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Une saine humiliation

Blog - Anathème - chômage par Anathème

avril 2015

Bart Tom­me­lein (Open-VLD) a récem­ment char­gé l’inspection sociale de contrô­ler la consom­ma­tion élec­trique des chô­meurs afin d’en tirer des indices quant à leur sta­tut de coha­bi­tants. Ain­si, des loge­ments à la consom­ma­tion trop basse pour­raient indi­quer des domi­ciles fic­tifs de per­sonnes se pré­ten­dant iso­lées alors qu’elles se réchauffent auprès d’un autre chô­meur pour com­pen­ser une cuve de mazout vide. Ce com­por­te­ment est, comme cha­cun sait, sanc­tion­né d’une baisse des allo­ca­tions, il n’est que le chô­meur vivant seul et souf­frant du froid pour expier son péché d’assistanat qui ait droit à des allo­ca­tions complètes.

Anathème

A l’inverse, une consom­ma­tion anor­ma­le­ment éle­vée pour­rait indi­quer la pré­sence de deux consoles PS4, plu­tôt que l’unique suf­fi­sant ample­ment au bon­heur du chô­meur isolé.

Bien enten­du, il se pour­rait que la consom­ma­tion soit basse parce que la per­sonne, oppor­tu­né­ment main­te­nue sous le seuil de pau­vre­té, ne peut se per­mettre d’allumer la lampe. Ou parce qu’elle a vu sai­sir son sèche-linge et son lave-vais­selle, ache­tés à cré­dit. Ou parce qu’elle passe ses jour­nées au bis­trot. Ou parce qu’elle tra­vaille au noir chez des par­ti­cu­liers. Ou parce qu’elle men­die dans les rues, là où l’éclairage public est gratuit.

À l’inverse, une consom­ma­tion trop éle­vée peut indi­quer que, faute de mazout, l’habitant a allu­mé son chauf­fage d’appoint élec­trique pour tié­dir son loge­ment humide et mal iso­lé. Ou qu’il pos­sède un chauffe-eau élec­trique. Ou qu’il regarde un télé­vi­seur plas­ma, très éner­gi­vore, faute d’avoir obte­nu le cré­dit néces­saire à l’achat d’un plus fru­gal modèle LCD. Ou qu’il fait lui-même son pain au four élec­trique. Ou qu’il pos­sède une cou­ver­ture chauf­fante. Ou qu’il oublie d’éteindre la lumière dans les toilettes.

On l’a com­pris, cet indice est de bien peu de valeur pour tra­quer les coha­bi­ta­tions illé­gi­times. Qu’importe, il sera un pré­texte de plus pour aller comp­ter les brosses-à-dents chez les chô­meurs, véri­fier que des chô­meuses ne recèlent pas des déodo­rants pour hommes, que des chô­meurs ne cèlent pas dans un tiroir de l’ombre à pau­pière, que le lit n’est pas chaud des deux côtés, que le fri­go n’est pas trop plein, qu’un seul pei­gnoir éli­mé pend à la salle de bain…

Certes, les occa­sions se mul­ti­plie­ront ain­si, d’une part, de coin­cer des frau­deurs qui tentent sans ver­gogne de pas­ser au-des­sus du seuil de pau­vre­té sans le méri­ter et, d’autre part, d’embaucher des allo­ca­taires de longue durée pour les employer à har­ce­ler leurs anciens com­pa­gnons de misère. De l’argent bien dépen­sé, donc.

Mais l’essentiel n’est pas là. Le gou­ver­ne­ment Michel 1er (on lui en sou­haite bien d’autres) est vision­naire, il voit bien plus loin que d’aléatoires effets directs de leurs poli­tiques. Car ce que cer­tains pointent comme un effet néga­tif de la mesure — à savoir la stig­ma­ti­sa­tion et l’humiliation des chô­meurs pour un résul­tat plus qu’aléatoire — est pré­ci­sé­ment ce qui est recherché.

Il faut se rendre à l’évidence, ce ne sont pas les salaires, les condi­tions de tra­vail ou le pres­tige des fonc­tions qui font le suc­cès de l’emploi. Certes, évi­ter la misère peut être un argu­ment, mais quand on voit ce que coûte le fait de tra­vailler et l’écart de reve­nu entre le salaire mini­mum et le chô­mage comme iso­lé, on com­prend vite que l’emploi est peu attrac­tif. Bien enten­du, le gou­ver­ne­ment Michel tra­vaille à plon­ger la plus grande part pos­sible des allo­ca­taires sociaux dans la misère noire, pour régler ce pro­blème de piège à l’emploi, mais ce ne sera pas suffisant.

En effet, l’emploi est deve­nu si médiocre, il est une telle source de souf­frances psy­chiques et sociales qu’il faut se pré­oc­cu­per, outre de sa com­pé­ti­ti­vi­té finan­cière, de sa com­pé­ti­ti­vi­té oppres­sive. Il est dès lors par­fai­te­ment logique et sou­hai­table que le gou­ver­ne­ment mette en place des mesures qui, hors de toute consi­dé­ra­tion d’efficacité, per­met­tront d’humilier les para­sites que sont les chô­meurs. Ce n’est que par le spec­tacle de leur avi­lis­se­ment que les véri­tables cibles de ces poli­tiques pour­ront être atteintes : les tra­vailleurs. Ceux-ci, sou­vent ten­tés de se plaindre et de reven­di­quer, doivent en effet com­prendre qu’il y a pire que leur condi­tion, bien pire, et que la chute est proche, bien proche, s’ils ne savent se tenir.

Il faut voir dans cette mesure le fruit d’un mou­ve­ment déjà enta­mé en 2002 à l’égard des allo­ca­taires des CPAS par d’ardents défen­seurs des tra­vailleurs : M. Vande Lanotte et Mme Onke­linx. Charles Michel rejoint ain­si le club fer­mé des hommes et femmes d’État, ces vision­naires qui nous dirigent avec sagesse, bien­veillance, mais fer­me­té. Et si ces per­sonnes n’étaient pas des esprits supé­rieurs, c’est qu’ils seraient des marion­nettes aux mains de sem­blables esprits, ce qui revient au même.

On n’est pas par hasard aus­si habile à rabais­ser son prochain.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.