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Ce sacrifice que nous ne saurions voir

Numéro 2 - 2017 par Guillaume de Stexhe

mars 2017

Un cou mena­cé par un cou­teau, un hur­le­ment silen­cieux, trois mains mêlées : la pein­ture murale appa­rue fin jan­vier à Bruxelles près de la porte de Flandre a pro­vo­qué. Elle est faite pour ça (peu importent ici les inten­tions de l’auteur). Pro­vo­quer, d’abord, cette simple ques­tion : qu’est-ce qui se donne à voir ici ? Une menace d’égorgement ? Mais il y a […]

Le Mois

Un cou mena­cé par un cou­teau, un hur­le­ment silen­cieux, trois mains mêlées : la pein­ture murale appa­rue fin jan­vier à Bruxelles près de la porte de Flandre a provoqué.

Elle est faite pour ça (peu importent ici les inten­tions de l’auteur). Pro­vo­quer, d’abord, cette simple ques­tion : qu’est-ce qui se donne à voir ici ? Une menace d’égorgement ? Mais il y a aus­si le cri de la vic­time. Et, rare­ment notée au pre­mier regard, une main qui retient celle qui tient le cou­teau ? Seconde ques­tion, alors, que pro­voque par rico­chet cette diver­si­té de regards : qu’est-ce qui cap­tive aujourd’hui nos ima­gi­naires ? Qu’est-ce qui nous fas­cine, jusqu’à peut-être nous aveu­gler sur le reste ? Le sang qui appelle le sang ? Le cri des vic­times que per­sonne n’entend ? Le coup d’arrêt à don­ner aux mises à mort ? On pour­rait déjà en res­ter à ces ques­tions : on n’aurait pas per­du son temps.

L’œuvre : provocation, révélation

Il y a autant, donc, dans le regard que dans la scène qu’il scrute. Et c’est exac­te­ment la même chose pour le très vieux récit qui a sus­ci­té cette pein­ture (et celle du Cara­vage dont elle agran­dit un frag­ment), un récit qui est fait lui aus­si pour pro­vo­quer (de nou­veau, peu importent ici les inten­tions des « auteurs »). Dans l’imaginative mémoire biblique qui res­sasse volon­tiers les mêmes concepts, un moment de la saga des ancêtres, quelque part entre l’intemporel de l’origine et la très ancienne his­toire. Abra­ham et son fils ; mais aus­si « dieu », un ange, et un bélier ; une route et une mon­tagne, des cordes, un bucher, et un cou­teau…1 Le retour de ce qua­si-mythe sur nos murs témoigne de ce que nous ne voyons, ne pen­sons, ne dési­rons même que par ima­gi­na­tion et rai­son non pas pures, mais nour­ries d’un com­post immé­mo­rial de récits, d’images, de chants, de juge­ments, de débats, de poèmes, d’évidences, de contra­dic­tions et de questions.

Allons‑y pour les ques­tions, donc : com­ment inti­tu­ler cette séquence ? Ici revient en force la diver­si­té des regards. Le Sacri­fice d’Abraham ou bien, au contraire, s’agit-il, en véri­té du sacri­fice inter­dit à Abra­ham ? Ou encore l’épreuve d’Abraham ? La liga­ture d’Isaac (tra­di­tion juive) ou le sacri­fice d’Isaac (ou du bélier, d’Ismaël, pour cer­tains musul­mans) ou son non-sacri­fice, ou sa déli­vrance ? Conclu­sion : les choses ne sont pas claires. C’est pré­ci­sé­ment cela qui pro­voque, fait ima­gi­ner, donne à pen­ser et est ain­si « révé­la­tion ». Révé­la­tion des lec­teurs à eux-mêmes capables, dans la lec­ture, d’aveuglement, de défor­ma­tion, et aus­si d’intelligence qui se laisse sur­prendre. Mais révé­la­tion, aus­si, à cha­cun de ce dont il est peut-être capable : de la pire vio­lence et aus­si de sur­sauts d’humanité.

