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Boom minier, reconfiguration de la mondialisation

Numéro 11 Novembre 2013 par Frédéric Thomas

novembre 2013

La mise en paral­lèle de deux cas — l’un euro­péen, l’autre lati­no-amé­ri­cain — d’exploitation de mine­rais engage à une réflexion sur le « boom minier » actuel. Celui-ci met au jour des aspects lar­ge­ment occul­tés par le fonc­tion­ne­ment quo­ti­dien du monde, avec son train­train jalon­né de catas­trophes. Il invite à scru­ter la signi­fi­ca­tion de cette « ruée vers l’or » dans la phase de mon­dia­li­sa­tion en cours, à pen­ser plus avant la rela­tion entre les piliers (éco­no­mique, social, envi­ron­ne­men­tal) du déve­lop­pe­ment dit « durable », à com­bi­ner les enjeux des luttes sociales, entre Nord et Sud, au Nord et au Sud.

Les mil­liers de mani­fes­tants dans les rues de Rou­ma­nie au mois de sep­tembre der­nier ont don­né à voir une réa­li­té, qui demeure lar­ge­ment occul­tée au Nord, alors qu’elle se fait tous les jours plus évi­dente au Sud. Pour­quoi, dans un pays appau­vri, des gens s’opposent-ils à l’exploitation de l’or, cen­sée offrir de l’emploi à la popu­la­tion et des recettes à l’État ? Cet appa­rent para­doxe jette une lumière crue sur le « boom minier » mon­dial que nous connais­sons depuis une décennie.

Le boom minier

Par « boom minier », il faut entendre la mon­tée en puis­sance ful­gu­rante du sec­teur minier dans toutes ses dimen­sions, éco­no­mique, poli­tique et stra­té­gique. Ain­si, l’exploration, l’exploitation et la com­mer­cia­li­sa­tion des res­sources minières ont explo­sé. Entre 2000 et 2008, « les dépenses d’exploration à des fins com­mer­ciales à l’échelle mon­diale ont plus que quin­tu­plé » (Vision afri­caine des mines, 2009). Le bud­get mon­dial esti­mé pour la pros­pec­tion de métaux non fer­reux a aug­men­té en moyenne annuelle de près de 50 % entre 2009 et 2011 (Sibaud, 2012). De plus, la hausse des prix des mine­rais a été constante ces der­nières années. Enfin, tout aus­si impor­tant, cette ten­dance semble devoir se pro­lon­ger, encou­ra­geant d’autant plus les inves­tis­se­ments que la situa­tion éco­no­mique mon­diale demeure très instable.

Pour com­prendre les enjeux du boom minier, ain­si que les stra­té­gies anta­go­nistes qu’il entraine, il convient d’abord d’en cer­ner les effets et les consé­quences, les contours et la dyna­mique. L’augmentation spec­ta­cu­laire de la demande de res­sources minières s’explique en grande par­tie par la mon­tée en puis­sance des pays émer­gents : l’Inde, le Bré­sil… et, bien sûr, la Chine. « Entre 2000 et 2007, la Chine a plus que dou­blé sa part de la demande mon­diale d’aluminium, de cuivre et de zinc, tri­plé celle de plomb et qua­dru­plé celle de nickel. Durant cette période, sa part des impor­ta­tions de mine­rai de fer a tri­plé, pas­sant de 16 % envi­ron à 48 %, ce qui repré­sente 32 % de la demande mon­diale totale d’acier brut » (Vision afri­caine des mines, 2009). Le géant asia­tique a dès lors joué un rôle dou­ble­ment moteur dans l’expansion des échanges com­mer­ciaux Sud-Sud — la Chine est deve­nue le deuxième par­te­naire com­mer­cial de l’Afrique et est en voie de le deve­nir pour l’Amérique latine —, et l’accroissement de la part des matières pre­mières dans les expor­ta­tions — en 2008, les expor­ta­tions à des­ti­na­tion de la Chine étaient com­po­sées à plus de 32 % de pro­duits agri­coles et à près de 60 % de com­bus­tibles et mine­rais pour l’Amérique latine ; à 70 % de pétrole et à 15 % de mine­rais pour l’Afrique (Celac, 2012 ; PNUD, 2013).

