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SNCB : halte à la croissance ?

Blog - e-Mois par Julien Vandeburie

mai 2016

Chaque jour, 845.000 per­sonnes empruntent un des trains cir­cu­lant sur le réseau de la SNCB. Qu’il voyage dans un omni­bus, un inter­ci­ty ou un nou­veau train S, l’u­sa­ger a aujourd’­hui l’im­pres­sion d’être un mal-aimé. Par­fois com­pres­sés, par­fois en retard ou encore pris aux pièges des luttes sociales syn­di­cales, les navet­teurs sont depuis quinze ans, de plus en plus nom­breux. Cepen­dant, cette ten­dance se tasse. La SNCB a‑t-elle été vic­time de son suc­cès ? Ou est-ce son pou­voir de tutelle qui ne lui a pas don­né les moyens de pour­suivre son expan­sion ? Ou est-ce son mode d’organisation et son fonc­tion­ne­ment qui ont été défaillants ?

e-Mois

Depuis une dizaine d’an­nées, les gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs ont sabo­té les ambi­tions fer­ro­viaires de l’an 2000. Par coupes bud­gé­taires suc­ces­sives ils ont com­pres­sé les moyens d’ac­tion de la SNCB, mal­gré son suc­cès crois­sant. Dans le cadre d’une enve­loppe sous pres­sion, le plan de trans­port 2014, par sa phi­lo­so­phie pri­vi­lé­giant les dépla­ce­ments domi­cile-tra­vail (vers Bruxelles), indique une évo­lu­tion de la notion de pres­ta­taire de ser­vice de mobi­li­té de la SNCB.

Une augmentation du nombre de voyageurs depuis presque vingt ans

Depuis 1997, nous assis­tons à une aug­men­ta­tion qua­si inin­ter­rom­pue du nombre de voya­geurs trans­por­tés (figure 1). La conges­tion rou­tière gran­dis­sante et une poli­tique tari­faire pré­fé­ren­tielle pour les navet­teurs via l’intervention des pou­voirs publics depuis le début des années 2000 ont ren­du le train plus attrac­tif. Le rail belge renoue alors avec ses per­for­mances des années 1960, lorsque la concur­rence de la voi­ture indi­vi­duelle était beau­coup moins forte (figure 2). Cepen­dant, ces navet­teurs sont trans­por­tés qua­si par le même nombre de trains en 2015 qu’à la fin des années 1990 (tableau 1). Autre­ment dit, mal­gré la mise en ser­vice de trains de plus grande capa­ci­té (voi­tures à étage), les voya­geurs sont plus ser­rés aujourd’hui2. Avec la dégra­da­tion de la ponc­tua­li­té, c’est une des rai­sons de la chute conti­nue de l’indice de satis­fac­tion des voya­geurs (tableau 2). 

Figure 1. Croissance du trafic.
Figure 1. Crois­sance du trafic.
Tableau 1. Offre en mil­lions de kilo­mètres par­cou­rus en train
1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
73,2 75,5 76,9 77,1 76,2 76,9 77,2 78,2 77,5 78,3 79,6 79,7 80,8 80,9 80,1 80,11 80,12
Tableau 2. Indice de satis­fac­tion. Source : SNCB
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
6,95 6,84 7,15 7,25 7,44 7,44 7,33 7,23 6,93 6,92 6,41 6,24 6,49 6,51 6,69

La baisse du taux de satis­fac­tion illustre les dif­fi­cul­tés ren­con­trées par la SNCB pour assu­rer aux voya­geurs de plus en plus nom­breux un ser­vice de qualité. 

Figure 2. Évolution du transport de voyageurs par rail en Belgique
Figure 2. Évo­lu­tion du trans­port de voya­geurs par rail en Belgique

Des performances en berne

La crois­sance de la fré­quen­ta­tion s’est mal­heu­reu­se­ment accom­pa­gnée d’une dégra­da­tion rela­tive du ser­vice. La ponc­tua­li­té en est deve­nue un exemple mar­quant, foca­li­sant l’at­ten­tion à la fois des usa­gers3 et des médias (figure 3). La sta­tis­tique des trains sup­pri­més illustre éga­le­ment une dégra­da­tion du ser­vice — on compte sys­té­ma­ti­que­ment plus de 10.000 trains annuel­le­ment sup­pri­més depuis 2006 (tableau 3).

