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Simultanéité et asymétrie, un nouveau chapitre de l’histoire politique belge ?

Blog - Belgosphère par Régis Dandoy

février 2015

Le 25 mai 2014, et pour la deuxième fois de son his­toire, la Bel­gique a orga­ni­sé le même jour ses élec­tions euro­péennes, fédé­rales, com­mu­nau­taire et régio­nales. Un des argu­ments der­rière cette simul­ta­néi­té des scru­tins est celle du coût finan­cier. Orga­ni­ser une élec­tion, c’est un sacré bud­get. Alors, pour­quoi se pri­ver si on peut faire une économie […]

Belgosphère

Le 25 mai 2014, et pour la deuxième fois de son his­toire, la Bel­gique a orga­ni­sé le même jour ses élec­tions euro­péennes, fédé­rales, com­mu­nau­taire et régio­nales1. Un des argu­ments der­rière cette simul­ta­néi­té des scru­tins est celle du coût finan­cier. Orga­ni­ser une élec­tion, c’est un sacré bud­get. Alors, pour­quoi se pri­ver si on peut faire une éco­no­mie d’échelle et réduire les coûts de ces élec­tions en les orga­ni­sant toutes le même jour ? Et puis, ça réduit le coût humain. Outre le per­son­nel au minis­tère de l’Intérieur ou les asses­seurs et pré­si­dents de bureaux de vote, la simul­ta­néi­té per­met aus­si aux élec­teurs de ne devoir se dépla­cer que deux dimanches tous les cinq ans : une fois pour les euro­péennes, fédé­rales, com­mu­nau­taire et régio­nales et une fois pour les pro­vin­ciales et com­mu­nales2. Dans ce sens, la Bel­gique est par­mi les pays d’Europe occi­den­tale où on vote le moins sou­vent. Bien enten­du, l’obligation de vote pro­duit un taux de par­ti­ci­pa­tion com­pa­ra­ti­ve­ment très éle­vé. Mais la rare­té des élec­tions belges a pro­ba­ble­ment aus­si un effet béné­fique sur la par­ti­ci­pa­tion électorale.

Mais un autre argu­ment der­rière la simul­ta­néi­té des élec­tions est de nature poli­tique. Cer­tains par­tis poli­tiques y ont vu une occa­sion unique de maxi­mi­ser leurs résul­tats élec­to­raux et leurs par­ti­ci­pa­tions aux gou­ver­ne­ments. La logique est double. Des tra­vaux en science poli­tique ont démon­tré que les grands par­tis (et les par­tis au pou­voir) obtiennent de moins bons résul­tats lors des élec­tions dites de « second-ordre », prin­ci­pa­le­ment les élec­tions euro­péennes et sub-natio­nales. Orga­ni­ser ces élec­tions le même jour que les élec­tions fédé­rales mène ain­si à de meilleurs résul­tats pour ces grands par­tis. Et comme les résul­tats élec­to­raux seront glo­ba­le­ment plus sem­blables que si les élec­tions avaient été orga­ni­sées à quelques mois ou années de dis­tance, il est plus facile pour les vain­queurs de s’imposer dans tous les gou­ver­ne­ments et pour les per­dants de se résoudre à entrer dans l’opposition à tous les niveaux de pouvoir.

La symétrie, la marque de fabrique belge

La notion de par­tis-frères est cen­trale dans le sys­tème poli­tique belge. Les par­tis poli­tiques sont tra­di­tion­nel­le­ment clas­sés et ras­sem­blés au sein de « familles » poli­tiques, telles que les familles démo­crate-chré­tienne, libé­rale, socia­liste, éco­lo­giste, etc. Les membres de ces familles poli­tiques sont des par­tis qui par­tagent cer­tains traits idéo­lo­giques et cer­taines prio­ri­tés pro­gram­ma­tiques. En Bel­gique, avec la scis­sion dans les années 1970 du sys­tème par­ti­san en deux sous-sys­tèmes — l’un fla­mand, l’autre fran­co­phone —, deux par­tis poli­tiques coexistent au sein de chaque famille poli­tique : ce sont les par­tis-frères. Ces par­tis-frères peuvent être socia­listes (SP.A et PS), démo­crate-chré­tiens (CD&V et CDH), libé­raux (Open Vld et MR) ou encore éco­lo­gistes (Groen et Eco­lo). Les par­tis-frères ont une place essen­tielle dans la vie poli­tique belge, à com­men­cer par leur rôle dans la for­ma­tion du gouvernement.

En Bel­gique, la forme tra­di­tion­nelle des gou­ver­ne­ments fédé­ral et régio­naux est la coa­li­tion. Les majo­ri­tés abso­lues à ces niveaux de pou­voir sont rares (le der­nier gou­ver­ne­ment natio­nal homo­gène CVP-PSC eut lieu en 1958) et tous les exé­cu­tifs sont désor­mais com­po­sés d’au moins deux par­tis. Mais la carac­té­ris­tique essen­tielle du gou­ver­ne­ment fédé­ral en Bel­gique est celle de la « symé­trie » dans la sélec­tion des par­tis poli­tiques qui com­posent le gou­ver­ne­ment fédé­ral. Un gou­ver­ne­ment symé­trique au niveau fédé­ral, cela signi­fie que les par­tis-frères sont ensemble dans le gou­ver­ne­ment ou ensemble dans l’opposition3.

