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Bonne retraite, Maggie !
Maggie De Block a marqué l’histoire de notre pays. Au cours des deux dernières décennies, elle fut une personnalité politique remarquable, instigatrice de politiques énergiques qui ont concrètement changé la vie des gens. Que l’on songe par exemple à la manière dont, en tant que secrétaire d’État à l’asile et à l’immigration, elle a pesé sur les destins individuels en durcissant […]
Maggie De Block a marqué l’histoire de notre pays. Au cours des deux dernières décennies, elle fut une personnalité politique remarquable, instigatrice de politiques énergiques qui ont concrètement changé la vie des gens.
Que l’on songe par exemple à la manière dont, en tant que secrétaire d’État à l’asile et à l’immigration, elle a pesé sur les destins individuels en durcissant la politique migratoire et rendant plus difficile – pour les miséreux – l’accès à notre pays. Des milliers de familles lui doivent d’avoir été renvoyées dans leur pays d’origine ou de vivre aujourd’hui dans la clandestinité. D’innombrables enfants ont, grâce à elle, connu le confort douillet de nos centres fermés pour demandeurs d’asile. Et ne parlons pas des personnes dont le premier contact avec la Belgique fut un message les invitant à rester chez eux (ou n’importe où, tant que c’est ailleurs que chez nous) et les assurant que nous n’étions en rien prêts à les accueillir.
Son action, en tant que ministre des Affaires sociales, fut aussi marquante, notamment avec l’élévation de l’âge du départ à la pension, de 65 à 67 ans ou la défense opiniâtre de la limitation du nombre de numéros INAMI. Des milliers d’étudiants ambitionnant de devenir médecins – et capables de le devenir – lui doivent la réorientation de leur parcours de vie et des milliers de patients, leurs difficultés à obtenir un rendez-vous avec un généraliste.
Malheureusement, s’il est question d’elle ces temps-ci, ce n’est pas parce qu’elle a accédé à de nouvelles responsabilités lui permettant d’encore peser sur la vie de nos concitoyens. Ce n’est pas davantage à l’occasion d’hommages qui salueraient le travail qu’elle a accompli. Pas le moins du monde. On reparle d’elle parce qu’elle est sur le point de prendre sa retraite et que certains mauvais coucheurs font observer qu’elle cessera de travailler à 62 ans et en déduisent qu’elle est moins avare du travail des autres que du sien.
Voilà qui s’appelle aller vite en besogne et n’avoir que peu confiance en la bonté humaine. Et si, précisément, cette bonté était l’explication de cette retraite précoce ?
Je soutiens que l’hypothèse la plus vraisemblable est que Madame De Block – que je suis tenté d’appeler par son prénom, pour humaniser cette figure incomprise – que Maggie, donc, est aujourd’hui amenée à prendre sa retraite tôt du seul fait de la pénibilité de son travail. Imagine-t-on les souffrances vécues par quelqu’un qui est responsable de la prolongation de l’errance de familles migrantes, de la persécution de personnes opprimées renvoyées dans le pays où étaient bafoués leurs droits, de la réputation d’égoïsme et de xénophobie de la Belgique à l’étranger ? Qui dira l’angoisse de penser, le soir, en mâchonnant sans appétit une bouchée d’ortolan aux truffes et asperges vertes, aux douleurs des aspirants médecins apprenant que, jamais, ils ne pourront vivre leur passion ? N’y a‑t-il pas de quoi gâcher votre Chassagne-Montrachet ?
Et qui donc dira la douleur morale et physique –oui, physique ! – de savoir que des maçons se casseront le dos deux ans de plus et que certains, durant cette période, chuteront de leur échafaudage pour ne jamais se relever, que des nettoyeuses s’abimeront les mains, que des aides-soignantes peineront, que des enseignants déprimeront, et que des jeunes diplômés attendront un poste, vivront chez leurs parents, postposeront leurs projets ? Sommes-nous devenus tellement inhumains qu’il nous est impossible de compatir aux tourments de celle qui, avec abnégation, a accepté de faire le sale mais indispensable boulot – dont nous refuserions de nous charger – pour le bien de tous, celui des citoyens bien dans leurs papiers comme des médecins installés ? Sommes-nous tellement indifférents que nous sommes prêts à exiger de tout le monde l’exceptionnelle endurance d’Elio Di Rupo ?
Alors oui, mille fois oui, il faut reconnaitre la pénibilité de ses fonctions passées, l’usure psychique, les dérèglements physiques qui ne peuvent qu’en découler, et admettre que ce sont autant de justifications de son départ à la retraite à 62 ans. Si nous avions le courage de leur expliquer que c’est pour financer l’heureuse retraite de travailleurs réellement méritants, il ne fait aucun doute à mes yeux que c’est avec joie que les vendeuses supporteraient deux ans de plus leurs pieds gonflés, les serveurs leurs genoux douloureux, les caissières leurs poignets arthritiques et les chauffeurs de poids lourd leur fatigue chronique. Nous n’avons pas de raison de leur supposer moins de bonté et de grandeur d’âme qu’à Maggie.
Dès lors, au nom de la Nation tout entière, souhaitons-lui une heureuse retraite. Qu’elle se resserve de Chassagne-Montrachet à notre santé !