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Radicalisation

Blog - Anathème par Anathème

avril 2013

Il y a un temps pour les conces­sions et l’ouverture et un temps pour la lutte. Lorsqu’on fait face à un enne­mi qui fait flèche de tout bois, lorsque le front est tel­le­ment éten­du qu’il devient impos­sible de le tenir, lorsque le temps se fait long et que la fatigue gagne, il faut trou­ver en soi des […]

Anathème

Il y a un temps pour les conces­sions et l’ouverture et un temps pour la lutte. Lorsqu’on fait face à un enne­mi qui fait flèche de tout bois, lorsque le front est tel­le­ment éten­du qu’il devient impos­sible de le tenir, lorsque le temps se fait long et que la fatigue gagne, il faut trou­ver en soi des res­sources que l’on ne soup­çon­nait pas.

On a vu sou­vent l’issue d’une bataille se déci­der au der­nier moment, une situa­tion se retour­ner alors que l’on croyait tout per­du car ceux qui se trou­vaient sur le point d’être sub­mer­gés ont com­pris qu’ils n’avaient d’autre choix que de l’emporter, pour eux, pour leurs proches, pour tout ce en quoi ils croyaient.

Il est d’autres com­bats qui sem­blaient déses­pé­rés, qui l’étaient, mais dont l’issue fatale consti­tua un exemple pour d’autres, plus tard, qui vien­draient rem­por­ter la vic­toire qui, alors, était hors de portée.

Quand l’enjeu est notre démo­cra­tie, les prin­cipes les plus fon­da­men­taux aux­quels nous croyons, notre liber­té et, plus encore, notre inté­gri­té, il ne faut pas que tremble la main qui doit tran­cher dans le vif.

N’ayons pas peur de le dire : nous sommes confron­tés à de dan­ge­reuses muta­tions sociales qui menacent ce que nous sommes pro­fon­dé­ment. Ne voit-on pas que, par­tout, le reli­gieux res­sur­git, bran­dis­sant cru­ci­fix ou Coran, sour­noi­se­ment ou avec vio­lence, qu’il appelle à l’abolition du modèle occi­den­tal de par­tage des domaines reli­gieux et pro­fane, qu’il reven­dique l’instauration de pra­tiques reli­gieuses dans l’espace public, dans nos écoles et nos ins­ti­tu­tions ? Les uns veulent que la défi­ni­tion chré­tienne du mariage serve de modèle à l’État et cherchent à empê­cher par tous les moyens la consé­cra­tion des unions d’homosexuels, les autres veulent que l’on accepte que les femmes se voilent les che­veux et portent de longues jupes ou que leurs enfants ne mangent pas cer­taines viandes, d’autres encore cherchent à cacher la che­ve­lure des hommes…

Il faut lut­ter contre cette immix­tion du reli­gieux dans nos vies, les­quelles doivent être neutres, par­fai­te­ment, il faut refou­ler la croyance dans le plus pro­fond du fort inté­rieur. Il ne faut pour autant pas se cacher la dif­fi­cul­té de l’entreprise : com­ment être sûr que la lon­gueur de cette jupe est due à des convic­tions reli­gieuses et non à un effet de mode ? com­ment déter­mi­ner que cet enfant refuse la viande parce qu’il est de confes­sion musul­mane et non suite à la lec­ture d’un pros­pec­tus de Gaia ? com­ment être cer­tain que ce gar­çon qui tente de nouer des rela­tions hété­ro­sexuelles avec une condis­ciple le fait par goût et non par res­pect d’un pres­crit papiste ?

La voie la plus sûre est, sans conteste, d’appliquer le prin­cipe de pré­cau­tion, à l’image de cette école fran­çaise ayant exclu une jeune fille car elle por­tait un ban­deau (de huit cen­ti­mètres, s’il-vous-plait) dans les che­veux et une jupe trop longue, atours dont on pou­vait soup­çon­ner une moti­va­tion reli­gieuse ; ou encore, à l’exemple de cette direc­trice d’école fran­çaise – encore, la France est donc bien le phare de l’humanité – qui fit par­ve­nir aux parents d’élèves un billet indi­quant que les élèves seraient obli­ga­toi­re­ment ser­vis de viande à la can­tine, viande qu’il leur fau­drait ingur­gi­ter, et de leur rap­pe­ler « que [leur] enfant est sco­la­ri­sé à l’école de la Répu­blique, et que la laï­ci­té – qui est un des fon­de­ments de cette Répu­blique – doit être res­pec­tée dans son intégralité. »

Cette voie inté­griste nous montre le che­min à suivre. Foin de pré­cau­tions et d’interrogations, que le refus de cette viande répu­bli­caine puisse être une ques­tion de (dé)goût, d’allergie, d’éthique ou de végé­ta­risme ne change rien au fait qu’il peut être le che­val de Troie d’un pro­sé­ly­tisme radi­ca­li­sant qui n’attend qu’un signe pour deve­nir violent.

Aus­si faut-il, sans plus tar­der, géné­ra­li­ser cette démarche et extir­per le reli­gieux de nos inter­ac­tions sociales. Je pro­pose donc la créa­tion d’un organe dont la tâche sera d’examiner toutes les pra­tiques sociales qui pour­raient être moti­vées par des ques­tions reli­gieuses et d’indiquer les mesures à prendre pour laï­ci­ser inté­gra­le­ment nos comportements.

Puisqu’il faut bien com­men­cer par quelque chose, je sug­gère de par­tir des textes fon­da­men­taux et com­muns aux reli­gions du Livre. Les Dix Com­man­de­ments, par exemple. Le fait de ne pas atten­ter à la vie de son pro­chain est incon­tes­ta­ble­ment sus­cep­tible d’être moti­vé par le pre­mier com­man­de­ment : « Tu ne tue­ras point ». N’est-ce pas d’ailleurs en son nom, notam­ment, que d’aucuns luttent contre le droit à l’avortement (lequel n’est pas sus­pect d’une quel­conque jus­ti­fi­ca­tion reli­gieuse) ? Il faut donc extir­per de notre corps social cette chose ignoble qu’est la pro­hi­bi­tion de l’homicide, témoi­gnage de l’époque obs­cure où la reli­gion gou­ver­nait l’homme.

La tâche sera longue, certes, elle risque d’être infi­nie, certes, mais tout aus­si infi­nie est notre atta­che­ment à cette laï­ci­té qui fait de nous des êtres debout. Ne fai­blis­sons donc pas et nous pour­rons rendre à César ce qui appar­tient à César et à Dieu ce qui appar­tient à Dieu.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.