Figure 3. Evolution de la ponctualité. Source: SNCB
Figure 3. Evo­lu­tion de la ponc­tua­li­té. Source : SNCB
Tableau 3. Trains sup­pri­més. Source : SNCB
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
5.836 9.657 6.228 6.807 6.909 8.426 8.801 15.849 14.288 21.556 25.192 22.154 18.969 20.580 15.832

« De nom­breux voya­geurs ont des reven­di­ca­tions très expli­cites : don­nez-leur de pré­fé­rence des trains à l’heure, des places assises en suf­fi­sance, une bonne infor­ma­tion… voi­là de quoi il retourne, voi­là ce que nous allons conti­nuer à récla­mer. […] Des contacts avec les voya­geurs, il res­sort régu­liè­re­ment qu’ils se sentent avoir été rou­lés : d’abord, des mesures poli­tiques bien inten­tion­nées et réflé­chies les encou­ragent à prendre le train. Ensuite, on se rend compte que les trains n’offrent pas assez de places, que le maté­riel ne suit pas, mieux encore, qu’il existe même des plans pour détri­co­ter éven­tuel­le­ment une par­tie de l’offre, sans offrir des alter­na­tives concrètes. On ne peut repro­cher à ces citoyens de consi­dé­rer cela comme une rup­ture de confiance […]», Rap­port du média­teur pour les voya­geurs fer­ro­viaires, 2011, p. 192.
Une fré­quen­ta­tion en hausse, mais des per­for­mances en baisse. Est-ce que la SNCB n’a pas vu venir son suc­cès en matière de fré­quen­ta­tion, n’a-t-elle pu s’y adap­ter ? Quelles sont les rai­sons de la situa­tion actuelle ?

Un budget sous pression

En 2000, le gou­ver­ne­ment fédé­ral4 se fixe l’objectif ambi­tieux de faire trans­por­ter par le rail 50% de per­sonnes en plus en dix ans. Raillé à l’époque, cet objec­tif a été atteint et dépas­sé, ce qui montre bien la réa­li­té des besoins de mobi­li­té alter­na­tive à la voi­ture. On peut alors par­ler d’an­nées d’or car pour y par­ve­nir, les dota­tions pour inves­tis­se­ments de la SNCB allaient être aug­men­tées chaque année de 24,8 mil­lions d’euros et cela de manière cumu­la­tive. Entre 2001 et 2004, cela aurait repré­sen­té près de 264 mil­lions d’euros sup­plé­men­taires, et, en dix ans, une aug­men­ta­tion totale de 1,081 mil­liard d’euros. Entre 2001 et 2012, durée du plan plu­ri­an­nuel d’investissements (PPI), cet accrois­se­ment devait s’é­le­ver à près de 2 mil­liards d’euros, une aug­men­ta­tion de près du double de la part de l’Etat dans le plan d’investissements décen­nal. Appuyé par un rap­port de la Cour des comptes, le gou­ver­ne­ment réclame un plan d’entreprise à la SNCB, levier vital pour en amé­lio­rer la ges­tion. Cela s’est tra­duit par la créa­tion du fonds RER en 2001 et par l’acquisition de maté­riel rou­lant spé­ci­fique (les fameux Desi­ro, long­temps atten­dus). Le plan pré­voyait éga­le­ment une aug­men­ta­tion des moyens finan­ciers, à terme de 50% (Plan +50 %).

Hélas, si les inten­tions de départ laissent augu­rer des bud­gets en phase avec les objec­tifs ambi­tieux en matière de fré­quen­ta­tion, seule cette der­nière sera réa­li­sée. La figure 4 illustre la qua­si-stag­na­tion de la dota­tion nette du groupe SNCB et l’aug­men­ta­tion impres­sion­nante du nombre de voya­geurs5 (vkm). Le corol­laire est une dimi­nu­tion forte de la dota­tion par voya­geur-kilo­mètre. En d’autres mots, le groupe SNCB a for­te­ment aug­men­té sa pro­duc­ti­vi­té, illus­tré par l’aug­men­ta­tion de pro­duc­ti­vi­té du per­son­nel (tableau 4). La figure 5 illustre l’é­cart entre les bud­gets pré­vus et les bud­gets réa­li­sés. On per­çoit que le bud­get de la SNCB a sou­vent ser­vi de réserve bud­gé­taire au gou­ver­ne­ment et que l’a­ve­nir s’an­nonce du même acabit.