Mais le boom minier n’est pas que com­mer­cial et quan­ti­ta­tif. Il existe un double dés­équi­libre entre la pro­duc­tion et la consom­ma­tion des res­sources minières. Rares sont en effet les pays auto­suf­fi­sants. Or de manière géné­rale, si l’exploitation se situe au Sud, la consom­ma­tion se fait au Nord. Ain­si, l’Afrique ne consomme qu’un peu plus de 6 % de l’or qu’elle pro­duit, et l’Amérique latine 13 % des métaux de base qu’elle extrait (USGS, 2008). D’où un chas­sé-croi­sé qui des­sine des inté­rêts et des stra­té­gies diver­gents, voire oppo­sés, entre l’UE, par exemple, dont l’économie est très dépen­dante des mine­rais et qui cherche en consé­quence à s’assurer un accès sécu­ri­sé et garan­ti aux res­sources minières en dehors de ses fron­tières et l’Union afri­caine (UA). Celle-ci a éla­bo­ré, en 2009, un docu­ment stra­té­gique, la Vision afri­caine des mines à l’horizon 2050, qui entend gagner une marge de manœuvre poli­tique plus impor­tante afin d’ancrer l’exploitation minière dans l’économie du conti­nent et de la faire ser­vir à l’industrialisation et au développement.

Ce dés­équi­libre est aggra­vé encore par la concen­tra­tion des richesses au sein de quelques pays, l’existence d’oligopoles (Glens­tra­ta, par exemple, né de la fusion en 2012 de Glen­core et de Xstra­taet qui repré­sen­tait 200 mil­liards de dol­lars), la rare­té de cer­tains mine­rais et la dépen­dance envers eux. Enfin, le boom minier consti­tue pour beau­coup une oppor­tu­ni­té pour le déve­lop­pe­ment. Dès lors, les res­sources minières sont au cœur des débats et stra­té­gies d’États du Sud, d’institutions finan­cières inter­na­tio­nales, comme la Banque mon­diale, et d’organes conti­nen­taux (UA, Cepal, UE…).

Un voyage aller sans retour ?

Jusqu’à ce jour, l’ensemble des pays du Sud, fussent-ils riches en res­sources natu­relles et en pleine crois­sance, n’ont pas — ou très peu et très mal — tiré pro­fit du boom minier. Les richesses partent ; la pau­vre­té reste. « Malé­dic­tion des res­sources » ? Non. Les causes sont tant his­to­riques que poli­tiques. Encore convient-il de s’accorder sur celles-ci. Et sur les stra­té­gies pour y faire face.

Selon l’UE, la res­pon­sa­bi­li­té en incom­be­rait prin­ci­pa­le­ment au Sud, doté d’États faibles ou cor­rom­pus, qui pro­vo­que­raient autant de dis­tor­sions d’un mar­ché gagnant-gagnant. Pour nombre de gou­ver­ne­ments du Sud, il s’agit au contraire d’un héri­tage de la colo­ni­sa­tion, qui les enferme dans une divi­sion inter­na­tio­nale du tra­vail où ils sont réduits au rôle de pour­voyeur de main‑d’œuvre et de res­sources en grandes quan­ti­tés et à bas prix, en ne dis­po­sant pra­ti­que­ment d’aucun contrôle et d’autonomie. Ain­si, leurs res­sources minières, essen­tiel­le­ment des­ti­nées à l’exportation, sont exploi­tées sur place, mais trans­for­mées en pro­duits manu­fac­tu­rés — et donc aus­si en béné­fices — ailleurs. Au Sud, loin de se tra­duire en richesses pour les popu­la­tions, ces res­sources se trans­forment plu­tôt en conflits, vio­la­tions des droits humains, inéga­li­tés et des­truc­tions environnementales.

