédé­ral. S’il y a donc bien une urgence fran­co­phone, c’est celle d’une remise à plat concer­tée de l’ensemble de ses flux de recettes et de dépenses ain­si que la concoc­tion d’un argu­men­taire sur les ravages des réformes fis­cales menées depuis le début de la décen­nie au niveau fédéral.

-2 novembre 2009

André Jakkals


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