Figure 4. Evolution de la dotation et du nombre de voyageurs/kilomètres
Figure 4. Evo­lu­tion de la dota­tion et du nombre de voyageurs/kilomètres
Figure 5. Budgets annuels prévus en 2000 dans le cadre du Plan +50 %, budgets réels et budgets prévus de l'opérateur SNCB. Au total, près de 1,5 milliard d’euros seront économisés sur le budget de la SNCB
Figure 5. Bud­gets annuels pré­vus en 2000 dans le cadre du Plan +50 %, bud­gets réels et bud­gets pré­vus de l’o­pé­ra­teur SNCB. Au total, près de 1,5 mil­liard d’euros seront éco­no­mi­sés sur le bud­get de la SNCB

Tableau 4. Pro­duc­ti­vi­té du personnel
Le rabo­tage per­ma­nent des bud­gets d’in­ves­tis­se­ments se tra­dui­ra fina­le­ment, d’une manière ou d’une autre par :

  • en termes de main­tien de capa­ci­té (= faire en sorte que le réseau soit performant): 
    • Le vieillis­se­ment géné­ra­li­sé des com­po­santes du réseau, des ava­ries tech­niques et des inci­dences sur la ponc­tua­li­té et la sécu­ri­té, une hausse des coûts d’entretien, un manque de robus­tesse du réseau ;
    • Risques : dégra­da­tion du ser­vice, (fia­bi­li­té et ponc­tua­li­té), insé­cu­ri­té, stra­té­gie de pour­ris­se­ment des lignes régio­nales (les lignes sont clas­sées en trois caté­go­ries dont l’entretien est plus ou moins pous­sé) abou­tis­se­ment à leur fermeture ;
  • en ce qui concerne la maté­riel roulant : 
    • Le manque de fia­bi­li­té du maté­riel (âge moyen supé­rieur à vingt ans) : il est res­pon­sable d’un tiers des retards et de la majo­ri­té des sup­pres­sions de trains ;
    • Risques : dégra­da­tion du ser­vice (confort, sécu­ri­té et ponc­tua­li­té) et de son attrac­ti­vi­té, réper­cus­sions sur l’en­semble du réseau, trans­fert modal ren­du impossible ;
  • sur l’ac­cueil des voyageurs : 
    • Une majo­ri­té des gares et points d’ar­rêts non équi­pés pour les per­sonnes à mobi­li­té réduite, les condi­tions d’accueil déplo­rables d’une majo­ri­té des points d’ar­rêts, une poli­tique d’accessibilité presque exclu­si­ve­ment auto­mo­bile (par­kings);
    • Risques : perte d’attractivité ;
  • Tout cela a évi­dem­ment un effet en matière de ponc­tua­li­té6.

Des investissements incompatibles avec les ambitions d’un transfert modal

Une ana­lyse fine des inves­tis­se­ments opé­rés dans les deux der­niers PPI montre que des bud­gets fort impor­tants étaient pré­vus pour le RER (exten­sion de capa­ci­té), mais que le rem­pla­ce­ment et la crois­sance de capa­ci­té du maté­riel rou­lant ne fai­sait pas l’ob­jet d’une prio­ri­té abso­lue mal­gré un besoin à venir impor­tant (figures 6 et 7)7. Selon le bureau d’études Tech­num, il man­que­ra jusqu’à 100.000 places à l’horizon 2025, en fonc­tion des hypo­thèses de croissance. 