Si, en Bel­gique et en Occi­dent en géné­ral, nous sommes encore — mais pour com­bien de temps ? — lar­ge­ment pré­mu­nis contre l’impact de l’exploitation minière, c’est que son « cout » se paye essen­tiel­le­ment ailleurs et par d’autres que nous. D’une part, nous repor­tons sur les pays pro­duc­teurs — en prio­ri­té sur les indi­gènes, les pay­sans et les femmes — les dégâts sociaux et envi­ron­ne­men­taux. D’autre part, nous fai­sons por­ter sur les États du Sud — « inca­pables » et « cor­rom­pus » — la res­pon­sa­bi­li­té des pro­messes non tenues des indus­tries minières. Enfin, en natu­ra­li­sant notre mode de vie, en fai­sant de notre consom­ma­tion une évi­dence, décon­nec­tée de la pro­duc­tion, nous nous immu­ni­sons contre toute remise en cause. Pour­tant, comme le rap­pe­lait récem­ment le direc­teur des Amis de la terre Nige­ria, lors de la XIVe ren­contre de la socié­té civile afri­caine autour de la Vision afri­caine des mines : « Nous sommes arri­vés à une situa­tion où nous avons une sur­ex­ploi­ta­tion dans le Sud en géné­ral et en cor­res­pon­dance une sur­con­som­ma­tion dans le Nord1. »

Le boom minier par­ti­cipe de la recon­fi­gu­ra­tion de la mon­dia­li­sa­tion en cours avec la mon­tée en puis­sance des pays du Sud. Les rap­ports Nord-Sud, loin d’avoir dis­pa­ru, se sont com­pli­qués, dédou­blés, en fonc­tion des récents bou­le­ver­se­ments géo­po­li­tiques. C’est éga­le­ment sous cet angle qu’il faut com­prendre les mani­fes­ta­tions contre le pro­jet minier de Rosia Mon­ta­na en Rou­ma­nie. Elles mettent au jour les méta­mor­phoses d’une divi­sion inter­na­tio­nale du tra­vail, qui ont beau brouiller les fron­tières Nord-Sud, mais n’en demeurent pas moins fon­ciè­re­ment inégalitaires.

Du Pérou à la Roumanie

La proxi­mi­té géo­gra­phique et ins­ti­tu­tion­nelle — la Rou­ma­nie fait par­tie de l’Union euro­péenne — du cas de Rosia Mon­ta­na vient déran­ger cette divi­sion des tâches et cette orga­ni­sa­tion mon­diale des places. Ou, plus exac­te­ment, elle met en lumière la repro­duc­tion de rap­ports asy­mé­triques à l’échelle d’un conti­nent, d’un même pays. La mise en paral­lèle de cette situa­tion avec d’autres cas dans le Sud per­met d’interroger la logique de l’exploitation minière.

Le dimanche 15 sep­tembre 2013, vingt-mille per­sonnes mani­fes­taient dans Buca­rest et des mil­liers d’autres dans les dif­fé­rentes villes du pays. C’était le troi­sième dimanche de pro­tes­ta­tion mas­sive contre le pro­jet de Rosia Mon­ta­na Gold Cor­po­ra­tion (com­pa­gnie publique-pri­vée, dont la socié­té cana­dienne Gabriel Resources est l’actionnaire majo­ri­taire) de mettre en œuvre la plus grande mine d’or d’Europe. Les mobi­li­sa­tions ont por­té leurs fruits puisque le gou­ver­ne­ment rou­main a fait marche arrière en refu­sant — pour l’instant — de don­ner son feu vert au pro­jet. Le cas rou­main illustre les rap­ports de force, l’hégémonie « déve­lop­pe­men­ta­liste », les enjeux éco­no­miques et envi­ron­ne­men­taux de ce type d’exploitation.

