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Un an plus tard : le budget wallon à l’épreuve du TSCG “gauchisé”

Blog - Délits d’initiés - budget TSCG UE (Union européenne) Wallonie par Olivier Derruine

octobre 2014

Le 20 décembre 2013, après moult tumultes et une oppo­si­tion (pas tou­jours bien assu­mée) des orga­ni­sa­tions syn­di­cales et du milieu asso­cia­tif, le par­le­ment wal­lon votait la rati­fi­ca­tion du Trai­té sur la Sta­bi­li­té, la Crois­sance et la Gou­ver­nance dans l’UEM, de son petit nom « TSCG ». Ce Trai­té venait se super­po­ser sur le Pacte de Sta­bi­li­té et […]

Délits d’initiés

Le 20 décembre 2013, après moult tumultes et une oppo­si­tion (pas tou­jours bien assu­mée) des orga­ni­sa­tions syn­di­cales et du milieu asso­cia­tif, le par­le­ment wal­lon votait la rati­fi­ca­tion du Trai­té sur la Sta­bi­li­té, la Crois­sance et la Gou­ver­nance dans l’UEM, de son petit nom « TSCG ». Ce Trai­té venait se super­po­ser sur le Pacte de Sta­bi­li­té et de Crois­sance en ver­tu duquel les Etats doivent assai­nir leurs comptes publics. Bien qu’il soit au coeur du fonc­tion­ne­ment de la zone euro, le Pacte avait été qua­li­fié de « stu­pide » par l’ancien Pré­sident de la Com­mis­sion, Roma­no Pro­di, en 2003 eu égard à sa trop grand rigi­di­té. Pour­tant, une réforme de 2011 le dur­cit davan­tage et le Trai­té qui fut adop­té peu de temps plus tard, ren­for­ça encore les contraintes bud­gé­taires pesant sur les Etats.

En dépit de l’agitation qui avait tra­ver­sé cer­tains par­tis du gou­ver­ne­ment, majo­ri­té et oppo­si­tion se rejoi­gnirent comme rare­ment sur un texte pré­sen­tant un tel enjeu : 55 pour, 1 abs­ten­tion, 0 contre. Le gou­ver­ne­ment wal­lon (et bruxel­lois d’ailleurs) avait « gau­chi­sé » ce trai­té d’austérité bud­gé­taire pour en limi­ter la capa­ci­té de nui­sance. Comme l’avait pré­ci­sé, Rudy Demotte, le Ministre-Pré­sident de l’époque : « Le texte de trans­po­si­tion met l’accent sur les objec­tifs figu­rant dans le cadre de l’Union euro­péenne 2020 et en par­ti­cu­lier les objec­tifs sociaux et envi­ron­ne­men­taux à côté des objec­tifs bud­gé­taires. » Tra­duc­tion : la manière dont le Trai­té a été trans­po­sé tient compte d’une palette d’objectifs pris par la Bel­gique pour 2020 dans la fou­lée d’une stra­té­gie socio-éco­no­mique euro­péenne. (Cf. tableau) Ouf, nous voi­là rassurés ! 