Figure 6. Evolution des investissements des deux derniers PPI
Figure 6. Evo­lu­tion des inves­tis­se­ments des deux der­niers PPI
Figure 7. Perspectives d’évolution du parc de matériel roulant de 2016 à 2025
Figure 7. Pers­pec­tives d’évolution du parc de maté­riel rou­lant de 2016 à 2025

Il y a donc une diver­gence impor­tante à pro­pos de l’hy­po­thèse de crois­sance de la fré­quen­ta­tion de la SNCB. Selon cette der­nière, la crois­sance actuelle et his­to­rique au cours de la période 2000 – 2011 devait se pour­suivre pen­dant encore cinq ans ou plus à poli­tique et infra­struc­ture inchan­gées. Un scé­na­rio de crois­sance forte avait ain­si été défi­ni dans le cadre de l’élaboration de l’étude de long-terme. Il pré­voyait une crois­sance moyenne annuelle de 4,3% des voya­geurs-kilo­mètre (soit une aug­men­ta­tion de 81% des voya­geurs-kilo­mètre et de 67% des voya­geurs à hori­zon 2025). « Le scé­na­rio de crois­sance a tou­te­fois été adap­té en rai­son des res­tric­tions bud­gé­taires, des contraintes d’infrastructure et des pré­vi­sions de crois­sance du tra­fic inté­rieur8. »

Tel que men­tion­né dans le PPI V2.0.2 – III – p.219 : « La SNCB affirme dès lors que, pour limi­ter la crois­sance du nombre de voya­geurs au 1,5% pré­vu par le Bureau du Plan, des mesures de ralen­tis­se­ment de la crois­sance devront éven­tuel­le­ment être prises ! » En 2013, l’an­cien patron de la SNCB, M. Des­chee­mae­cker, décla­rait devant les par­le­men­taires wal­lons que « c’est insuf­fi­sant pour entraî­ner un trans­fert modal » (5 mars 2013). Ces élé­ments éclairent la concep­tion du plan de trans­port 2014 – 2017, mais aus­si le manque d’am­bi­tion concer­nant l’ou­til de mobi­li­té que repré­sente la SNCB. 

Au prix de la rentabilité, des disparités territoriales de plus en plus nombreuses dans le plan de transport 2014 – 2017

Avant l’in­tro­duc­tion du plan de trans­port actuel, on pou­vait déjà obser­ver une concen­tra­tion forte des voya­geurs dans un nombre rela­ti­ve­ment faible de gares (figure 8).

Figure 8. Répartition cumulée des voyageurs montant, par gare (2010)
Figure 8. Répar­ti­tion cumu­lée des voya­geurs mon­tant, par gare (2010)

On remar­que­ra aus­si que le rail est loin de pré­sen­ter le même niveau de per­for­mance par­tout dans le pays et que cela se res­sent dans la part du rail dans les dépla­ce­ments domi­cile-tra­vail (figure 9). Dans la zone RER, la part modale du train est très faible et n’est pas com­pen­sée par une part modale plus éle­vée des autres moyens de trans­ports en com­mun. Par ailleurs, le plan de trans­port 2014 concentre l’offre sur les dépla­ce­ments domi­cile-tra­vail. On constate que ce sont les cor­res­pon­dances vers Bruxelles qui sont favo­ri­sées9. Enfin, le plan de trans­port 2014 aug­mente sen­si­ble­ment le nombre de rela­tions reliant l’aéroport de Bruxelles-Natio­nal avec d’autres villes et emprun­tant la liai­son Dia­bo­lo entre l’aéroport et le nord du pays. Cette liai­son, réa­li­sée sous la forme d’un par­te­na­riat public-pri­vé, est rem­bour­sée via une rede­vance per­çue par tous les usa­gers uti­li­sant le train pour se rendre à l’aéroport, qu’ils empruntent ou non la liai­son Dia­bo­lo. L’augmentation de l’offre vers l’aéroport per­met donc de rem­plir les obli­ga­tions de remboursement.

