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Syrie – Légitimité de l’action de Poutine et d’Assad : une narration du conflit syrien à l’épreuve des faits

Blog - e-Mois - Alep (Aleppo) Assad Baas (Ba‘th) Daech fascisme Gauche Islamisme jihadisme Moyen-Orient Pacifisme Printemps arabe Propagande PTB Russie Syrie حلب سوريا par Benjamin Peltier

octobre 2016

De l’extrême droite à l’extrême gauche, beau­coup main­tiennent depuis cinq ans une posi­tion ambi­guë sur la Syrie qui se double sou­vent d’une cer­taine admi­ra­tion pour Vla­di­mir Pou­tine. Même si la plu­part du temps, per­sonne n’ose direc­te­ment défendre le dic­ta­teur de Damas, beau­coup déve­loppent un dis­cours du « je ne sou­tiens pas Assad mais…» qui abou­tit fina­le­ment à des résul­tats simi­laires. Ain­si, le 5 octobre der­nier, devant l’ampleur des vio­la­tions des droits humains com­mises à Alep, le Par­ti du Tra­vail de Bel­gique (PTB) publiait un article sur son site solidaire.org inti­tu­lé Alep : ville sym­bole de notre poli­tique étran­gère. Rien de bien nou­veau dans l’attitude du PTB quant à la situa­tion sur place. Tou­te­fois, il sem­blait per­ti­nent, pour une fois, d’analyser un peu plus en pro­fon­deur la manière dont ce par­ti pré­sente les choses.

e-Mois

Cet article de solidaire.org peut ser­vir d’étude de cas sur la manière dont cer­tains par­tis et mou­ve­ments conti­nuent à main­te­nir une posi­tion qui autre­ment devien­drait inte­nable au vu de la situa­tion actuelle. Cet article ne vise donc pas tant le PTB que l’ensemble des dis­cours rela­ti­vistes sur le conflit qui n’ont guère de pro­blème à tordre la réa­li­té pour la faire ren­trer dans leur lec­ture du monde. Et qui, de sur­croît, ont ten­dance à s’imposer de fac­to dans le récit du conflit syrien. Ce sont alors les Syriens sous les bombes qui font les frais de ces lec­tures erronées. 

Une introduction qui donne le ton

Dès le para­graphe intro­duc­tif, les tor­sions du réel sont per­cep­tibles. On y retrouve notam­ment l’idée selon laquelle c’est depuis la paru­tion de la « pho­to du petit Omran » que les « images ter­ribles se suc­cèdent », alors même que que l’horreur en Syrie se décline depuis plus de cinq ans en pho­tos, vidéos et témoi­gnages divers. Mais c’est véri­ta­ble­ment dans la pre­mière par­tie du texte de l’article inti­tu­lé Qu’est-ce qui se passe à Alep ? Qui assiège la ville ? que l’auteur dépeint une situa­tion sou­vent éloi­gnée du réel.

Ce der­nier com­mence en affir­mant que « la plus grande par­tie de la ville [d’Alep], avec plus d’un mil­lion d’habitants, est sous contrôle du gou­ver­ne­ment syrien. » Cette affir­ma­tion est non seule­ment fausse au niveau de la super­fi­cie, mais elle l’est même au regard de la popu­la­tion ini­tiale des zones consi­dé­rées. Comme visible sur la carte ci-contre, si notre champ d’application se limite à la ville d’Alep en tant que telle, sans inclure les cam­pagnes envi­ron­nantes, l’opposition tient les deux tiers de la super­fi­cie de la ville. En 2012, lors de ce qui fut appe­lé « la bataille d’Alep » elle a même été jusqu’à en déte­nir 90% avant que les lignes de front ne se sta­bi­lisent. Au niveau de la popu­la­tion, la ville d’Alep com­pre­nait trois mil­lions d’habitants avant la guerre : envi­ron deux mil­lions dans ce que l’on appelle actuel­le­ment Alep-Est et un mil­lion dans Alep-Ouest. De ces chiffres ini­tiaux nous sommes pas­sés à des esti­ma­tions de 220.000 à 380.000 habi­tants à l’Est et de 800.000 à 1,2 mil­lions à l’Ouest.