Sans en avoir conscience, les mani­fes­tants rou­mains fai­saient écho aux mani­fes­ta­tions péru­viennes — la Marche natio­nale pour l’eau —, qui, un an plus tôt, au début février 2012, ont réus­si à sus­pendre momen­ta­né­ment le pro­jet Conga, l’expansion de la plus grande mine d’or d’Amérique latine. Non seule­ment, la mul­ti­na­tio­nale New­mont, prin­ci­pale action­naire de Conga, est éga­le­ment action­naire de Gabriel Resources, mais, d’un point de vue plus struc­tu­rel, l’architecture des débats et des forces en jeu autour de Conga est simi­laire à ce qui se passe en Roumanie.

D’une part, une coa­li­tion de forces qui regroupe la mul­ti­na­tio­nale, l’État et les médias2 pro­mou­vant l’exploitation minière au nom de l’intérêt natio­nal, de l’emploi, des recettes finan­cières et du déve­lop­pe­ment. L’énormité des sommes — à inves­tir (4,8 mil­liards de dol­lars pour Conga) ou pro­mises (2,3 mil­liards de dol­lars pour le gou­ver­ne­ment rou­main) — est mobi­li­sée comme des argu­ments défi­ni­tifs, devant faire taire toute cri­tique, toute oppo­si­tion. D’ailleurs, les auto­ri­tés rou­maines et péru­viennes usent des mêmes argu­ments, par­lant d’« obli­ga­tion » ; leur pays, dans un contexte de crise et devant une telle oppor­tu­ni­té, ne peut sim­ple­ment pas se per­mettre de dire « non ». De l’autre, des forces sociales s’opposent à de tels pro­jets en remet­tant en cause le double féti­chisme de la crois­sance et du développement.

Un double antagonisme

Il faut prendre la mesure de cette oppo­si­tion. La double erreur serait de la cari­ca­tu­rer en la rame­nant à un conflit entre éco­no­mistes et envi­ron­ne­men­ta­listes, d’une part, ou de pas­ser à côté du socle com­mun, qui semble faire lar­ge­ment consen­sus, et redes­sine les lignes de force, d’autre part. Ain­si, l’antagonisme croise la ques­tion du contrôle et de la ges­tion, et celle du prin­cipe même de la via­bi­li­té d’une telle exploitation.

La pre­mière ques­tion sup­pose un déno­mi­na­teur com­mun, tout en diver­geant sur les rap­ports entre acteurs pri­vés, mar­ché et État. L’exploitation des res­sources minières consti­tue une oppor­tu­ni­té dont il faut tirer par­ti pour assu­rer le déve­lop­pe­ment. Le désac­cord est dès lors cir­cons­crit aux méca­nismes à mettre en œuvre pour maxi­mi­ser les béné­fices d’une telle exploi­ta­tion et gérer au mieux les impacts néga­tifs (pol­lu­tion, ten­sions sociales…) qui lui sont inhé­rents. Le retour de l’État est au centre de la controverse.

Quel doit être le rôle de l’État ? Pour la Vision afri­caine des mines (2009) « l’heure n’est plus au rejet des inter­ven­tions actives de l’État pour for­mu­ler une poli­tique indus­trielle et favo­ri­ser l’industrialisation ». Et d’en appe­ler à une action volon­ta­riste et auda­cieuse des gou­ver­ne­ments dans le cadre d’« États démo­cra­tiques déve­lop­pe­men­ta­listes ». Au contraire, pour la com­mis­sion euro­péenne, mar­ché et déve­lop­pe­ment vont de pair et le pre­mier est le moteur du second. Ce sont donc les entraves et dis­tor­sions au mar­ché qui empê­che­raient les popu­la­tions de tirer par­ti de l’exploitation minière. La com­pa­ti­bi­li­té entre ces deux prises de posi­tion pose évi­dem­ment pro­blème. Selon l’Observatoire des res­sources du sud de l’Afrique (SARW), « il est dif­fi­cile de conci­lier les inté­rêts de deux par­te­naires très inégaux fai­sant face à deux défis éco­no­miques très dif­fé­rents. L’Afrique veut lut­ter contre la pau­vre­té et accé­lé­rer le déve­lop­pe­ment, alors que l’UE se bat pour pré­ve­nir le déclin éco­no­mique et main­te­nir sa part sur le mar­ché mon­dial » (Kabem­ba, 2012).