Figure 9. Part du train dans les déplacements domicile-travail vers Bruxelles
Figure 9. Part du train dans les dépla­ce­ments domi­cile-tra­vail vers Bruxelles

Si le réseau n’a que très peu été modi­fié ces der­nières années (sauf les tra­vaux du RER pour étendre des capa­ci­tés exis­tantes et les tra­vaux du Dia­bo­lo pour accé­der à l’aé­ro­port de Bruxelles), il avait été for­te­ment modi­fié dans les décen­nies pré­cé­dentes. Entre 1983 et 1997, un tiers des gares et points d’arrêt (soit 259) furent sup­pri­més (tableau 4). Les pro­vinces les plus tou­chées furent celles où la part actuelle du train dans les dépla­ce­ments domi­cile-tra­vail est aujourd’­hui la plus faible (sauf les deux pro­vinces du Bra­bant, où la proxi­mi­té de Bruxelles per­met de recou­rir à d’autres modes de dépla­ce­ment comme le bus, le vélo et bien enten­du, la voi­ture)10.

Tableau 4. Gares et points d’ar­rêt non gar­dé sup­pri­més entre 1983 et 1997. Source : SNCB.
Arrêts sup­pri­més entre 1983 et 1997 Part sup­pri­mée entre 1983 et 1997
Luxem­bourg 52 68%
Namur 20 27%
Flandre orien­tale 32 29%
Flandre occi­den­tale 15 29%
Bra­bant flamand 11 14%
Lim­bourg 11 41%
Liège 28 32%
Hai­naut 64 41%
Bra­bant wallon 10 26%
Bruxelles 3 9%
Anvers 13 22%
Total 259 33%

Le plan de trans­port 2014 – 2017 tente de répondre sur les grands axes à la pro­blé­ma­tique d’un réseau dense, à flux ten­dus, via un allon­ge­ment des temps de par­cours, contre­ba­lan­cé par une aug­men­ta­tion de la fré­quence. Cepen­dant, avec une offre conte­nue (une enve­loppe trains-km fer­mée), cela conduit à une réduc­tion de la des­serte, soit géo­gra­phi­que­ment, soit tem­po­rel­le­ment. Concrè­te­ment, la SNCB délaisse la des­serte des petites lignes et des heures creuses (mati­nales et noc­turnes). Les médias ont même évo­qué le rem­pla­ce­ment de trains par des bus.

Cette ten­dance est hélas obser­vée depuis de nom­breuses années. La cel­lule fer­ro­viaire wal­lonne estime que « Le plan de trans­port 2014 semble être le témoin d’un sys­tème qui s’essouffle. L’évolution des temps de par­cours est à ce titre emblé­ma­tique puisqu’elle est le reflet de l’évolution du réseau et des pra­tiques fer­ro­viaires. En effet, les réduc­tions de vitesse sont le pre­mier signal d’une infra­struc­ture en mau­vais état ; l’ajout de tam­pons-tra­vaux sur la majo­ri­té des lignes pose ques­tion quant à la ges­tion et la prio­ri­sa­tion des chan­tiers ; les temps d’arrêt pro­lon­gés en gare résultent de pro­cé­dures de sécu­ri­té poten­tiel­le­ment inadap­tées, d’un maté­riel à l’accessibilité insuf­fi­sante, de quais trop bas, de cor­res­pon­dances mal adap­tées… Bref, le tout révèle un sys­tème en de nom­breux points per­fec­tibles11. »

Une structure et des directions entre fatalisme, incompétence et complicité

On peut rai­son­na­ble­ment pen­ser que les organes de direc­tion tant de la SNCB que d’Infrabel n’ont pas non plus œuvrer pour rendre notre sys­tème de trans­port fer­ro­viaire plus effi­cace. A la fois par fata­lisme mais aus­si — hélas — par com­pli­ci­té avec les dif­fé­rents gou­ver­ne­ments successifs.

Par fata­lisme d’abord : le patron des che­mins de fer ne ferait qu’exécuter des orien­ta­tions prises au sein du gou­ver­ne­ment. « Je ferai ce que le gou­ver­ne­ment demande », décla­rait Jo Cor­nu (CEO SNCB) le 5 mars 2015. Ce fata­lisme s’est encore plus remar­qué dans les réac­tions des CEO de la SNCB ou d’Infrabel à la suite des mesures d’économies annon­cées par le gou­ver­ne­ment fédé­ral en 2014. Plu­tôt que d’apporter une réponse com­mune et offen­sive pour la défense du rail, ils se sont rapi­de­ment atta­qués pour que l’autre porte la plus grande part de l’effort12.

