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Budget belge : un débat crucial enterré

Numéro 3 Mars 2010 par Réginald Savage

mars 2010

Par­tout dans le monde, les États sont aux prises avec les effets déri­vés de la crise finan­cière et de ses retom­bées socioé­co­no­miques majeures sur leurs propres situa­tions bud­gé­taires. Au cœur de la tem­pête finan­cière et ban­caire, l’opinion publique a été frap­pée par l’ampleur des plans de sou­tien finan­cier appor­tés par les États à leur sys­tème ban­caire. Pourtant, […]

Par­tout dans le monde, les États sont aux prises avec les effets déri­vés de la crise finan­cière et de ses retom­bées socioé­co­no­miques majeures sur leurs propres situa­tions bud­gé­taires. Au cœur de la tem­pête finan­cière et ban­caire, l’opinion publique a été frap­pée par l’ampleur des plans de sou­tien finan­cier appor­tés par les États à leur sys­tème ban­caire. Pour­tant, même si ceci a évi­dem­ment lais­sé des traces impor­tantes sur le volume des dettes publiques natio­nales, l’impact glo­bal de ces opé­ra­tions finan­cières sur les défi­cits bud­gé­taires annuels des États est res­té des plus limi­tés et pour­rait être neutre, voire même posi­tif dans le cas belge en cas de nor­ma­li­sa­tion de la situa­tion bancaire.

La crise a bon dos…

Il n’en reste que dans le cas belge, le défi­cit public s’est sol­dé en 2009 par un « trou » de 6% de PIB, du jamais vu depuis le début des années nonante, avant la grande vague d’assainissement en vue de faire entrer la Bel­gique dans la zone euro. Ce défi­cit est aus­si le double du maxi­mum auto­ri­sé par le trai­té de Maas­tricht, même si les nou­velles règles du Pacte de sta­bi­li­té euro­péen auto­risent un dépas­se­ment très tem­po­raire en cas de cir­cons­tances jugées tout à fait excep­tion­nelles — ce qui a été le cas en 2009, mais devrait ces­ser de l’être dès 2011 – 2012. Les auto­ri­tés belges se consolent en fai­sant valoir que nous res­tons gros­so modo dans la moyenne euro­péenne, en dehors du pre­mier cercle des pays dits « à risques » (Grèce, Por­tu­gal, mais aus­si Espagne et Irlande). Cepen­dant, la dété­rio­ra­tion belge par rap­port aux résul­tats 2008 — un défi­cit de 1,2% de PIB « seule­ment » — reste très impor­tante et dépasse lar­ge­ment ce qui peut être impu­té aux seules retom­bées bud­gé­taires de la crise (moins-values fis­cales, dépenses addi­tion­nelles de chô­mage, etc.). Selon les esti­ma­tions dis­po­nibles les plus récentes, le défi­cit public struc­tu­rel belge — c’est-à-dire pré­ci­sé­ment le défi­cit cor­ri­gé pour les effets induits de la crise — se serait éta­bli à un niveau éle­vé com­pris entre 4 et 5% de PIB selon les métho­do­lo­gies rete­nues1. Les mêmes sources donnent une dété­rio­ra­tion en deux ans (de 2007 à 2009) de res­pec­ti­ve­ment 2,8 et 4% de PIB, soit lar­ge­ment plus que ce qui peut être impu­té (0,5 à 0,7% de PIB offi­ciel­le­ment…) au plan de relance belge mis en place par les auto­ri­tés en 2009 dans le cadre du plan de relance euro­péen concer­té. Bref, la dété­rio­ra­tion mar­quée des finances publiques belges depuis deux ans au moins com­prend une forte com­po­sante struc­tu­relle ou « déli­bé­rée et dis­cré­tion­naire » qui est indé­pen­dante des retom­bées cycliques et même plus durables de la crise actuelle.

Une feuille de route budgétaire déjà plus respectée avant la crise

Déjà en 2008, alors même que les objec­tifs bud­gé­taires belges offi­ciels avaient déjà été sys­té­ma­ti­que­ment révi­sés à la baisse au fil des pro­grammes de sta­bi­li­té suc­ces­sifs sou­mis par les auto­ri­tés belges à la Com­mis­sion euro­péenne, le défi­cit enre­gis­tré (– 1,2% de PIB) s’était éta­bli loin de l’objectif d’un sur­plus de 0,5% de PIB ins­crit au pro­gramme de sta­bi­li­té de fin 2006. Cela met­tait déjà à l’époque sérieu­se­ment en doute l’ensemble de la stra­té­gie belge de pré­fi­nan­ce­ment au moins par­tiel du cout bud­gé­taire du vieillis­se­ment, par l’accumulation pro­gres­sive de sur­plus et leur mise en réserve. D’autant plus que ce résul­tat médiocre s’inscrivait au terme d’une période favo­rable de crois­sance sou­te­nue (en 2004 et sur­tout 2006 – 2007).