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Cette évo­lu­tion des chiffres pose d’emblée deux ques­tions impor­tantes ; qu’est-il adve­nu des habi­tants et pour­quoi une telle dif­fé­rence d’évolution entre les deux par­ties de la ville ? L’exode des habi­tants de l’Est connaît deux issues pos­sibles : s’ils sont par­tis assez tôt, ils sont en Tur­quie ou en Europe. S’ils sont par­tis après la fer­me­ture de la fron­tière turque, ils sont blo­qués dans des camps le long de celle-ci (camps bom­bar­dés à plu­sieurs reprises par le régime et ses alliés). Pour­quoi une telle dimi­nu­tion à l’Est et pas à l’Ouest ? Parce que, comme le mon­trait récem­ment une vidéo de pro­mo­tion du minis­tère du Tou­risme syrien, la par­tie Ouest est encore rela­ti­ve­ment pré­ser­vée tan­dis que la par­tie Est, bom­bar­dée quo­ti­dien­ne­ment tant par l’aviation russe que par celle du régime, n’est plus qu’un champ de ruines. Ain­si même si la vie dans Alep-Ouest est dif­fi­cile, avec des cou­pures d’eau et d’électricité régu­lières, dans Alep-Est elle juste deve­nue impos­sible. C’est donc clai­re­ment la majo­ri­té de la ville d’Alep, en popu­la­tion et en super­fi­cie, qui a subit ce déluge de feu depuis quatre ans, et non pas « une petite par­tie » comme l’article du PTB le laisse entendre, en sous-esti­mant d’ailleurs au pas­sage le nombre de rési­dents dans « Alep-Est ».

Afin de conti­nuer à mini­mi­ser l’importance des bom­bar­de­ments sur cette zone, l’auteur évoque ensuite la pré­sence de com­bat­tants de « ladite “Armée syrienne libre”, mais aus­si des com­bat­tants d’Al Qae­da ». L’utilisation d’une épi­thète de mise en doute – la dite – et de guille­mets autour du nom de l’ASL sont une ten­ta­tive claire de remise en cause de l’existence même de celle- ci. Pour Al Qae­da, par contre, nul guille­met. Pour­tant, Jabhat Fatah al-Sham (le nou­veau nom de Jabhat al-Nos­ra) a d’une part cou­pé ses liens avec Al-Qae­da (ce qui ne la rend bien évi­dem­ment pas plus fré­quen­table) et d’autre part n’a jamais vrai­ment été implan­tée à Alep. Le Conseil local (organe révo­lu­tion­naire élu char­gé de la ges­tion de la ville) s’est en effet tou­jours oppo­sé à leur présence.

Cepen­dant, en août der­nier, ils ont lar­ge­ment contri­bué à la brève rup­ture du siège qui a per­mis l’approvisionnement en nour­ri­ture de la ville. C’est depuis lors qu’ils y main­tiennent une faible pré­sence (800 com­bat­tants dans Alep-Est d’après De Mis­tu­ra, soit moins de 10% des rebelles pré­sent, mais ce chiffre est déjà revu à la baisse par les experts qui parle plu­tôt de 100 à 200 com­bat­tants maxi­mum soit un à deux pour-cents des com­bat­tants pré­sent dans Alep-Est). C’est donc bien notre absence de réac­tion qui a contri­bué à accroître le cré­dit du groupe qui est fina­le­ment vu par la popu­la­tion comme leur seul défen­seur. Par ailleurs, le régime a lui aus­si recours à des com­bat­tants sec­taires et étran­gers en masse. Pour l’offensive d’Alep, 6000 nou­veaux com­bat­tants ont été mobi­li­sés par celui-ci, dont 5000 étran­gers.

Dans le para­graphe sui­vant, l’auteur sous-entend que le siège serait le fait des rebelles et du régime à parts égales et à tour de rôle, sem­blant ain­si les ren­voyer dos à dos. Il s’agit de nou­veau d’un vrai déni de la réa­li­té. D’une part , en août der­nier, la période de « siège » de la par­tie Ouest a été très brève et, d’autre part, il ne s’agissait pas d’un siège à pro­pre­ment par­ler. En effet, bien que plus dan­ge­reuse, la route de Cas­tel­lo res­tait ouverte au régime et a conti­nué à être uti­li­sée par celui-ci. En Syrie, sur le qua­si mil­lion de per­sonnes vivant en état de siège 20.000 le sont du fait des rebelles (à Foua et Kafraya), 110.000 de Daech (Deir ez-Zor) et le reste, soit près de 700.000 per­sonnes, du régime. Les rebelles auto­risent l’envoi de convois huma­ni­taires à Foua et Kafraya à chaque fois que le régime en accepte à Madaya et Zaba­da­ni qu’il assiège. A Alep et Deraya, par exemple, villes assié­gées par le régime, celui-ci n’autorise l’accès à aucun convoi huma­ni­taire. Autre­ment dit, l’intensité et le volume des blo­cus ne sont juste pas com­pa­rables. De nou­veau, il semble que l’intention de l’auteur soit d’atténuer la culpa­bi­li­té du régime et de ses alliés dans le drame huma­ni­taire et humain que repré­sente le siège de popu­la­tion civile.

