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Budget, inscriptions : les grands travaux inachevés de l’école

Numéro 1 Janvier 2010 - école enseignement par Donat Carlier

janvier 2010

Dès les pre­mières semaines de son man­dat, Marie-Domi­­nique Simo­net, la nou­velle ministre de l’Enseignement, est par­ve­nue à pas­ser au tra­vers des deux obs­tacles majeurs : la confec­tion du bud­get 2011 et la remise à plat du dos­sier des ins­crip­tions en pre­mière année du secon­daire. Sous des dehors qui avaient pu appa­raitre mal­adroits au départ, sa stra­té­gie a été dans […]

Dès les pre­mières semaines de son man­dat, Marie-Domi­nique Simo­net, la nou­velle ministre de l’Enseignement, est par­ve­nue à pas­ser au tra­vers des deux obs­tacles majeurs : la confec­tion du bud­get 2011 et la remise à plat du dos­sier des ins­crip­tions en pre­mière année du secon­daire. Sous des dehors qui avaient pu appa­raitre mal­adroits au départ, sa stra­té­gie a été dans les deux cas iden­tique et tem­po­rai­re­ment gagnante : envoyer des bal­lons d’essai pour ras­su­rer ses alliés et son élec­to­rat, mais éga­le­ment pla­cer la barre des négo­cia­tions fort haut et pré­pa­rer ain­si les esprits à des étapes ulté­rieures. La méthode est cer­tai­ne­ment cou­rante, mais son emploi sys­té­ma­tique en dit long sur les dif­fi­cul­tés de gou­ver­ne­ment des poli­tiques sco­laires en Bel­gique fran­co­phone. Le jeu de contraintes induit par le pou­voir rela­tif de cha­cun des acteurs (syn­di­cats, réseaux, pou­voirs publics, caté­go­ries diverses de per­son­nels, parents, asso­cia­tions, etc.) est tel que le pro­ces­sus de négo­cia­tions risque en per­ma­nence de débou­cher sur le blo­cage ou la déci­sion inap­pro­priée. Marie-Domi­nique Simo­net a pu glo­ba­le­ment l’éviter, mais non sans payer un autre prix : contour­ner en par­tie les défis pour recu­ler dans le temps le moment où il fau­dra prendre des déci­sions plus cohérentes.

Le sombre horizon de 2011

La confec­tion du bud­get 2010 de la Com­mu­nau­té a ain­si débou­ché sur un petit miracle : les mesures dras­tiques d’économie qui avaient été avan­cées (aug­men­ta­tion à son maxi­mum de la plage horaire des ensei­gnants et fin des pré­pen­sions à cin­quante-cinq ans) se sont éva­nouies comme par enchan­te­ment. Outre le report de quelques mesures limi­tées déci­dées par le pré­cé­dent gou­ver­ne­ment, l’essentiel des éco­no­mies dans l’enseignement se réa­li­se­ra par le report des rat­tra­pages pré­vus en faveur des bud­gets de fonc­tion­ne­ment des écoles sub­ven­tion­nées. De plus, l’enseignement obli­ga­toire ne devra prendre en charge qu’un peu plus de 50 mil­lions des 154 mil­lions d’économies à réa­li­ser en 2010 (dont l’essentiel pèse­ra sur les autres sec­teurs, culture, audio­vi­suel, repré­sen­tant une part pour­tant plus réduite que l’enseignement des dépenses com­mu­nau­taires). Vic­toire syn­di­cale ? Toute pro­vi­soire. Ce qu’on a peut-être un peu oublié, c’est que ces éco­no­mies ne cor­res­pondent pas aux pertes subies par le bud­get com­mu­nau­taire. Le gou­ver­ne­ment a en réa­li­té déci­dé de repor­ter le retour à l’équilibre et de tout miser sur un hypo­thé­tique redé­mar­rage de l’économie en 2010, sans lequel les res­pon­sables de la Com­mu­nau­té seront contraints à des coupes bien plus dures dès 2011.

Les pistes minis­té­rielles ont déjà fait leur retour par la fenêtre et celles rela­tives au sys­tème de pré­re­traite ensei­gnante ne pour­ront pro­ba­ble­ment plus être écar­tées après 2011. Mais la ques­tion essen­tielle pour l’avenir du métier d’enseignant et de l’école est de savoir ce qui sera mis en place entre­temps pour accom­pa­gner les nou­veaux ensei­gnants dans leurs pre­miers pas dans la profession.

Les inscriptions, par l’absurde

Un équi­libre plus stable que sur la ques­tion bud­gé­taire semble avoir été trou­vé dans le dos­sier rela­tif aux ins­crip­tions qui vient donc de faire l’objet d’un qua­trième décret en l’espace de quatre ans… La déci­sion prise est cepen­dant loin de régler toutes les dif­fi­cul­tés aux­quelles elle est cen­sée répondre et risque d’en créer de nou­velles si elle n’est pas com­plé­tée par d’autres mesures.