Pro­vo­ca­tion réus­sie : une biblio­thèque, un musée ne suf­fi­raient pas à conte­nir ce qui a réson­né à l’énigme de cette scène. À com­men­cer par les rites : l’Aïd en Islam, les rap­pels litur­giques juifs, chré­tiens, isla­miques. Midrashs, exé­gèses, com­men­taires, her­mé­neu­tiques phi­lo­so­phiques (Kier­ke­gaard, Lévi­nas, René Girard) ou inter­pré­ta­tions psy­cha­na­ly­tiques (Freud, M. Bal­ma­ry), les œuvres lit­té­raires (de Jacob et ses frères de Tho­mas Mann à la satire de Hanokh Levin, en pas­sant par une chan­son de Léo­nard Cohen). Vitraux, fresques, toiles : le Cara­vage, Rem­brandt, Cha­gall… Face à cette pro­fu­sion et à ces pro­fon­deurs, en quatre pages, on ne peut que signa­ler, et super­fi­ciel­le­ment, l’un ou l’autre plan de réso­nances, en sachant qu’en fai­sant court, on mutile.

Piété et scandale

D’abord, le plus évident pour nous aujourd’hui : le choc fron­tal entre écoute pieuse et lec­ture mécréante, scan­da­li­sée. Du côté de la pié­té, Abra­ham comme modèle de l’homme de foi : non pas « croyance », mais confiance, aban­don à « dieu » envers et contre tout, à tout risque jusqu’à celui de se perdre dans l’inhumain. C’est peut-être le phi­lo­sophe Kier­ke­gaard qui, en moder­ni­té, a le plus pro­fon­dé­ment for­mu­lé cette lec­ture car, disait-il, il existe une dimen­sion, un plan reli­gieux de l’expérience et du sens qui sont ceux de l’infini ou de l’absolu en dis­con­ti­nui­té, en hia­tus et en para­doxe pro­vo­ca­teur avec toute logique mon­daine, rai­son­nable et même éthique. Et c’est ce hia­tus qu’enseignerait ce texte pro­vo­quant. Face à cette lec­ture mys­tique et cen­trée sur le rap­port entre Abra­ham et le « dieu » tout autre, une lec­ture éthique se centre sur la vic­time : qui est ce « dieu » per­vers qui deman­de­rait le sang d’un inno­cent, ce fidèle fana­tique qui égor­ge­rait par obéis­sance religieuse ?

Avant d’ouvrir d’autres registres, il vaut la peine de rap­pe­ler que cette oppo­si­tion du reli­gieux et de l’éthique n’est pas une vue de l’esprit et qu’elle doit être posée comme ques­tion sans échap­pa­toire à tout qui se réfère à cette scène. D’un côté, « l’âpre gout de l’absolu » a cou­vert et nour­rit tou­jours, au nom du désir de « dieu », des indif­fé­rences au broyage atroce des vies : non seule­ment les égor­geurs de Daesh, mais aus­si cer­tains péni­ten­ciers chré­tiens pour filles-mères ou les mariages for­cés comme sacri­fices offerts à la lignée en Chine ou en Inde. L’immonde au nom du sacré. Mais il est vrai aus­si — autre ver­sion du même conflit — que, pour bien des iti­né­raires vers une autre face de l’humanité et du monde, vers une autre liber­té, un autre regard, la voie s’est frayée par l’abandon fou de tout ce à quoi on tient ou par quoi on est tenu. Pro­po­si­tion : une des « révé­la­tions » qu’opère ce texte, c’est peut-être de mettre en lumière cette bifur­ca­tion des lec­tures, ce hia­tus tenace entre éthique rai­son­nable et dérai­son mys­tique. Peut-être ne peut-on effa­cer le conflit des lec­tures parce que ce serait refou­ler l’un ou l’autre des hori­zons contras­tés vers les­quels nous cher­chons à nous orienter.

Du sacré au saint : une histoire de sacrifices

Mais par­ler ici, assez benoi­te­ment, de « ten­sion » ou de « contraste », c’est mettre entre paren­thèses ce qui semble reven­di­quer le regard en pre­mier : le cou­teau, la vio­lence. Quelle mys­tique pour­rait euphé­mi­ser cet into­lé­rable ? Mais ceci nous recon­duit à nos hési­ta­tions de départ, car est-il bien ques­tion ici d’un égor­ge­ment ou plu­tôt de son inter­dic­tion ? D’un sacri­fice ou bien plu­tôt d’une déli­vrance ? La pré­cé­dente oppo­si­tion fron­tale entre éthique et mys­tique ne s’est peut-être mise en place que sur fond d’une lec­ture de la scène et du texte qui, en se foca­li­sant sur la vio­lence comme sur un trou noir qui aspire le regard, les mutile et les déforme. Car il y a ici tout autre chose que l’égorgement.