Par incom­pé­tence car la col­la­bo­ra­tion des deux entre­prises n’est assu­ré­ment pas opti­male. Com­ment expli­quer l’achat de maté­riel rou­lant avec une porte d’accès pour les PMR à une hau­teur qui ne cor­res­pond à aucun quai actuel­le­ment en ser­vice en Bel­gique13 ? Com­ment expli­quer l’absence de réflexion autour des tarifs pra­ti­qués par Infra­bel à l’égard de la SNCB, dont le dénoue­ment réside dans la cir­cu­la­tion de trains dont l’accès aux voya­geurs est inter­dit14

Par com­pli­ci­té, car com­ment jus­ti­fier ces pro­jets et réa­li­sa­tions de gares pha­rao­niques (Liège, Anvers, Mons, etc.) ou la ges­tion catas­tro­phique du pro­jet de RER autour de Bruxelles (le fonds des­ti­né à finan­cer les tra­vaux est épui­sé, mais si les voies ne sont pas construites, des gares déme­su­rées et des par­kings ont eux bel et bien été construits).

Enfin, rele­vons une dif­fi­cul­té de la part des gou­ver­ne­ments à trou­ver un patron pour la SNCB. Par deux fois (Chris­tian Heinz­mann en 2002, Frank Van Mas­sen­hove en 2013), les can­di­dats rete­nus par le gou­ver­ne­ment n’ont pas accep­té le défi. On sait que le poste est sou­mis à d’intenses pres­sions tant de la part du gou­ver­ne­ment que des syn­di­cats ou encore des usa­gers, il n’en reste pas moins que ces renon­ce­ments interpellent. 

Conclusion : la mobilité en Belgique ne peut se passer d’un rail performant

Nous payons donc aujourd’­hui l’ab­sence d’in­ves­tis­se­ments per­ti­nents dans le rail durant une grande par­tie des décen­nies pré­cé­dentes, mais aus­si l’abandon de cet enjeu majeur par le poli­tique. Un seul exemple pour illus­trer cet aban­don : sur les 35 pro­jets prio­ri­taires lis­tés par le gou­ver­ne­ment wal­lon, seule­ment 3 appa­raissent dans le plan d’investissement de la SNCB. Et pour des mon­tants infé­rieurs à ceux pré­vus. C’est d’autant plus inquié­tant que le rail est le moyen d’endiguer les pro­blèmes de mobi­li­té (et les coûts asso­ciés15) et de dimi­nuer effi­ca­ce­ment les émis­sions de gaz à effet de serre16. Le nombre de per­sonnes qui se déplacent en train doit conti­nuer d’augmenter. Or, ce qui est sur la table ne per­met qu’à grand peine d’assurer le main­tien de la capa­ci­té exis­tante, mais pas de déve­lop­per le rail17.

La cel­lule fer­ro­viaire consi­dère que le plan de trans­port 2014 « ne prend pas en compte le poten­tiel de déve­lop­pe­ment des zones des­ser­vies par le che­min de fer. La logique de l’exercice semble donc plus éco­no­mique que stra­té­gique18. » L’accord de gou­ver­ne­ment19 est plus disert sur la pré­pa­ra­tion à la libé­ra­li­sa­tion du rail qu’à l’octroi de moyens pour pour­suivre la crois­sance de celui-ci. Nous conclu­rons que l’Etat fédé­ral gère la SNCB comme une entre­prise pri­vée, en veillant à ce qu’elle res­pecte certes son contrat de ges­tion, mais sans en faire un outil de mobi­li­té, ce qui devrait être la rai­son d’être d’un pres­ta­taire de ser­vice public.

