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Respecter les travailleuses pour relancer l’économie
Il y a quelques mois, paraissait dans une indifférence quasi générale un brillant rapport conçu conjointement par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, le SPF Economie, le Bureau fédéral du Plan abordant de long en large la question de l’écart salarial. À travers les nonante pages, Hildegard Van Hove et les sept statisticiens qui l’accompagnent […]
Il y a quelques mois, paraissait dans une indifférence quasi générale un brillant rapport conçu conjointement par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, le SPF Economie, le Bureau fédéral du Plan abordant de long en large la question de l’écart salarial. À travers les nonante pages, Hildegard Van Hove et les sept statisticiens qui l’accompagnent décortiquent le phénomène sous tous les angles possibles en analysant les moindres recoins du marché du travail, ou plutôt des marchés du travail, celui des hommes et celui des femmes.
Les multiples dimensions de l’écart salarial
L’écart salarial varie selon la période prise en compte pour son calcul :
- sur la base des salaires mensuels bruts moyens des travailleurs à temps plein et à temps partiel pris ensemble, il s’élevait à 21% en 2011 ;
- calculé sur la base des salaires horaires bruts, il retombait à 13%.
Cette différence s’explique par le fait que la durée de travail des hommes est plus longue que celle des femmes.
Ces écarts ont été réduits de moitié au cours des trente dernières années.
Dans le secteur privé, les salaires horaires moyens sont plus élevés dans les entreprises d’au moins dix travailleurs, et ce quel que soit le sexe, mais en même temps, l’écart salarial augmente avec le nombre de travailleurs dans l’entreprise. Or, les femmes travaillent plus souvent dans des petites entreprises avec des salaires modérés.
L’âge n’est pas étranger à la grandeur de l’écart salarial : « Tandis que le salaire horaire brut des hommes augmente de manière assez régulière, celui des femmes tend à stagner à partir de la tranche d’âge des 35 – 44 ans. La conséquence directe de ce phénomène est une aggravation de l’écart salarial, lequel passe de 5% pour les 25 – 34 ans à 10% pour les 35 – 44 ans, 15% pour les 45 – 54 ans avant d’atteindre son maximum à 21% pour les 55 – 64 ans. »
Même aux postes de direction les plus élevés, les femmes subissent une double peine : non seulement, elles sont sous-représentées : elles n’occupent qu’un tiers des fonctions dirigeantes alors qu’elles représentent un peu moins de la moitié des travailleurs (le fameux plafond de verre). Ensuite, l’écart salarial à ce niveau s’élève quand même à 14%.
L’approche des inégalités entre hommes et femmes sur le plan de la rémunération peut être élargie pour tenir compte des avantages extra-légaux. Les ordres de grandeur sont sensiblement différents : l’écart pointant à environ 40% pour les contributions pour la pension complémentaire et pour les options sur actions. Mais il est vrai que cela ne concerne qu’une faible partie des salariés (respectivement 10% et moins de 1% du total des travailleurs de chaque sexe). En revanche, alors que plus d’un homme et d’une femme sur deux bénéficient de remboursements des déplacements domicile-lieu de travail, l’écart s’établit à 29%.
L’écart salarial au microscope
Au total, le salaire horaire brut des femmes est inférieur de 2,43 € à celui des hommes. La moitié de l’écart salarial peut être expliquée — à ne pas confondre avec « justifiée » ou « légitime » — par une douzaine de facteurs identifiables (cf. colonne). L’autre moitié reste entourée de points d’interrogation ou peut être considérée comme une mesure de la discrimination à l’égard des femmes. Au total donc, 25% de l’écart salarial peuvent être attribués à des caractéristiques professionnelles (profession, secteur, contrat, région de travail), 13% à des caractéristiques individuelles (éducation, expérience, ancienneté) et 12% à des caractéristiques personnelles du travailleur (nationalité, type de ménage, état civil).
Un empilement de déclarations d’intentions
Les inégalités salariales sont à ce point tenaces qu’on serait tenté de penser qu’il s’agit d’une loi de la Nature. « C’est comme ça ! » Pourtant, un grand nombre de textes, y compris législatifs, entendent s’attaquer au problème.
Il n’y a pas moins de 40 ans — 40 ans ! —, les ministres de l’Emploi de l’Europe des Neuf adoptaient une directive concernant « le rapprochement des législations des États membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminin ». Ce principe a été repris dans la Charte des droits fondamentaux (article 23) ou la Charte sociale européenne révisée (article 4). En 2006, la vieille directive a connu une nouvelle jeunesse.
