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Une humiliation d’un autre âge
ls ont bien raison. Voilà, c’est comme ça. Les baptêmes sont un rituel d’un autre âge. Parce qu’ils ont beau dire que c’est un rituel d’initiation et que toute initiation est fondée sur une épreuve, c’est une façon préhistorique de se comporter. Évidemment, quand c’est à la télévision, que des peuplades traditionnelles se scarifient, se tatouent […]

ls ont bien raison. Voilà, c’est comme ça. Les baptêmes sont un rituel d’un autre âge. Parce qu’ils ont beau dire que c’est un rituel d’initiation et que toute initiation est fondée sur une épreuve, c’est une façon préhistorique de se comporter.
Évidemment, quand c’est à la télévision, que des peuplades traditionnelles se scarifient, se tatouent ou se taillent les dents en pointe1, il n’y a rien à redire. Ces populations ont su rester proche des valeurs traditionnelles et l’initiation est une manière de marquer l’introduction dans un groupe. Elle soude les rapports entre initiés et la douleur physique ou mentale n’est qu’un aspect d’un ensemble de traditions, de récits et de sentiments qui sont alors partagés. C’est beau, c’est émouvant, c’est dur mais vrai. Et puis, c’est loin. Et, la plupart du temps, ce sont des Noirs. Ou des Inuits.
Mais ici, dans notre société qui a lutté si longtemps pour que nous soyons chacun apprécié à notre juste valeur ; où tous sont égaux en dignité et en droit ; où les femmes et les hommes, les autochtones et les allochtones, les riches et les pauvres, les beaux et les laids, les vigoureux et les malades, les génies et les imbéciles, où tous sont sur un pied d’égalité, c’est inadmissible ! Nous avons supprimé les discriminations, nous avons ratiboisé la violence sociale, l’humiliation, la déconsidération, le mépris, nous sommes parfaitement heureux… nos enfants aussi… et il faudrait tolérer cela ?
Qu’une minorité agissante opprime nos jeunes, les force à boire de la bière (l’alcool est une drogue), leur crie dessus (la politesse est le fondement du lien social), les salisse (la poudre à lessiver est hors de prix), s’en prenne à leurs cheveux (l’apparence physique est la carte de visite de l’âme), les force à chanter des chansons paillardes (dont ils ne possèdent pas les droits), les mette gueule-en-terre (alors que personne ne devrait avoir à courber l’échine), bref, transgresse toutes les belles valeurs de notre civilisation, voilà qui est trop !
Qui plus est, ils font cela dans le saint des saints, l’université, ce lieu de savoir et de culture, où s’apprend l’autodétermination, où se transmet ce que notre société a produit de meilleur, où se prépare l’entrée dans le monde de l’entreprise, où s’inculque le sens de l’excellence et d’une saine compétition. Ce sanctuaire dont la pauvreté matérielle est à l’image du dévouement qu’il faut pour se consacrer au savoir, dont la précarité du personnel exemplifie la grandeur qu’il y a à travailler sans filet pour le bien de tous, dont la progressive soumission au management et à l’esprit d’entreprise signe l’abandon de tout un peuple dans la bienveillante main (invisible) du marché, ce sanctuaire, donc, est souillé de tant de dérision, de beuveries, d’inconvenance et d’oppression.
S’il nous fallait le tolérer, à quoi bon, alors, avoir créé cette société respectueuse qui ne laisse jamais tomber les siens, qui accueille tout-un-chacun, se réjouissant de ce qu’il peut apporter au vivre ensemble (fût-ce du compost pour Lampeduza, cette île aride), qui fonde tous ses espoirs dans un système de consommation et d’hyperproduction qui nous a délivré du poids du sens des choses, qui se réjouit de savoir que « there’s no such thing as a free pint »2 et que tout se paie, d’une manière ou d’une autre, qui a fait du travail une valeur centrale, non pour ce qu’il crée, mais pour ce qu’il rapporte, qui a soigneusement hiérarchisé ses membres en fonction de leur dignité, qui a ramené la dignité à la question de l’apparence et du montant des revenus ? A quoi bon ?
Le baptême est une humiliation d’un autre âge, qu’il est possible de prendre avec dérision, à laquelle aucun des participants ne croit vraiment (ou pas assez longtemps), alors que nous avons créé tant d’humiliations postmodernes dont personne n’aurait envie de rire, dont nul ne se souviendra jamais avec émotion, qui n’auront jamais la vertu délétère d’instaurer des rapports de camaraderie désintéressée. Oui, mille fois oui, place à l’humiliation contemporaine, à visage humain !
- C’est le cas chez certaines peuplades du Sénégal, voyez plutôt : http://www.santetropicale.com/resume/16902.pdf
- Pour paraphraser notre prophète, Milton Friedman (http://en.wikipedia.org/wiki/There_ain’t_no_such_thing_as_a_free_lunch)