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Y’a pas que les pauvres qui trinquent !

Blog - Anathème - crise énergie par Anathème

septembre 2022

La hausse des prix de l’énergie fait les gros titres de la presse depuis des semaines. C’est l’occasion pour bien des gens ordi­naires d’apprendre ce que c’est que de se deman­der si on pour­ra payer ses fac­tures, si on pour­ra se chauf­fer l’hiver et si on pour­ra faire le plein de la voi­ture. Monte alors, […]

Anathème

La hausse des prix de l’énergie fait les gros titres de la presse depuis des semaines. C’est l’occasion pour bien des gens ordi­naires d’apprendre ce que c’est que de se deman­der si on pour­ra payer ses fac­tures, si on pour­ra se chauf­fer l’hiver et si on pour­ra faire le plein de la voi­ture. Monte alors, dans la popu­la­tion, un sen­ti­ment d’injustice : vivre la même vie que ces hordes de pares­seux au chô­mage, de fausses inva­lides refu­sant de tra­vailler, de divor­cées vivant au cro­chet de leur ex-mari ou d’imprévoyants ayant déser­té l’école dès que pos­sible, quand on est un hon­nête citoyen, voi­là qui est inad­mis­sible. Com­ment ne pas com­prendre ce sentiment ?

Même Elio Di Rupo confesse à La Meuse ne plus oser allu­mer qu’une lampe (Phi­lippe Stark, édi­tion limi­tée) dans sa modeste demeure mon­toise1. Cet hiver, il ne chauf­fe­ra plus à 25° les nonante mètres car­rés de son salon, pour se conten­ter de 23°. Il enfi­le­ra un pull Karl Lager­feld en alpa­ga pour com­pen­ser. Voi­là un exemple ins­pi­rant pour toute la population !

Certes, on peut com­prendre l’émoi des gens de condi­tion modeste, mais il faut être de bon compte et admettre que c’est bien peu de choses au regard des sou­cis des gens qui ont vrai­ment réus­si. Était-ce bien la peine de s’échiner à exi­ger plan social sur plan social pour garan­tir un ren­de­ment à deux chiffres de ses actions, d’entamer de longues pro­cé­dures judi­ciaires pour défendre sa part d’héritage ou de fré­quen­ter les puis­sants dans les soi­rées assom­mantes du Cercle de Lor­raine si c’est pour se rendre compte que les sommes amas­sées fondent comme neige au soleil et qu’il faut choi­sir entre le yacht et le jet pri­vé, renon­cer à la pis­cine décou­verte à 28° en octobre, ou trai­ner la Bent­ley à cent sur l’autoroute ? Fau­dra-t-il renon­cer à arro­ser les cinq hec­tares de gazon qui devaient être l’écrin de notre pro­chaine soi­rée de cha­ri­té ? Devrons-nous ins­tal­ler de hideux pan­neaux solaires sur le toit de notre vil­la au Zoute ? L’approvisionnement en bœuf Wagyu sera-t-il garan­ti ? C’est un monde d’incertitudes qui s’ouvre devant nous, por­teur d’angoisses et de frustrations.

Les pauvres vivaient déjà de peu, ils conti­nue­ront de le faire sans pro­blème. Ils ne sont plus à ça près, et ils pour­raient faire un geste pour nous en renon­çant, par exemple, à l’indexation de leurs salaires et allo­ca­tions diverses2, en accep­tant une réduc­tion des ser­vices publics pour que l’État puisse finan­cer des mesures de sou­tien à nos entre­prises, ou en payant scru­pu­leu­se­ment leur fac­ture éner­gé­tique de sorte que nous puis­sions tou­cher les divi­dendes de nos actions dans diverses socié­tés actives dans le secteur.
C’est une ques­tion de prio­ri­té, car nous, habi­tués aux belles choses, à la dou­ceur et à la cha­leur, que devien­drions-nous autre­ment ? À n’en pas dou­ter, le froid, la pénombre et l’ennui nous tue­ront, plus sur­ement qu’une horde d’anarcho-syndicalistes avinés. 

À moins que… À moins que, délais­sés, mépri­sés, nous ne nous révol­tions. À moins que la colère ne prenne le des­sus, que nous sor­tions chiens et fusils de chasse, ras­sem­blions nos agents de sécu­ri­té, sor­tions de leurs caches para­di­siaques nos espèces et métaux pré­cieux et que, pre­nant exemple sur le cou­rage de nos ancêtres qui sur­ent se faire tout seuls à l’exemple de leurs pères3 — et avant que nous ne fas­sions de même — nous déci­dions de par­tir vers d’autres cieux, à la recherche d’autres gens plus géné­reux et d’autres ter­roirs plus riches, à coloniser.

Pre­nez garde ! Vous êtes plus nom­breux, mais nous avons des héli­co­ptères et des ber­lines rapides !

  1. « Ses gestes au quo­ti­dien : une lampe à la fois », La Meuse, 9 sep­tembre 2022
  2. « Indexa­tion auto­ma­tique des salaires : la FEB demande une dis­cus­sion avec le monde poli­tique et les syn­di­cats », RTBF Info.
  3. Leurs mères, bien sûr fai­saient des enfants, elles.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.