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Un partenaire incontournable des gouvernements : la Commission européenne Vers une troika « à la Belge » ?
Au moment où s’esquissaient les coalitions régionales ce 5 juin, les supputations quant aux partenaires du prochain gouvernement fédéral continuaient à aller bon train. Les mathématiques du scrutin fédéral étant ce qu’elles sont, personne, l’exception peut-être du CD&V ne semble vraiment incontournable. Personne ? C’est vite dit ! Si l’identité des futurs mariés est encore à déterminer, on connaît par […]
Au moment où s’esquissaient les coalitions régionales ce 5 juin, les supputations quant aux partenaires du prochain gouvernement fédéral continuaient à aller bon train. Les mathématiques du scrutin fédéral étant ce qu’elles sont, personne, l’exception peut-être du CD&V ne semble vraiment incontournable. Personne ? C’est vite dit ! Si l’identité des futurs mariés est encore à déterminer, on connaît par contre celle de la belle-mère qui ne sera autre que la Commission européenne.
Celle-ci vient de rendre publiques ce 2 juin ses propositions de recommandations à la Belgique (comme aux autres Etats membres). Peu de grandes surprises puisque, d’année en année, ces recommandations (parfois très générales) qui doivent encore être formellement adoptées par le Conseil des ministres (donc, par la Belgique elle-même qui a la possibilité de demander des amendements à ces recommandations 1 ) sont presque invariables.
Au point de se demander si la Commission est réellement informée de ce qui se passe dans notre pays. La Belgique est appelée à « accroître la participation au marché du travail, notamment en diminuant les incitations financières à ne pas travailler, en renforçant l’accès au marché du travail pour les groupes désavantagés comme les jeunes et les personnes issues de l’immigration ». Sans considération donc pour la dégressivité des allocations de chômage, le renforcement du plan d’accompagnement et de suivi des chômeurs ou la réforme du versement des allocations de chômage qui privera dès janvier 2015 des dizaines de milliers de personnes de ces allocations. Il est à cet égard intéressant de relever que les recommandations font à nouveau l’impasse sur la pauvreté croissante alors que la Belgique s’est engagée à réduire de 380 000 le nombre de personnes en risque de pauvreté et que, au cours des dernières années, ce chiffre a dramatiquement gonflé de près de 100 000 unités ! Qui a parlé de parti pris idéologique de la Commission ?
Encore 9 milliards d’économies à réaliser…
La Belgique s’était engagée à « arriver à l’équilibre budgétaire en termes structurels en 2016 et [à] atteindre l’objectif à moyen terme l’année suivante » qui est, lui, fixé à 0,75 % du PIB et reporté d’une année à 2017.
Par rapport aux engagements budgétaires pris par la Belgique envers les partenaires européens, la Commission identifie un risque de « déviation significative par rapport à l’ajustement requis pour la période 2014 – 2015 sur la voie de l’objectif à moyen terme 2 ».
Par conséquent, elle appelle la Belgique à « renforcer considérablement la stratégie budgétaire ». Traduction : il faut réaliser des économies de l’ordre de 4,8 milliards d’euros supplémentaires (!) aux mesures déjà prises jusqu’ici en 2014 – 2015 3. Par la suite, la Commission réclame de « poursuivre l’ajustement structurel annuel prévu vers l’objectif à moyen terme, conformément à l’exigence d’un ajustement annuel d’au moins 0,5 % du PIB », c’est-à-dire 2 milliards par an. Donc, en supposant que la croissance tant de fois reportée soit au rendez-vous et que l’objectif soit rencontré en 2017, les économies à réaliser d’ici là se chiffreront à environ 9 milliards d’euros.
Et encore, il pourrait s’agir d’une sous-estimation car, à partir de 2016, le taux d’endettement public de la Belgique devra, conformément aux règles européennes, être « réduit sur les trois années précédentes à un rythme moyen d’un vingtième par an » par rapport au critère de Maastricht de 60 % du PIB 4 . Il s’agira donc d’amener l’endettement public de quelque 101 % en 2016 à 95 % en 2019. La Belgique avait annoncé que la dette publique atteindrait pour 2017 93 % du PIB. Ce chiffre paraît clairement hors d’atteinte.