  1. __fg_link_4__, étude réa­li­sée pour le compte du Ser­vice public de Wallonie.
  2. Entre 2006 et 2015, de 280.000 à 366.000 places assises.
  3. Le cal­cul de la ponc­tua­li­té fait aus­si l’ob­jet de nom­breuses cri­tiques car les cor­res­pon­dances ne sont pas prises en compte, les retards ne sont pris en compte qu’à l’ar­ri­vée, les trains sup­pri­més ne sont pas inté­grés aux sta­tis­tiques et la SNCB inter­prète la règle euro­péenne des 5 minutes avec une cer­taine lati­tude (en comp­ta­bi­li­sant les retards au-delà de 5 minutes 59 secondes).
  4. Com­po­sé entre 1999 et 2003 des par­tis libé­raux, socia­listes et éco­lo­gistes fla­mands et francophones.
  5. Aug­men­ta­tion per­mise, entre autres, par l’exo­né­ra­tion fis­cale inté­grale des frais de dépla­ce­ment reçus pour les uti­li­sa­teurs des trans­ports en com­mun et l’in­tro­duc­tion des abon­ne­ments pré­payés par les employeurs (par­mi les­quels les ser­vices publics).
  6. Pour une ana­lyse très com­plète, voir IEW (2013) SNCB : « En rai­son des condi­tions hivernales »
  7. Voir aus­si : IEW (2013), Avis sur la pro­po­si­tion de Plan plu­ri­an­nuel d’investissement du Groupe SNCB (2013 – 2025)
  8. Ser­vice public de Wal­lo­nie – cel­lule fer­ro­viaire (2013), op cit.
  9. Pour une ana­lyse plus détaillée du plan de trans­port 2014, voir Ser­vice public de Wal­lo­nie – cel­lule Fer­ro­viaire (2015), Ana­lyse du plan de trans­port 2014 de la SNCB, IEW (2014), Plan de trans­port de la SNCB : qu’en penser ?
  10. La dis­tri­bu­tion géo­gra­phique des gares et points d’ar­rêt dans la pre­mière cou­ronne péri­phé­rique bruxel­loise est assez mau­vaise et les dépla­ce­ments en voi­ture pour se rabattre sur le réseau fer­ré allongent for­te­ment le temps de parcours.
  11. Ser­vice Public de Wal­lo­nie – cel­lule fer­ro­viaire (2015) op cit.
  12. Voir aus­si « Sans pilote, la SNCB passe au rouge »
  13. Les quais sont de dif­fé­rentes hau­teurs en Bel­gique, majo­ri­tai­re­ment de 55 et de 76 cen­ti­mètres. A terme, tous devraient être à 76 cen­ti­mètres. Voir aus­si l’avis de l’association Navetteurs.be sur le maté­riel rou­lant incri­mi­né
  14. Pour en savoir plus sur la tari­fi­ca­tion de l’usage des voies d’Infrabel par la SNCB, lire les excel­lentes ana­lyses de Céline Tel­lier d’Inter-Environnement Wal­lo­nie : « Prix du sillon » ou quand le diable se cache dans les détails…»
  15. Selon la FEB et l’OCDE, le coût des embou­teillages en Bel­gique est esti­mé à 8 mil­liards d’euros annuellement.
  16. Une voi­ture trans­por­tant 1,4 per­sonne émet envi­ron 5 fois plus de CO2 par voya­geur qu’un train moyen. A l’heure de pointe, avec une occu­pa­tion maxi­male des trains, la voi­ture émet même jusqu’à 20 fois plus ! Voir aus­si l’a­na­lyse d’Ar­naud Col­li­gnon.
  17. Poin­tons éga­le­ment la clé de répar­ti­tion 60 – 40 entre le nord et le sud du pays des moyens de la SNCB et en par­ti­cu­lier le fait qu’elle est appli­quée année par année. On se retrouve dans des situa­tions absurdes où cer­tains pro­jets du plan pré­cé­dent ont dû être arrê­tés en Wal­lo­nie parce qu’il n’y avait pas la même année des mon­tants cor­res­pon­dants dépen­sés en Flandre.
  18. Ser­vice public de Wal­lo­nie – cel­lule fer­ro­viaire (2015) op cit.
  19. Ser­vice public de Wal­lo­nie – cel­lule fer­ro­viaire (2015) op cit.

Julien Vandeburie


Auteur

docteur en sciences, expert des politiques énergie/climat depuis près de dix ans, il a participé à plusieurs sommets internationaux (COP, GIEC) ou négociations intra-belges (VIe réforme de l’Etat)