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Statut de cohabitant·e : 40 ans de trop

Blog - e-Mois par July Robert

décembre 2022

Récla­mer l’arrêt du sta­tut de cohabitant·e, c’est exi­ger la fin de ces situa­tions dans les­quelles des per­sonnes, du fait qu’elles coha­bitent, per­çoivent un mon­tant plus faible (que les per­sonnes iso­lées) d’allocations sociales ou de sup­plé­ments, de cor­rec­tifs ou d’avantages sociaux. Il en va de même pour quelqu’un·e en inva­li­di­té ou ame­né à recou­rir à l’aide sociale (RIS).

e-Mois

Historique

Au début des années 1980, la Bel­gique subit de plein fouet les consé­quences du second choc pétro­lier de 1979. La révo­lu­tion ira­nienne et la chute du Shah avaient entraî­né un dédou­ble­ment du prix du baril suite à la réduc­tion des expor­ta­tions de pétrole ira­nien. Alors que l’industrie belge était déjà fort enta­mée par un contexte d’inflation galo­pante, cette crise éco­no­mique a entraî­né une explo­sion du nombre de chômeur·euses. La baisse de ren­ta­bi­li­té du sec­teur indus­triel l’a contraint à réduire ses emplois de moi­tié, déve­lop­pant ain­si un « chô­mage mas­sif » néces­si­tant d’augmenter les sub­sides à l’assurance chô­mage. Tou­jours dans le même temps, d’autres pro­fonds dés­équi­libres macroé­co­no­miques appa­raissent, dont notam­ment celui de la balance com­mer­ciale ou celui des finances publiques avec une dette qui attein­dra 100% du PIB alors que les taux d’intérêt grimpent avec l’inflation.

C’est dans ce contexte bud­gé­taire com­pli­qué que la loi D’Hoore, adop­tée en 1981, crée trois caté­go­ries d’allocataires en assu­rance chô­mage : chef de ménage, iso­lé et coha­bi­tant. Ce type de caté­go­ries d’ayant droit basées sur la situa­tion fami­liale était déjà exis­tantes depuis 1945, au moment de la créa­tion de la sécu­ri­té sociale, et avaient fait l’objet de diverses adap­ta­tions entre cette date et 1971. La Bel­gique avait alors opté pour un modèle « fami­lia­liste » tenant compte des besoins dif­fé­rents par la « modu­la­tion fami­liale » des pres­ta­tions. Durant ce laps de temps, et mal­gré l’évolution des normes fami­liales tra­di­tion­nelle, de la reven­di­ca­tion et la conquête de nou­veaux droits par les femmes, la domi­na­tion patriar­cale dans la répar­ti­tion des droits reste pré­gnante. Ain­si, les allo­ca­tions des femmes chô­meuse sont sys­té­ma­ti­que­ment infé­rieures à celle des hommes et de nom­breuses dis­cri­mi­na­tions entachent l’obtention de reve­nus de sub­sti­tu­tion. L’adoption de la loi D’Hoore entraine une réduc­tion dras­tique du taux de rem­pla­ce­ment des cohabitant·es par rap­port à celui des isolé·es (et donc des chefs de ménage). Ces trois caté­go­ries, qui exis­taient déjà pour le reve­nu d’intégration créé en 1974 (alors appe­lé Mini­mex), seront dès 1991 éga­le­ment appli­quées aux béné­fi­ciaires d’indemnités de mala­die ou d’invalidité.