Evaluer les implications d’une telle trajectoire en termes d’effort budgétaire relève en définitive plus de l’art divinatoire que de la science en raison des nombreuses chaînes de transmission des impacts sur l’activité économique, les créations d’emplois, le soutien au pouvoir d’achat et l’emploi public notamment et des boucles de rétroaction (autrement dit, des effets de chacune de ses variables sur les autres). De surcroît, nous avons vu précédemment (cf. le paragraphe sur le coefficient multiplicateur) que la consolidation budgétaire (numérateur) peut à ce point contracter le PIB (dénominateur) – puisque la commande publique, les allocations sociales et les traitements des fonctionnaires font partie de la demande intérieure qui génère du PIB – que le taux de déficit public (fraction) ne s’améliore pas
Entrant dans les détails, la Commission préconise d’« améliorer l’équilibre et l’équité du système fiscal dans son ensemble et à préparer une réforme fiscale en profondeur permettant d’alléger la fiscalité du travail en la reportant sur des assiettes fiscales dont l’imposition est propice à la croissance ». Comprenne qui pourra ce que cela signifie concrètement. Enfin, la Commission demande pour la nième fois de réduire les dépenses fiscales. Ce sont en particulier celles liées au vieillissement de la population qui sont dans le collimateur (pension et soins de santé, cf. la norme de croissance des soins de santé). Cela doit se traduire par des mesures visant à garder les travailleurs âgés encore plus longtemps sur le marché du travail.
L’épreuve du feu pour le TSCG francophone « gauchisé »
Les gouvernements wallon et bruxellois avaient accepté de ratifier le Traité budgétaire européen pour autant que sa transposition ne subordonne pas la réalisation d’objectifs sociaux et environnementaux à la consolidation budgétaire. C’est ainsi que le décret budgétaire organique wallon (et idem à Bruxelles) a été modifié comme suit :
« Art.76. En poursuivant les objectifs et obligations budgétaires visés à l’article 2 de l’accord de coopération, le Gouvernement veille également à atteindre les objectifs et à respecter les prescrits visés aux articles 8, 9, 11, 14, 106.2 et 153 du TFUE et de l’article 2 du Protocole (n° 26) sur les Services d’intérêt général annexé à celui-ci, ainsi que les objectifs sociaux et environnementaux que l’Union européenne s’est fixés dans sa Stratégie Europe 2020 Le budget s’inscrit dans une convergence vers les objectifs sociaux, économiques, environnementaux et budgétaires visés à l’alinéa 1er, en prenant en compte le calendrier proposé par la Commission européenne conformément aux règles du droit de l’Union européenne applicables.
Art. 77. L’IWEPS réalise, au moins une fois l’an, une évaluation rendue publique du respect des objectifs sociaux, économiques et environnementaux et des prescrits visés à l’alinéa 1er de l’article 76. Les partenaires sociaux, par la voix du CESW, ont également la possibilité de formuler un avis à tout moment, à destination du Gouvernement. » 5
En cas de dérapage budgétaire, un mécanisme de correction conçu dans le même esprit sera activé. Un accord de coopération entre les différentes autorités budgétaires du Royaume complète les textes régionaux pour garantir la cohérence à l’ensemble. Ces textes ont été ratifiés en Belgique à la fin de l’année 2013.
La Commission fait peu de cas des « accommodements » wallons et bruxellois car elle ne fait référence qu’à l’accord de coopération. Et encore, celui-ci ne semble pas lui donner entière satisfaction car elle n’exclut pas que « des dispositions complémentaires pourraient se révéler nécessaires pour rendre contraignants les objectifs au-delà de 2014 ». Sans le moindre mot pour les fameux accommodements. Faut-il en déduire que cette ignorance est normale car la Commission ne connaît que les Etats membres et pas les Régions qui les constituent, fussent-elles dotées de compétences budgétaires ? Ou, au contraire, que cette attitude reflète que la Commission considère ces aménagements au Traité comme « nuls et non avenus » ?
La Commission bafoue son mandat
Cela fait des années que la Commission prend pour cible l’indexation des salaires mais ce n’est que la deuxième fois, qu’elle se montre si précise. Ses propositions sont proches de celles de la NVA (réforme de l’index, négociation au niveau sectoriel ou de l’entreprise, mécanisme de correction automatique en cas de dérapage salarial).
