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Retour de Philippe Larochelle

Blog - Débat autour de l’article « Gérard, Énos et Jacques, une fable rwandaise » par Philippe Larochelle

juillet 2015

Je m’ob­jecte contre cette ten­ta­tive de cen­sure de votre part, M. de Vil­lers. Quel mal y a‑t‑il à par­ler d’un deuxième géno­cide ? En quoi ai-je nié quoi que ce soit du géno­cide des Tut­si ? Faites-vous par­tie de ceux trop nom­breux pour qui l’é­vo­ca­tion d’une pos­sible entre­prise géno­ci­daire contre les Hutu relève de la néga­tion du géno­cide contre […]

Je m’ob­jecte contre cette ten­ta­tive de cen­sure de votre part, M. de Vil­lers. Quel mal y a‑t-il à par­ler d’un deuxième géno­cide ? En quoi ai-je nié quoi que ce soit du géno­cide des Tut­si ? Faites-vous par­tie de ceux trop nom­breux pour qui l’é­vo­ca­tion d’une pos­sible entre­prise géno­ci­daire contre les Hutu relève de la néga­tion du géno­cide contre les Tut­si ? En quoi le fait de ten­ter de défi­nir, de carac­té­ri­ser les crimes com­mis contre les Hutu depuis main­te­nant vingt ans nie quoi que ce soit de la spé­ci­fi­ci­té du géno­cide com­mis contre les Tut­si ? C’est fort mal com­prendre le pro­pos de la fable de Gérard Énos et Jacques que d’y voir une quel­conque ten­ta­tive de néga­tion du géno­cide contre les Tutsi.

Je passe sous silence, comme Mon­sieur de Vil­lers, les nom­breux mas­sacres et d’as­sas­si­nats de Hutu, avant et après 1996, à l’in­té­rieur et à l’ex­té­rieur du Rwan­da. Allez voir Mon­sieur Twa­gi­ra­mun­gu, qui habite tout près de chez vous et deman­dez lui de vous par­ler des années qu’il a pas­sés comme Pre­mier ministre au Rwan­da et des mas­sacres de Hutu qui ont été com­mis au Rwan­da pen­dant et après le géno­cide. Ces mas­sacres n’ont rien à envier aux mas­sacres des Tut­si. Mal­heu­reu­se­ment, ils sont beau­coup moins bien docu­men­tés, quand ils sont connus, que les mas­sacres de Tut­si. Les spé­ci­fi­ci­tés du géno­cide des Tut­si sont fort bien connues. Celles du géno­cide des Hutu le sont beau­coup moins. Une de ces spé­ci­fi­ci­tés est (pos­si­ble­ment) (d’où le recours à la fable) le fait de s’en prendre, par le biais de fausses accu­sa­tions, à la dia­spo­ra Hutu. 

Sinon vous me citez erro­né­ment, puisque je n’ai pas dit qu’il y a eu un mag­ma d’i­ni­tia­tives indi­vi­duelles, je déplore plu­tôt la qua­li­té des tra­vaux du TPIR qui a réduit le géno­cide à un tel mag­ma, ce qui est fort dif­fé­rent. En plus, vous me faites dire des choses que je ne dis pas, et qui sont de toute façon tota­le­ment erro­nées. Je parle ici de ce que vous lisez sup­po­sé­ment entre les lignes rela­ti­ve­ment à l’exis­tence ou non d’une poli­tique qui se tra­duit par des actions concer­tées. Comme vous le dites si bien, le géno­cide n’in­combe pas glo­ba­le­ment au gou­ver­ne­ment et à l’ar­mée. Il n’au­ra fal­lu que vingt ans pour que les experts recon­naissent ces faits évi­dents, qui sont mal­heu­reu­se­ment encore tra­duits dans les lois cana­diennes, par exemple, ou tout membre du gou­ver­ne­ment ou de l’ar­mée est d’of­fice exclu de tout recours pos­sible en immi­gra­tion. Mais je m’é­carte. Sim­ple­ment, pour finir sur cette ques­tion, le TPIR a éga­le­ment incor­po­ré un tel pré­ju­gé de culpa­bi­li­té plu­tôt que de ten­ter d’at­tri­buer, en toute objec­ti­vi­té, les res­pon­sa­bi­li­tés cri­mi­nelles à qui elles incombaient.

Vous vou­lez une dis­cus­sion empi­rique ? On m’a deman­dé une fable avec le moins de note de bas de pages pos­sibles. Lisez le juge­ment de Jacques Mung­wa­rere, le der­nier ren­du après Gérard et Énos. Tous les faits de la fable, rela­ti­ve­ment à la bande de men­teurs de Kibuye, ne s’é­cartent même pas du récit fac­tuel de la bande de men­teurs ayant témoi­gné dans ces trois dos­siers. Mal­heu­reu­se­ment, la déci­sion du juge amé­ri­cain dans le dos­sier d’É­nos a été mise sous scel­lée, mais j’i­ma­gine que ça n’a rien à voir avec la forte répu­gnance qu’il a mani­fes­tée face au récit mani­fes­te­ment fabri­qué de la bande de men­teurs, qui sont venus témoi­gner aux États-Unis accom­pa­gnés de pro­cu­reurs rwandais.

Le côté fabu­la­toire de mon his­toire a sim­ple­ment consis­té à lier ces efforts mani­festes de faire condam­ner des inno­cents (dans les­quels étaient d’ailleurs impli­qués des pro­cu­reurs rwan­dais) (don­nant ain­si à ces efforts ce carac­tère de « poli­tique » auquel vous sem­blez tant atta­ché) aux autres efforts bien docu­men­tés concer­nant plus géné­ra­le­ment le trai­te­ment des Hutu par le FPR depuis qu’il a pris le pou­voir. En ce qui me concerne, même si vous n’êtes pas d’ac­cord, je n’hé­site pas à les pla­cer dans une entre­prise géno­ci­daire de longue haleine. Et je main­tiens que contrai­re­ment à ce que vous dites, il n’y a aucun effort, ni dans mon texte ni entre ses lignes, de nier le géno­cide des Tut­si. Ce que vous devriez lire entre les lignes, au contraire, est mon dégoût face à la mani­pu­la­tion de la mémoire des vic­times du géno­cide par les auto­ri­tés de Kigali.

Philippe Larochelle


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