Pour mettre en relief cet autre enjeu, on peut faire réson­ner le texte tout entier, non tron­qué en fonc­tion de son (long) contexte de pro­duc­tion que scrutent les ana­lyses his­to­ri­co-cri­tiques. Ain­si mis en pers­pec­tive, le texte se centre sur le rite du sacri­fice humain qu’on trouve dans (presque?) toutes les cultures, y com­pris en terre biblique (Moloch!). Le sacri­fice appa­rait avec le néo­li­thique, sans doute comme contre-don aux ancêtres (divi­ni­sés) dont on reçoit l’héritage (champs et trou­peaux). Contre-don ampli­fié, par­fois, jusqu’à l’extrême : l’offrande d’enfants. Dans la plu­part des cultures qui le connais­saient, le sacri­fice humain a fait place aux sacri­fices ani­maux, ou pure­ment allé­go­riques et même dans les milieux biblique, boud­dhique ou cora­nique, par exemple, s’est déve­lop­pée la cri­tique féroce du prin­cipe même des pra­tiques rituelles (sacri­fi­cielles et autres) au pro­fit d’un enga­ge­ment éthique et mys­tique comme seule « praxis » reli­gieuse authen­tique. (Dans ce sens, les lec­tures chré­tiennes de cette scène y voient l’obscure pré­fi­gu­ra­tion du libre don de soi, et [ain­si] à son « Père », qui fut celui du Christ.)

Pro­je­té sur ce fond, notre récit remé­more l’abandon his­to­rique du sacri­fice humain. Mais il y a plus que cet écho de l’Histoire, car le texte inter­prète reli­gieu­se­ment cette inter­dic­tion. La figure de l’ange qui arrête le cou­teau est alors sug­ges­tive de cette lec­ture reli­gieuse de l’éthique ou de cette ver­sion éthique du reli­gieux : le sur­saut par lequel on s’arrache à la vio­lence nous vien­drait d’un peu au-delà de nous-mêmes. C’est ain­si que lit Lévi­nas, et Michel Serres après lui, la révé­la­tion pre­mière : « tu ne tue­ras pas ». L’interdit du meurtre, lié au pres­sen­ti­ment d’un divin éthi­que­ment ins­pi­rant marque alors la fron­tière tra­cée, non plus entre le reli­gieux et l’éthique, mais, à l’intérieur du reli­gieux, entre le sacré et le saint : entre le reli­gieux païen, sacri­fi­ciel et le reli­gieux de la trans­cen­dance concrète, éthique.

Cette fron­tière entre deux types de reli­gieux n’est pas un ves­tige his­to­rique ou une vue de l’esprit. Il y a trois quarts de siècle, en Europe, le désir de réen­chan­te­ment d’un monde trop ratio­na­li­sé a rani­mé le culte (nazi) des puis­sances cos­miques du sol, du sang, de l’instinct, du des­tin. Un culte qui exi­geait son tri­but de sang : le sang des lignages purs, mais aus­si le sang des enne­mis et celui des fils, sacri­fiés aux champs d’honneur. Contre cette résur­gence d’un paga­nisme sacri­fi­ciel se sont alors levés, un peu par­tout, à la fois les mili­tants d’une éthique huma­niste et les témoins d’un reli­gieux éthique, anti-sacral. Aujourd’hui, nou­vel appel du sang : cer­taines pro­tes­ta­tions contre une sécu­la­ri­sa­tion qui serait sacri­lège rouvrent par­fois les voies de la vio­lence sacrée. Alors peut réson­ner comme aver­tis­se­ment cette scène qui témoigne aus­si bien du conflit entre l’ivresse reli­gieuse meur­trière et les limites morales élé­men­taires que de cette bifur­ca­tion reli­gieuse entre le sacré violent et la sain­te­té éthique.

Le renoncement au lignage

Mais le sang qui risque ici d’être ver­sé est d’abord celui qui a été trans­mis du père au fils : le reli­gieux « païen » est et n’est sacri­fi­ciel que parce qu’il est généa­lo­gique et c’est aux ancêtres divi­ni­sés que le sacri­fice relie, pour sacra­li­ser la lignée qui s’en réclame. Dans cette logique, le reli­gieux et l’ethnique sont les deux faces d’une même iden­ti­té : toute l’histoire d’Abraham, l’ancêtre du « peuple élu », en est obsédée.

