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Brésil. Un bras-de-fer au cœur du poumon de la planète

Numéro 11 Novembre 2009 par Charlotte Maisin

novembre 2009

Quand Mari­na Sil­va, ministre bré­si­lienne de l’Environnement sous le gou­ver­ne­ment du pré­sident Lula, a remis sa démis­sion en mai 2008, cer­tains ont ri, d’autres ont pleu­ré. Et quand, en juin 2009, elle a annon­cé sa can­di­da­ture aux élec­tions pré­si­den­tielles de 2010, on a enten­du des hour­ras et des grin­ce­ments de dents. Mais les rôles s’étaient inver­sés. Si les […]

Quand Mari­na Sil­va, ministre bré­si­lienne de l’Environnement sous le gou­ver­ne­ment du pré­sident Lula, a remis sa démis­sion en mai 2008, cer­tains ont ri, d’autres ont pleu­ré. Et quand, en juin 2009, elle a annon­cé sa can­di­da­ture aux élec­tions pré­si­den­tielles de 2010, on a enten­du des hour­ras et des grin­ce­ments de dents. Mais les rôles s’étaient inver­sés. Si les éco­lo­gistes peuvent comp­ter sur une can­di­date de choix pour les pré­si­den­tielles, la radi­ca­li­té de ses posi­tions en inquiète plus d’un.

Mari­na Sil­va était membre du Par­ti des Tra­vailleurs (PT, gauche, le par­ti poli­tique de Lula) depuis trente ans lorsqu’elle a remis sa démis­sion au pré­sident et a inté­gré le par­ti vert. Elle a acquis, au fil des années, une répu­ta­tion de sérieux, d’honnêteté et d’intégrité. Son com­bat pour la pro­tec­tion de l’environnement remonte loin. Ses parents, morts d’épuisement dans les plan­ta­tions de caou­tchouc, sont d’ailleurs les vic­times directes d’une sur­ex­ploi­ta­tion et d’une dila­pi­da­tion des res­sources de la forêt ama­zo­nienne. A‑t-elle, pour autant, une chance d’accéder à la fonc­tion de diri­geante ? « Selon moi, non », estime Chris­tian Dutilleux, jour­na­liste et cor­res­pon­dant pour de nom­breux quo­ti­diens belges au Bré­sil. « Il ne faut pas oublier que le Bré­sil est un État fédé­ral. Pour deve­nir pré­sident, il faut acqué­rir une base élec­to­rale solide dans les vingt-sept États du pays. Or, la can­di­da­ture de Mari­na Sil­va repose sur une base élec­to­rale trop faible. Le par­ti vert n’a pas la car­rure de por­ter un can­di­dat jusqu’au poste de président. »

Si son inves­tis­se­ment dans la cam­pagne pré­si­den­tielle ne suf­fit pas pour qu’elle devienne la pre­mière femme bré­si­lienne à diri­ger le pays, il aura sans doute le mérite de faire évo­luer un débat cru­cial pour le Bré­sil : celui qui affirme que l’écologie et l’industrialisation ne sont pas des enne­mis fra­tri­cides. Selon elle, la logique du bras de fer n’est pas tou­jours sou­hai­table et des rela­tions gagnantes-gagnantes entre les deux pôles peuvent se tis­ser. On pense, par exemple, aux entre­prises qui lancent des plans de repeu­ple­ment de forêts depuis que cer­taines banques refusent de leur prê­ter de l’argent si elles pré­voient de gros déboi­se­ments. C’est le cas de la Com­pan­hia Vale do Bio Doce qui fait de l’exploitation minière dans l’Amazonie1. Cette logique de pri­va­ti­sa­tion de l’Amazonie est sou­te­nue par l’ex-ministre Mari­na Sil­va, qui y voit le moyen de pré­ser­ver la forêt tout en ren­flouant les caisses de l’État et assu­rant de l’emploi aux Bré­si­liens. Néan­moins, cette démarche est cri­ti­quée lorsqu’elle est pous­sée à son paroxysme par des mil­lion­naires qui décident de s’acheter de grandes par­celles de forêt, licen­cient le per­son­nel qui y tra­vaille et veillent sur leur ter­rain comme si la pré­sence de l’humain était obli­ga­toi­re­ment néfaste. Quoi qu’il en soit, la can­di­da­ture de Mari­na Sil­va tein­te­ra les débats élec­to­raux de vert et per­met­tra de pas­ser outre des sché­mas trop simplistes.