Le gouvernement en affaires courantes serait bien avisé de demander sans délai (c’est-à-dire avant l’adoption formelle des recommandations par les ministres, dans les groupes d’experts qui leur préparent le terrain) la suppression pure et simple de ce passage car les règles de gouvernance économique européenne en vertu desquelles sont prises ces propositions de recommandations reconnaissent explicitement que :
« L’application du présent règlement respecte pleinement l’article 152 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et les recommandations formulées au titre du présent règlement respectent les pratiques nationales et les systèmes de formation des salaires. Le présent règlement tient compte de l’article 28 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et, dès lors, n’affecte pas le droit de négocier, de conclure ou de mettre en œuvre des conventions collectives ou de recourir à des actions collectives, conformément au droit et pratiques nationaux »
Ce n’est qu’une traduction de plus du Traité qui stipule (art.153.5) que les rémunérations ne sont pas du ressort de l’UE.
Et l’environnement ?
En matière de fiscalité environnementale, les observateurs attentifs noteront l’adoucissement des termes employés. En 2014, la Commission se borne à demander une déphasage des subventions qui créent des nuisances environnementales. En 2013, il s’agissait d’« étudi[er] le potentiel de la fiscalité environnementale, par exemple en ce qui concerne le diesel, les combustibles de chauffage et l’utilisation privée des voitures de société » Certes, c’était encore bien timide mais la formulation retenue pour 2014 laisse entendre que, soit on ne désire plus étudier le potentiel, soit celui-ci a bel et bien été étudié mais les conclusions ne sont pas favorables à poursuivre la démarche. Personne n’a jamais vu pareille étude…. Pour mémoire, la Belgique collecte des recettes fiscales environnementales à hauteur de seulement 2,1 % de son PIB, là où la moyenne européenne est de 2,6 %.
Malgré cela, la taxe kilométrique et, de façon moins scabreuse, le péage urbain que les partis présents dans les gouvernements bruxellois et wallons avaient soutenus avant de se renvoyer ces patates chaudes en campagne électorale se voient recevoir un certain soutien de la part de la Commission. Celle-ci demande que « la contribution des transports [à la réduction des émissions de gaz à effet de serre] soit en adéquation avec l’objectif de réduction de l’encombrement des routes ; à convenir d’une répartition claire des efforts et de la charge entre le niveau fédéral et les entités régionales ». Sur le plan des objectifs énergie-climat, la Commission soutient implicitement des initiatives comme l’Alliance Emploi-Environnement dans la Construction Durable et autres projets visant à l’isolation des bâtiments.
Pourquoi incontournable ?
Pendant des années, la Commission a adressé des recommandations spécifiques aux différents Etats membres mais ceux-ci n’en avaient cure. Depuis 2012, la donne a changé car les règles en matière de gouvernance économique prévoient désormais que si les gouvernements ignorent les recommandations, cela peut être considéré comme une « circonstance aggravante » si :
‑la Commission et le Conseil concluent qu’il existe un écart important observé par rapport à la trajectoire d’ajustement en vue de la réalisation de l’objectif budgétaire à moyen terme (c’est le cas aujourd’hui) ; et/ou qu’il y a un risque macroéconomique (du fait d’une bulle immobilière qui se met à gonfler par exemple, d’un endettement privé des entreprises et des ménages qui devient difficilement gérable, ou d’une perte de compétitivité…)
‑l’Etat membre se voit signifier qu’il doit prendre des mesures pour corriger le tir ;
‑celui-ci ne réagit pas de manière convaincante.
Cet Etat membre risque alors de se voir infliger une amende allant jusque 0,2 % du PIB. Pour la Belgique qui devra déjà réaliser de sérieuses économies, cela reviendrait à alourdir la facture de 800 millions !
Rendez-vous en octobre
Selon les règles européennes, les Etats membres doivent présenter pour le 15 octobre à la Commission leur projet de budget annuel avant de le soumettre à leurs parlements. Celle-ci vérifiera que ces projets sont conformes aux recommandations. Outre les nombreux indicateurs des finances publiques permettant d’évaluer le respect des règles budgétaires, « une description et un chiffrage des mesures en matière de dépenses et de recettes [seront] inclus dans le projet de budget pour l’année suivante au niveau de chaque sous-secteur [fédéral, régions, communauté, sécurité sociale] afin de combler l’écart » par rapport aux objectifs budgétaires poursuivis. Etant donné que la Commission a identifié une déviation significative, la Belgique se retrouve virtuellement dans un tel cas de figure. Cette disposition risque d’aviver les tensions communautaires puisqu’il faudra répartir le fardeau entre les entités fédérées et le fédéral alors qu’il est vraisemblable que celui-ci ne sera pas encore constitué !
