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Brève présentation de la note Marcourt

Numéro 3 Mars 2012 par Jean-Émile Charlier

février 2012

Nul ne sait ce qu’il sera adve­nu de la note au gou­ver­ne­ment de la Com­mu­nau­té fran­çaise, dont l’ob­jet est le pay­sage de l’en­sei­gne­ment supé­rieur en Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, signée du ministre de l’En­sei­gne­ment supé­rieur, Jean-Claude Mar­court, quand parai­tra ce numé­ro de La Revue nou­velle. Après avoir été abon­dam­ment com­men­tée et ana­ly­sée pen­dant l’é­té, elle aura don­né lieu à quelques décla­ra­tions qui en ont reje­té cer­tains élé­ments, sans aucune ambigüi­té. À la mi-février, les dis­cus­sions autour de la note sont sus­pen­dues, d’autres dos­siers se sont impo­sés et l’ur­gence de redes­si­ner le pay­sage de l’en­sei­gne­ment supé­rieur n’ap­pa­rait plus avec la même évi­dence que voi­ci quelques semaines. Si elle a beau­coup cir­cu­lé dans tous les milieux concer­nés, cette note n’a tou­te­fois pas été dif­fu­sée dans le public, il est donc oppor­tun, avant de la com­men­ter, de la pré­sen­ter brièvement.

LA STRUCTURE, LES APPUIS

C’est une note de dix-neuf pages, struc­tu­rée en douze sec­tions numé­ro­tées de a à l. La sec­tion a, Expo­sé du dos­sier, occupe à elle seule seize pages, qui contiennent tous les élé­ments qui ont sus­ci­té ou sus­citent encore la polé­mique. Les pre­mières lignes de la note indiquent les appuis que prennent ses auteurs et leurs objec­tifs : « Confor­mé­ment à la Décla­ra­tion de poli­tique com­mu­nau­taire 2009 – 2014 du gou­ver­ne­ment de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, dans la droite ligne de la Table ronde de l’enseignement supé­rieur, la pré­sente note dresse les contours futurs du pay­sage de l’enseignement supé­rieur en Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles en vue de ren­for­cer davan­tage son excel­lence et la cohé­rence de son offre d’enseignement, au béné­fice des étu­diants et des per­son­nels. » Suivent des rétro­actes, dans les­quels on lit que grâce au décret dit de Bologne du 31 mars 2004, « la cohé­rence de l’offre d’enseignement supé­rieur en Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles s’est pro­gres­si­ve­ment ren­for­cée. Aujourd’hui, elle demeure tou­te­fois impar­faite, inache­vée, au détri­ment prin­ci­pa­le­ment des étu­diants ». Les aca­dé­mies « n’ont pas, en dépit des col­la­bo­ra­tions étroites ini­tiées, été au bout d’un pro­ces­sus qui, au demeu­rant, res­tait exclu­si­ve­ment uni­ver­si­taire et fai­sait donc fi de la moi­tié des étu­diants ins­crits dans notre ensei­gne­ment supé­rieur ». La table ronde est éga­le­ment évo­quée, qui « avait prin­ci­pa­le­ment pour objet de ten­ter de défi­nir, avec l’ensemble des acteurs concer­nés, ce cadre cohé­rent pour notre ensei­gne­ment supé­rieur au sein duquel cha­cune des ins­ti­tu­tions pour­ra, dans le cadre de son auto­no­mie et de sa liber­té aca­dé­mique, trou­ver sa place […]». Les objec­tifs sont de « pour­suivre et d’amplifier l’action en faveur de la démo­cra­ti­sa­tion de l’enseignement, […] de ren­for­cer les syner­gies et les col­la­bo­ra­tions entre ins­ti­tu­tions, en matière de recherche […] et d’offre d’enseignement […] et de conti­nuer à réduire les concur­rences entre éta­blis­se­ments d’enseignement supérieur […]».