Là encore Marie-Domi­nique Simo­net a com­men­cé par avan­cer un texte qu’elle savait inac­cep­table pour ses par­te­naires et les acteurs les plus pro­gres­sistes du champ édu­ca­tif. Il pré­sen­tait le tour de force de péren­ni­ser la prio­ri­té accor­dée aux élèves des écoles pri­maires ados­sées à une école secon­daire, d’étendre ce prin­cipe d’adossement à d’autres écoles et de lais­ser le libre choix aux direc­tions quant au sys­tème de sélec­tion des ins­crip­tions des élèves dans les écoles où il y a plus de demandes que de places (tirage au sort ou liste de cri­tères à pon­dé­rer comme elles l’entendaient). Ce cri­tère d’adossement consti­tue un des nom­breux ver­rous qui empêchent le bras­sage des publics au moment du pas­sage en secon­daire : les parents choi­sis­sant l’école fon­da­men­tale ados­sée à un éta­blis­se­ment secon­daire répu­té s’y assu­rant des places ver­rouillées dès le début de la sco­la­ri­té. Il s’agissait de répondre aux cri­tiques et demandes des parents qui, par­mi ceux qui s’étaient oppo­sés aux décrets Are­na et Dupont, par­fois pour de très bonnes rai­sons, avaient en réa­li­té sim­ple­ment peur de perdre leur place plus ou moins garan­tie par leurs rela­tions et leur milieu social, dans des écoles recher­chées pour leur répu­ta­tion et sou­vent très sélec­tives. Il s’agissait paral­lè­le­ment de don­ner des gages aux demandes d’autonomie de ges­tion des direc­tions, par­ti­cu­liè­re­ment dans le libre catholique.

Conso­li­dant les méca­nismes de repro­duc­tion sociale, ce bal­lon d’essai mêlait cer­tains des élé­ments les moins bien conçus des pré­cé­dents décrets et ris­quait de plus de cumu­ler leurs défauts. Il avait donc toutes les chances de ne pas pas­ser. Les par­te­naires PS et Éco­lo du CDH ne pou­vaient que s’y oppo­ser, d’autant plus qu’il s’est in fine avé­ré que la « bulle » d’élèves non ins­crits créée par les défauts du décret Dupont s’est dégon­flée dès les pre­miers jours de la rentrée.

Ce dénoue­ment avait démon­tré par l’absurde que régu­ler les ins­crip­tions par des pro­cé­dures autres que le seul libre choix des parents entre des écoles en concur­rence s’est, dans les faits, révé­lé pos­sible, comme par­tout ailleurs dans le monde. Pra­ti­que­ment, il suf­fi­sait de consen­tir à un mini­mum de cen­tra­li­sa­tion des demandes d’inscriptions dans la mino­ri­té d’écoles concer­nées par un trop grand afflux. Mais poli­ti­que­ment et socia­le­ment, il fal­lait éga­le­ment que l’ensemble des acteurs s’enferrent pen­dant quatre ans dans des textes mal conçus, des dra­ma­ti­sa­tions et des conflits inso­lubles et finissent par essais et erreurs par trou­ver une voie qui fasse consensus.

Simple et complexe

Le texte du nou­veau décret, lon­gue­ment négo­cié en direct par les ministres des trois par­tis de la coa­li­tion, pré­sente de nom­breux avan­tages : en appa­rence plus simple d’utilisation pour l’ensemble des acteurs, il pré­voit des méca­nismes cen­tra­li­sés de trai­te­ment des demandes au moment où cela s’avère néces­saire et main­tient une prio­ri­té pour les élèves issus des 40 % d’écoles les plus défa­vo­ri­sées. Une plus grande et pro­gres­sive mixi­té des publics à l’entrée du secon­daire est donc per­mise par ce nou­veau décret.

Mais der­rière cette rela­tive sim­pli­ci­té d’utilisation pour les parents et les écoles se cache un méca­nisme d’une redou­table com­plexi­té faite de cri­tères de prio­ri­tés et de cri­tères de clas­se­ment en cas de sur­plus. Qui pour­ra s’y retrou­ver si ce n’est les parents à même de com­prendre et mani­pu­ler ces mul­tiples para­mètres ? D’autant plus que rien n’est envi­sa­gé pour régu­ler l’information don­née aux parents par cha­cune des écoles et direc­tions, pour cibler cette infor­ma­tion sur le tra­vail en par­te­na­riat avec les milieux popu­laires. De plus, si le prin­cipe d’adossement est quant à lui ame­né à s’éteindre, l’école pri­maire fré­quen­tée inter­vient dans trois cri­tères de clas­se­ment. Des rai­sons louables à prio­ri sont avan­cées (par­te­na­riat visant à assu­rer la tran­si­tion péda­go­gique entre le fon­da­men­tal et le secon­daire, réduc­tion des dépla­ce­ments, etc.), mais avec comme effet per­vers de voir accen­tuer encore un peu plus le report jusqu’en mater­nelle de la com­pé­ti­tion pour la soi-disant « bonne école secondaire ».