Le Pro­gramme de déve­lop­pe­ment de l’Amazonie (PAS), cri­ti­qué par les défen­seurs d’une poli­tique fon­cière et agraire comme levier du déve­lop­pe­ment de la forêt, est actuel­le­ment géré par le ministre Man­ga­bei­ra Unger. Ce PAS, qui place les ques­tions juri­diques et de léga­li­sa­tion des pro­prié­tés comme l’élément cen­tral du déve­lop­pe­ment de l’Amazonie, devrait être au cœur des débats et du bras de fer qui concerne le pou­mon de la planète.

Amazonie une souveraineté non négociable

Elle avait fait le tour du monde par Inter­net, cette lettre de réponse d’un ancien ministre de l’Éducation bré­si­lien, Cris­tovão Buarque, à la pro­po­si­tion de Pas­cal Lamy (à cette époque can­di­dat au poste de direc­teur géné­ral de l’Organisation mon­diale du com­merce) qui sug­gé­rait que les forêts tro­pi­cales mon­diales soient gérées comme un « bien public mon­dial ». « En tant qu’humaniste, conscient du risque de dégra­da­tion du milieu ambiant dont souffre l’Amazonie, je peux ima­gi­ner que l’Amazonie soit inter­na­tio­na­li­sée, comme du reste tout ce qui a de l’importance pour toute l’humanité. […] En tant qu’humaniste, j’accepte de défendre l’idée d’une inter­na­tio­na­li­sa­tion du monde. Mais tant que le monde me trai­te­ra comme un Bré­si­lien, je lut­te­rai pour que l’Amazonie soit à nous », avait répli­qué Cris­tavão Buarque, en pro­po­sant que les capi­taux des pays riches, les biens cultu­rels, les res­sources éner­gé­tiques et les places finan­cières soient inter­na­tio­na­li­sés au même titre que la forêt amazonienne.

Ce dis­cours illustre l’ambivalence d’une Ama­zo­nie néces­saire aux mil­liards d’individus sur terre, mais appar­te­nant à un pays, le Bré­sil, qui craint de voir son patri­moine natu­rel lui glis­ser des mains. Car si l’Amazonie est le pou­mon vert de la pla­nète, elle est aus­si le sym­bole d’une époque colo­niale dont beau­coup de Bré­si­liens ont souf­fert. « Tous les Bré­si­liens ont en tête le sou­ve­nir des indus­tries de caou­tchouc. Les semences ont été volées et replan­tées dans le Sud-Est asia­tique. Depuis, l’industrie bré­si­lienne du caou­tchouc a péri­cli­té, plon­geant les petits pro­duc­teurs dans une misère abso­lue », affirme Chris­tian Dutilleux. « Il y a donc une réelle para­noïa autour de l’Amazonie. L’enjeu de l’eau, dont l’Amazonie regorge et qui, au fil des années, aura autant de valeur que les dia­mants ou le pétrole, est géo­po­li­ti­que­ment très impor­tant. Les mili­taires, le gou­ver­ne­ment et les citoyens bré­si­liens prennent très fort à cœur cette sou­ve­rai­ne­té natio­nale et n’autoriseront jamais que l’Amazonie soit hors de leur contrôle. » Avec quelles consé­quences pour cette éten­due de 7,2 mil­lions de kilo­mètres car­rés (grande comme sept fois la France) riche de 1,4 mil­lion d’espèces végé­tales et ani­males et du plus long fleuve du monde ?

Saccager la forêt est rentable

Depuis l’arrivée de la démo­cra­tie, l’exploitation de la forêt ama­zo­nienne est sou­mise à des contrôles stricts. Les chefs de gou­ver­ne­ments ne donnent plus leur aval à des entre­prises étran­gères venues y faire for­tune. D’ailleurs, la plu­part des entre­prises méga­lo­manes, lan­cées depuis les années soixante, se sont roya­le­ment embour­bées dans les pro­fon­deurs d’une forêt qu’elles n’avaient pas pris le temps de com­prendre. Mais si l’Amazonie a déçu beau­coup d’entrepreneurs, parce que ses sols ne sont pas assez fer­tiles, parce que les bar­rages construits n’ont par­fois pro­duit qu’une once de méga­watts, sac­ca­ger la forêt reste plus ren­table que la protéger.