Pour­tant notre récit dans son ambi­va­lence ébranle-t-il peut-être cette logique généa­lo­gique autant qu’il l’exprime. Car la pro­cla­ma­tion solen­nelle de l’alliance de « dieu » avec Abra­ham et de la fécon­di­té qu’elle lui garan­tit est ici fon­dée para­doxa­le­ment sur le renon­ce­ment par Abra­ham au fils qui lui garan­ti­rait pos­té­ri­té bio­lo­gique, eth­nique. Nou­velle pro­vo­ca­tion : quelle est donc la des­cen­dance d’Abraham ? Les fils par le sang ou les fils par la foi ? Le reli­gieux eth­nique, celui des ori­gines sacrées et des dieux tuté­laires, se fis­sure sans doute ici (comme il l’a fait par­tout, de la Chine à la Grèce, lors du « tour­nant axial », au milieu du pre­mier mil­lé­naire avant notre ère) et s’ouvre à un hori­zon qui est celui de l’universel humain : dans une for­mule étrange, « toutes les nations de la terre se béni­ront dans ta des­cen­dance, parce que tu as enten­du ma parole ». Encore une fois, il n’y a pas ici seule­ment ves­tige his­to­rique ni théo­rie abs­traite. D’abord, la conscience juive, des pro­phètes à la dis­si­dence chré­tienne et jusqu’au pré­sent le plus dra­ma­tique est tra­ver­sée, inquié­tée par cette hési­ta­tion entre iden­ti­té eth­nique et ouver­ture uni­ver­selle. Mais, au-delà de la sin­gu­la­ri­té juive, c’est peut-être toute iden­ti­té reli­gieuse qui trouve ici à mettre en ques­tion sa clô­ture : ce n’est pas en cher­chant à se per­pé­tuer, à se pos­sé­der en reven­di­quant pour elle ce qui s’engendre à par­tir d’elle qu’elle s’ouvre réel­le­ment à ce qui l’a mise enaven­ture. S’il y a pro­messe « divine », ce n’est pas celle d’une per­pé­tua­tion, mais d’une fécon­di­té qui déjoue toute affi­lia­tion. Aver­tis­se­ment d’actualité quand se res­serrent dan­ge­reu­se­ment les liens entre reli­gieux et identité.

Le sacrifice dans l’ombre

Dési­rer la mort de son enfant, renon­cer à pos­sé­der ce qui s’engendre de soi, on com­prend que les lec­tures psy­cha­na­ly­tiques de cette scène puis­sante ne manquent pas. À Œdipe meur­trier de son père répond alors symé­tri­que­ment Abra­ham médi­tant l’assassinat de son fils. Et notre récit fait entendre ain­si qu’il n’y a d’engendrement et de filia­tion véri­tables qu’au prix d’un aban­don, d’une césure, d’une déli­vrance qui laisse aller cha­cun, engen­dreurs et engen­drés, sur leur propre che­min. Le centre de gra­vi­té de la scène se déplace alors vers le bélier : ce n’est pas un agneau qu’il s’agit de sacri­fier, mais un mâle adulte et fécond autre­ment dit la pater­ni­té virile, fan­tas­mée toute-puissante.

Les reven­di­ca­tions patriar­cales qui se trouvent ici dénon­cées ren­voient-elles, pour nous, à d’autres temps ou à des cultures exo­tiques et rétro­grades ? Nous est-il vrai­ment étran­ger, cet obs­cur désir d’assurer sa mai­trise sur la géné­ra­tion qui risque de nous échap­per en l’instrumentalisant sans limite ? Il y a un siècle, les pères euro­péens, d’un même cœur, ont envoyé à une bou­che­rie par­fai­te­ment insen­sée leurs fils par mil­lions, pour assu­rer le salut et la gloire de leur nation. Suf­fit-il d’y ajou­ter le qua­li­fi­ca­tif de « glo­rieux » pour camou­fler ce sacri­fice san­glant que nous ne sau­rions voir ? Com­ment, sous les jus­ti­fi­ca­tions de tous ordres, ne pas per­ce­voir dans ce délire la résur­gence d’une vio­lence venue des abimes ? Par consé­quent, Abra­ham et Isaac font « révé­la­tion » en nous pro­vo­quant nous-mêmes et sans ména­ge­ment : le sacri­fice, d’avance, des géné­ra­tions à venir qui ne pour­ront vivre sur une pla­nète ren­due inha­bi­table par la per­pé­tua­tion, aujourd’hui, d’un modèle de crois­sance insou­te­nable. Ce sacri­fice pour­rait-il res­ter dis­si­mu­lé ? Ou bien sau­rons-nous le voir pour ce qu’il est ? Nous voir pour ce que nous sommes ? Des géni­teurs qui se sauvent au prix de la vie de leurs enfants ?