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2014, autre année, autre contexte, autre gou­ver­ne­ment. Celui-ci diri­gé par Paul Magnette et débar­ras­sé des Eco­los, est confron­té à un défi­cit de 1,1 mil­liard € et vise le retour à l’équilibre pour 2018. Pre­mière étape : grap­piller 650 mil­lions en 2015, le tout sans aug­men­ter les recettes fis­cales. Pour y par­ve­nir, il table sur une baisse des dépenses de fonc­tion­ne­ment qui pas­se­ra par la com­pen­sa­tion de 5 fonc­tion­naires par­tis par 1 nou­vel enga­gé seule­ment. 10 mil­lions sont éco­no­mi­sés sur la pro­mo­tion de l’emploi avec la réduc­tion de la valeur des points APE et 38 en réor­ga­ni­sant les primes éner­gie et loge­ment. Le gou­ver­ne­ment envi­sage éga­le­ment de lis­ser des inves­tis­se­ments pla­ni­fiés ; il s’agit ici de repor­ter ces inves­tis­se­ments… au moment où les taux d’intérêt – c’est-à-dire le prix de ces inves­tis­se­ments – sont his­to­ri­que­ment bas ! Sont concer­nés : le tou­risme, les crèches, les mai­sons de repos, les infra­struc­tures spor­tives, les zonings, les friches… illu dépenses aus­té­ri­té réces­sion« Le sec­teur de la construc­tion estime que cette déci­sion va lui coû­ter 2.000 emplois. » Le dépu­té Eco­lo Sté­phane Hazée estime que « la sus­pen­sion dès le 1er jan­vier des primes wal­lonnes loge­ment-éner­gie (…) va pro­vo­quer la perte de 1.000 emplois » et le reca­drage des sub­sides liés à l’Aide à la pro­mo­tion de l’emploi (APE) déli­vrés par la Région » à 300 à 400 emplois. Au niveau de la fonc­tion publique, le non-rem­pla­ce­ment des départs de 4 fonc­tion­naires sur 5 l’année pro­chaine coû­te­ra 232 agents en 2015.. » (Fran­çois-Xavier Lefèvre, 5.000 emplois mena­cés en Wal­lo­nie, L’Echo, 28 octobre 2014)

Bref, avec le bud­get 2015, les objec­tifs d’un taux d’emploi net­te­ment plus éle­vé et d’une Wal­lo­nie moins éner­gi­vore en 2020 prennent du plomb dans l’aile.

Ces coupes budgétaires étaient-elles inéluctables ?

1. Lorsque le gou­ver­ne­ment pré­cé­dent a trans­po­sé le TSCG en com­plé­tant un décret de 2011, il avait pris des dis­po­si­tions pour se pré­mu­nir contre ce genre de mesures « dic­tées par l’Europe ». L’article 76 du décret indique que « en pour­sui­vant les objec­tifs et obli­ga­tions bud­gé­taires visés à l’article 2 de l’accord de coopé­ra­tion, le Gou­ver­ne­ment veille éga­le­ment à atteindre les objec­tifs et à res­pec­ter les pres­crits visés aux articles 8, 9, 11, 14, 106.2 et 153 du TFUE et de l’article 2 du Pro­to­cole (n°26) sur les Ser­vices d’intérêt géné­ral annexé à celui-ci, ain­si que [*les objec­tifs sociaux et envi­ron­ne­men­taux que l’Union euro­péenne s’est fixée dans sa Stra­té­gie Europe 2020*]. » Ce cha­ra­bia signi­fie que l’assainissement bud­gé­taire ne doit pas se faire au détri­ment de l’emploi et des autres objec­tifs men­tion­nés ci-des­sus, dont envi­ron­ne­men­taux. Le bud­get 2015 s’inscrit en contra­dic­tion avec cela.

2. « A l’initial, le bud­get 2014 pré­sen­tait un boni de 86 mil­lions. Dans un contexte « nor­mal » avec une crois­sance et des recettes en berne, le bud­get 2015 aurait affi­ché un mali de 190 mil­lions. Mais la requa­li­fi­ca­tion par l’Europe des poli­tiques publiques (le fameux ‘péri­mètre de la dette’) a un impact de 568 mil­lions sur les finances wal­lonnes tan­dis que l’effort régio­nal à l’assainissement des finances belges pèse 329 autres mil­lions. Paul Magnette évoque ici des ‘fac­teurs exté­rieurs’ aux poli­tiques régio­nales. » (Eric Def­fet, « Un bud­get sin­cère et res­pon­sable », Le Soir, 10 octobre 2014)

