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Réaction de Gauthier de Villers
J’ai apprécié que Philippe Larochelle réplique sur un ton non polémique, cherchant à préciser sa position et la nature de son article. Mais je maintiens mes sévères objections quant au contenu de l’article et quant à la décision de le publier dans La Revue nouvelle. Larochelle confirme qu’il est de ceux qui soutiennent la thèse du double […]
J’ai apprécié que Philippe Larochelle réplique sur un ton non polémique, cherchant à préciser sa position et la nature de son article. Mais je maintiens mes sévères objections quant au contenu de l’article et quant à la décision de le publier dans La Revue nouvelle.
Larochelle confirme qu’il est de ceux qui soutiennent la thèse du double génocide. J’aurais pu le suivre s’il avait défendu la thèse très différente (mais déjà fort « audacieuse ») selon laquelle on a affaire d’une part à un génocide au sens d’une entreprise politique d’extermination totale des Tutsi du Rwanda, d’autre part à des « actes génocidaires », c’est-à-dire divers massacres (commis sous la responsabilité du pouvoir FPR) de Hutu (par exemple les réfugiés au Congo ayant en 1996 refusé leur rapatriement ou échappé à ce rapatriement), massacres ne s’inscrivant pas dans une entreprise d’élimination de l’«ethnie » hutu.
En identifiant, en confondant ces deux types de crimes contre l’humanité, Larochelle nie la spécificité du génocide des Tutsi enclenché en avril 1994 par une composante extrémiste du « pouvoir hutu ». Dans sa réponse à mon intervention, il met en cause l’idée que l’on pourrait parler en 1994 d’une politique d’extermination ; il y aurait eu plutôt un « magma » d’initiatives et donc de responsabilités individuelles. Par là, sans le dire explicitement, il soutient que ces massacres de Tutsi ne constituent pas un génocide au sens juridique du terme puisque en droit international l’existence d’un génocide implique celle d’un projet politique traduit dans une action concertée. Or, s’il est vrai que la responsabilité du génocide n’incombe pas globalement au gouvernement et à l’armée d’Habyarimana, il reste, comme l’écrit André Guichaoua (qui, comme Larochelle, a longuement collaboré à l’action du TPIR), que l’on a assisté « aussi bien à l’échelon central que sur le terrain » à de « très concrètes politiques du génocide, méthodiquement promues et entretenues au fil des semaines », à l’initiative et sous l’impulsion de la « fraction dure » du parti gouvernemental (Guichaoua, De la guerre au génocide, ea p. 588).
Mais j’entre là dans une discussion empirique qui ne s’impose pas puisque Larochelle ne s’appuie sur aucune argumentation factuelle mais procède par des affirmations catégoriques auxquelles seul son statut d’avocat de la défense au TPIR est censé donner crédit.
C’est ici qu’est le fond du problème soulevé par son article. Sur une question aussi complexe, dramatique et sensible, on n’a pas le droit d’asséner comme il le fait (en prenant — sans les évoquer — le contrepied de nombreux solides travaux de recherche) des jugements tranchés émis dans les termes les plus simplistes et les plus brutaux (il y a eu deux génocides ; le TPIR ne fut qu’un abattoir» ; les Tutsi, dans le nouveau Rwanda, celui de Kagame — pardon, de « Saint Paul-le-vilain » ! —, ont la liberté de « faire n’importe quoi avec un Hutu, y compris l’éliminer par tous les moyens»…).
Je reste donc étonné et même choqué que La Revue nouvelle ait publié ce pamphlet déguisé en « fable », et je suis d’avis que vous devriez en discuter, pièces à l’appui, au sein du comité de rédaction, et publier quelque mise au point dans un prochain numéro.