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Vision, très obscure, de la libéralisation du marché de l’énergie

Blog - e-Mois - CPAS droits sociaux pauvreté par Marie Hanse

avril 2019

En février der­nier, les tarifs sociaux fédé­raux du gaz et de l’électricité subis­saient une hausse impor­tante (res­pec­ti­ve­ment de 28 et de 22%). Le tarif social fédé­ral est une mesure des­ti­née à aider les per­sonnes ou les ménages pré­ca­ri­sés qui appar­tiennent à cer­taines caté­go­ries d’ayants droit (les béné­fi­ciaires du CPAS, de la Gra­pa et des allo­ca­tions pour personnes […]

e-Mois

En février der­nier, les tarifs sociaux fédé­raux du gaz et de l’électricité subis­saient une hausse impor­tante (res­pec­ti­ve­ment de 28 et de 22%). Le tarif social fédé­ral est une mesure des­ti­née à aider les per­sonnes ou les ménages pré­ca­ri­sés qui appar­tiennent à cer­taines caté­go­ries d’ayants droit (les béné­fi­ciaires du CPAS, de la Gra­pa et des allo­ca­tions pour per­sonnes han­di­ca­pées) à payer leur fac­ture d’électricité et/ou de gaz. Il est iden­tique dans toute la Bel­gique, quel que soit le four­nis­seur d’énergie ou le ges­tion­naire de réseau. Ce tarif, éta­bli deux fois par an par le régu­la­teur fédé­ral pour l’énergie (la Creg) est ali­gné sur les tarifs les plus bas du mar­ché. Si les prix de l’énergie s’envolent, les tarifs sociaux suivent. Depuis 2010, les tarifs sociaux ont d’ailleurs déjà subi une aug­men­ta­tion de plus de 50%.

À la suite de l’annonce de cette hausse des tarifs sociaux, les CPAS s’inquiètent de voir affluer des nou­veaux ménages ne par­ve­nant pas à payer leurs fac­tures. Il faut savoir que la pré­ca­ri­té éner­gé­tique est un phé­no­mène qui touche près d’un Belge sur cinq. Et si le tarif social fédé­ral est une mesure per­ti­nente et néces­saire, il ne béné­fi­cie qu’à 12% des ménages bruxel­lois, c’est net­te­ment moins que les 20% en situa­tion de pré­ca­ri­té éner­gé­tique ou que les 30 à 40% des per­sonnes en risque de pau­vre­té ou d’exclusion sociale. Pour ces 20% de Belges en situa­tion de pré­ca­ri­té éner­gé­tique, l’accès à l’énergie est deve­nu inabor­dable. Résul­tat : ces ménages devront soit se pri­ver d’énergie, soit consen­tir un sacri­fice bud­gé­taire déme­su­ré pour satis­faire à leurs besoins de base en éner­gie. L’énergie sous toutes ses formes est pour­tant indis­pen­sable au main­tien de condi­tions de vie digne. Le fait de ne pas avoir accès à l’énergie peut, notam­ment, avoir un effet direct et grave sur la san­té men­tale et phy­sique. Chaque année, un baro­mètre mesure cette pré­ca­ri­té éner­gé­tique et met en exergue des don­nées inquié­tantes en poin­tant des causes mul­tiples à ce phé­no­mène. Pour­tant, il passe géné­ra­le­ment assez inaper­çu et les poli­tiques y accordent une impor­tance très rela­tive… Serait-ce parce que les per­sonnes les plus pré­caires de notre socié­té sont celles dont on entend le moins la voix ?

Moti­vé par cette crainte de voir l’énergie deve­nir inabor­dable pour une nou­velle caté­go­rie de ménages, le gou­ver­ne­ment fédé­ral a tou­te­fois réagi rapi­de­ment à cette hausse et a annon­cé le gel des tarifs sociaux pour une période de six mois et la mise en place d’un méca­nisme de pla­fon­ne­ment auto­ma­tique. Une mesure d’urgence qui ne ques­tionne ni l’après ni le sys­tème… Le sys­tème dans lequel se joue l’accès à l’énergie est simple, c’est celui de la libé­ra­li­sa­tion du mar­ché. Un mar­ché qui ne rend l’accès à l’énergie pos­sible que pour une par­tie de la popu­la­tion, mal­gré l’existence de mesures sociales des­ti­nées à pro­té­ger les plus fragiles.

Les effets de la libéralisation

C’est en 2007, en Bel­gique, sous l’impulsion de l’Union euro­péenne, que les mar­chés de l’énergie pour les par­ti­cu­liers se sont ouverts… il y a un peu plus de dix ans donc. Pré­sen­tée comme une pana­cée, la libé­ra­li­sa­tion devait faire bais­ser les prix, per­mettre une meilleure infor­ma­tion pour le consom­ma­teur et favo­ri­ser la tran­si­tion éner­gé­tique vers un sys­tème plus durable.

