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Who’s nexit ?

Blog - Délits d’initiés par Olivier Derruine

août 2015

There are three kinds of lies : lies, dam­ned lies, and sta­tis­tics. Ben­ja­min Dis­rae­li, homme poli­tique et auteur bri­tan­nique, deux fois Pre­mier ministre, 1804 – 1881 Beau­coup d’encre a cou­lé sur les négo­cia­tions et ensuite l’ac­cord conclu entre l’Eu­ro­groupe et la Grèce, en pas­sant par le réfé­ren­dum. Ce blog n’y a pas échap­pé (Toi aus­si, décide du sort de la […]

Délits d’initiés

There are three kinds of lies : lies, dam­ned lies, and statistics.
Ben­ja­min Dis­rae­li, homme poli­tique et auteur britannique,

deux fois Pre­mier ministre, 1804 – 1881

Beau­coup d’encre a cou­lé sur les négo­cia­tions et ensuite l’ac­cord conclu entre l’Eu­ro­groupe et la Grèce, en pas­sant par le réfé­ren­dum. Ce blog n’y a pas échap­pé (Toi aus­si, décide du sort de la Grèce ! … et deviens plus expert qu’un ministre des Finances et Grèce : non, les torts ne sont pas par­ta­gés !).
Mais, fina­le­ment, très peu en a été répan­due au sujet de la quin­tes­sence du dos­sier, à savoir la dette publique.

Dans les lignes qui suivent, nous la pré­sen­te­rons sous deux angles originaux.

Toutes proportions gardées

Un simple regard ou plu­tôt un regard sim­pliste aux sta­tis­tiques montre que la dette publique grecque a atteint le chiffre astro­no­mique de 177% du PIB. Si la Grèce consa­crait l’intégralité des 195 mil­liards € de richesses pro­duites cette année au rem­bour­se­ment de sa dette de 377 mil­liards €, elle serait encore loin du compte. Et cela, c’est en igno­rant le fait que, tout au long de cette année, les Grec(que)s devront se vêtir, se nour­rir, se loger, se soi­gner, mettre leurs enfants à l’é­cole ou s’oc­cu­per de leurs seniors, ce qui n’est pas gratuit.

Consi­dé­rant ce der­nier quart de siècle, ce taux d’en­det­te­ment est supé­rieur au record his­to­rique déte­nu par la Bel­gique avec ses quelque 134% du PIB en 1993. Bien enten­du, on avait connu dans le pas­sé des taux encore plus éle­vés allant jusque 200% en France, au Royaume-Uni ou même en Alle­magne. Hors zone euro, le Japon se dis­tingue aujourd’­hui des autres pays indus­tria­li­sés avec 250% d’en­det­te­ment public.
Bref, ce chiffre est vertigineux. 

Cepen­dant, si l’on prend une autre pers­pec­tive, celle consis­tant à rap­por­ter la dette publique au nombre d’ha­bi­tants, alors c’est une autre image qui appa­raît devant les yeux de l’ob­ser­va­teur : la dette grecque par habi­tant est certes supé­rieure à la moyenne de la zone euro, mais pas de manière signi­fi­ca­tive : seule­ment de 6%. Et elle n’est que 8% plus éle­vée au far­deau qui pèse­rait sur la tête de chaque Alle­mand, lequel est pré­sen­té comme le modèle de ver­tu par excel­lence. Par contre, la dette grecque par habi­tant est infé­rieure de 6% à la fran­çaise, de 17% à l’italienne et de… 24% à la belge.

La Grèce se classe ain­si sixième du clas­se­ment des pays euro­péens fon­dé sur le cri­tère de la dette publique par habi­tant. À ce petit jeu, l’Ir­lande est la cham­pionne tan­dis que les trois pays baltes, la Rou­ma­nie et la Bul­ga­rie ferment la marche.