Cette pre­mière par­tie de texte se ter­mine avec l’affirmation sui­vante : « Il s’agit donc de com­battre Daech, mais aus­si les groupes rebelles armés. Des frappes aériennes russes l’assistent dans cette guerre ». L’auteur com­mence par citer Daech, qui serait donc l’objectif pre­mier des offen­sives du régime et de son allié russe. Or, si Daech a par­fois consti­tué une cible pour ceux-ci, cela n’a jamais consti­tué leur cible numé­ro un. Prime Source Inter­na­tio­nal éta­blit par exemple une carte des frappes russes et du régime syrien en ce début de mois d’octobre (ci-contre), on voit clai­re­ment que plus de 90% d’entre elles visent expli­ci­te­ment les rebelles et non pas l’État Isla­mique. Or, il ne s’agit pas là d’une excep­tion, puisque les sta­tis­tiques de l’Ins­ti­tute for the Stu­dy of War, tenues à jour depuis le début de l’intervention russe, confirment cette analyse.

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Le texte évoque ensuite « les groupes rebelles armés », omet­tant de rap­pe­ler que ceux que com­bat le régime sont avant tout ses oppo­sants (ou ceux qu’il juge tels), qu’ils soient armés ou non. Rap­pe­lons que la répres­sion a tou­jours visé d’abord et avant tout les oppo­sants non vio­lents. Le sort réser­vé au mou­ve­ment paci­fiste de Deraya en est pro­ba­ble­ment un des meilleurs exemples, mais on pour­rait aus­si évi­dem­ment citer les dizaines de mil­liers d’opposants poli­tiques morts sous la tor­ture dans les geôles du régime. La phrase de clô­ture de l’extrait « Des frappes aériennes russes l’assistent dans cette guerre » valide clai­re­ment, par l’usage du mot « guerre », la vision de camps armés qui se com­battent. Or, à Alep, c’est bien à un tra­vail d’extermination d’une popu­la­tion civile que l’on assiste .

Et si on continuait à minimiser les crimes ?

Après un para­graphe « d’analyse de la situa­tion » l’article de solidaire.org se penche ensuite sur ce qu’il fau­drait faire ou pas sous le titre « Faut-il arrê­ter l’attaque de l’armée syrienne ? ». Cela com­mence comme suit : « Face aux images hor­ri­fiantes qui nous par­viennent, la prio­ri­té paraît spon­ta­né­ment un arrêt immé­diat de l’offensive des forces armées rus­so-syriennes à Alep. En effet, uti­li­sa­tion d’armes pro­hi­bées, bom­bar­de­ments d’hôpitaux, sièges,… les accu­sa­tions de crimes de guerre contre la coa­li­tion rus­so-syrienne ne manquent pas. Les rap­ports de “dégâts col­la­té­raux”, un terme hor­rible pour dési­gner les vic­times civiles ou des hôpi­taux détruits, ne se comptent plus. »

L’utilisation du terme « spon­ta­né­ment » est déjà inté­res­sante, car elle semble déjà induire qu’il s’agit de la pre­mière idée qui vient à l’esprit mais que ce n’est pas la bonne. Mais le plus cho­quant dans ce para­graphe est sans nul doute l’usage du terme « dégâts col­la­té­raux ». En effet, même en usant d’une pré­cau­tion d’usage rap­pe­lant l’horreur de ces « dégâts col­la­té­raux », il est affir­mé qu’il ne s’agit quand même que de cela : de dom­mages invo­lon­taires. Or, la popu­la­tion et les infra­struc­tures civiles ne sont pas tou­chées « par acci­dent » mais déli­bé­ré­ment. Amnes­ty Inter­na­tio­nal le poin­tait déjà dans un rap­port publié il y a plu­sieurs mois et l’affaire du convoi huma­ni­taire bom­bar­dé par les Russes le confirme. Depuis la fin de la fra­gile trêve, les Russes et le régime ont détruit plu­sieurs hôpi­taux, dont le plus grand res­tant à Alep, et ce mal­gré l’enfouissement à plu­sieurs mètres sous le sol de la majo­ri­té de ses ser­vices. Leurs bom­bar­de­ments ont anéan­ti trois des quatre centres de la défense civile d’Alep qui est char­gée de venir en aide aux bles­sés sur les sites de bom­bar­de­ments. Les bombes de Pou­tine et Assad ont éga­le­ment visé sys­té­ma­ti­que­ment les bou­lan­ge­ries pour leur aspect « stra­té­gique » pour l’alimentation de la popu­la­tion. Enfin, l’écrasante majo­ri­té des bom­bar­de­ments russes et du régime ne visent pas les cibles mili­taires le long de la ligne de front mais bien l’intérieur rési­den­tiel de la ville.

