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Une saine humiliation
Bart Tommelein (Open-VLD) a récemment chargé l’inspection sociale de contrôler la consommation électrique des chômeurs afin d’en tirer des indices quant à leur statut de cohabitants. Ainsi, des logements à la consommation trop basse pourraient indiquer des domiciles fictifs de personnes se prétendant isolées alors qu’elles se réchauffent auprès d’un autre chômeur pour compenser une cuve de mazout vide. Ce comportement est, comme chacun sait, sanctionné d’une baisse des allocations, il n’est que le chômeur vivant seul et souffrant du froid pour expier son péché d’assistanat qui ait droit à des allocations complètes.
A l’inverse, une consommation anormalement élevée pourrait indiquer la présence de deux consoles PS4, plutôt que l’unique suffisant amplement au bonheur du chômeur isolé.
Bien entendu, il se pourrait que la consommation soit basse parce que la personne, opportunément maintenue sous le seuil de pauvreté, ne peut se permettre d’allumer la lampe. Ou parce qu’elle a vu saisir son sèche-linge et son lave-vaisselle, achetés à crédit. Ou parce qu’elle passe ses journées au bistrot. Ou parce qu’elle travaille au noir chez des particuliers. Ou parce qu’elle mendie dans les rues, là où l’éclairage public est gratuit.
À l’inverse, une consommation trop élevée peut indiquer que, faute de mazout, l’habitant a allumé son chauffage d’appoint électrique pour tiédir son logement humide et mal isolé. Ou qu’il possède un chauffe-eau électrique. Ou qu’il regarde un téléviseur plasma, très énergivore, faute d’avoir obtenu le crédit nécessaire à l’achat d’un plus frugal modèle LCD. Ou qu’il fait lui-même son pain au four électrique. Ou qu’il possède une couverture chauffante. Ou qu’il oublie d’éteindre la lumière dans les toilettes.
On l’a compris, cet indice est de bien peu de valeur pour traquer les cohabitations illégitimes. Qu’importe, il sera un prétexte de plus pour aller compter les brosses-à-dents chez les chômeurs, vérifier que des chômeuses ne recèlent pas des déodorants pour hommes, que des chômeurs ne cèlent pas dans un tiroir de l’ombre à paupière, que le lit n’est pas chaud des deux côtés, que le frigo n’est pas trop plein, qu’un seul peignoir élimé pend à la salle de bain…
Certes, les occasions se multiplieront ainsi, d’une part, de coincer des fraudeurs qui tentent sans vergogne de passer au-dessus du seuil de pauvreté sans le mériter et, d’autre part, d’embaucher des allocataires de longue durée pour les employer à harceler leurs anciens compagnons de misère. De l’argent bien dépensé, donc.
Mais l’essentiel n’est pas là. Le gouvernement Michel 1er (on lui en souhaite bien d’autres) est visionnaire, il voit bien plus loin que d’aléatoires effets directs de leurs politiques. Car ce que certains pointent comme un effet négatif de la mesure — à savoir la stigmatisation et l’humiliation des chômeurs pour un résultat plus qu’aléatoire — est précisément ce qui est recherché.
Il faut se rendre à l’évidence, ce ne sont pas les salaires, les conditions de travail ou le prestige des fonctions qui font le succès de l’emploi. Certes, éviter la misère peut être un argument, mais quand on voit ce que coûte le fait de travailler et l’écart de revenu entre le salaire minimum et le chômage comme isolé, on comprend vite que l’emploi est peu attractif. Bien entendu, le gouvernement Michel travaille à plonger la plus grande part possible des allocataires sociaux dans la misère noire, pour régler ce problème de piège à l’emploi, mais ce ne sera pas suffisant.
En effet, l’emploi est devenu si médiocre, il est une telle source de souffrances psychiques et sociales qu’il faut se préoccuper, outre de sa compétitivité financière, de sa compétitivité oppressive. Il est dès lors parfaitement logique et souhaitable que le gouvernement mette en place des mesures qui, hors de toute considération d’efficacité, permettront d’humilier les parasites que sont les chômeurs. Ce n’est que par le spectacle de leur avilissement que les véritables cibles de ces politiques pourront être atteintes : les travailleurs. Ceux-ci, souvent tentés de se plaindre et de revendiquer, doivent en effet comprendre qu’il y a pire que leur condition, bien pire, et que la chute est proche, bien proche, s’ils ne savent se tenir.
Il faut voir dans cette mesure le fruit d’un mouvement déjà entamé en 2002 à l’égard des allocataires des CPAS par d’ardents défenseurs des travailleurs : M. Vande Lanotte et Mme Onkelinx. Charles Michel rejoint ainsi le club fermé des hommes et femmes d’État, ces visionnaires qui nous dirigent avec sagesse, bienveillance, mais fermeté. Et si ces personnes n’étaient pas des esprits supérieurs, c’est qu’ils seraient des marionnettes aux mains de semblables esprits, ce qui revient au même.
On n’est pas par hasard aussi habile à rabaisser son prochain.