L’Al­le­magne est appa­rue par­ti­cu­liè­re­ment intran­si­geante à l’é­gard de la Grèce. Peu de voix dis­so­nantes y ont été enten­dues pour lui trou­ver des cir­cons­tances atté­nuantes. Pour­tant, un peu d’au­to-cri­tique aurait dû conduire un grand nombre de fai­seurs d’o­pi­nions et de déci­deurs à faire pro­fil bas. L’Al­le­magne est un vaste État fédé­ral com­po­sé de plu­sieurs régions dotées de pou­voirs légis­la­tifs et bud­gé­taires consé­quents. Que se pas­se­rait-il si, pour cha­cune, on cal­cu­lait la dette publique par habi­tant et qu’on la com­pa­rait avec le même ratio obte­nu pour la Grèce ? Il en résul­te­rait que pour certain(e)s (villes-)Länder le taux d’en­det­te­ment public par habi­tant serait net­te­ment supé­rieur au taux grec. Et si l’on éta­blis­sait un clas­se­ment d’en­det­te­ment public par habi­tant entre l’Al­le­magne et la Grèce, celle-ci serait la qua­trième enti­té la plus endet­tée par tête en 2008, mais seule­ment la sixième en 2013 ! Ain­si, nombre d’Al­le­mands devraient balayer devant leurs portes (de Bran­de­bourg) avant de condam­ner sévè­re­ment les fai­néants Grecs vivants au cro­chet d’au­trui. Si l’on fus­ti­geait ces États/villes fédéré(e)s de la même manière, alors se pose­rait la ques­tion d’une évic­tion de Brême, de Ber­lin, d’Ham­bourg, de la Sarre ou de la Rhé­na­nie-du-Nord-West­pha­lie de l’Al­le­magne elle-même ou de la zone euro !

Bien enten­du, ce petit exer­cice livre une lec­ture par­tiale de la dette publique en ce qu’il n’offre aucune indi­ca­tion quant à l’u­ti­li­té réelle de la dette (l’en­det­te­ment a‑t-il été creu­sé pour finan­cer des inves­tis­se­ments de long terme ou de la consom­ma­tion cou­rante ou sou­te­nir des sys­tèmes népo­tiques ? Est-elle « légi­time » en fonc­tion de la grille d’a­na­lyse de l’économiste Eric Tous­saint?) et à la capa­ci­té de rem­bour­se­ment de cette dette qui dépend d’un grand nombre de fac­teurs (dyna­misme éco­no­mique, matu­ri­té, déci­sions du gouvernement…).

Des égaux plus égaux que d’autres parmi les pauvres de l’Europe ?

Mais reve­nons sur les pays baltes men­tion­nés pré­cé­dem­ment et qui ont dure­ment souf­fert de la crise (chute de près de 15% du PIB pour la seule année 2009!) sans que per­sonne ne s’en émeuve réel­le­ment. Avec les Slo­vaques dont le ministre des Finances, Peter Kazi­mir, était un grand par­ti­san du Grexit, ils ont cri­ti­qué le prin­cipe même d’un troi­sième plan d’aide à la Grèce au motif qu’il béné­fi­cie­rait à un pays plus riche qu’eux. Ils rechignent à endos­ser la res­pon­sa­bi­li­té de faire payer « leurs » plus pauvres encore pen­sion­nés et chô­meurs pour les fai­néants grecs. Si, a prio­ri, l’argument est rece­vable, la réa­li­té est bien plus com­plexe que cela.

Tout d’abord, les coupes bud­gé­taires ont été net­te­ment plus impor­tantes en Grèce qu’ailleurs. Même dans le sec­teur de la défense si sou­vent poin­té du doigt, « le mam­mouth a été dégrais­sé » (– 35%)!

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Ensuite, les Grecs sont sans sur­prise ceux dont le mar­ché du tra­vail a le plus trin­qué. Un quart des emplois a été sup­pri­mé en six années ! Un funeste record qui sur­passe de loin les pires per­for­mances enre­gis­trées ailleurs dans la zone euro. Cela fait un mil­lion d’emplois. En ce qui concerne les éco­no­mies à réa­li­ser sur le dos des fonc­tion­naires, elles n’ont pas été minces : un emploi sur sept dans la fonc­tion publique (com­prise comme étant l’administration publique, l’enseignement et la santé/action sociale) a été détruit. À nou­veau, même les pays baltes et la Slo­va­quie ne peuvent « jalou­ser » la Grèce sur ce plan.

Ces quelques chiffres per­mettent de battre en brèche les idées sau­gre­nues selon lesquelles :

  • l’Eu­rope serait divi­sée en deux caté­go­ries de peuples pré­sen­tant des carac­té­ris­tiques géné­tiques presque oppo­sées : d’une part, les four­mis du Nord (et de l’Est) pré­fi­gu­rées par l’Al­le­magne, d’autre part, les cigales du Sud et du Centre avec, à leur tête, la Grèce ;
  • il appar­tien­drait désor­mais aux Grecs de se retrous­ser les manches comme si l’aus­té­ri­té n’a­vait fait que les effleu­rer jusqu’ici !

Olivier Derruine


Auteur

économiste, conseiller au Parlement européen