Reste que cette divi­sion tran­chée — entre État déve­lop­pe­men­ta­liste et néo­li­bé­ra­lisme pour sim­pli­fier — ne recouvre qu’une par­tie du débat car le retour de l’État tend à prendre une forme par­ti­cu­lière où l’État, loin de s’opposer au mar­ché, cherche à assu­rer son bon fonc­tion­ne­ment, en jouant un rôle plus actif pour pro­mou­voir l’exploitation minière. Elle est alors défi­nie d’intérêt stra­té­gique ou natio­nal, comme au Pérou, ou béné­fi­cie, comme a ten­té de l’imposer le gou­ver­ne­ment rou­main, d’une « loi excep­tion­nelle » pour faci­li­ter et accé­lé­rer sa mise en œuvre. En contre­point, l’État inter­vient éga­le­ment plus acti­ve­ment en aval, à tra­vers une plus grande ges­tion des effets néga­tifs et une meilleure redis­tri­bu­tion sociale.

Cepen­dant, cette oppo­si­tion autour du rôle de l’État est bous­cu­lée par une autre ligne de front plus radi­cale, qui va jusqu’à remettre en cause ce socle com­mun, qui fait de la crois­sance l’objectif et de l’extraction minière le moyen. Ce ne sont plus seule­ment les moyens, les condi­tions, la manière d’organiser et de gérer l’exploitation minière qui sont dis­cu­tés, mais sa logique elle-même et sa viabilité.

Le 23 sep­tembre 2013, à pro­pos du conflit autour de Rosia Mon­ta­na, l’AFP publiait un com­mu­ni­qué au titre évo­ca­teur : « Une rivière peut faire capo­ter un pro­jet de mine d’or cana­dien ». La dis­pro­por­tion n’est cepen­dant pas du côté où l’on ne cesse de la mon­trer du doigt. Pour extraire 300 tonnes d’or et 1 600 tonnes d’argent annuel­le­ment pen­dant les seize ou dix-sept ans d’exploitation, la mine uti­li­se­ra envi­ron 12 000 tonnes de cya­nure par an, soit douze fois plus que la quan­ti­té de cya­nure uti­li­sée dans l’ensemble de l’Union euro­péenne pour l’exploitation minière ! Elle pro­dui­ra en outre 13 mil­lions de tonnes de déchets miniers annuel­le­ment3. Par ailleurs, au regard d’investissements phé­no­mé­naux et d’impacts envi­ron­ne­men­taux énormes, la mine ne pro­met pen­dant sa durée d’exploitation que 900 emplois4

D’un côté donc, des mil­liards pro­mis, sans savoir exac­te­ment ni pour qui ni pour quoi faire. De l’autre, des consé­quences envi­ron­ne­men­tales déme­su­rées. Les par­ti­sans de la mine mini­misent ces consé­quences, en esti­mant qu’elles pour­ront être sinon répa­rées du moins gérées sous la forme d’un cout éco­no­mique à payer — à déduire des béné­fices. Ceux qui s’opposent à Rosia Mon­ta­na refusent l’idée même de cette conver­sion moné­taire — com­bien ça coute une mon­tagne, des lacs, un envi­ron­ne­ment sain… ? — et contestent la via­bi­li­té à moyen terme d’une telle exploi­ta­tion. Ils sont d’autant moins convain­cus par les pro­messes de res­pect de l’environnement et les visions opti­mistes de l’écologie que l’industrie minière est une acti­vi­té extrê­me­ment pol­luante et que la Rou­ma­nie a déjà connu une catas­trophe éco­lo­gique due au cya­nure en jan­vier 20005. Ce qui est en jeu, c’est la ques­tion même du développement.

