Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

“Camping sauvach”

Numéro 10 Octobre 2006 - Idées-société par Joëlle Kwaschin

octobre 2006

À la fin des années sep­tante se dérou­lait à l’ab­baye de Flo­reffe le Temps des cerises. De la ren­contre de la culture wal­lonne avec d’autres cultures mino­ri­taires des régions d’Eu­rope aux musiques du monde de la cin­quième édi­tion d’Es­pe­ran­zah !, le fil reste « Un autre monde est pos­sible ». Le mot d’ordre de l’é­di­tion 2006, « La pau­vre­té, c’est […]

À la fin des années sep­tante se dérou­lait à l’ab­baye de Flo­reffe le Temps des cerises. De la ren­contre de la culture wal­lonne avec d’autres cultures mino­ri­taires des régions d’Eu­rope aux musiques du monde de la cin­quième édi­tion d’Es­pe­ran­zah !, le fil reste « Un autre monde est pos­sible ». Le mot d’ordre de l’é­di­tion 2006, « La pau­vre­té, c’est nos ognons » en est une décli­nai­son. Les ONG qui orga­nisent vente de pro­duits du com­merce équi­table, confé­rences-débats et ani­ma­tions diverses sont à pari­té avec les groupes de musi­ciens venus du monde entier.

Espe­ran­zah ! Le point d’ex­cla­ma­tion est com­pris dans le très rai­son­nable ticket d’en­trée. Bran­le­bas dans la mai­son. Les jeunes campent dans une prai­rie à proxi­mi­té de l’ab­baye. « Est-ce que tu sais où sont les sacs de cou­chage ? », « Com­ment vous allez dor­mir par terre ? C’est hors de ques­tion. » Devant le rayon de maté­riel de cam­ping du grand maga­sin, vous soli­lo­quez, un mate­las pour deux per­sonnes est sur­ement plus confor­table que deux mate­las d’une per­sonne. Oui, mais s’ils veulent par­tir cha­cun de leur côté, s’ils se séparent… Ces réflexions vous ont dis­traite de l’a­chat, et une fois la caisse pas­sée, il dit : « Je ne pour­rai pas emme­ner ma copine faire du cam­ping sau­vage. » S’en­suit une petite digres­sion, de mon temps — puisque désor­mais, on a un temps à soi — on pou­vait encore cam­per en pleine nature. Ah oui, dit-il, où c’é­tait auto­ri­sé. Non, où ce n’é­tait pas inter­dit. Aujourd’­hui, reprend-il, cam­ping sau­vage, ça fait gitan. Il ne faut pas lais­ser pas­ser une occa­sion de réflexion cri­tique, un peu de didac­tisme ne nuit jamais. Oui, de ces cam­pe­ments nomades, coin­cés entre deux bre­telles d’au­to­routes. Les gens du voyage sont inter­dits de sta­tion­ne­ment presque par­tout en Wal­lo­nie ; la majo­ri­té des com­munes les chasse, en affir­mant, dans le meilleur des cas, que le pro­blème doit être réglé par la Région wal­lonne. Au minis­tère de l’Ac­tion sociale, on répond qu’il est trop tôt pour mener une telle réflexion. « Nous ver­rons après le 8 octobre. Qui met­trait ça dans son pro­gramme électoral ? »

Mais que disais-tu à pro­pos de cam­ping sau­vage ? Ce sera dif­fi­cile parce que la pompe élec­trique est inté­grée au mate­las. Tu penses qu’il y a moyen de le gon­fler autre­ment ? De toute façon, dans tous les cam­pings, il y a l’élec­tri­ci­té. Oui, mais le cam­ping du fes­ti­val, ce n’est pas comme ces vil­lages de vacances où les cara­vanes, enca­drées de haies et de plantes en pot se donnent des airs. Évi­dem­ment quand on va cam­per à la dure… Mon cré­dit de tra­jets en voi­ture n’est pas encore tout à fait épui­sé ? Tu nous conduis à Flo­reffe ? Dis, le bar­be­cue est propre, on peut le mettre dans le coffre de l’au­to, comme ça on pour­ra cuire des ham­bur­gers ? Ne t’in­quiète donc pas sans cesse : j’ai mis la viande dans la gla­cière. Pour le petit-déjeu­ner, on le pren­dra chez Oxfam.
Pour deux donc : un gros sac de vête­ments, la tente de quatre per­sonnes — s’il pleut, ça per­met de jouer aux cartes avec les copains -, la gla­cière, un bon sac de ravi­taille­ment, deux sacs de cou­chage rou­lés et fice­lés façon bal­lu­chon de cow­boy… Heu­reu­se­ment que vous ne par­tez pas à vélo ou même en train. Mais les « ado-rables1 » n’ont aucun humour, à rai­son parce qu’ils sentent la cri­tique, et il ne réagit pas.

« Cam­ping sau­vach », un groupe namu­rois de ska-tsi­gane qui mêle rythmes de la Jamaïque et vio­lon tsi­gane jouait à Flo­reffe cette année. Le métis­sage musi­cal s’ac­com­pagne par­fois de curieuses hybri­da­tions ou accom­mo­de­ments avec les prin­cipes alter­mon­dia­listes et éco­lo­giques des spec­ta­teurs. Petits-déjeu­ners Oxfam et ham­bur­gers maison.

La Lote­rie cen­sure la contestation

Les orga­ni­sa­teurs d’Es­pe­ran­zah !, qui refusent « la pré­sence du plus puis­sant limo­na­dier de la pla­nète », avaient cette année accep­té le spon­so­ring de la Lote­rie natio­nale. En accord avec les orga­ni­sa­teurs du fes­ti­val, qui pro­meuvent la liber­té d’ex­pres­sion, l’as­so­cia­tion Résis­tance à l’a­gres­sion publi­ci­taire (RAP — www.antipub.be) a pla­cé sur le site, le ven­dre­di 4 aout, deux affiches de contes­ta­tion qui détournent des cam­pagnes publi­ci­taires récentes de la Lote­rie. « Deve­nez scan­da­leu­se­ment pauvre », disait l’une. Le but, disent les res­pon­sables de RAP « n’é­tait pas de s’at­ta­quer à l’ins­ti­tu­tion Lote­rie natio­nale, mais bien, dans le cadre du com­bat anti­pu­bli­ci­taire et du thème « Pau­vre­té » du fes­ti­val, de sou­li­gner le rôle détes­table de la pub dans l’i­déo­lo­gie domi­nante antisolidaire ».
Cela n’a pas été du gout de la Lote­rie qui a exi­gé l’en­lè­ve­ment des affiches, mena­çant les orga­ni­sa­teurs de quit­ter le fes­ti­val en cas de refus. Dans un sou­ci d’a­pai­se­ment, RAP a reti­ré les affiches, esti­mant avoir atteint son objec­tif : démon­trer qu’« il n’y a pas de liber­té d’ex­pres­sion quand il y a pub ou sponsoring ».

  1. « Ado-rables » est le titre d’une chro­nique heb­do­ma­daire qu’Anne-Cathe­rine Van San­ten tient dans Le Ligueur. En six planches, elle croque avec finesse, humour et amour les rap­ports com­plexes entre parents et ados. Ses des­sins ont été repris en trois albums publiés par les édi­tions Luc Pire.

Joëlle Kwaschin


Auteur

Licenciée en philosophie