Enjeux sociaux

Au sor­tir de la Seconde Guerre Mon­diale, la dimen­sion patriar­cale des rap­ports au tra­vail rému­né­ré est la norme. Ain­si, la dépen­dance éco­no­mique de la femme au foyer ou en emploi d’appoint de manière dis­con­ti­nue consti­tue le modèle socié­tal en vigueur. Et ce, en dépit de la hausse du taux d’activité des femmes. Par son tra­vail, le « chef de ménage » ou « tra­vailleur ayant charge de famille » ouvre des droits sociaux dont vont béné­fi­cier sa femme et ses enfants en tant que « per­sonne à charge ». Alors que la socié­té évo­lue, que les femmes par­viennent à sor­tir du car­can domes­tique dans lequel elles étaient enfer­mées depuis des dizaines d’années, le sta­tut de cohabitant·e est venu ren­for­cer leur dépen­dance éco­no­mique à l’égard de leur conjoint et miner le prin­cipe de soli­da­ri­té col­lec­tive. En se basant sur la dis­po­ni­bi­li­té et le par­tage de res­sources finan­cières pro­ve­nant d’un autre membre du ménage, en l’occurrence le conjoint ou le concu­bin, la mise en place de ce sta­tut a pour par­tie rem­pla­cé la soli­da­ri­té col­lec­tive de l’assurance sociale face aux risques sociaux par une sup­po­sée soli­da­ri­té fami­liale. Plus grave encore : ce sta­tut amène des femmes à renon­cer à leur acti­vi­té pro­fes­sion­nelle ou au chô­mage en cas de temps par­tiel ou de bas salaire dès lors que le sta­tut de chef de ménage est plus avan­ta­geux pour la famille si on prend en compte les mon­tants d’allocation et les incon­vé­nients du sta­tut de cohabitant·e. Ain­si, ce sta­tut crée tous les jours des situa­tions de dépen­dance et d’isolement rela­tion­nel contraires à l’autonomie des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes. En d’autres termes, il contri­bue à la repro­duc­tion d’un modèle patriar­cal aujourd’hui com­plè­te­ment dépassé. 

Depuis sa créa­tion, les femmes se battent contre ce sta­tut dis­cri­mi­na­toire. Car s’il touche les chô­meuses, il inclut éga­le­ment les béné­fi­ciaires d’allocations d’invalidité ou les per­sonnes devant recou­rir à l’aide sociale (RIS). Or, les luttes fémi­nistes ont tou­jours eu pour objet l’égalité entre toustes, femmes et hommes. Ain­si, dès les dis­cus­sions (aux­quelles elles avaient été conviées sans pour autant par­ve­nir à se faire entendre) au Palais d’Egmont en 1980, les orga­ni­sa­tions de femmes se sont mobi­li­sées contre ce sta­tut qui les tou­chait majo­ri­tai­re­ment. Néan­moins, leurs reven­di­ca­tions allaient plus loin car elles récla­maient une indi­vi­dua­li­sa­tion des droits afin que la situa­tion fami­liale n’ait plus d’incidence sur les droits sociaux des femmes tra­vailleuses se trou­vant contraintes de dépendre de leur com­pa­gnon ou mari. Notez que nous en sommes encore loin … 

De nom­breux tra­vaux uni­ver­si­taires ont ana­ly­sé ce prin­cipe de « sélec­ti­vi­té fami­liale » indui­sant ce rôle de « chef de ménage » ayant charge de famille. Celui-ci a donc charge de ses enfants, mais éga­le­ment de la femme avec laquelle il vit. Ces études inter­prètent le sta­tut de coha­bi­tant comme une réduc­tion du droit direct acquis par des coti­sa­tions équi­va­lentes à celles des chefs de ménage et des isolés·es. Les fémi­nistes cri­tiquent éga­le­ment les droits déri­vés des adultes à charge en ce sens qu’ils favo­ri­se­raient le modèle de la femme au foyer plu­tôt que de pro­mou­voir l’autonomie finan­cière des femmes par le tra­vail ou par l’octroi de droits propres sur base de coti­sa­tions, de cré­dit-temps ou d’un tra­vail à temps par­tiel sou­vent consi­dé­ré comme contraint (soit par l’impossibilité d’accéder à un second emploi ou à un emploi à temps plein, soit par l’inégale répar­ti­tion des tâches ména­gères et d’éducation des enfants). Il est évident qu’aujourd’hui, alors que la voix des femmes est davan­tage enten­due et prise en consi­dé­ra­tion, notam­ment dans les syn­di­cats, une mesure telle que celle du sta­tut de cohabitant·e aurait bien du mal à être adoptée. 