La recherche d’un nouveau paradigme

L’expansion de l’exploitation minière est inti­me­ment liée à une logique de crois­sance et de déve­lop­pe­ment. Or notre modèle de déve­lop­pe­ment est inca­pable de prendre en compte le carac­tère non renou­ve­lable de plu­sieurs res­sources natu­relles, la rare­té de cer­tains métaux et les limites de l’écosystème. Selon le Pro­gramme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), si la demande mon­diale conti­nue à aug­men­ter au même rythme qu’actuellement, l’extraction annuelle mon­diale de res­sources devrait plus que tri­pler en 2050 par rap­port à 2000 (PNUE, 2011). Notre pla­nète en a‑t-elle les moyens ?

Les conflits autour de l’exploitation minière qui se déve­loppent au Pérou comme en Rou­ma­nie et un peu par­tout dans le Sud ren­voient à des équa­tions et com­bi­nai­sons oppo­sées. D’une part est remise en cause l’équation tou­jours domi­nante qui lie la crois­sance au bien-être, en pas­sant par le déve­lop­pe­ment. D’autre part, la consom­ma­tion au Nord est recon­nec­tée à l’exploitation au Sud au sein d’une même com­bi­nai­son et comme les deux faces d’un même problème.

Loin de se réduire à d’archaïques rêveurs ou à quelques « bobos », les oppo­sants à l’exploitation minière dans le Sud recouvrent une grande hété­ro­gé­néi­té sociale. Ils ne sont pas « anti-mines », mais entendent dis­cu­ter et mettre en avant à quelles condi­tions, la mine est ou non béné­fique (à court, moyen et long termes) au peuple et au pays — et déci­der en fonc­tion. Ils cherchent des alter­na­tives, s’organisent, pro­posent des pistes de tran­si­tion et des concepts clés (droits de la nature, bien-vivre…), qui s’ordonnent au sein d’un nou­veau modèle post­dé­ve­lop­pe­ment. Leur ima­gi­na­tion poli­tique doit être confron­tée à l’étroitesse de vue de gou­ver­ne­ments au ser­vice sinon du mar­ché, du mythe d’une crois­sance sans fin et d’une nature indé­fi­ni­ment réparable.

L’exploitation minière ne dis­pa­rai­trait donc pas entiè­re­ment si ce para­digme réus­sis­sait à s’imposer, mais elle serait condi­tion­née et déter­mi­née en fonc­tion d’autres don­nées, aujourd’hui occul­tées, au sein d’un autre mode de cal­cul des « couts-béné­fices ». Mais pour s’imposer, un tel para­digme doit faire en sorte que la démo­cra­ti­sa­tion de la consom­ma­tion, les conflits sociaux-envi­ron­ne­men­taux et les luttes de tra­vail ne consti­tuent plus autant de com­bats concur­ren­tiels, voire oppo­sés, sépa­rés — entre le Nord et le Sud, et au Nord comme au Sud —, mais des com­bi­nai­sons de luttes au sein d’actions conver­gentes de diverses forces sociales.

  1. www.minesandcommunities.org/article.php?a=12436.
  2. « En 2011, au clas­se­ment natio­nal des dépenses publi­ci­taires dans les médias, RMGC était numé­ro trois, juste der­rière Orange et Voda­fone, très actifs dans ce pays. » http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20130903.OBS5261/roumanie-l-or-de-la-discorde.html.
  3. Voir http://regard.ro/un-simple-chiffre/ et www.theguardian.com/environment/2013/sep/17/romanians-mobilise-gold-mine.
  4. Cela tient à ce que l’exploitation minière néces­site un apport en capi­taux consi­dé­rable, mais rela­ti­ve­ment peu de main‑d’œuvre.
  5. Voir www.aria.developpement-durable.gouv.fr/ressources/fd_17265_baia_mare_jfm_fr.pdf.

Frédéric Thomas


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