Quelques points de la Décla­ra­tion de poli­tique com­mu­nau­taire sont rap­pe­lés : « Le gou­ver­ne­ment […] estime […] indis­pen­sable de fixer un cadre qui balise les pro­ces­sus de fusions, afin d’éviter, entre autres, une dimi­nu­tion de l’offre et de l’accès à l’enseignement supé­rieur» ; « Il faut éga­le­ment faire en sorte que les fusions suivent davan­tage une logique géo­gra­phique qu’une logique de réseaux. » La table ronde est pré­sen­tée comme une ins­tance de mise enœuvre de la Décla­ra­tion de poli­tique com­mu­nau­taire. La contri­bu­tion de Miguel Sou­to Lopez et de Phi­lippe Vienne, dans cette livrai­son de La Revue nou­velle, décrit et ana­lyse ce qui est repris de la table ronde dans la note Mar­court et mesure les écarts entre les deux docu­ments. Rele­vons quant à nous que c’est dans cette sec­tion qu’est pré­sen­té concrè­te­ment le pro­jet de remo­de­ler le pay­sage de l’enseignement supé­rieur, ce qui sup­pose « le ren­for­ce­ment de dis­po­si­tifs exis­tants, voire l’émergence de struc­tures de “ras­sem­ble­ment” souples et effi­caces : des pôles aca­dé­miques qui, ayant l’étudiant et son par­cours comme fil rouge, doivent prio­ri­tai­re­ment ren­con­trer les pré­oc­cu­pa­tions en matière d’enseignement supé­rieur ; un dis­po­si­tif confé­dé­ra­teur, ou une confé­dé­ra­tion, des­ti­né à favo­ri­ser les inter­ac­tions entre ins­ti­tu­tions dans diverses dimen­sions : recherches, rela­tions inter­na­tio­nales et coopé­ra­tion au développement ».

Le point 4 de la sec­tion a, lourd de plus de trois pages, reprend la liste des contri­bu­tions ins­ti­tu­tion­nelles au non-paper por­tant sur la réforme de l’enseignement supé­rieur en Com­mu­nau­té fran­çaise de Bel­gique que le ministre a adres­sé à une série de res­pon­sables de l’enseignement supé­rieur le 9 mai 2011. Cer­tains argu­ments, comme celui émis par le conseil des rec­teurs, qui pré­co­ni­sait une struc­ture en trois niveaux sont rapi­de­ment démon­tés : «[…] la moti­va­tion […] de cette pro­po­si­tion est de pré­ser­ver […] une cer­taine auto­no­mie et une visi­bi­li­té spé­ci­fique pour cer­tains types d’établissements ou cer­tains sec­teurs. […] Cet objec­tif peut être atteint sans néces­sai­re­ment démul­ti­plier les struc­tures ni les niveaux. » D’autres argu­ments sont repris : « Pour le Conseil inter­ré­seaux de concer­ta­tion (CIC) […] “cette confé­dé­ra­tion unique devrait héri­ter de com­pé­tences en matière de recherche, de rela­tions inter­na­tio­nales, d’écoles doc­to­rales”». Il est éga­le­ment indi­qué que le « cic et la cgsp ensei­gne­ment plaident pour un maxi­mum de cinq pôles sur l’ensemble de la Fédé­ra­tion Wallonie-Bruxelles […]».

ares ET PÔLES

Le point 5 de la sec­tion a, Vers un ensei­gne­ment supé­rieur mieux orga­ni­sé, pré­sente en neuf pages orga­ni­sées en trois sous-sec­tions le pro­jet de réforme du ministre. Une pre­mière sous-sec­tion, Des objec­tifs prin­ci­paux sous-jacents au nou­veau pay­sage, opère une reprise orga­ni­sée de tous les argu­ments déjà pré­sen­tés. Les objec­tifs sont rap­pe­lés en un para­graphe : « Repla­cer l’étudiant au centre» ; « pro­mou­voir la réus­site» ; « garan­tir l’excellence de notre recherche» ; « assu­rer la visi­bi­li­té inter­na­tio­nale de nos ins­ti­tu­tions et de nos centres de recherche ». Les choix du gou­ver­ne­ment sont affir­més et cha­cun d’eux est rap­por­té à une fina­li­té incon­tes­table : « Uni­ci­té de notre ensei­gne­ment supé­rieur pour pro­mou­voir son excel­lence » et « proxi­mi­té, qui doit per­mettre à tous les étu­diants d’avoir accès à une offre de qua­li­té par­tout ». Tous les para­mètres inter­ve­nus dans la déci­sion sont rap­pe­lés : « La volon­té d’atteindre […] une taille cri­tique par rap­port à l’échelon inter­na­tio­nal» ; le res­pect de « l’impératif du bon usage des moyens publics» ; la néces­si­té de « tenir compte de l’histoire de nos ins­ti­tu­tions d’enseignement supé­rieur, de leur auto­no­mie et de leur volon­té légi­time de pour­suivre libre­ment leurs col­la­bo­ra­tions ». Les fina­li­tés sont redites une ultime fois : « Amé­lio­rer la qua­li­té de l’enseignement au pro­fit de tous les étu­diants » et « déve­lop­per une recherche d’excellence, les deux étant indis­so­ciables ». Pour ce faire, il faut « sim­pli­fier le sys­tème » et « favo­ri­ser les col­la­bo­ra­tions entre établissements ».