Quoi qu’il en soit, la situa­tion bud­gé­taire en 2009 et le défi­cit atten­du pour 2010 (autour de 5% de PIB) signi­fient que cette stra­té­gie est en lam­beaux ou en situa­tion de coma pro­fond. À court terme, c’est-à-dire dans une pre­mière phase inter­mé­diaire, les auto­ri­tés belges sont aujourd’hui confron­tées, sous l’aiguillon des injonc­tions euro­péennes — et peut-être demain sous celui de la pres­sion des « mar­chés finan­ciers » — à l’impératif de reprendre le contrôle de la situa­tion bud­gé­taire et de rame­ner à court-moyen terme le défi­cit belge sous la fameuse barre des 3% de PIB. Ce seuil est loin d’être arbi­traire ou « maso­chiste » car il cor­res­pond à peu près au seuil en des­sous duquel il faut redes­cendre impé­ra­ti­ve­ment dans le cas belge pour cas­ser l’«effet boule de neige » de la dette et de ses charges finan­cières, effet boule de neige qui est fran­che­ment réen­clen­ché depuis 2009. Ini­tia­le­ment, ce retour sous les 3% était pré­vu pour l’année 2013, sui­vant en cela les recom­man­da­tions du Conseil supé­rieur des finances (CSF) dans son avis de sep­tembre 2009. Cela devait consti­tuer une pre­mière étape dans le cadre d’une stra­té­gie bud­gé­taire offi­ciel­le­ment adop­tée de retour à l’équilibre bud­gé­taire en 2015 — au-delà donc du res­pect de la norme euro­péenne mini­male des 3% de PIB. Entre­temps, les dif­fé­rents niveaux de pou­voirs publics se sont atte­lés à la confec­tion des bud­gets 2010 (tous niveaux de pou­voirs) et même déjà aus­si 2011 [pour le pou­voir fédé­ral et plus lar­ge­ment l’Entité I (sécu­ri­té sociale incluse)]. La Bel­gique étant aus­si — et plus que jamais — un État fédé­ral, il a fal­lu en automne répar­tir entre niveaux de pou­voirs les objec­tifs et efforts bud­gé­taires à réa­li­ser par les uns et les autres en vue d’atteindre en 2010 l’objectif glo­bal d’un défi­cit limi­té à 5,1% de PIB.

Une politique budgétaire sous haute surveillance européenne…

En novembre cepen­dant, le Conseil euro­péen, sur la base d’un avis docu­men­té des ser­vices de la Com­mis­sion, « reca­lait » sèche­ment le pro­gramme de sta­bi­li­té actua­li­sé tel que sou­mis par les auto­ri­tés belges. Il enjoi­gnait à celles-ci de revoir leur copie, en par­ti­cu­lier d’accélérer en 2011 – 2012 le pro­gramme d’assainissement pré­vu de manière à anti­ci­per d’un an le retour du défi­cit belge sous la barre des 3% de PIB (2012 au lieu de 2013 pré­vu). En clair, ceci impli­quait un effort bud­gé­taire addi­tion­nel de l’ordre de 1% de PIB (3,5 mil­liards d’euros) à répar­tir sur deux ans (2011 et 2012). Cette « sévé­ri­té » euro­péenne à l’égard de la Bel­gique est pour par­tie étayée et jus­ti­fiée dans l’argumentaire euro­péen par le niveau rela­ti­ve­ment éle­vé de la dette publique belge (pré­vue à 100% de PIB, voire au-delà en 2010) et par la vul­né­ra­bi­li­té addi­tion­nelle que pré­sente ce niveau au regard des risques réels de relè­ve­ment des taux d’intérêts euro­péens et/ou des primes de risques sur la dette belge.

En jan­vier de cette année, les auto­ri­tés belges sous pres­sion sou­met­taient un nou­veau pro­gramme de sta­bi­li­té (amen­dé et actua­li­sé) aux auto­ri­tés euro­péennes, et ce au terme d’un com­pro­mis poli­tique typi­que­ment belge. Le nou­veau pro­gramme s’alignait en effet en appa­rence sur les recom­man­da­tions euro­péennes (défi­cit sup­po­sé être rame­né à 3% de PIB dès 2012) et s’engageait à pré­ci­ser d’ici juin les mesures sus­cep­tibles d’atteindre les objec­tifs visés. Mais il se gar­dait bien d’expliquer com­ment, et par quelles mesures addi­tion­nelles, le défi­cit glo­bal allait être effec­ti­ve­ment rame­né à 4% de PIB en 2011 (le nou­vel objec­tif fixé). Or, mal­gré des hypo­thèses de crois­sance récem­ment revues à la hausse pour 2010 – 2011, par ailleurs jugées trop opti­mistes par d’aucuns (dont le FMI notam­ment), les der­nières pré­vi­sions bud­gé­taires (bud­get éco­no­mique de février) anti­cipent tou­jours impli­ci­te­ment, à poli­tique inchan­gée et donc hors nou­velles ini­tia­tives, un défi­cit 2011 plus éle­vé de l’ordre de 5% de PIB.