Accompagner la mixité

L’autre ques­tion fon­da­men­tale non trai­tée par ce texte est celle de l’accompagnement des élèves moins per­for­mants sco­lai­re­ment et/ou issus de milieux sociaux plus popu­laires dans des écoles aux habi­tudes plus sélec­tives. Com­ment s’assurer que les pra­tiques péda­go­giques vont s’ajuster aux besoins de ces élèves ? La mixi­té sco­laire n’est pas en soi une for­mule miracle, une solu­tion tech­nique à tous nos maux : dans la pra­tique des classes, elle consti­tue sur­tout un défi.

Mieux répar­tir des publics plus hété­ro­gènes dans toutes les classes et les écoles est essen­tiel pour lut­ter contre la ségré­ga­tion sco­laire qui conduit à la concen­tra­tion des élèves en grande dif­fi­cul­té sociale et sco­laire dans des écoles dont les ensei­gnants ne peuvent qu’être dépas­sés. A contra­rio, l’hétérogénéité sco­laire n’est pas simple à gérer au quo­ti­dien sans accom­pa­gne­ment des ensei­gnants qui auront à la mettre en œuvre. La mixi­té est en réa­li­té avant tout un pro­jet poli­tique, social et péda­go­gique auquel cer­tains groupes sociaux domi­nants résistent tout en disant par­fois ne pas y être oppo­sés, mais sans vou­loir en réa­li­té en payer le prix.

Occasion manquée ?

Pour inci­ter les écoles plus sélec­tives à mettre tout en œuvre pour assu­rer la réus­site des plus faibles, il fau­dra aus­si les obli­ger à orga­ni­ser du sou­tien sco­laire et un pre­mier degré dif­fé­ren­cié qui accueille les élèves les plus en dif­fi­cul­té. Mais il fau­drait pro­ba­ble­ment éga­le­ment réflé­chir à leur don­ner des moyens sup­plé­men­taires atta­chés à la pré­sence de ce nou­veau public, comme le pré­voit le Gelijke Onder­wi­js­kan­sen Decreet en Flandre, mais pas la réforme de la dis­cri­mi­na­tion posi­tive en Com­mu­nau­té fran­çaise. Il ne suf­fit pas de don­ner plus aux écoles en grandes dif­fi­cul­tés, il faut s’assurer que les autres éta­blis­se­ments n’y rejettent pas les élèves qui ont échoué.

L’absence de toute ges­tion de ces dif­fé­rents méca­nismes par le biais de « bas­sins sco­laires » adap­tés aux réa­li­tés locales et inté­grant les inter­dé­pen­dances entre écoles consti­tue pro­ba­ble­ment une autre occa­sion man­quée de ce nou­veau texte. Mais il pré­voit cepen­dant la pos­si­bi­li­té d’organiser des pre­miers degrés secon­daires auto­nomes, des écoles qui ne seraient plus liées aux orien­ta­tions ulté­rieures en filières géné­rales et qua­li­fiantes et donc clas­sées d’emblée par les parents et la société.

L’apprentissage col­lec­tif long et dou­lou­reux de cette saga des ins­crip­tions et plus lar­ge­ment des poli­tiques de ren­for­ce­ment de l’égalité ne s’arrêtera pas là. Il devient chaque jour plus urgent de prendre à bras-le-corps et pro­fon­dé­ment en charge cet enjeu comme le défi bud­gé­taire. Par­ti­cu­liè­re­ment dans les grandes villes, et sur­tout à Bruxelles où, sous la pres­sion d’une frac­ture sociale qui s’approfondit ne fût-ce que par le jeu démo­gra­phique, la situa­tion devient chaque jour plus explosive.

Donat Carlier


Auteur

Né en 1971 à Braine-le-Comte, Donat Carlier est membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle depuis 1997. Actuellement Directeur du Consortium de validation des compétences, il a dirigé l’équipe du Bassin Enseignement Formation Emploi à Bruxelles, a conseillé Ministre bruxellois de l’économie, de l’emploi et de la formation ; et a également été journaliste, chercheur et enseignant. Titulaire d’un Master en sociologie et anthropologie, ses centres d’intérêts le portent vers la politique belge, et plus particulièrement l’histoire sociale, politique et institutionnelle de la construction du fédéralisme en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre. Il a également écrit sur les domaines de l’éducation et du monde du travail. Il est plus généralement attentif aux évolutions actuelles de la société et du régime démocratiques.