En Belgique, la loi du 22 avril 2012 vise à lutter contre l’écart salarial entre hommes et femmes. Elle s’accompagne de plusieurs arrêtés d’exécution. « Les objectifs de cette loi du 22 avril 2012 sont les suivants :
- s’attaquer à l’écart salarial au sens strict, c’est-à-dire au fait que les travailleuses soient sous-payées [en agissant] au niveau de la formation des salaires ;
- pour cela, il est important d’associer les partenaires sociaux [et donc] faire en sorte que l’écart salarial devienne un thème permanent de la concertation sociale aux trois niveaux de négociation, interprofessionnel, sectoriel et de l’entreprise.
- Pour que l’écart salarial puisse faire l’objet de négociations, il est nécessaire de rendre cet écart visible, transparent, et négociable. Ce souci de rendre l’écart salarial visible et d’en faire un objet de négociations constitue le fil conducteur des mesures mises en place pour les trois niveaux de négociation. »
La relance par le respect des travailleuses
Tentons de pousser l’analyse plus loin et demandons-nous ce qui se passerait si, du jour au lendemain, chaque travailleur était rémunéré de manière égale pour un même travail, quel que soit son sexe. Posons également l’hypothèse que nous ne modifions pas la structure du marché du travail (autrement dit, la surreprésentation des femmes dans les emplois à temps partiels, la durée de travail plus longue des hommes, etc.); bref, on ne résorbe que la partie inexpliquée du camembert ci-dessus. Nous n’appliquons donc ici qu’une correction du salaire horaire brut des femmes que nous augmentons de la partie dite « inexpliquée » de l’écart salarial et que nous suspectons de ne pas être justifiée. Nous prenons comme référence l’année 2013.
L’ensemble des travailleuses devrait alors percevoir un surplus de 3,6 milliards d’euros par an, soit 1% du PIB.
En appliquant un taux de prélèvement d’environ 30% pour avoir une estimation (grossière) des recettes fiscales additionnelles qu’une plus grande égalité salariale entre les sexes amènerait, on arrive à 1,1 milliard. Si l’on rapporte ce montant à l’ensemble de la législature, cela fait près de 5,4 milliards, soit à peu près 1/3 des 17 milliards d’euros d’économies budgétaires envisagés par le gouvernement Michel.
Contourner le dérapage salarial consécutif
Un inconvénient à cela : cette progression soudaine des salaires des travailleuses provoqueraient un regain du tant honni dérapage salarial que ce même gouvernement, prolongeant l’ambition du précédent, entend résorber d’ici la fin de son mandat.
Mais peut-être que, cette fois-ci, au nom de leur responsabilité sociale (devenue dans certains cas « sociétale ») dont elles se targuent, les entreprises — en particulier les plus importantes d’entre elles qui sont marquées les plus fortes inégalités — consentiraient à revoir leurs priorités en rétribuant moins leurs actionnaires. Prendre à Albert Frère pour habiller Rosetta, en gros.
Cela pourrait être un élément mis sur la table de la négociation collective en application de la loi de 2012. Rien ne s’y oppose et en particulier pas la loi de 1996 qui sert de fondement aux augmentations salariales et au calcul du handicap salarial puisque celle-ci prévoit en son article 14 que « des mesures de modération » peuvent frapper les dividendes. (La loi spécifie que ces mesures, si elles ne sont pas volontaires, peuvent être imposées par un arrêté royal.)
Après tout, en cette année 2013 d’augmentation du chômage (passé de 7,6% en 2012 à 8,4% en 2013), de ralentissement économique (PIB +0,3%) et de régression du revenu disponible des particuliers (-0,2%), les bénéfices distribués par les sociétés non financières ont grimpé à 32 milliards d’euros, un bond de 8 milliards par rapport à l’année précédente. (Source : Banque nationale de Belgique, Belgostat.)
Conclusion
Les inégalités salariales sont dénoncées depuis longtemps car elles bafouent le principe de « à travail égal, salaire égal » et, au-delà, impliquent des perspectives de nature tout à fait différentes pour les hommes et les femmes, voire les enfants à charge de ces dernières (lorsque les femmes sont à la tête d’une famille monoparentale, ce qui est le cas dans plus de 80% de ces situations). À l’indignation qu’elles suscitent, s’ajoute le fait que l’écart salarial est un frein pour notre économie et coûte cher à la collectivité. Pour ces raisons, il est urgent de s’attaquer sérieusement à ce problème. Le gouvernement doit être vigilant à ce que les partenaires sociaux s’y attellent et à reprendre la main s’ils accouchent de solutions insatisfaisantes. Ainsi, la Belgique devrait se fixer des objectifs chiffrés pour la réduction de l’écart salarial (injustifié) ainsi que des dates-butoirs et des sanctions en cas de non-respect… un peu à la manière de ce qui est fait lorsqu’un dérapage salarial est constaté.