En atten­dant, la loi D’Hoore reste en vigueur et c’est la rai­son pour laquelle les orga­nis­tions fémi­nistes, mais éga­le­ment d’éducation per­ma­nente conti­nuent à taper sur le clou. Très concrè­te­ment, une vaste cam­pagne « Sta­tut de cohabitant·e, 100% perdant·e », a été lan­cée conjoin­te­ment par Pré­sence et Action Cultu­relle (PAC), le Centre d’Information et d’Éducation Popu­laire (CIEP) du Mou­ve­ment Ouvrier Chré­tien (MOC) pour faire pres­sion sur le poli­tique en vue des élec­tions de 2024. Par­ral­lè­le­ment, ces asso­cia­tions d’éducation per­ma­nente ont éga­le­ment mis en place, avec le Réseau Wal­lon de Lutte contre la Pau­vre­té, une pla­te­forme afin de mutua­li­ser toutes les forces sur le ter­rain qui se déclarent contre le sta­tut de cohabitant·e. Objec­tif ? La sup­pres­sion de ce sta­tut de cohabitant·e, rien de moins ! Ces dif­fé­rentes actions visent à expli­quer les ori­gines de ce sta­tut, les enjeux des reven­di­ca­tions mais aus­si don­ner à voir les situa­tions pro­blé­ma­tiques engen­drées par ce sta­tut, mettre au jour les sté­réo­types sexistes et à l’encontre des allo­ca­taires sociaux qu’une telle cam­pagne ne man­que­ront pas de ravi­ver. La sup­pres­sion du sta­tut de cohabitant·e entraî­ne­rait certes un coût, mais dont les contours peuvent être variables en fonc­tion de dif­fé­rents para­mètres. Le pari de ces actions est donc éga­le­ment de tordre le bras aux nom­breuses idées reçues quant hypo­thé­tiques coûts pha­rao­niques d’une telle décision. 

Enjeux économiques

Comme pour tout com­bat poli­tique ayant trait aux ques­tions bud­gé­taires, qu’il soit fédé­ral, régio­nal ou même com­mu­nal, de nom­breux chiffres cir­culent sur les coûts qu’entraîneront les dis­po­si­tions prises. Le sta­tut de cohabitant·e n’échappe pas à la règle. De nom­breux chiffres cir­culent par voie de presse. En effet, au début des années 2010, la Cour des Comptes a mené une étude sur les impacts bud­gé­taires qu’entraîneraient un ali­gne­ment du taux de cohabitant·e sur celui des isolé·es, lui-même rele­vé au niveau du seuil euro­péen de pau­vre­té. Cette étude se basait sur des chiffres de 2012. 

Pour­quoi dès lors l’évoquer ici, alors que nous sommes en 2022 et que ces chiffres sont quelque peu datés ? Car ce sont sou­vent ses résul­tats chif­frés qui sont com­mu­ni­qués par les médias lorsqu’est inter­ro­gé le coût de la sup­pres­sion du sta­tut de cohabitant·e. À l’époque, l’estimation concluait que le coût net de la double opé­ra­tion se situait dans une four­chette allant de 5 à 7,9 mil­liards d’euros par an, en dédui­sant l’effet retour de l’augmentation des recettes fis­cales à l’impôt des per­sonnes phy­siques (7 à 10 mil­liards sans les effets retours). Il faut ajou­ter la hausse de l’indice san­té de quelque 25% depuis 10 ans, ce qui entraîne ce chiffre « sym­bo­lique » de 10 mil­liards que l’on retrouve régu­liè­re­ment (le maxi­mum de 7,9 mil­liards de 2012 après déduc­tion de l’effet retour). 

Si la reven­di­ca­tion du relè­ve­ment des allo­ca­tions au seuil de pau­vre­té n’est pas inclue dans le cal­cul, on obtient actuel­le­ment (à l’indice san­té de sep­tembre 2022), la somme de 2,2 mil­liards d’euros, sans déduc­tion des effets retours posi­tifs pour les finances publiques. Nous par­lons ici de la sup­pres­sion du sta­tut de cohabitant·e, avec un rem­pla­ce­ment des allo­ca­tions des per­sonnes coha­bi­tantes par les allo­ca­tions pour per­sonnes iso­lées, en chô­mage, cré­dit-temps et congés thé­ma­tique, RIS, allo­ca­tion de rem­pla­ce­ment pour per­sonnes en situa­tion de han­di­cap, GRAPA et les indem­ni­té de tra­vail. Vous convien­drez qu’il est donc ici impor­tant de savoir de quoi on parle … 

