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Burundi : « La presse est libre »

Numéro 07/8 Juillet-Août 2013 par Simon Tourol

juillet 2013

« La presse est libre. » En quatre mots, l’article 2 de la nou­velle loi régis­sant les médias au Burun­di porte la pro­messe de main­te­nir le pays du côté du fos­sé où la liber­té d’expression est consti­tu­tive des autres liber­tés, où la cri­tique démo­cra­tique est pos­sible, où les pou­voirs intègrent à prio­ri dans leur exer­cice l’interpellation de l’opinion et […]

« La presse est libre. » En quatre mots, l’article 2 de la nou­velle loi régis­sant les médias au Burun­di porte la pro­messe de main­te­nir le pays du côté du fos­sé où la liber­té d’expression est consti­tu­tive des autres liber­tés, où la cri­tique démo­cra­tique est pos­sible, où les pou­voirs intègrent à prio­ri dans leur exer­cice l’interpellation de l’opinion et l’obligation de lui rendre compte. Mais au prin­cipe affir­mé de cette liber­té, le Par­le­ment burun­dais confor­té par le pré­sident Pierre Nku­run­zi­za a ajou­té une inquié­tante liste de res­tric­tions. Et voi­là le Burun­di en grand écart par-des­sus le fos­sé, lais­sant peu d’illusions sur le côté où il s’établirait tôt ou tard.

Le 6 mai der­nier, la pré­si­dence de la répu­blique rece­vait com­mu­ni­ca­tion de la loi sur la presse modi­fiant celle de 2003, et adop­tée défi­ni­ti­ve­ment par l’Assemblée natio­nale quelques jours plus tôt. S’ouvrait alors un mois d’intenses pres­sions, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, pour que Pierre Nku­run­zi­za ne pro­mulgue pas un texte jugé « liber­ti­cide » par l’Union burun­daise des jour­na­listes (UBJ). « Le droit de publier des infor­ma­tions est en effet limi­té par une série d’interdits plus nom­breux que dans la loi de 2003 », explique à La Revue nou­velle Alexandre Niyun­ge­ko, pré­sident de l’UBJ. À la pro­tec­tion, notam­ment, de la défense natio­nale, de la sureté de l’État, de la sécu­ri­té publique, de la sta­bi­li­té de la mon­naie, du secret de la vie pri­vée et des enquêtes judi­ciaires s’ajoute désor­mais l’interdiction de dif­fu­ser des infor­ma­tions qui sont « en rap­port avec des appels ou annonces inci­tant à […] une mani­fes­ta­tion publique non auto­ri­sée » et des infor­ma­tions « por­tant atteinte au cré­dit de l’État et à l’économie natio­nale », mais aus­si « à la mora­li­té et aux bonnes mœurs », ce que l’UBJ avait deman­dé, en vain, aux par­le­men­taires de reti­rer du pro­jet de loi.

L’autre gros point noir de ce texte concerne le secret des sources. Les jour­na­listes ne pour­ront pas évo­quer le droit de pro­té­ger l’identité de leurs sources si leurs infor­ma­tions concernent les inter­dits en matière de sécu­ri­té de l’État, d’ordre public, de secret de la défense ou d’intégrité phy­sique et morale d’une ou de plu­sieurs per­sonnes. L’extension à la sécu­ri­té de l’État et à l’ordre public des cas d’exception à la pro­tec­tion des sources expose non seule­ment les jour­na­listes aux risques d’arbitraire des « juri­dic­tions com­pé­tentes », mais aus­si à celui non moins grave de voir les sources se tarir les unes après les autres. C’est, du reste, l’objectif exact du CNDD-FDD, le par­ti du pré­sident, dont l’ex-secrétaire géné­ral deve­nu séna­teur expli­quait que la loi visait à frei­ner l’ardeur des jour­na­listes burun­dais qui « ont lais­sé tom­ber depuis 2010 leur métier pour celui de poli­ti­ciens », rap­por­tait l’Agence France Presse.

Précaution électorale

Les pro­pos éton­nants du séna­teur doivent s’entendre dans le contexte de l’après scru­tin qui voyait le pré­sident et son par­ti recon­duits pour une nou­velle légis­la­ture. Contes­tant les résul­tats des élec­tions com­mu­nales — pre­mière phase d’un pro­ces­sus en plu­sieurs volets —, l’opposition regrou­pée au sein de l’Alliance des démo­crates pour le chan­ge­ment au Burun­di (ADC-Iki­bi­ri) avait déci­dé de boy­cot­ter les élec­tions par­le­men­taires et pré­si­den­tielles, une stra­té­gie dont elle n’a pas fini de mesu­rer les dégâts. Non seule­ment elle a per­mis au CNDD-FDD une vic­toire facile, mais elle s’est engouf­frée elle-même dans une impasse dont elle ne pour­ra sor­tir qu’au prix d’un dia­logue où elle ne part pas gagnante… Après 2010, les médias ont donc rem­pli un rôle que l’opposition, en se pla­çant hors-jeu du pro­ces­sus par­le­men­taire, ne jouait plus. « La presse a dénon­cé les exé­cu­tions extra­ju­di­ciaires et la cor­rup­tion, témoigne Alexandre Niyun­ge­ko. Elle a for­cé les pou­voirs publics à pro­cé­der à des arres­ta­tions. Du coup, nous, les jour­na­listes, deve­nions la cible du pouvoir. »