Le Ministre-Pré­sident étant un expert des ques­tions euro­péennes, on peine à com­prendre pour­quoi il n’a pas bon­di sur la déro­ga­tion per­mise par le Pacte de Sta­bi­li­té dans de telles condi­tions. Celui-ci indique en effet que « un écart tem­po­raire par rap­port à la tra­jec­toire d’ajustement en vue de la réa­li­sa­tion de l’objectif bud­gé­taire à moyen terme devrait être auto­ri­sé s’il résulte d’une [*cir­cons­tance inha­bi­tuelle indé­pen­dante de la volon­té de l’État membre concer­né et ayant des effets sen­sibles sur la situa­tion finan­cière des admi­nis­tra­tions publiques*] ou en cas de grave réces­sion éco­no­mique affec­tant la zone euro ou l’ensemble de l’Union, à condi­tion de ne pas mettre en péril la via­bi­li­té bud­gé­taire à moyen terme, afin de faci­li­ter la reprise éco­no­mique. » Cet « oubli » est d’autant plus fâcheux que le décret rap­pelle cette dis­po­si­tion (article 78).

Ces deux élé­ments de réponse, l’un lié au Trai­té « gau­chi­sé », l’autre lié à l’application pure et simple du Pacte de Sta­bi­li­té (sur lequel le gou­ver­ne­ment wal­lon n’a, par défi­ni­tion, pas d’emprise puisqu’il ne devait pas le trans­po­ser dans le droit wal­lon) confirment que le gou­ver­ne­ment n’était en rien obli­gé de pro­cé­der à une telle poli­tique d’austérité.

SNCB et aides publiques au développement : des victimes sacrificielles du fédéral

Même sans Trai­té « gau­chi­sé » et sans se réfu­gier der­rière le concept des « cir­cons­tances inha­bi­tuelles », le gou­ver­ne­ment peut prendre cer­taines liber­tés avec les enga­ge­ments bud­gé­taires. Preuve en est avec les orien­ta­tions bud­gé­taires du fédé­ral pour la légis­la­ture qui démarre. S’il est vrai que des dépenses publiques ne sont pas immu­ni­sées, le gou­ver­ne­ment peut tou­te­fois en pro­té­ger cer­taines caté­go­ries ex post : lors de l’évaluation du res­pect de la tra­jec­toire bud­gé­taire, « la Com­mis­sion accorde expres­sé­ment toute l’attention vou­lue à tout autre fac­teur, qui de l’avis de l’État membre concer­né, est per­ti­nent pour pou­voir éva­luer glo­ba­le­ment le res­pect des cri­tères du défi­cit et de la dette, et qu’il a pré­sen­té au Conseil et à la Com­mis­sion. Dans ce contexte, une atten­tion par­ti­cu­lière est accor­dée aux contri­bu­tions finan­cières des­ti­nées à [*encou­ra­ger la soli­da­ri­té inter­na­tio­nale et à favo­ri­ser la réa­li­sa­tion des objec­tifs des poli­tiques de l’Union*], à la dette résul­tant d’un sou­tien bila­té­ral et mul­ti­la­té­ral entre États membres dans le cadre de la pré­ser­va­tion de la sta­bi­li­té finan­cière et à la dette liée aux opé­ra­tions de sta­bi­li­sa­tion finan­cière pen­dant des crises finan­cières majeures. » En d’autres termes, la réa­li­sa­tion de l’objectif agréé de longue date au niveau euro­péen de consa­crer 0,7 % à l’aide publique au déve­lop­pe­ment ne sera pas pris en compte par la Com­mis­sion euro­péenne lors du cal­cul du défi­cit public. Bref, au regard du droit euro­péen, rien ne jus­ti­fie de sabrer dans le bud­get de la coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment pour des mon­tants allant de 150 mil­lions d’euros en 2015 à 279 mil­lions en 2019. De la sorte, comme le relève le CNCD, alors que la Bel­gique était en 2010 (et au plus fort de la crise !) à 0,64 % du PIB, elle « pour­rait se retrou­ver sous la barre des 0,4%, du jamais vu depuis 2001 et sur­tout depuis que notre pays s’est enga­gé léga­le­ment à réa­li­ser cet objec­tif [de 0,7 %], qu’il devait atteindre au plus tard en… 2010 ! »

