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Réaction de Gauthier de Villers

Blog - Débat autour de l’article « Gérard, Énos et Jacques, une fable rwandaise » par Gauthier de Villers

juillet 2015

J’ai appré­cié que Phi­lippe Laro­chelle réplique sur un ton non polé­mique, cher­chant à pré­ci­ser sa posi­tion et la nature de son article. Mais je main­tiens mes sévères objec­tions quant au conte­nu de l’ar­ticle et quant à la déci­sion de le publier dans La Revue nou­velle. Laro­chelle confirme qu’il est de ceux qui sou­tiennent la thèse du double […]

J’ai appré­cié que Phi­lippe Laro­chelle réplique sur un ton non polé­mique, cher­chant à pré­ci­ser sa posi­tion et la nature de son article. Mais je main­tiens mes sévères objec­tions quant au conte­nu de l’ar­ticle et quant à la déci­sion de le publier dans La Revue nouvelle.

Laro­chelle confirme qu’il est de ceux qui sou­tiennent la thèse du double géno­cide. J’au­rais pu le suivre s’il avait défen­du la thèse très dif­fé­rente (mais déjà fort « auda­cieuse ») selon laquelle on a affaire d’une part à un géno­cide au sens d’une entre­prise poli­tique d’ex­ter­mi­na­tion totale des Tut­si du Rwan­da, d’autre part à des « actes géno­ci­daires », c’est-à-dire divers mas­sacres (com­mis sous la res­pon­sa­bi­li­té du pou­voir FPR) de Hutu (par exemple les réfu­giés au Congo ayant en 1996 refu­sé leur rapa­trie­ment ou échap­pé à ce rapa­trie­ment), mas­sacres ne s’ins­cri­vant pas dans une entre­prise d’é­li­mi­na­tion de l’«ethnie » hutu.

En iden­ti­fiant, en confon­dant ces deux types de crimes contre l’hu­ma­ni­té, Laro­chelle nie la spé­ci­fi­ci­té du géno­cide des Tut­si enclen­ché en avril 1994 par une com­po­sante extré­miste du « pou­voir hutu ». Dans sa réponse à mon inter­ven­tion, il met en cause l’i­dée que l’on pour­rait par­ler en 1994 d’une poli­tique d’ex­ter­mi­na­tion ; il y aurait eu plu­tôt un « mag­ma » d’i­ni­tia­tives et donc de res­pon­sa­bi­li­tés indi­vi­duelles. Par là, sans le dire expli­ci­te­ment, il sou­tient que ces mas­sacres de Tut­si ne consti­tuent pas un géno­cide au sens juri­dique du terme puisque en droit inter­na­tio­nal l’exis­tence d’un géno­cide implique celle d’un pro­jet poli­tique tra­duit dans une action concer­tée. Or, s’il est vrai que la res­pon­sa­bi­li­té du géno­cide n’in­combe pas glo­ba­le­ment au gou­ver­ne­ment et à l’ar­mée d’Ha­bya­ri­ma­na, il reste, comme l’é­crit André Gui­chaoua (qui, comme Laro­chelle, a lon­gue­ment col­la­bo­ré à l’ac­tion du TPIR), que l’on a assis­té « aus­si bien à l’é­che­lon cen­tral que sur le ter­rain » à de « très concrètes poli­tiques du géno­cide, métho­di­que­ment pro­mues et entre­te­nues au fil des semaines », à l’i­ni­tia­tive et sous l’im­pul­sion de la « frac­tion dure » du par­ti gou­ver­ne­men­tal (Gui­chaoua, De la guerre au géno­cide, ea p. 588).

Mais j’entre là dans une dis­cus­sion empi­rique qui ne s’im­pose pas puisque Laro­chelle ne s’ap­puie sur aucune argu­men­ta­tion fac­tuelle mais pro­cède par des affir­ma­tions caté­go­riques aux­quelles seul son sta­tut d’a­vo­cat de la défense au TPIR est cen­sé don­ner crédit.

C’est ici qu’est le fond du pro­blème sou­le­vé par son article. Sur une ques­tion aus­si com­plexe, dra­ma­tique et sen­sible, on n’a pas le droit d’as­sé­ner comme il le fait (en pre­nant — sans les évo­quer — le contre­pied de nom­breux solides tra­vaux de recherche) des juge­ments tran­chés émis dans les termes les plus sim­plistes et les plus bru­taux (il y a eu deux géno­cides ; le TPIR ne fut qu’un abat­toir» ; les Tut­si, dans le nou­veau Rwan­da, celui de Kagame — par­don, de « Saint Paul-le-vilain » ! —, ont la liber­té de « faire n’im­porte quoi avec un Hutu, y com­pris l’é­li­mi­ner par tous les moyens»…).

Je reste donc éton­né et même cho­qué que La Revue nou­velle ait publié ce pam­phlet dégui­sé en « fable », et je suis d’a­vis que vous devriez en dis­cu­ter, pièces à l’ap­pui, au sein du comi­té de rédac­tion, et publier quelque mise au point dans un pro­chain numéro.

Gauthier de Villers


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