Une stratégie introuvable

Que conclure de ces diverses péri­pé­ties ? Faute d’un accord bud­gé­taire interne fort au niveau fédé­ral ain­si qu’avec les diverses enti­tés fédé­rées, le gou­ver­ne­ment fédé­ral navigue actuel­le­ment à vue, tablant au maxi­mum sur une reprise conjonc­tu­relle éven­tuel­le­ment plus forte qu’anticipée pour pas­ser sans faire — trop — de vagues le cap élec­to­ral des élec­tions légis­la­tives de l’été 2011. Le gros de l’effort bud­gé­taire com­plé­men­taire requis risque donc for­te­ment d’être repor­té à l’année 2012, à un moment déli­cat car les ques­tions ins­ti­tu­tion­nelles dif­fi­ciles revien­dront aus­si à ce moment sur la table.

Il faut recon­naitre que l’équation bud­gé­taire et poli­tique n’est pas simple. La reprise éco­no­mique reste fra­gile et incer­taine. L’effort bud­gé­taire requis pour rame­ner effec­ti­ve­ment le défi­cit bud­gé­taire belge à 3% de PIB en 2012, puis pour reve­nir à l’équilibre en 2015, est en effet consi­dé­rable. Cela repré­sente, selon les esti­ma­tions les plus récentes du Conseil supé­rieur des finances, un effort cumu­lé (2010 y com­pris) qui peut être esti­mé à près de 6% de PIB en six ans (soit l’équivalent de près de quatre années de crois­sance poten­tielle). Il s’agit d’un effort signi­fi­ca­ti­ve­ment supé­rieur à celui qui a été néces­saire, pen­dant les années nonante (en par­ti­cu­lier 1993 – 1997) pour rame­ner le défi­cit belge sous la barre des 3% de PIB et assu­rer ain­si la par­ti­ci­pa­tion belge à l’euro. Sans doute pour ne pas effa­rou­cher le consom­ma­teur — ou l’électeur poten­tiel…? — ce constat est soi­gneu­se­ment tu, voire nié par la qua­si-tota­li­té de la classe poli­tique2. On se trouve ain­si dans une situa­tion schi­zo­phré­nique où une majo­ri­té claire du monde poli­tique et socioé­co­no­mique (par­te­naires sociaux notam­ment) sous­crit en prin­cipe et offi­ciel­le­ment à des objec­tifs bud­gé­taires ambi­tieux sans en recon­naitre ni en débattre ouver­te­ment les impli­ca­tions en termes de réorien­ta­tions éco­no­miques concrètes (fis­cales, sociales, bud­gé­taires, sala­riales, ins­ti­tu­tion­nelles). Ce silence assour­dis­sant témoigne sans doute avant tout des cli­vages pro­fonds et des divi­sions mul­tiples et à ce stade irré­duc­tibles qui tra­versent le pay­sage poli­tique et socioé­co­no­mique belge sur des ques­tions pour­tant essentielles.

Quelle répar­ti­tion opé­rer, dans les efforts d’austérités iné­luc­tables et impo­sants à mettre en œuvre entre aug­men­ta­tions des pré­lè­ve­ments (sur quoi, sur qui?) et réduc­tions des dépenses (y com­pris sociales sans doute), et selon quels cri­tères répar­tir ces efforts entre niveaux de pou­voirs (pou­voir fédé­ral, sécu­ri­té sociale, Com­mu­nau­tés et Régions, com­munes et provinces)?

Quelle redé­fi­ni­tion à moyen et long terme du modèle de pro­tec­tion sociale (au sens large) dans un contexte de vieillis­se­ment ? Quelle place don­ner dans ce contexte aux indis­pen­sables ini­tia­tives face à l’autre enjeu majeur de long terme qu’est le chan­ge­ment climatique ?

Quelle redé­fi­ni­tion du mode de fonc­tion­ne­ment de la concer­ta­tion sociale et de la négo­cia­tion sala­riale inter­pro­fes­sion­nelle dans un contexte où l’ampleur des « marges » bud­gé­taires néga­tives inter­dit la pour­suite de la logique de « sub­ven­tion­ne­ment » public de la paix sociale par des allè­ge­ments mas­sifs, incon­di­tion­nels et cou­teux de coti­sa­tions sociales ?

Quelle redé­fi­ni­tion du fédé­ra­lisme bud­gé­taire et fis­cal belge — notam­ment des méca­nismes de finan­ce­ment des Com­mu­nau­tés et Régions et de leur auto­no­mie fis­cale — dans un contexte où la prise en charge finan­cière du vieillis­se­ment devra être assu­mée glo­ba­le­ment par l’ensemble des com­po­santes de l’État belge ?

Tout semble indi­quer que les majo­ri­tés poli­tiques actuelles ont — faute à ce stade de pou­voir tran­cher ces ques­tions — déci­dé de les enfouir pro­fon­dé­ment pour un temps au moins et de les sous­traire à un vaste débat public et démo­cra­tique pour­tant essen­tiel à une sor­tie de crise éclai­rée, durable et réfléchie.

  1. Métho­do­lo­gie de la Com­mis­sion euro­péenne pour le pre­mier chiffre, de la BNB pour le second.
  2. Une excep­tion notoire est l’ancien ministre SP.A Frank Van­den­broucke aujourd’hui en dis­grâce auprès de son propre parti.

Réginald Savage


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