Davan­tage qu’un retour de mani­velle, la sévé­ri­té de la nou­velle loi sur la presse est sur­tout, pour le pou­voir, une pré­cau­tion pour l’avenir. La légis­la­ture pren­dra fin à l’été 2015 et le CNDD-FDD a quelques rai­sons de craindre pour son main­tien au pou­voir. L’annonce par Pierre Nku­run­zi­za de sa volon­té de bri­guer un troi­sième man­dat pré­si­den­tiel — ce qu’interdit la Consti­tu­tion burun­daise — a déjà sou­le­vé un tol­lé et des contro­verses quant à la léga­li­té d’un éven­tuel nou­veau man­dat de cinq ans. Ce der­nier devrait être consi­dé­ré comme un second ou un troi­sième man­dat selon le sta­tut que l’on donne à celui qu’exerça le pré­sident de 2005 à 2010. La presse burun­daise, là non plus, ne se conten­te­ra pas de res­ter au bal­con pour comp­ter les points.

Deux paradoxes

La pro­mul­ga­tion de la loi régis­sant la presse a sou­li­gné deux situa­tions assez para­doxales, l’une en amont du par­cours par­le­men­taire, l‘autre en aval.

Le pre­mier para­doxe tient au pro­ces­sus même de l’élaboration du texte qui s’annonçait démo­cra­tique, pour débou­cher fina­le­ment sur une ver­sion imbu­vable impo­sée par un pou­voir autiste. Après des lois sur la presse édic­tées suc­ces­si­ve­ment en 1976, 1992 et 1997, celle de 2003 avait été sui­vie, six ans plus tard, d’états géné­raux au cours des­quels la pro­fes­sion avait été écou­tée. Cela ne fut pas com­plè­te­ment inutile puisque la loi de 2013 a consa­cré l’une ou l’autre avan­cée mineure. Mais, outre les res­tric­tions déjà évo­quées, les jour­na­listes res­tent pas­sibles de pour­suites pénales — non pré­ci­sées — alors qu’ils se bat­taient depuis long­temps pour ne plus être envoyés en pri­son en cas d’infraction. L’exposé des motifs et la dis­pa­ri­tion, dans la nou­velle loi, de la réfé­rence à une peine de pri­son de six mois à cinq ans donnent-ils une garan­tie suf­fi­sante à cet égard ? Les jour­na­listes burun­dais res­tent sceptiques.

Amor­cée dans le dia­logue, l’élaboration de la loi s’est ache­vée dans le refus de toute concer­ta­tion. L’UBJ, qui devait être consul­tée, n’a eu copie du texte qu’une fois celui-ci adop­té. Ses cour­riers et une péti­tion de 11000 signa­tures (orga­ni­sée avec le sou­tien de l’ONG belge 11.11.11 notam­ment) sont res­tés lettre morte. Un mémo­ran­dum de l’opposition par­le­men­taire fut tout autant igno­ré, de même que les appels et mani­fes­ta­tions d’ONG, mais aus­si de plu­sieurs pays et du Bureau inté­gré des droits de l’homme des Nations unies au Burun­di. Le pré­sident, qui avait le pou­voir de ren­voyer le pro­jet devant le Par­le­ment en lui deman­dant de l’amender, n’en a rien fait.

Voi­là le second para­doxe de ce dos­sier. Le Burun­di, 178e sur 186 pays au clas­se­ment (2012) du PNUD à l’indice de déve­lop­pe­ment humain, et qui dépend étroi­te­ment des pro­grammes de finan­ce­ment de l’étranger, est res­té sourd aux exhor­ta­tions des bailleurs. Pas seule­ment la Bel­gique, qui s’était inquié­tée par la voix de son ministre des Affaires étran­gères Didier Reyn­ders, mais aus­si les États-Unis, pre­mier bailleur de fonds bila­té­ral, et dont l’ambassade à Bujum­bu­ra avait envoyé un appel clair à amen­der la loi. Fin mai, l’inauguration de la nou­velle ambas­sade amé­ri­caine dans la capi­tale burun­daise (dont cout : 133 mil­lions de dol­lars) avait été l’occasion de rap­pe­ler solen­nel­le­ment que l’Oncle Sam engage au Burun­di près de 82 mil­lions de dol­lars chaque année pour des pro­grammes de san­té, sti­mu­ler la crois­sance éco­no­mique et… appuyer le ren­for­ce­ment de la démo­cra­tie. On pou­vait alors espé­rer que le ché­quier obtienne pour la liber­té de presse ce que la diplo­ma­tie avait échoué à arra­cher. Il n’en est rien. Et aux jour­na­listes locaux qui s’inquiétaient à la fin juin des retom­bées de cette loi sur la coopé­ra­tion des pays amis, la pré­si­dence répon­dait que tout allait pour le mieux. Le 11 juin, l’Allemagne signait une conven­tion de 2 mil­lions d’euros et le 17 juin, les États-Unis octroyaient 923.000 dol­lars à l’office burun­dais des Recettes…

Simon Tourol


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