Pour­tant, le libre mar­ché a un effet néfaste sur l’accès effec­tif à l’énergie. Sur le ter­rain, la situa­tion est alar­mante : non seule­ment, la libé­ra­li­sa­tion des mar­chés du gaz et de l’électricité n’a pas conduit à la dimi­nu­tion des prix pro­mise, mais il faut éga­le­ment poin­ter du doigt les ravages que pro­duisent cer­taines stra­té­gies com­mer­ciales des four­nis­seurs au sein des ménages les plus fra­gi­li­sés. En effet, la com­plexi­té crois­sante et extrême des fac­tures et du mar­ché, le dés­équi­libre de la rela­tion consom­ma­teur-four­nis­seur, les tech­niques de vente intru­sives, agres­sives ou men­son­gères, le non-recours aux pro­tec­tions sociales exis­tantes, etc., sont autant de phé­no­mènes qui placent le consom­ma­teur dans une situa­tion d’hyperfragilité. Par ailleurs, il est néces­saire de mettre au jour et d’endiguer la spi­rale infer­nale dans laquelle sont prises les per­sonnes à bas reve­nu et qui consiste à prendre en loca­tion un loge­ment dont le loyer est moins éle­vé, mais dont la per­for­mance éner­gé­tique est mau­vaise et les équi­pe­ments éner­gi­vores. Ce qui implique que l’énergie pèse­ra alors pro­por­tion­nel­le­ment plus lourd dans le bud­get de ces ménages déjà pré­ca­ri­sés et que ceci peut deve­nir le vec­teur d’un nou­vel appauvrissement.

Aujourd’hui, la barque craque de toutes parts. Pour avril pro­chain, au terme de la période de pro­tec­tion hiver­nale, la Région bruxel­loise, pour­tant répu­tée au-delà de ses fron­tières pour son sys­tème de pro­tec­tion du consom­ma­teur et ses mesures sociales, craint une crois­sance impor­tante du nombre de clients en défaut de paie­ment cou­pés du gaz et/ou de l’électricité et sans pos­si­bi­li­té de sous­crire un contrat. Sans pos­si­bi­li­té de se chauf­fer et de s’éclairer, donc. En cause, des four­nis­seurs d’énergie qui fuient le mar­ché bruxel­lois sous pré­texte de marges béné­fi­ciaires trop faibles, de pro­cé­dures de cou­pure trop longues et d’une popu­la­tion trop pré­ca­ri­sée. Le « tout au mar­ché » semble mon­trer ses limites. L’accès à l’énergie n’est plus consi­dé­ré comme un droit fon­da­men­tal, mais comme un bien mar­chand comme un autre que les mesures de pro­tec­tion sociale et la régu­la­tion par les États ne par­viennent plus à garantir.

L’accès à l’énergie est un droit

À ce stade, il est grand temps de recon­si­dé­rer l’accès à l’énergie dans son ensemble, de le consi­dé­rer comme un droit fon­da­men­tal comme celui de vivre dans un loge­ment décent et de prendre des mesures ambi­tieuses dépas­sant le main­tien pro­vi­soire du tarif social. Il est urgent de recon­si­dé­rer le prin­cipe même de la libé­ra­li­sa­tion du mar­ché et de prendre en consi­dé­ra­tion ses effets néfastes, bien au-delà de simples mesures vai­ne­ment cor­rec­trices des dérives.

La tran­si­tion éner­gé­tique si néces­saire au regard des enjeux cli­ma­tiques est-elle envi­sa­gée comme une oppor­tu­ni­té de com­bler les inéga­li­tés sociales plu­tôt que de conti­nuer à les creu­ser ? Ne devrait-elle pas être assor­tie d’une poli­tique ambi­tieuse de réno­va­tion des loge­ments à un prix abor­dable ? Ain­si que d’une aug­men­ta­tion des reve­nus les plus faibles ? Est-il vrai­ment rai­son­nable de conti­nuer de croire que l’intérêt col­lec­tif pour­ra être ren­con­tré dans un sec­teur régi par les lois du marché ?

Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour dénon­cer les pro­messes non tenues de la libé­ra­li­sa­tion. Le sys­tème de mar­ché, appli­qué au sec­teur de l’énergie, est un choix repo­sant sur des hypo­thèses, des croyances, des pré­sup­po­sés, une vision. Un choix qui n’est ni un phé­no­mène natu­rel ni une forme d’avènement de l’histoire. Actuel­le­ment, il y a exi­gence démo­cra­tique à ques­tion­ner les modes de ges­tion et de gou­ver­nance de l’énergie que nous sou­hai­tons nous donner.

Marie Hanse


Auteur

chargée de mission stratégie, Centre d’appui s ocial énergie de la Fédération des services sociaux