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Celle que je hais
Chaque matin, on a tous une bonne raison d’en finir. Ce lundi-là, je suis restée allongée dans mon lit, refusant d’ouvrir les paupières et soupirant face au lot d’angoisse qui m’attendait encore. Je devais, comme chaque jour, passer voir ma mère avant d’aller travailler et cette visite quotidienne m’était devenue insupportable. J’étais fatiguée de ses errances mentales […]
Chaque matin, on a tous une bonne raison d’en finir.
Ce lundi-là, je suis restée allongée dans mon lit, refusant d’ouvrir les paupières et soupirant face au lot d’angoisse qui m’attendait encore. Je devais, comme chaque jour, passer voir ma mère avant d’aller travailler et cette visite quotidienne m’était devenue insupportable. J’étais fatiguée de ses errances mentales que les mois et les années avaient peu à peu transformées en fureur. Le mal qui la rongeait ne la dépossédait pas seulement de sa mémoire, il prenait aussi possession de son âme, étouffant jour après jour sa personnalité et donnant vie à une créature enfouie dans ses ténèbres secrètes. J’ai vu cette lente appropriation, cette cruelle substitution de mes propres yeux, rougis et impuissants. Cette possession était d’autant plus effrayante qu’elle semblait animée d’une volonté propre, d’une intelligence vile et sournoise qui s’incarnait dans le corps de ma mère.
Aux yeux de tous, maman souffrait de la maladie d’Alzheimer. Elle en présentait tous les symptômes et suivait un traitement prescrit par sa neurologue. Sa mémoire immédiate n’était plus qu’un souvenir et son caractère anxieux s’était teinté d’amertume. Les défauts et aspects de sa personnalité qu’elle s’était toujours efforcée de dompter ont ressurgi décomplexés, attisés par le souffle de la maladie. Maman est devenue irritable, susceptible, agressive et, enfin, odieuse. Mais j’étais la seule à voir à quel point ce nouvel être était mu par la rage et le désir de destruction.
Maman refusait de vivre dans une résidence pour personnes âgées et j’avoue ne pas avoir eu le courage de l’y forcer, comme me l’avait recommandé son médecin traitant. L’envoyer dans une maison de retraite revenait à l’abandonner dans un mouroir. Malgré les difficultés de la gestion de son quotidien et, je dois le dire, la peur qu’elle m’inspirait parfois, je n’ai pas pu me résoudre à lui faire intégrer une institution. D’ailleurs, elle était encore autonome et, grâce au dispositif que j’avais mis en place, elle pouvait parfaitement rester dans sa maison. Elle faisait ses petites courses, elle cuisinait et se lavait seule. Une infirmière passait lui administrer son comprimé de Donépézil en fin de journée et plaçait un somnifère dans son pilulier ; maman le prenait avant de monter se coucher. Elle avait toujours souffert d’insomnies ; avec Alzheimer, ses nuits étaient devenues une vaste étendue blanche où nulle ombre ne couvrait les cauchemars éveillés. Pour ses connaissances, voisins et professionnels de la santé, ma mère était une personne âgée ordinaire, une immigrée sénile, avec son petit caractère forgé par les épreuves de la vie. Elle n’avait conservé de la tendresse que pour son chat. Il était vieux lui aussi et ses oreilles noires avaient blanchi avec la neige du temps. L’animal était le seul être avec qui elle acceptait encore un contact physique. Moi-même, sa fille unique, ne pouvais plus ni l’embrasser ni la toucher. Cela m’a heurtée au début mais désormais, c’est un soulagement de maintenir une distance avec cette personne si étrangère à ma mère. Lorsque cette créature m’observe, le chat noir sur ses genoux ronronnant sous ses caresses, je sens ses yeux nuit d’encre me transpercer le corps et la flamme mauvaise qui danse dans ses pupilles me brûler la peau. Non, je ne peux plus effleurer ce qu’est devenue ma mère. Une aura glaciale empêche quiconque de l’approcher.
Les problèmes ont commencé avec les aides-familiales.
La Nuit Blanche du Noir est un festival littéraire qui se tient chaque année à Mons, le deuxième week-end de novembre. Pendant deux jours, des autrices et auteurs de polar parlent de leur travail de création et échangent avec le public entre sessions musicales, lectures et animations.
Depuis 2023, les organisatrices, les Dames du polar, ont initié un concours de nouvelle. Cette année, la lauréate, Sofía Injoque Palla, s’est distinguée avec sa nouvelle intitulée Celle que je hais, dont La Revue Nouvelle a le plaisir de publier l’incipit.
Pour celles et ceux qui souhaitent la lire dans son intégralité, la nouvelle est éditée à 100 exemplaires, disponibles exclusivement à la vente sur http://nbdn.blog/nuit-blanche-du-noir-editions/ et Publier un livre avec Le Livre en papier — Celle que je hais (publier-un-livre.com). L’ensemble des gains sera versé à la Fondation contre le Cancer.
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