Depuis la scis­sion lin­guis­tique du sys­tème de par­tis, les par­tis-frères ont tou­jours été ensemble au gou­ver­ne­ment ou dans l’opposition au niveau fédé­ral. Bien enten­du, les par­tis régio­na­listes VU, FDF, RW, Spi­rit et, plus récem­ment, N‑VA ont par­fois par­ti­ci­pé à ces gou­ver­ne­ments sans leur équi­valent de l’autre côté de la fron­tière lin­guis­tique, mais il est dif­fi­cile de par­ler de par­tis-frères au sein de la famille des régio­na­listes. Et lorsque Eco­lo a quit­té le gou­ver­ne­ment fédé­ral en mai 2003, lais­sant son par­ti-frère Aga­lev seul pen­dant deux mois, cela s’expliquait sur­tout par une stra­té­gie à court terme du par­ti éco­lo­giste fran­co­phone, plu­tôt que par une volon­té de rompre avec Agalev.

Mais la for­ma­tion du gou­ver­ne­ment inté­ri­maire de Verhof­stadt en 2007 a mis la puce à l’oreille de nom­breux obser­va­teurs. Ce gou­ver­ne­ment — qui par ailleurs a tenu jusque 2010 — asso­ciait le PS, alors que son par­ti-frère fla­mand avait fait le choix de res­ter dans l’opposition. Bien que cet évé­ne­ment puisse en par­tie s’expliquer par la crise poli­tique de 2007 et des six mois qui furent néces­saires pour for­mer le gou­ver­ne­ment fédé­ral, il s’agissait là d’une excep­tion à la qua­si-règle de symé­trie qui n’est pas pas­sée inaperçue.

2014, la rupture de la symétrie

En 2014, le doute n’est désor­mais plus per­mis. La famille poli­tique démo­crate-chré­tienne, qui a fait par­tie de presque tous les gou­ver­ne­ments de l’après-guerre et a très sou­vent occu­pé le poste de Pre­mier ministre, s’est pour la pre­mière fois de son his­toire divi­sée sur son entrée au gou­ver­ne­ment fédé­ral. Le CD&V a déci­dé de res­ter au gou­ver­ne­ment, qui plus est en ayant la res­pon­sa­bi­li­té de sa for­ma­tion conjoin­te­ment avec le MR, alors que le CDH fai­sait le pari de l’opposition.

Cette situa­tion n’est pas ano­dine. Alors que la volon­té des par­tis poli­tiques en adop­tant la simul­ta­néi­té des élec­tions était celle for­mer de gou­ver­ne­ments iden­tiques aux niveaux régio­naux et fédé­ral, la consé­quence directe est bel et bien celle de la fin de la symé­trie. Cette dis­po­si­tion faci­lite désor­mais la gou­ver­nance entre le niveau régio­nal et le niveau fédé­ral en har­mo­ni­sant les coa­li­tions, plu­tôt qu’en faci­li­tant le dia­logue inter-com­mu­nau­taire en asso­ciant au gou­ver­ne­ment son par­ti-frère issu de l’autre côté de la fron­tière linguistique. 

Après les éco­lo­gistes (2003), les socia­listes (2007) et les démo­crates-chré­tiens (2014), les par­tis-frères libé­raux sont désor­mais les der­niers à avoir tou­jours res­pec­té la symé­trie au sein du gou­ver­ne­ment fédé­ral. Mais il est pro­bable qu’un nou­veau cha­pitre de l’histoire poli­tique belge s’ouvre aujourd’hui, rem­pla­çant une riva­li­té entre familles poli­tiques par une riva­li­té entre par­tis poli­tiques issus d’un même groupe lin­guis­tique et qui se par­tagent les gou­ver­ne­ments régio­naux et fédé­raux. Les ten­sions obser­vées par exemple actuel­le­ment entre par­tis fla­mands de la majo­ri­té au niveau fédé­ral risquent de deve­nir la règle plu­tôt que l’exception…

  1. La pre­mière fois, c’était en 1999. Cette année-là, il fal­lait aus­si ajou­ter les élec­tions pour le Sénat qui, désor­mais, est élu indirectement.
  2. Les pro­chaines élec­tions auront théo­ri­que­ment lieu en octobre 2018 (pro­vin­ciales et com­mu­nales), en mai-juin 2019 (euro­péennes, fédé­rales, com­mu­nau­taire et régio­nales), en mai-juin 2024 (euro­péennes, fédé­rales, com­mu­nau­taire et régio­nales) et octobre 2024 (pro­vin­ciales et com­mu­nales). Depuis la Seconde Guerre mon­diale, cela sera la pre­mière fois que les élec­teurs belges ne seront plus appe­lés aux urnes pen­dant cinq longues années…
  3. Une consé­quence de cette situa­tion est qu’un gou­ver­ne­ment com­prend sou­vent un par­ti « de trop », c’est-à-dire un par­ti poli­tique mathé­ma­ti­que­ment non néces­saire à la coa­li­tion, et qui ne doit sa place dans l’exécutif qu’à la pré­sence de son par­ti-frère de l’autre côté de la fron­tière linguistique.

Régis Dandoy


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