Le para­graphe sui­vant de l’article sombre lit­té­ra­le­ment dans le confu­sion­nisme le plus total en ten­tant de démon­trer que tous les acteurs se valent. A chaque crime du régime, l’auteur fait répondre un crime des rebelles. « Autour de la ville de Hama, une offen­sive de rebelles dji­ha­distes et la réac­tion gou­ver­ne­men­tale font en ce moment même d’innombrables vic­times ». Il est déjà inté­res­sant de noter que les rebelles deviennent les « rebelles dji­ha­distes » alors que c’est une coa­li­tion rebelle assez diverse qui affronte des forces armées assez diverses éga­le­ment : on note notam­ment la pré­sence du Hez­bol­lah liba­nais ou de Pas­da­rans ira­niens sur ce front du côté du régime. Il est donc ensuite ques­tion d’«innom­brables vic­times », manière de dire qu’Alep ne serait qu’un élé­ment péri­phé­rique, et que les vic­times, prises dans leur glo­ba­li­té, seraient à mettre sur le dos des deux camps. Seule­ment, de nou­veau, cette affir­ma­tion ne colle pas à la réa­li­té car, non seule­ment le théâtre de l’offensive de Hama est beau­coup moins meur­trier que celui d’Alep (et de loin), mais en plus, d’après le SNHR – une des sources cré­dibles pour le décompte des vic­times –, le nombre de morts civils a mini­ma en sep­tembre 2016 en Syrie serait de 1176 dont 993 du fait du régime. Pas vrai­ment une res­pon­sa­bi­li­té par­ta­gée de manière égale.

Dans le même esprit, l’auteur pour­suit : « Pen­dant que le gou­ver­ne­ment syrien est accu­sé d’utiliser des bombes barils, les rebelles uti­li­se­raient sys­té­ma­ti­que­ment des atten­tats-sui­cides ». D’une part, le régime est « accu­sé » alors même que l’utilisation des barils d’explosifs est attes­tée par l’ONU, docu­men­tée et quo­ti­dienne, tan­dis que, d’autre part, les rebelles « uti­li­se­raient sys­té­ma­ti­que­ment des atten­tats-sui­cides », ce qui n’est attes­té par per­sonne. De toutes les sources fiables consul­tées sur la Syrie, il semble qu’il n’y a jamais eu que des groupes dji­ha­distes (à ne pas confondre avec « isla­mistes ») qui ont eu recours à ces méthodes, or ceux-ci sont lar­ge­ment mino­ri­taires au sein de la rébel­lion syrienne. De plus, ces voi­tures pié­gées sont qua­si­ment tou­jours uti­li­sées contre des cibles mili­taires et visent à ouvrir une brèche dans le cadre d’une offen­sive. Il ne s’agit pas d’attentats à la voi­ture pié­gée contre des civils comme Daech l’a récem­ment fait dans dif­fé­rentes villes de Syrie.

Et l’auteur conti­nue sa lita­nie : « Les habi­tants du quar­tier kurde d’Alep ont dénon­cé l’utilisation d’armes chi­miques par les rebelles ». Ain­si, alors même que la plus grande attaque chi­mique qui a eu lieu en Syrie jusqu’à main­te­nant a été plus que pro­ba­ble­ment menée par le régime, tuant plus d’un mil­lier de civils, la seule men­tion de l’utilisation d’armes chi­miques dans cet article concer­ne­rait une attaque rebelle. Pour­tant, la men­tion de cette attaque impu­table aux rebelles n’apparaît que sur des sites com­plo­tistes (comme le Réseau Vol­taire) ou du Krem­lin (comme Sput­nik) sans qu’aucun site sérieux ne cor­ro­bore les faits. Par contre, en cher­chant au sujet de ces attaques, on trouve que la seule attaque chi­mique avé­rée contre le quar­tier kurde d’Alep est le fait du régime en avril 2013. Par ailleurs, si on veut par­ler de manière cer­taine des attaques chi­miques com­misses en Syrie, on peut se fier à la liste réa­li­sée par les ins­pec­teurs de l’ONU dans un rap­port fin aout 2016. Or, si ce docu­ment met expli­ci­te­ment en cause le régime et Daesh, il ne pointe en revanche à aucun moment la res­pon­sa­bi­li­té de groupes rebelles .