L’entreprise exten­sive de soja, de défo­res­ta­tion pour le com­merce du bois ou de pro­duc­tion de char­bon de bois, menée avec un gas­pillage monu­men­tal des res­sources (on estime que seul 20% du bois cou­pé est uti­li­sé pour la vente) rap­porte plus que l’extractivisme, la per­ma­cul­ture et les autres formes de déve­lop­pe­ment durable. Pour­tant, aujourd’hui, la pré­ser­va­tion de l’Amazonie est juri­di­que­ment ins­crite dans la loi bré­si­lienne et de plus en plus de moyens sont consa­crés pour la faire res­pec­ter. La plu­part du temps, ce sont des entre­prises hors-la-loi qui font des ravages. Ces com­por­te­ments illé­gaux sont de plus en plus ris­qués depuis que l’Amazonie est constam­ment sur­veillée par satel­lite, via un pro­gramme au coût pro­hi­bi­tif de 1,4 mil­liard de dol­lars. Tout citoyen peut d’ailleurs consul­ter en ligne les images prises par satel­lite sur le site.

Si ce pro­jet pha­rao­nique per­met d’accroître sen­si­ble­ment le contrôle sur le déboi­se­ment illé­gal de l’Amazonie, il ouvre la porte à d’autres pra­tiques dignes de figu­rer dans 1984 d’Orwell : ce Big Bro­ther éco­lo voit tout… et pas uni­que­ment ce qui est lié à l’environnement. En plus de cet œil per­ma­nent, les agents de sécu­ri­té et la police verte sillonnent les terres ama­zo­niennes, même s’ils souffrent d’effectifs réduits. Et le ministre actuel de l’environnement, Car­los Minc, se targue d’avoir réduit la défo­res­ta­tion, entre juillet 2008 et août 2009, de 30% par rap­port à la même période de l’année pré­cé­dente. Record abso­lu. Il n’empêche que le bras de fer conti­nue entre le déboi­se­ment, mené sans scru­pule et pour des rai­sons éco­no­miques au sud de la forêt, et sa pré­ser­va­tion, davan­tage res­pec­tée au nord. Les pro­chaines années s’annoncent cruciales.

ONG environnementales : un réseau qui innove

Aujourd’hui, le Bré­sil fait école en matière de per­ma­cul­ture, d’«agriculture fores­tale » et autres formes de déve­lop­pe­ment durable. Les sta­giaires euro­péens, sen­si­bi­li­sés à l’écologie, sont nom­breux à venir y suivre les for­ma­tions don­nées par les « lan­ceurs d’alerte verts » (Ernst Götsch, Johan Van Len­gen…) venus s’y ins­tal­ler. Le réseau, qui prend sa source lors des forums sociaux mon­diaux, orga­nise régu­liè­re­ment des ren­contres qui per­mettent aux acteurs de ter­rain d’échanger de nou­velles tech­niques. Les ONG locales ont donc, le plus sou­vent, deux mis­sions qu’elles mènent de front : échan­ger et accroître les savoirs en matière de déve­lop­pe­ment durable et for­mer des per­sonnes qui s’y inté­ressent. L’écologie, au Bré­sil, et par­ti­cu­liè­re­ment en milieu rural, est consi­dé­rée comme une réponse à des pro­blèmes très terre à terre. Car, sou­vent, l’épuisement et l’érosion des sols ne per­mettent plus à ses habi­tants de sur­vivre. Dès lors, l’écologie est moins consi­dé­rée comme une morale, une reli­gion ou un fac­teur d’épanouissement qu’un moyen de sur­vie. Là réside peut-être la dif­fé­rence avec les Euro­péens, pour les­quels l’écologie n’est pas néces­saire à leur sur­vie directe et s’apparente davan­tage à une façon de se créer une iden­ti­té toute per­son­nelle. Si le réseau est encore mar­gi­nal et ne fait pas le poids face aux indus­tries de scie­rie ou de soja implan­tées dans le cœur de l’Amazonie, il a le mérite de rendre le bras de fer plus éga­li­taire. Et, tout l’enjeu actuel est de faire com­mu­ni­quer deux adver­saires qui se défient. Autant dire que ça ne se fera pas tout seul…

  1. Pro­lon­geau Hubert, L’Amazonie, une mort pro­gram­mée, Arthaud, mai 2009, p. 202.

Charlotte Maisin


Auteur

Charlotte Maisin est membre de la cellule recherch’action de la Fédération des services sociaux