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Brigitte ça y en a boula matari !

Numéro 11 Novembre 2010 par Christophe Mincke

avril 2015

Au cours des der­nières décen­nies, il est deve­nu du plus mau­vais gout d’être pater­na­liste avec les Noirs, d’être machiste, de railler les homo­sexuels ou de se lais­ser aller à des com­men­taires vaseux sur les han­di­ca­pés. Du moins en public. Nous sommes tous deve­nus des « per­sonnes », membres d’une même col­lec­ti­vi­té décloi­son­née, dans laquelle la dif­fé­rence est à la […]

Au cours des der­nières décen­nies, il est deve­nu du plus mau­vais gout d’être pater­na­liste avec les Noirs, d’être machiste, de railler les homo­sexuels ou de se lais­ser aller à des com­men­taires vaseux sur les han­di­ca­pés. Du moins en public. Nous sommes tous deve­nus des « per­sonnes », membres d’une même col­lec­ti­vi­té décloi­son­née, dans laquelle la dif­fé­rence est à la fois reven­di­quée indi­vi­duel­le­ment et consi­dé­rée comme non signi­fiante col­lec­ti­ve­ment. Les « per­sonnes âgées », « de cou­leur », « de petite taille », « défi­cientes men­tales » ou « les gays » ont enfin rem­pla­cé « les vieillards », « les Nègres », « les nains », « les débiles » et « les pédés ». Il faut se féli­ci­ter de cette évo­lu­tion, même si le dévoie­ment de cet auto­con­trôle, le poli­ti­que­ment cor­rect, peut par­fois deve­nir pesant.

La vague de fond a conduit à des reven­di­ca­tions inima­gi­nables à l’époque où mon père me lisait Tin­tin au Congo. Cet album, pré­ci­sé­ment, est dans le col­li­ma­teur de cer­tains bien­pen­so­crates. Les Noirs y sont pré­sen­tés comme de grands enfants, gen­tils et inno­cents, mais d’une arrié­ra­tion pitoyable. Les Blancs, eux, sont soit de méchants ban­dits, soit de dévoués civi­li­sa­teurs1. Et les lec­teurs seraient des demeu­rés (des per­sonnes influen­çables?) inca­pables de lire un livre avec la conscience de l’époque qui l’a pro­duit. Il est ques­tion d’interdire le livre, à tout le moins d’y insé­rer un aver­tis­se­ment sur la manière dont il convient de le com­prendre. On le voit, même lorsqu’ils sont un témoi­gnage d’un loin­tain pas­sé, les dis­cours pater­na­listes sont for­te­ment mis en cause.

Dans un tel cadre, les pro­pos de la ministre bruxel­loise Bri­gitte Grou­wels ne laissent pas de sur­prendre. Dans une entre­tien accor­dé à La Libre Bel­gique, elle affirme en effet que « Le Wal­lon aime avant tout pro­fi­ter de la vie, ne pas s’énerver. Même s’il est par­fois un peu lent, il est très agréable à fré­quen­ter. En bref, je dirais que le Wal­lon est tout le contraire du Fla­mand qui est stres­sé et veut que les choses avancent à tout prix. » Wal­lon et Fla­mand appa­raissent ain­si comme des oppo­sés : d’un côté, le gen­til Wal­lon, un peu pares­seux, mais tel­le­ment agréable à côtoyer dans ses verts pâtu­rages, de l’autre, un Fla­mand effi­cace mais stressé.

L’on note­ra qu’il est ici ques­tion de recon­naitre des qua­li­tés aux Wal­lons et (plu­tôt) des défauts aux Fla­mands. Mais leur nature n’est pas neutre, loin s’en faut. Au Sud, un Wal­lon valo­ri­sé sur un ton presque nos­tal­gique. « Ah, ces char­mants sau­vages qui ont su res­ter de grands enfants. Allez, ils sont plus heu­reux que nous, va ! » De l’autre, la recon­nais­sance de la froi­deur et du stress qu’impliquent un enra­ci­ne­ment dans le réel et la recherche de l’efficacité. Comme le Père Blanc qui affronte le cli­mat et les mala­dies pour sau­ver des âmes, comme l’industriel qui peine à mettre de « pares­seux Nègres » au tra­vail pour leur en apprendre les ver­tus, le Fla­mand se charge de la dou­leur du monde dans un effort pro­mé­théen de mai­trise du réel. S’il est désa­gréable par­fois, c’est qu’il se dévoue pour nous. Nous devrions lui être gré du sacri­fice de son innocence.

Mais, tout sym­pa­thiques qu’ils furent, les Noirs colo­ni­sés étaient consi­dé­rés comme des êtres infé­rieurs pour leur impro­duc­ti­vi­té et leur absence de dis­ci­pline. Ain­si pou­vait-on lire, dans un manuel sco­laire de 1946 que « le noir est indo­lent, peu pré­voyant et n’a que de très faibles besoins2. » Voi­là qui jus­ti­fiait une entre­prise civi­li­sa­trice et l’appropriation d’une terre qu’ils avaient lais­sé à l’abandon. Cette fois, le Wal­lon, pour char­mant qu’il soit, n’en est pas moins lent et épi­cu­rien, vices consi­dé­rables dans notre moder­ni­té ubi­qui­taire et mobi­li­taire. Les Fla­mands, entrés de plein pied dans la fré­né­sie bou­giste leur sont incon­tes­ta­ble­ment supé­rieurs et doivent mon­trer la voie à suivre.

Il n’est pas aujourd’hui ques­tion de Pères Blancs, mais il est temps de sevrer les Wal­lons d’un assis­ta­nat qui les main­tien dans un état de nature, certes folk­lo­rique, mais contre­pro­duc­tif. L’heure est venue de la res­pon­sa­bi­li­sa­tion ! Fixons donc au 30 juin l’indépendance que com­mencent à récla­mer cer­tains poli­tiques wal­lons et lâchons-les en rase cam­pagne. C’est pour leur bien. Quand ils s’en seront ren­du compte, les Wal­lons, comme ces vil­la­geois congo­lais orphe­lins de Tin­tin suite à son départ pour l’Amérique, pour­ront dire dans leur si tou­chant sabir : « Bri­gitte, ça y en a bou­la matari ! »

  1. Pour ne pas par­ler ici de l’apologie du dyna­mi­tage de rhinocéros.
  2. Dus­sart et Contre­ras, Géo­gra­phie de la Bel­gique et du Congo belge à l’usage de l’enseignement moyen du degré supé­rieur et de l’enseignement nor­mal, Kraent­zel et Mahy, 1946, cité par D. Cou­vreur, Tin­tin au Congo de papa, Bruxelles, Ed. Mou­lin­sart, 2010, p. 30.

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.