Quant aux éco­no­mies sub­stan­tielles qui por­te­raient sur la SNCB, celles-ci repré­sen­te­raient pas moins de 20 % du total des 11 mil­liards d’ici 2019 qui a été annon­cé par le gou­ver­ne­ment. Ce choix bud­gé­taire dia­mé­tra­le­ment oppo­sé à un sou­tien de la mobi­li­té douce n’est pas de nature à encou­ra­ger l’usage du train qui per­met de désen­gor­ger les routes aux heures de pointe et de s’attaquer au pro­blème de la pol­lu­tion et aux émis­sions de gaz à effet de serre (cf. objec­tif 2020). La FEB relève que « selon une esti­ma­tion du Conseil euro­péen et de l’OCDE, les coûts de la conges­tion revien­draient à 2% du PIB belge. Cela signi­fie que les files coû­te­raient chaque année 8 mil­liards d’euros dans notre pays, sans comp­ter les coûts indi­rects plus dif­fi­ciles à chif­frer, comme les consé­quences sur la san­té. » Autre­ment dit, les éco­no­mies de 2,1 mil­liards d’euros se feront au prix d’une aug­men­ta­tion de ce coût caché 8 mil­liards qui sera à charge des tra­vailleurs et des entre­prises ! Un jeu de vases com­mu­ni­cants où la col­lec­ti­vi­té est in fine per­dante. Cette mesure équi­vau­dra à une taxe dégui­sée mais dont les recettes ne pro­fi­te­ront à per­sonne et qui n’aidera pas à res­ter sur la tra­jec­toire bud­gé­taire. Et étant don­né que le train est un mode de trans­port net­te­ment moins nui­sible pour l’environnement que la voi­ture, cela ne sera pas mieux sur le plan environnemental.

De la tromperie ou de l’incurie, hier ou aujourd’hui

Pour reve­nir à la situa­tion wal­lonne, soit la majo­ri­té pré­cé­dente a conçu un méca­nisme ban­cal qui ne fonc­tionne pas. Et dans ce cas de figure :

  • Eco­lo qui pous­sait pour la fixa­tion de balises durables au Trai­té, a été neu­tra­li­sé ; ou
  • Eco­lo savait que ces accom­mo­de­ments ne mar­che­raient pas mais par soli­da­ri­té gou­ver­ne­men­tale ou par crainte d’être évin­cé du pou­voir par le PS (une défiance des Verts aurait induit que le PS n’était pas « assez à gauche ») , il a accep­té les amé­na­ge­ments. Pro­té­gé par la haute tech­ni­ci­té du dos­sier, Eco­lo pou­vait sau­ver (tem­po­rai­re­ment vue la mon­tée du PTB dans les son­dages) la face

Soit, la nou­velle majo­ri­té a déci­dé d’ignorer les dif­fé­rentes dis­po­si­tions euro­péennes qui lui per­met­taient d’orienter la poli­tique bud­gé­taire dans un autre sens.Cela impli­que­rait alors qu’elle a fait le choix de mettre entre paren­thèse un pro­jet pro­gres­siste et que son (seul) grand objec­tif pour la légis­la­ture est le retour à l’équilibre, les autres étant secon­daires. De la sorte, PS et cdH ne se dis­tin­gue­raient pas du gou­ver­ne­ment fédé­ral dont ils consti­tuent une com­po­sante signi­fi­ca­tive de l’opposition. De quoi nour­rir une cer­taine schi­zo­phré­nie au bou­le­vard de l’Empereur et à la rue des deux Eglises. Com­prenne qui pourra.

Et pour­tant, le PS et le cdH auraient pu trou­ver en la Banque Cen­trale Euro­péenne une alliée inat­ten­due : tan­dis qu’elle était une ardente mili­tante du TSCG, celle-ci plaide désor­mais pour uti­li­ser les marges de manoeuvre du Pacte de Sta­bi­li­té et pour que les poli­tiques bud­gé­taires ne se can­tonnent pas à l’assainissement des finances publiques mais qu’elles sou­tiennent l’économie réelle. En cela, la BCE donne rai­son à ceux qui défen­daient la « gau­chi­sa­tion » du Traité.

Que d’occasions gâchées pour évi­ter de per­pé­tuer l’austérité !

Olivier Derruine


Auteur

économiste, conseiller au Parlement européen