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Chili. Les défis de Michelle Bachelet
Après avoir remporté facilement l’élection présidentielle face à la candidate de la droite Evelyn Matthei, Michelle Bachelet va de nouveau investir la Moneda après un premier mandat exercé entre 2006 et 2010. près avoir remporté facilement l’élection présidentielle face à la candidate de la droite Evelyn Matthei, Michelle Bachelet va de nouveau investir la Moneda après un […]
Après avoir remporté facilement l’élection présidentielle face à la candidate de la droite Evelyn Matthei, Michelle Bachelet va de nouveau investir la Moneda après un premier mandat exercé entre 2006 et 20101. près avoir remporté facilement l’élection présidentielle face à la candidate de la droite Evelyn Matthei, Michelle Bachelet va de nouveau investir la Moneda après un premier mandat exercé entre 2006 et 2010 La droite retrouvait dès lors démocratiquement le pouvoir pour la première fois depuis l’élection de Jorge Alessandri en 1956.
L’évaluation du bilan du gouvernement Piñera au terme de quatre années d’exercice du pouvoir est particulièrement faible. La grande erreur de Piñera a consisté à ne pas avoir pris la mesure du vote des Chiliens en 2010. C’est en effet moins son programme ou sa personnalité qui ont été plébiscités que la Concertation sanctionnée. En effet, épuisés par vingt ans de gestion (trop) prudente d’un modèle de société néolibérale2 hérité de la dictature, les Chiliens se laissèrent séduire par le discours souvent démagogique de celui qui prétendait transformer le pays en moins de cent jours.
Le nouveau président n’avait en outre aucune raison de s’engager dans un projet très ambitieux car le modèle socioéconomique du pays dont il hérite en 2010 a été défini trente ans plus tôt — en pleine dictature — par son secteur politique et vigoureusement protégé par une minorité de blocage après le retour de la démocratie en 1990. Ceux-là mêmes qui ont pensé et construit l’architecture socioéconomique chilienne se retrouveront d’ailleurs au sein de l’exécutif de Piñera sous la bannière de l’Union démocratique indépendante (UDI), un parti de droite conservateur défendant les intérêts de l’oligarchie nationale et dont le fondateur, Jaime Guzmán, n’est autre que le père de la Constitution du pays toujours en vigueur depuis trente-trois ans.
Mais cette absence d’enthousiasme envers le nouveau président ne présageait pas nécessairement une issue de mandat aussi déplorable. La société chilienne semblait de fait, peu encline à se mobiliser tant elle avait intériorisé la logique technocratique d’exercice du pouvoir propre aux modèles néolibéraux — la politique est une affaire d’experts. Sans jamais obtenir les faveurs des sondages, la première année du nouvel exécutif fut néanmoins relativement calme, celui-ci se concentrant sur son travail de reconstruction post-tremblement de terre et réalisant une opération de marketing politique considérable avec le sauvetage des trente-trois mineurs prisonniers dans le désert d’Atacama3.
Un modèle en crise
La machine à gouverner s’enraya dès mars 2011 sous l’impulsion d’un mouvement étudiant qui prit en quelques semaines une ampleur exceptionnelle4. Cette mobilisation en faveur d’une refonte du modèle éducatif chilien — considéré avec le système de santé et de pensions comme un des piliers de l’ordre post-pinochetiste — révéla toutes les carences du gouvernement de Piñera incapable d’offrir un espace de dialogue politique à un mouvement pourtant soutenu par 85 % de la population.
Comme l’explique le sociologue Rodrigo Contreras, « la gestion des conflits de la part de l’administration Piñera s’est calquée sur celle d’un gérant qui doit faire face à des demandes syndicales : déconsidération des revendications, délégitimisation de l’adversaire, stratégie de pourrissement du conflit. En fin de compte, on se souviendra de l’administration Piñera pour sa faible capacité à donner de la gouvernabilité politique au pays5 », reconnait-il.
Le reste du mandat de Piñera fut traversé par une succession de revendications sociales dénonçant la carence structurelle de l’action étatique dans toute une série de secteurs comme la santé, l’environnement et la culture. Le concept de malêtre social fit irruption sur la scène politique traduisant le sentiment bien réel des Chiliens d’être en permanence abusés, trompés, limités en termes d’opportunités par un modèle générateur de fortes inégalités et d’extrême concentration du pouvoir économique.
Le sociologue Alberto Mayol a décrit dans un livre lumineux les ressorts de ce malêtre social6. Il y analyse de manière lucide le changement de cap opéré par la société chilienne d’un ordre néolibéral qui consacra l’abus de pouvoir des grandes entreprises et des secteurs conservateurs vers un nouvel espace de citoyenneté visant à rompre avec une institutionnalité politique génératrice d’inégalités et d’absence d’opportunités. Pour Mayol, le mandat de Piñera fut dès lors mis sous pression par une force de transformation sociale provenant de la rue : le mouvement étudiant, et par une force de contention provenant du gouvernement : l’UDI. Piñera incarnant les versants économiques et politiques du modèle en crise se trouva donc logiquement dans l’incapacité d’apporter une réponse adéquate aux nombreuses revendications sociales.
