Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Brigitte ça y en a boula matari !
Au cours des dernières décennies, il est devenu du plus mauvais gout d’être paternaliste avec les Noirs, d’être machiste, de railler les homosexuels ou de se laisser aller à des commentaires vaseux sur les handicapés. Du moins en public. Nous sommes tous devenus des « personnes », membres d’une même collectivité décloisonnée, dans laquelle la différence est à la […]
Au cours des dernières décennies, il est devenu du plus mauvais gout d’être paternaliste avec les Noirs, d’être machiste, de railler les homosexuels ou de se laisser aller à des commentaires vaseux sur les handicapés. Du moins en public. Nous sommes tous devenus des « personnes », membres d’une même collectivité décloisonnée, dans laquelle la différence est à la fois revendiquée individuellement et considérée comme non signifiante collectivement. Les « personnes âgées », « de couleur », « de petite taille », « déficientes mentales » ou « les gays » ont enfin remplacé « les vieillards », « les Nègres », « les nains », « les débiles » et « les pédés ». Il faut se féliciter de cette évolution, même si le dévoiement de cet autocontrôle, le politiquement correct, peut parfois devenir pesant.
La vague de fond a conduit à des revendications inimaginables à l’époque où mon père me lisait Tintin au Congo. Cet album, précisément, est dans le collimateur de certains bienpensocrates. Les Noirs y sont présentés comme de grands enfants, gentils et innocents, mais d’une arriération pitoyable. Les Blancs, eux, sont soit de méchants bandits, soit de dévoués civilisateurs1. Et les lecteurs seraient des demeurés (des personnes influençables?) incapables de lire un livre avec la conscience de l’époque qui l’a produit. Il est question d’interdire le livre, à tout le moins d’y insérer un avertissement sur la manière dont il convient de le comprendre. On le voit, même lorsqu’ils sont un témoignage d’un lointain passé, les discours paternalistes sont fortement mis en cause.
Dans un tel cadre, les propos de la ministre bruxelloise Brigitte Grouwels ne laissent pas de surprendre. Dans une entretien accordé à La Libre Belgique, elle affirme en effet que « Le Wallon aime avant tout profiter de la vie, ne pas s’énerver. Même s’il est parfois un peu lent, il est très agréable à fréquenter. En bref, je dirais que le Wallon est tout le contraire du Flamand qui est stressé et veut que les choses avancent à tout prix. » Wallon et Flamand apparaissent ainsi comme des opposés : d’un côté, le gentil Wallon, un peu paresseux, mais tellement agréable à côtoyer dans ses verts pâturages, de l’autre, un Flamand efficace mais stressé.
L’on notera qu’il est ici question de reconnaitre des qualités aux Wallons et (plutôt) des défauts aux Flamands. Mais leur nature n’est pas neutre, loin s’en faut. Au Sud, un Wallon valorisé sur un ton presque nostalgique. « Ah, ces charmants sauvages qui ont su rester de grands enfants. Allez, ils sont plus heureux que nous, va ! » De l’autre, la reconnaissance de la froideur et du stress qu’impliquent un enracinement dans le réel et la recherche de l’efficacité. Comme le Père Blanc qui affronte le climat et les maladies pour sauver des âmes, comme l’industriel qui peine à mettre de « paresseux Nègres » au travail pour leur en apprendre les vertus, le Flamand se charge de la douleur du monde dans un effort prométhéen de maitrise du réel. S’il est désagréable parfois, c’est qu’il se dévoue pour nous. Nous devrions lui être gré du sacrifice de son innocence.
Mais, tout sympathiques qu’ils furent, les Noirs colonisés étaient considérés comme des êtres inférieurs pour leur improductivité et leur absence de discipline. Ainsi pouvait-on lire, dans un manuel scolaire de 1946 que « le noir est indolent, peu prévoyant et n’a que de très faibles besoins2. » Voilà qui justifiait une entreprise civilisatrice et l’appropriation d’une terre qu’ils avaient laissé à l’abandon. Cette fois, le Wallon, pour charmant qu’il soit, n’en est pas moins lent et épicurien, vices considérables dans notre modernité ubiquitaire et mobilitaire. Les Flamands, entrés de plein pied dans la frénésie bougiste leur sont incontestablement supérieurs et doivent montrer la voie à suivre.
Il n’est pas aujourd’hui question de Pères Blancs, mais il est temps de sevrer les Wallons d’un assistanat qui les maintien dans un état de nature, certes folklorique, mais contreproductif. L’heure est venue de la responsabilisation ! Fixons donc au 30 juin l’indépendance que commencent à réclamer certains politiques wallons et lâchons-les en rase campagne. C’est pour leur bien. Quand ils s’en seront rendu compte, les Wallons, comme ces villageois congolais orphelins de Tintin suite à son départ pour l’Amérique, pourront dire dans leur si touchant sabir : « Brigitte, ça y en a boula matari ! »
- Pour ne pas parler ici de l’apologie du dynamitage de rhinocéros.
- Dussart et Contreras, Géographie de la Belgique et du Congo belge à l’usage de l’enseignement moyen du degré supérieur et de l’enseignement normal, Kraentzel et Mahy, 1946, cité par D. Couvreur, Tintin au Congo de papa, Bruxelles, Ed. Moulinsart, 2010, p. 30.