« Les éta­blis­se­ments d’enseignement supé­rieur exis­tants […] conser­ve­ront leur sta­tut, leur spé­ci­fi­ci­té et leur auto­no­mie. De nou­velles enti­tés col­la­bo­ra­tives et struc­tu­rantes des­ti­nées à accueillir les acti­vi­tés com­munes et les mis­sions trans­ver­sales, ain­si qu’à coor­don­ner les mis­sions de ser­vice public confiées aux éta­blis­se­ments d’enseignement supé­rieur seront mises en place. »

La pre­mière de ces nou­velles enti­tés est « une struc­ture fai­tière unique […], ARES (Aca­dé­mie de recherche et d’enseignement supé­rieur) dont les rôles prin­ci­paux seront la repré­sen­ta­tion de notre sys­tème d’enseignement supé­rieur comme une seule enti­té com­pa­rable aux autres struc­tures étran­gères […] et la coor­di­na­tion des acti­vi­tés ». « Les mis­sions de l’ARES seront notam­ment : la coor­di­na­tion, ins­tance d’avis et de pro­po­si­tion notam­ment en matière de répar­ti­tion glo­bale des habi­li­ta­tions d’enseignement, des grands pro­jets et pro­grammes de recherches (exemples : PAI, ARC, Wel­bio, PM2.vert, etc.), des études sta­tis­tiques, etc.; la repré­sen­ta­tion inter­na­tio­nale ; la coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment ; la coor­di­na­tion des écoles doc­to­rales, centres de recherche fédé­rés et cur­sus spé­cia­li­sés ; la coor­di­na­tion de la vie étu­diante dans ses aspects trans­ver­saux et le sta­tut de l’étudiant en géné­ral […]; les sta­tis­tiques ; la coor­di­na­tion des for­ma­tions conti­nues ; l’information et le conseil. »

La note pré­voit par ailleurs « cinq enti­tés décen­tra­li­sées auto­nomes, bap­ti­sées « Pôles aca­dé­miques d’enseignement supé­rieur » (PAES) regrou­pant les éta­blis­se­ments d’enseignement supé­rieur éta­blis dans leur zone géo­gra­phique […]». « Un pôle coor­don­ne­ra les acti­vi­tés com­munes de ses membres […] et orga­ni­se­ra des ser­vices com­muns à ses ins­ti­tu­tions membres. […] Le pôle sera éga­le­ment le relai entre l’ARES et les éta­blis­se­ments membres du pôle. Un pôle sera éga­le­ment un éta­blis­se­ment d’enseignement supé­rieur qui pour­rait rem­plir en son nom toutes les mis­sions que ses membres lui délè­gue­raient ou qui lui seraient attri­buées. » Cinq pôles sont pré­vus res­pec­ti­ve­ment pour Liège-Luxem­bourg, Namur, Hai­naut, Bra­bant wal­lon, Bruxelles. « Dans cha­cune des cinq zones géo­gra­phiques, le pôle de réfé­rence sera déter­mi­né autour de l’unique uni­ver­si­té de la zone ou de l’université la plus impor­tante de celle-ci. »

« On dira d’un éta­blis­se­ment d’enseignement supé­rieur qu’il est membre à titre prin­ci­pal du pôle de réfé­rence quand son siège social ou son implan­ta­tion prin­ci­pale est situé dans la zone géo­gra­phique cor­res­pon­dant au pôle. Cet éta­blis­se­ment aura la pos­si­bi­li­té d’être habi­li­té à des for­ma­tions d’enseignement supé­rieur en son nom propre. […] On dira d’un éta­blis­se­ment d’enseignement supé­rieur qu’il est membre à titre com­plé­men­taire du pôle de réfé­rence quand son siège social ou son implan­ta­tion prin­ci­pale est situé en dehors de la zone géo­gra­phique du pôle, mais qu’il y dis­pose déjà d’une implan­ta­tion fonc­tion­nelle. Cet éta­blis­se­ment pour­ra dis­po­ser d’habilitations au sein de ce pôle, mais toute nou­velle habi­li­ta­tion octroyée par le Par­le­ment devra se faire en codi­plô­ma­tion avec un éta­blis­se­ment membre à titre prin­ci­pal du pôle ou, en l’absence de com­pé­tences par­ta­gées, avec l’accord du pôle. En outre, l’octroi de cette habi­li­ta­tion devra être accep­té par les ins­tances du pôle de réfé­rence […]. Chaque éta­blis­se­ment ne peut faire par­tie, à titre prin­ci­pal, que d’un seul pôle. Il peut être membre à titre com­plé­men­taire d’un ou de plu­sieurs autres pôles. » La nou­velle struc­ture vise « à pro­mou­voir une orga­ni­sa­tion cohé­rente de notre ensei­gne­ment supé­rieur tout en garan­tis­sant l’autonomie et la liber­té d’association de tous les éta­blis­se­ments [qui] devront néces­sai­re­ment col­la­bo­rer pour assu­rer la cohé­rence de l’offre d’enseignement supé­rieur sur cette zone ». « À terme, le méca­nisme géné­ral de répar­ti­tion du finan­ce­ment public de l’enseignement supé­rieur en Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles devra être revu en fonc­tion de cette évo­lu­tion du paysage. »