Ne sont par ailleurs jamais prises en compte les éco­no­mies engen­drées par les sup­pres­sions des dépenses liées aux contrôles, à l’isolement, à la dimi­nu­tion de la soli­da­ri­té fami­liale et pri­vée. La sup­pres­sion du sta­tut entraî­ne­rait l’annulation ou la réduc­tion du coût des contrôles (tout en déga­geant du temps pour l’accompagnement des ayant-droits), des impacts sur les dépenses liées à la pau­vre­té, sur les dépenses de san­té sans oublier les effets retours sur la consom­ma­tion, l’emploi et les recettes publiques. D’autant que ces der­niers mois, nous avons pu concrè­te­ment nous rendre compte que cette sup­pres­sion était fai­sable. L’urgence récente a mon­tré que c’était pos­sible : cer­taines caté­go­ries de per­sonnes impac­tées par la COVID-19, les réfugié·es ukrainien·nes ou encore des per­sonnes sinis­trées lors des récentes inon­da­tions dans la région lié­geoises ont pu béné­fi­cier d’une sus­pen­sion tem­po­raire du sta­tut de cohabitant·e et béné­fi­cier d’allocations au taux d’isolé·e. Il s’agit aus­si, et peut-être sur­tout, d’une vision plus glo­bale. On peut certes appré­hen­der la sup­pres­sion de ce dis­po­si­tif comme un coût, mais on peut aus­si le voir comme un inves­tis­se­ment dans le bien-être de la socié­té. Il est évident que si le sta­tut de cohabitant·e venait à être sup­pri­mé, le com­bat serait loin d’être ter­mi­né. En effet, l’individualisation des droits res­tent un idéal à atteindre afin que la situa­tion fami­liale n’ait plus d’incidence sur les droits sociaux. Alors, pour­quoi ça coince ? 

Enjeux politiques

La ques­tion des allo­ca­tions de rem­pla­ce­ment, et par là, celle du sta­tut de cohabitant·e demeure une com­pé­tence fédé­rale. Aus­si injuste, stig­ma­ti­sant et patriar­cal qu’il soit, sa sup­pres­sion ne figu­rait pas noir sur blanc dans l’accord gou­ver­ne­men­tal lors de la consti­tu­tion de la majo­ri­té fédé­rale en 2020. Pour­tant, le sujet de cette réforme se retrouve régu­liè­re­ment sur la table des poli­tiques et aujourd’hui, l’ensemble des par­tis des deux côtés de la fron­tière lin­guis­tique, ne semblent pas y être oppo­sés. L’unique réfrac­taire reste la NVA, qui affirme que la fraude à domi­cile doit être com­bat­tue au moyen de contrôles appro­fon­dis et sys­té­ma­tiques, s’opposant ain­si de fac­to à la sup­pres­sion du sta­tut. Du côté du PS, Paul Magnette a récem­ment décla­ré vou­loir « sup­pri­mer, comme nous venons de le faire pour les per­sonnes por­teuses de han­di­cap, l’odieux sta­tut de coha­bi­tant ». Le PS va d’ailleurs plus loin en reven­di­quant l’individualisation des droits sociaux, qui fai­sait par­tie de ses reven­di­ca­tions publiées en 2027. Chez Eco­lo, on plaide pour une indi­vi­dua­li­sa­tion des droits à la sécu­ri­té sociale et pour la sup­pres­sion du sta­tut de cohabitant·e ain­si que pour l’alignement des mon­tants d’aide per­çue sur ceux octroyés aux per­sonnes iso­lées. Sur le plan des prin­cipes, Les Engagé·es sont favo­rables à la sup­pres­sion du sta­tut. Néan­moins, le par­ti pré­ci­ser qu’il est néces­saire de veiller à ce que ça ne puisse en aucun cas entraî­ner une dimi­nu­tion des allo­ca­tions actuelles des per­sonnes cheffes de famille mono­pa­ren­tales qui béné­fi­cient actuel­le­ment d’allocations majo­rées. En 2014 déjà, Défi por­tait cette reven­di­ca­tion dans son pro­gramme., tout comme le PTB/PVDA, où on estime que le carac­tère assu­ran­tiel et uni­ver­sel de la sécu­ri­té sociale doit être réta­bli. Enfin, le MR est favo­rable à une réforme du sta­tut de cohabitant·e, étant don­né l’évolution de la socié­té, mais tout en n’étant pas favo­rable à une indi­vi­dua­li­sa­tion géné­ra­li­sée des droits. Comme du côté fran­co­phone, le SPA, le VLD et Groen peuvent envi­sa­ger une réforme du sta­tut de cohabitant·e, le second ajou­tant son sou­hait d’une aug­men­ta­tion des reve­nus de rem­pla­ce­ment au-des­sus du seuil de pau­vre­té. Le CD&V estime, quant à lui, que les coûts d’une telle réforme seraient trop éle­vés et pro­pose une série d’ajustements plu­tôt que la sup­pres­sion du sta­tut. Il sug­gère notam­ment qu’on puisse faire la dis­tinc­tion entre le par­tage d’un loge­ment et la for­ma­tion d’une famille, par exemple. 