Alors, il fau­drait ques­tion­ner l’optimisme qui habite cer­taines des lec­tures qu’on a évo­quées plus haut. L’abandon du sacri­fice humain, le dépas­se­ment de l’ethnique vers l’universel n’ont rien d’assuré et le sacri­fice n’est jamais vrai­ment dépas­sé. Nul sans doute ne l’a mieux vu que René Girard : les humains n’arrivent à faire socié­té ensemble, mal­gré leur fon­cière riva­li­té, qu’en se ras­sem­blant contre un bouc émis­saire. Le rite sacri­fi­ciel n’était que la sym­bo­li­sa­tion de cette logique d’exclusion vio­lente sur laquelle toute socié­té s’est construite. Certes, il y a bien une his­toire qui nous a fait pas­ser du meurtre au rite, puis du rite san­glant à l’éthique et donc au droit ; une his­toire aus­si où, tou­jours selon Girard, la mise en lumière (avec le chris­tia­nisme) du méca­nisme vic­ti­maire long­temps dis­si­mu­lé en a désa­mor­cé la viru­lence : le sacri­fice de l’innocent, pour nous, n’est plus légi­time. Mais c’est « en prin­cipe », car le désir du sacri­fice, lui, per­siste dans l’ombre : il fau­drait se ras­sem­bler contre ce désir, éli­mi­ner, sup­pri­mer, pour assu­rer son des­tin, per­pé­tuer son his­toire. Et le droit lui-même se prête à la vio­lence qu’il contient pour­tant. Qui ne voit qu’aujourd’hui, même à l’intérieur du droit et des poli­tiques argu­men­tées, un sourd désir de mort cherche à se frayer à nou­veau un che­min ? Retour à la pein­ture murale, alors : quelles mains cherchent un cou­teau, quelles autres mains se ten­dront pour arrê­ter les premières ?

Révélation, encore

La force des œuvres de culture et sin­gu­liè­re­ment celle des grandes figures sym­bo­liques, c’est de faire nœud de ces fils de signi­fi­ca­tions, de toutes tex­tures et tons qui tressent nos capa­ci­tés de sens. Quelque chose se noue dans ces figures — et sur­tout dans leur fréquentation.

Un texte « saint » comme celui qui est ici en arrière-plan, c’est un assem­blage de nœuds à rumi­ner (et peut-être à tran­cher, mais seule­ment peut-être et en tout cas seule­ment au bout du compte). Cela ne décon­cer­te­ra que ceux, dévots ou mécréants pareille­ment adeptes des résu­més, aveugles tout à la fois aux styles, à la lettre et à l’esprit, qui fan­tasment les textes « sacrés » comme d’univoques trai­tés de doc­trines, codes de normes, pro­cès-ver­baux his­to­riques. Un texte, quel que soit son genre lit­té­raire, n’est pour­tant fon­da­teur qu’en ceci : comme témoi­gnage et occa­sion pro­vo­cante de l’affrontement à l’énigme, « com­ment lis-tu ? ». C’est ain­si, et ain­si seule­ment, qu’il peut être révélation.

  1. Résu­mer est (se) tra­hir, mais, pour se repé­rer (faute d’espace ici pour le texte entier): 1. « dieu » (le texte lui donne des noms dif­fé­rents) demande à Abra­ham d’emmener « pour un sacri­fice » le fils ines­pé­ré qu’il lui a don­né. 2. Abra­ham et Isaac vont donc. 3. Abra­ham s’apprête à égor­ger son fils, mais l’ange de « dieu » l’arrête et désigne un bélier comme l’offrande atten­due. 4. « dieu » bénit Abra­ham pour son aban-don de son fils, aban­don pour lequel « toutes les nations de la terre se béni­ront dans ta descendance ».

Guillaume de Stexhe


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