Les défis de la nouvelle présidence
Même si Michelle Bachelet a été élue sur la base d’un programme annonçant des changements au modèle socioéconomique hérité de la dictature, il reste à voir comment elle va pouvoir répondre à ce malaise social. Car si la contestation étudiante qui s’exprime maintenant depuis 2011 a ouvert un espace pour réformer le modèle socioéconomique, à charge pour la nouvelle présidente de répondre aux nombreuses attentes citoyennes. Elle a déjà présenté son futur gouvernement comme une « équipe sélectionnée sur des critères de leadeurship, de professionnalisme et d’engagement ».
L’ex-Concertation a été rebaptisée Nouvelle Majorité et a incorporé le Parti communiste. Le programme du prochain gouvernement comprend bien une nouvelle Constitution, une réforme de l’éducation et une réforme fiscale, mais rien ne dit pour l’instant si le gouvernement Bachelet envisage de répondre clairement aux différentes demandes des mouvements sociaux d’autant que ceux-ci exigent non plus de simples corrections au modèle néolibéral, mais bien des réformes structurelles. « Michelle Bachelet ne représente pas la rupture et le changement des règles du jeu », souligne Rodrigo Contreras, « mais elle est capable d’actualiser le modèle en tenant compte des revendications qui émanent des mouvements sociaux, ce que le gouvernement de Piñera n’a jamais été capable de faire ».
Le sociologue Fernando Alvear estime quant à lui qu’il existe encore beaucoup d’incertitudes quant au mode de gestion que va adopter Bachelet : « La Nouvelle Majorité est traversée par différents courants qui représentent des secteurs tantôt plus bourgeois, tantôt plus populaires, explique-t-il. Il est probable qu’il y ait deux stratégies à l’intérieur de cette coalition : une qui croit qu’il faut céder sur certains points pour apaiser le malêtre et une autre plus conservatrice qui pense qu’il faut limiter les réformes pour ne pas ouvrir de boite de Pandore7. »
Michelle Bachelet devra en tout cas ferrailler à l’intérieur même de sa coalition où la Démocratie chrétienne (DC) — considérée comme le parti garant de la stabilité institutionnelle — veillera au respect des grands équilibres fiscaux et à ce que la logique de subsidiarité du modèle économique ne soit pas trop entamée. La DC est d’ailleurs parvenue à faire nommer une de ses membres comme sous-secrétaire d’État à l’éducation déclenchant la première polémique de l’ère Bachelet. Claudia Peirano avait en effet signé une tribune dans le journal El Mercurio en 2011 manifestant son opposition à la logique de gratuité de l’enseignement allant de ce fait à l’encontre du programme de la Nouvelle Majorité. Sous le feu de la critique, elle a été contrainte de démissionner.
La nomination de Nicolás Eyzaguirre comme ministre de l’Éducation a également laissé plus d’un Chilien perplexe. Économiste de tendance néoclassique, il fut ministre des Finances de Ricardo Lagos entre 2000 et 2006. Il incarne cet excès de prudence qui a caractérisé la Concertation pendant vingt ans. Il est loin d’être un homme de rupture et appartient au monde de la grande bourgeoisie chilienne. Ancien du FMI, il a été nommé par le milliardaire Andrónico Luksic à la tête de la chaine de télévision privée Canal 13. Eyzaguirre devra composer avec un mouvement étudiant qui n’a aucunement l’intention de baisser les bras et qui fut d’ailleurs capable de démettre trois ministres de l’Éducation sous le gouvernement Piñera.
La nomination d’un profil technocratique comme le sien peut laisser présager que Michelle Bachelet n’envisage finalement pas une transformation profonde du modèle, mais plutôt sa modernisation ou son updating. Une bonne partie des sept millions de dollars dépensés pendant sa campagne provient du monde de l’entreprise à qui elle devra inévitablement rendre des comptes. Ce constat amène le spécialiste de la politique chilienne, Franck Gaudichaud à conclure que : « Le programme de Bachelet esquive ou même rejette les transformations structurelles profondes pour se concentrer sur la modernisation des politiques fiscales, éducationnelles et institutionnelles. Il s’agira pour elle de maintenir cette démocratie néolibérale de basse intensité tout en tentant d’éviter une irruption non contrôlée des mouvements sociaux à l’agenda de son gouvernement8. » Une modération qui pourrait de la sorte approfondir une dépolitisation qui s’est déjà manifestée par une très forte abstention (60 %) lors du second tour des élections présidentielles.
- Michelle Bachelet l’emporte par 62 % contre 48 % pour Evelyn Matthei.
- Le concept néolibéral est souvent utilisé de manière parfois excessive en Europe pour définir des politiques libérales. Il n’en va pas de même au Chili où ce concept s’applique à une réalité historique, c’est-à-dire l’imposition d’un modèle d’État subsidiaire de nature non interventionniste.
- François Reman, « À la chilienne ? », La Revue nouvelle, décembre 2010.
- François Reman, « Chili. Plus qu’un mouvement étudiant », La Revue nouvelle, novembre 2011.
- Propos recueillis par l’auteur.
- Alberto Mayol, No al lucro, Ramdom House Mondadorie, Santiago du Chili, 2012.
- Propos recueillis par l’auteur.
- Franck Gaudichaud, « Chile y América Latina están en la mira », www.rebeligion.org.