Quelles que soient les posi­tions des par­tis, c’est tou­jours la ques­tion du coût qui revient sur le tapis. Mais comme le signale le pro­fes­seur en poli­tiques sociales à l’UCLouvain Mar­tin Wage­ner, « il y a aus­si, sur­tout du côté fran­co­phone, une crainte des réformes de l’État, la peur que si on touche à la pro­tec­tion sociale, on perde des acquis. Alors, on pré­fère le sta­tu quo. Ces der­nières années, on a assis­té à de nom­breuses dis­cus­sions de prin­cipe, mais aucun pro­jet concret n’a vu le jour ». 

Pourquoi aujourd’hui ? Arguments … 

À l’heure où l’égalité entre les femmes et les hommes ras­semble de plus en plus d’adeptes, le sta­tut de cohabitant·e crée des situa­tions de dépen­dance qui y sont pro­fon­dé­ment contraires. L’assurance sociale et la soli­da­ri­té col­lec­tive ne devraient plus être rem­pla­cées par la soli­da­ri­té pré­sup­po­sée au sein des couples ou entre cohabitant·es. Par ailleurs, la socié­té évo­lue et la notion d’ « un couple sous un toit » n’est plus for­cé­ment légion. Le coût des loge­ments, la pré­ser­va­tion de l’environnement, l’évolution des modes de rela­tions sont autant de fac­teurs qui mènent à diver­si­fier les types de coha­bi­ta­tion. La sup­pres­sion du sta­tut de cohabitant·e per­met­trait de lais­ser libre court à ces nou­veaux modes de vie et ces nou­velles formes d’habitat et ain­si de ne plus péna­li­ser la soli­da­ri­té infor­melle, qu’elle soit intra­fa­mi­liale, ami­cale ou citoyenne. Face à la crise éner­gé­tique et à l’inflation du coût de la vie, il s’agirait d’un levier effi­cace de lutte contre l’appauvrissement car elle per­met­trait aux citoyen·nes d’envisager d’autres formes d’habitat. Cela per­met­trait aus­si de lut­ter contre l’isolement social, le mal-loge­ment, les « marchand·es de som­meil » avec des béné­fices non-négli­geables en termes de san­té publique. Enfin, cette mesure met­tra fin aux contrôles domi­ci­liaires, les­quels sont pro­blé­ma­tiques notam­ment en termes de res­pect de la vie pri­vée et de la digni­té des per­sonnes par leur carac­tère intru­sif et sus­pi­cieux qui peuvent être trau­ma­ti­sants. Elle rédui­rait par la même occa­sion la méfiance à l’égard des ins­ti­tu­tions sociales cen­sées accom­pa­gner les per­sonnes en dif­fi­cul­té qui conduisent celles-ci à ne pas y recou­rir et d’éviter l’insécurité juri­dique (et l’inégalité de trai­te­ment qu’elle engendre) liée à la mul­ti­pli­ci­té des règles sui­vant les types d’allocation et de leurs interprétations. 

On le constate, le sta­tut de cohabitant·e est une aber­ra­tion d’autant plus criante aujourd’hui qu’il ne l’était au moment de son adop­tion en 1981. Les argu­ments en faveur de sa sup­pres­sion n’ont fait que prendre de l’ampleur au fil du temps. Il ne s’agit pas uni­que­ment d’une ques­tion finan­cière, même si elle est évi­dem­ment cen­trale et essen­tielle. Il s’agit éga­le­ment d’un chan­ge­ment de para­digme : davan­tage de res­pect de la vie pri­vée, de la liber­té indi­vi­duelle et du choix des habitant·es. Mais aus­si de pou­voir vivre une vie famille selon des normes non-hété­ro­pa­triar­cales et hétéronormées.

July Robert


Auteur

July Robert est autrice et traductrice. Elle est également chroniqueuse littéraire pour divers médias belges. Elle a notamment publié Au nom des femmes. Fémonationalisme : les instrumentalisations racistes du féminisme (traduction de In the Name of Women's Rights de la chercheuse Sara Farris) aux éditions Syllepse en décembre 2021 et Pour une politique écoféministe (traduction de Ecofeminism as Politics de la sociologue Ariel Salleh) aux éditions Wildproject et Le Passager clandestin en mai 2024.