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Un revieillot politique pour des avant-hiers qui chantent
Il n’est que de regarder autour de nous pour constater l’angoisse qui étreint nos sociétés. Pas un manant, pas un portefaix, pas un bourgeois qui ne se plaigne de n’y plus rien comprendre, qui ne dénonce la perte des repères, qui ne confesse une sourde angoisse face à la marche du monde, voire à sa course tant […]
Il n’est que de regarder autour de nous pour constater l’angoisse qui étreint nos sociétés. Pas un manant, pas un portefaix, pas un bourgeois qui ne se plaigne de n’y plus rien comprendre, qui ne dénonce la perte des repères, qui ne confesse une sourde angoisse face à la marche du monde, voire à sa course tant le rythme du changement s’est accéléré.
Qu’on en juge : dans le duel entre le virus et le vaccin, nombre de nos compatriotes ont déclaré préférer le virus, agent infectieux naturel, au vaccin, conçu et mis sur le marché trop rapidement et dont même l’efficacité leur paraissait suspecte. En quelque sorte, être démuni face à un pathogène les renvoie à une expérience immémoriale de l’humanité, tandis que le vaccin à ARN messager les confronte aux affres de l’innovation et de l’inédit, et aux mille questions qu’ils posent.
Tout récemment, alors que la Russie envahissait l’Ukraine, l’Union européenne — pourtant hier encore jugée par tous parfaitement incapable d’une quelconque action ferme — prenait rapidement de sévères mesures contre l’agresseur et ouvrait ses portes aux réfugiés (du moins les Blancs, chrétiens et certifiés ukrainiens). Quel contraste avec l’attentisme face à ces nouveaux ennemis que constituèrent hier Al Qaeda ou l’État islamique. Il est évident que tout le monde fut rassuré de se trouver une fois encore face à l’adversaire de longue date qu’est le Russe, dans un rôle par lui maintes fois interprété, celui de l’impérialiste traitant sans ménagement les pays d’Europe centrale.
Nous pourrions citer mille exemples de plus, comme celui de l’éternelle prolongation d’un parc de centrales nucléaires cacochymes, récemment décidée une fois de plus, faute d’avoir été en mesure, vingt ans durant, d’imaginer un avenir énergétique pour notre pays.
Bref, la nouveauté effraie, déstabilise, désempare dès lors qu’elle s’étend au-delà de secteurs bien balisés. De nouvelles voitures, de nouveaux réseaux sociaux, de nouveaux conflits communautaires, voilà qui suffit ; pour le reste, contentons-nous de ce que nous connaissons.
Mais qui nous guidera sur le chemin de la routine et de l’infinie répétition des erreurs passées ? Une fois de plus, c’est la Belgique francophone qui montre la voie ! En effet, un parti politique, le cdH (Centre démocrate humaniste), vient de faire peau neuve. Ce parti avait lui-même été créé sur les cendres du vénérable PSC (Parti social-chrétien) et sur la conviction qu’il était possible de faire peau neuve avec, pour toute innovation, un usage hardi des majuscules et l’élimination du mot « parti » de sa dénomination. Déjà lui-même issu de la volonté de faire du neuf avec du vieux, il vient à son tour d’être remis à vieux. Sous l’appellation « Les Engagés », il entend une fois de plus marquer, non pas un renouveau, mais bien un revieillot de la scène politique. Entre têtes connues, discours convenus et idées éculées, il réussit le tour de force d’habiller de neuf un projet littéralement antédiluvien : apaiser notre conscience face aux malheurs du monde, sans toucher à l’équilibre de ce dernier, qui nous convient parfaitement. Pour tout dire, leur mesure phare est la suppression des droits de succession… de quoi s’assurer que le monde de demain soit à l’image de celui d’hier.
Bien entendu, comme tous les projets trop postcurseurs, celui-ci fut la cible des railleries et quolibets : un nom sujet à tous les détournements, un étendard à la couleur incertaine, ennemie des écrans et du monde numérique, une typographie cachant mal son indécision au sujet de l’écriture inclusive et un logo que ne renierait pas une marque d’aspirateurs ou une compagnie d’assurances. À n’en pas douter, les géniaux concepteurs de ce projet ont dû bien rire de cette incompréhension : ils savent que leur heure est venue, que le passé leur appartient et donc l’avenir.
Nul doute que les foules en proie au doute, effrayées des bouleversements de la vie moderne se jetteront dans le bras de ce parti de rupture, qui a compris que rien n’était plus novateur que de ne rien promettre de neuf.
Certes, d’autres partis pourraient chercher à abandonner le renouveau pour le revieillot et ressortir de vieilles casseroles dans lesquelles mijoter les brouets d’antan. Gageons cependant que Les Engagés, forts de leur longueur de retard et d’une immémoriale tradition d’immobilisme, sauront montrer de quoi ils ne sont pas capables et convaincre les électeurs qu’ils sont, plus que quiconque, à même de faire advenir des avant-hiers qui chantent.