La Syrie, terrain de jeu fantasmé de l’administration américaine

Dans la par­tie sui­vante de l’article inti­tu­lée « Les des­sous de la carte. Pour­quoi l’armée syrienne avance-t-elle main­te­nant ? », l’auteur, sûr de lui, se livre à une ana­lyse géo­po­li­tique, expli­quant tout ce qui se passe en Syrie par l’action d’acteurs exté­rieurs et que l’on s’abstiendra de com­men­ter in exten­so. Cepen­dant, la der­nière phrase mérite que l’on s’y arrête : « Sou­te­nir les rebelles d’Alep pour­rait consti­tuer l’excuse rêvée [pour les USA] pour ren­ver­ser le gou­ver­ne­ment d’Assad, et faire de la Syrie une deuxième Libye ». On touche là au cœur du fan­tasme qui semble sous-tendre l’entièreté du posi­tion­ne­ment sur le Syrie du PTB : les USA vou­draient depuis le début prendre le contrôle du pays pour y ins­tau­rer le chaos, ce qui est pour le moins décon­nec­té de toute ana­lyse un peu froide de la situa­tion depuis cinq ans.

Si l’objectif des USA était d’intervenir pour ren­ver­ser le régime syrien, ce ne sont pour­tant pas des excuses qui ont man­qué jusqu’ici, tant Assad a fran­chi toutes les lignes rouges que l’on avait ten­té de lui impo­ser. Encore aujourd’hui, les USA ne menacent aucu­ne­ment d’intervenir, alors même qu’il ne s’agirait que d’imposer une zone d’exclusion aérienne pour pro­té­ger les popu­la­tions civiles. De plus, que veut dire « faire de la Syrie une deuxième Libye »? On ima­gine que ce qui est sous-enten­du est « un autre pays dans le chaos ». Pour­tant, à bien y regar­der, le niveau de chaos entre les deux pays n’est pas vrai­ment com­pa­rable : 57 fois plus de morts en Syrie entre 2011 et 2015 qu’en Libye et 500 fois plus de réfu­giés tou­jours sur la même période. Dès lors, on peut pen­ser que le régime syrien s’est bien débrouillé en appli­quant à la lettre depuis le début le slo­gan de ses cha­bi­has : « Assad ou on brûle le pays ».

Que faire ? Surtout encore moins

L’auteur ter­mine par une conclu­sion inti­tu­lée « Que pou­vons-nous exi­ger de nos gou­ver­ne­ments ? ». Ça com­mence fort : « Cela fait cinq ans que la popu­la­tion syrienne est vic­time d’un affron­te­ment entre grandes puis­sances qui aime­raient se par­ta­ger le pays ». Le PTB reprend ici le cœur même de la logique qui pré­vaut sur les sites inter­net conspi­ra­tion­nistes : la Syrie serait vic­time d’un com­plot inter­na­tio­nal. On a pour­tant bien du mal à voir, en admet­tant qu’il y ait un des­sein de cer­taines grandes puis­sances, en quoi elles en pro­fitent. Plus encore, ce qui est sur­tout cho­quant est que l’on prive de tout rôle les Syriens eux-mêmes. Leur révo­lu­tion ? Elle n’a pas exis­té ! Les mani­fes­ta­tions monstres et paci­fiques dans toutes les villes pen­dant des mois ? Un com­plot US pour désta­bi­li­ser le pays ! On retrouve fina­le­ment là un dis­cours lar­ge­ment eth­no-cen­tré qui reti­re­rait à ces « arabes » la capa­ci­té de reven­di­ca­tion poli­tique et de construc­tion révo­lu­tion­naire. Le « pou­voir au peuple » serait-il un idéal qui ne vau­drait que pour nous ? 