Les sec­tions B à L reprennent une série de men­tions habi­tuelles dans ce type de note. Seule la sec­tion c mérite une atten­tion plus sou­te­nue : « La pré­sente note, et l’organisation du pay­sage de l’enseignement supé­rieur en Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles qu’elle pré­fi­gure, ne vise en aucun cas à faire réa­li­ser des éco­no­mies bud­gé­taires dans ce secteur. »

LE LIFTING DE L’AUTOMNE

Une nou­velle ver­sion de la note est sor­tie en novembre. La modi­fi­ca­tion la plus signi­fi­ca­tive concerne le sta­tut de l’UCL dans le pôle de Bruxelles. Dans la pre­mière ver­sion, la logique ter­ri­to­riale s’imposait sans réserve, dans la seconde, elle est très légè­re­ment tem­pé­rée par une conces­sion dont le carac­tère dou­lou­reux est ren­du expli­cite tant par l’usage des carac­tères gras [ici ita­liques] que par l’insistance mise à sou­li­gner le carac­tère excep­tion­nel de la faveur faite à l’UCL : « Vu la situa­tion par­ti­cu­lière du cam­pus de Lou­vain-en-Woluwe — situé en Région de Bruxelles-Capi­tale — et afin de pré­ser­ver l’objectif de favo­ri­ser au sein des pôles toutes les formes de col­la­bo­ra­tions, notam­ment sur base [sic] de la proxi­mi­té géo­gra­phique des éta­blis­se­ments, l’UCL ain­si que les éta­blis­se­ments ayant un site sur ce cam­pus dédi­ca­cé au domaine de la san­té sont atta­chés à titre prin­ci­pal au pôle de Bruxelles pour ces matières et dis­ci­plines spé­ci­fiques liées à leurs acti­vi­tés sur ce cam­pus, et cela en dépit du fait que l’implantation prin­ci­pale des éta­blis­se­ments soit exté­rieure à la zone géo­gra­phique du pôle.» En clair, ce para­graphe embrouillé signi­fie que l’ucl pour­rait, le jour où la note Mar­court pren­drait la forme d’un texte contrai­gnant, déci­der seule de son déve­lop­pe­ment en sciences de la san­té à Louvain-en-Woluwe.

La nou­velle ver­sion de la note est expur­gée de quelques outrances conte­nues dans la pré­cé­dente. Par exemple, là où l’ancienne ver­sion annon­çait que « les rôles prin­ci­paux [de l’ARES] seront la repré­sen­ta­tion de notre sys­tème d’enseignement supé­rieur », la nou­velle intro­duit les nuances utiles pour ne fâcher per­sonne : « Les rôles prin­ci­paux seront, sans por­ter pré­ju­dice aux pré­ro­ga­tives des éta­blis­se­ments en la matière, la repré­sen­ta­tion de notre sys­tème d’enseignement supérieur. »

De la même manière, les fonc­tions du pôle sont pré­sen­tées d’une manière plus déli­cate. Dans le texte de juin, il était affir­mé : « Un pôle sera éga­le­ment un éta­blis­se­ment d’enseignement supé­rieur qui pour­rait donc rem­plir en son nom toutes les mis­sions que ses membres lui délè­gue­raient ou qui lui seraient attri­buées. » En novembre, « un pôle, lieu de dia­logue et de coopé­ra­tion entre des éta­blis­se­ments d’enseignement supé­rieur, pour­ra deve­nir éga­le­ment, si les ins­ti­tu­tions qui le com­posent le sou­haitent, un éta­blis­se­ment d’enseignement supé­rieur qui pour­rait donc rem­plir en son nom toutes les mis­sions que ses membres lui délè­gue­raient ou qui lui seraient attribuées ».

Ces modi­fi­ca­tions de forme laissent pen­ser que les par­te­naires défi­nissent pro­gres­si­ve­ment le péri­mètre de ce qui est négo­ciable et qu’ils adoptent peu à peu un glos­saire com­mun, res­pec­tueux des sen­si­bi­li­tés de toutes les parties.

Jean-Émile Charlier


Auteur

Jean-Émile Charlier est sociologue, professeur aux [facultés universitaires catholiques de Mons -> http://www.fucam.ac.be].