De manière plus intéressante pour les citoyens, les syndicats et les ONG, ces textes devront présenter des « informations pertinentes sur les dépenses des administrations publiques par fonction, dont l’éducation, la santé et l’emploi, et, autant que possible, des indications sur l’effet redistributif attendu des principales mesures en dépense ou en recette ». A la manière de l’objectif recherché par les gouvernements wallons et bruxellois lors de la transposition du TSCG, les projets budgétaires devront également contenir « des indications sur la manière dont les réformes et mesures prévues dans le projet de plan budgétaire, y compris, en particulier, les investissements publics, répondent aux recommandations en vigueur qui ont été adressées à l’État membre concerné conformément aux articles 121 et 148 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et servent à l’accomplissement des objectifs fixés par la stratégie de l’Union pour la croissance et l’emploi ». Cette stratégie fait en l’occurrence référence aux objectifs chiffrés de lutte contre la pauvreté, de taux d’emploi, de R&D et d’efficacité énergétique, de réduction des gaz à effet de serre et d’énergie renouvelable.
La Commission remettra son avis sur les projets pour le 30 novembre au plus tard et en cas de situation budgétaire particulièrement problématique, pourra demander à l’Etat membre concerné un projet révisé endéans 3 semaines. Les parlements devront voter le budget pour le 31 décembre.
En conclusion, l’influence européenne sur les politiques menées en Belgique est croissante. Les recettes préconisées par la Commission s’inscrivent dans l’esprit de celles mises en œuvre par la troïka et, par conséquent, tendent à favoriser une coalition des droites lors de la formation des gouvernements. Reste à voir dans quelle mesure les aménagements du Traité budgétaire européen par les oliviers bruxellois et wallon résisteront face aux faucons de l’orthodoxie et dans quelle mesure, le cas échéant, les gouvernements s’appuieront sur les marges de manœuvre ainsi créées pour prémunir la population de mesures qui la fragilisera davantage que ce qui n’a été le cas ces dernières années et d’amorcer la transition énergétique que chacun promeut (même si cela recouvre différentes interprétations).
- A l’occasion du Conseil Emploi et du Conseil Economie et Finances des 19 et 20 juin, avant d’être endossées par le Conseil européen.
- La Belgique avait annoncé son ambition de réaliser un excédent budgétaire en données corrigées des variations conjoncturelles et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires (pour faire court : un « surplus structurel ») de 0,5 et 0,6 % en 2014 et 2015 respectivement. Mais, selon les prévisions de la Commission, le solde structurel serait nul en 2014 et deviendrait un déficit structurel de ‑0,2 % du PIB l’année suivante. Or, selon les règles du Pacte de Stabilité et de Croissance, on parle de déviation ou significative à partir du moment où « l’écart représente au moins 0,5 % du PIB sur une année donnée, ou au moins 0,25 % du PIB par an en moyenne sur deux années consécutives »
- Conformément à la formule : PIB x (objectif annoncé – estimation la plus récente de la Commission), pour chaque année.
2014 : 392,5 milliards € x (0,5 % – 0,0 %) = 2 milliards €
2015 : 399,6 milliards € x (0,6 % – (-0,2%)) = 2,8 milliards € (en supposant, comme le Bureau fédéral du Plan, un taux de croissance de 1,8 %)
- Réduction annuelle de la dette (en moyenne sur un laps de 3 années) = 1/20 x ( % endettement public – 60 %) @ 2 % du PIB
- Les articles 8 à 11 font référence à des « clauses horizontales » selon lesquelles il faut veiller dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de l’Union à des taux d’emploi, de santé et d’éducation élevé, au développement durable, à l’égalité, etc. Les articles 14 et 106.2 spécifient que les règles de la concurrence ne s’imposent aux services publics que dans la mesure où elles ne font pas obstacle à la poursuite de l’intérêt général et l’article 153 (en particulier son paragraphe 5) énonce que les rémunération et le droit de grève notamment ne sont pas de la compétence de l’UE. Les objectifs de la Stratégie UE2020 et leurs déclinaisons nationales sont disponibles ici.