Plus loin, une phrase sonne comme une excuse aux bom­bar­de­ments du régime et de la Rus­sie : « Par ailleurs, il paraît irréa­liste de pen­ser que le gou­ver­ne­ment syrien ou la Rus­sie vont s’arrêter tant que nos gou­ver­ne­ments sou­tiennent des groupes armés dans le pays ». L’auteur en remet une couche juste après pour blan­chir un peu plus encore le régime de Vla­di­mir Pou­tine : « La Rus­sie est entrée en guerre en 2015, quatre ans après le début offi­ciel du sou­tien occi­den­tal aux rebelles, avec un objec­tif clair : évi­ter que la Tur­quie et les États-Unis uti­lisent leurs avions pour chas­ser Assad, comme ils ont chas­sé Kadha­fi. En gros, ce qui se passe à Alep aujourd’hui est le miroir à retar­de­ment de notre inter­ven­tion ».

On tombe là dans du pur délire mais sur­tout dans une inver­sion chro­no­lo­gique des évé­ne­ments tout à fait hal­lu­ci­nante. Étant don­né que le pre­mier à avoir enclen­ché le cycle de la vio­lence et du meurtre est sans conteste le régime (tirant sur les mani­fes­tants, les arrê­tant et les tor­tu­rant à mort), il est dif­fi­cile de pré­tendre que ce qui se passe serait la faute de nos inter­ven­tions. Mais ce qui est encore plus contes­table c’est l’implication russe en Syrie. On sait ain­si que, qua­si­ment depuis le début de la répres­sion, des for­ma­teurs russes sont sur place et qu’un flot d’armes russes ali­mente le régime. Dès les pre­miers mois de la révo­lu­tion, les mani­fes­ta­tions en Syrie ont dénon­cé le sou­tien de Mos­cou au régime syrien.

Malheureusement tout cela n’est pas nouveau

On ne peut pas vrai­ment dire que ce posi­tion­ne­ment du PTB sonne comme une sur­prise. Le conflit syrien, comme d’autres avant lui – on pense à Prague en 1968 ou au Cam­bodge dans les années sep­tante – est un conflit qui divise la gauche. Ces per­son­na­li­tés ou orga­ni­sa­tions poli­tiques qui depuis cinq ans ne par­viennent pas à sor­tir de leur ambi­guï­té vis à vis de la poli­tique d’extermination du dic­ta­teur syrien et de ses alliés ont tou­jours une bat­te­rie d’arguments tout fait pour défendre leur posi­tion. Mais c’est tou­jours la même obses­sion qui revient en arrière fond : la prin­ci­pale cible de notre indi­gna­tion devrait être la poli­tique inter­na­tio­nale des USA et de leurs alliés. Les crimes que d’autres pour­raient com­mettre, ne seraient à leurs yeux jamais aus­si grave.

Aucun chiffre, aucune sta­tis­tique, aucun témoi­gnage poi­gnant ou image apo­ca­lyp­tique de la Syrie ne semble en mesure de chan­ger cet état de fait.

Et ce même type de rai­son­ne­ment est tenu par le PTB en Bel­gique, par un Mélen­chon en France, un Jéré­my Cor­byn au Royaume-Uni et une Jill Stein aux USA. Ce posi­tion­ne­ment sem­blant sou­vent se dou­bler d’une cer­taine fas­ci­na­tion pour la figure de Pou­tine – fas­ci­na­tion par­ta­gée par la droite iden­ti­taire. Il est trou­blant de remar­quer que sur la Syrie – mais éga­le­ment l’Ukraine – les per­sonnes de gauche citées plus haut semblent adop­ter des posi­tions qua­si iden­tiques que leur contre­par­tie de droite : Lepen et Fillon en France, Farage au Royaume-Uni ou Trump aux USA (il est d’ailleurs inter­es­sant de voir que la can­di­date éco­lo­giste Jill Stein a d’ailleurs réce­ment affir­mé dans un tweet pré­fe­rer Donald Trump à Hil­la­ry Clin­ton à cause des ques­tions inter­na­tio­nales et de son posi­tion­ne­ment vis-à-vis de la Rus­sie).

En Bel­gique la posi­tion du Par­ti Popu­laire (droite fran­co­phone néo-conser­va­trice) sur la ques­tion est aus­si assez proche de celle du PTB. Pour­tant, sur la Syrie, un rai­son­ne­ment de gauche cohé­rent n’aurait-il pas dû mener, il y a cinq ans déjà, à une prise de posi­tion claire et sans ambi­guï­té en faveur d’une socié­té civile qui au début dans ses mani­fes­ta­tions ne deman­dait que « la digni­té et le res­pect », plu­tôt que de se ran­ger, dans les faits, au côté de l’oppresseur.

Benjamin Peltier


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