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Profession : demandeur d’emploi
Sous le titre « La journée type d’un demandeur d’emploi efficace », Pôle Emploi a publié une infographie censée aider les chômeurs à se comporter de manière adéquate. S’y déroule la journée du « demandeur d’emploi » modèle, qui combine vie saine, motivation sans faille et stratégies efficaces de recherche d’emploi. On apprend que le chômeur n’a sans doute pas d’enfants, […]
Sous le titre « La journée type d’un demandeur d’emploi efficace », Pôle Emploi a publié une infographie censée aider les chômeurs à se comporter de manière adéquate. S’y déroule la journée du « demandeur d’emploi » modèle, qui combine vie saine, motivation sans faille et stratégies efficaces de recherche d’emploi.
On apprend que le chômeur n’a sans doute pas d’enfants, puisqu’il se lève à 7h45 et déjeune à 8h45, qu’une douche matinale permet de clarifier ses objectifs (sans doute est-ce une manière d’inviter le chômeur à les revoir quotidiennement à la baisse) et que le demandeur d’emploi lambda a un balcon sur lequel il peut boire son café. À 13 heures, et pendant une heure, il sera invité à répondre à des propositions de « petits boulots » lui permettant de gagner de l’argent. On se sent rassuré : chaque jour, une heure est nécessaire au traitement des myriades de sollicitations par un marché de l’emploi dynamique ouvrant constamment des perspectives aux sans-emplois. S’il ne trouve pas là de quoi gagner honorablement sa vie… À 14 heures, enfin, le chômeur peut légitimement consacrer son temps à lui-même, même s’il ne doit pas oublier, à 16 heures, d’aller faire un tour sur LinkedIn, une plateforme (privée) de réseautage professionnel pour laquelle l’État français fait de la publicité, logo à l’appui. Enfin, à 17h30, le chômeur doit soigner son réseau social et ses relations avec sa famille. Il n’a pas d’enfants — et donc pas de devoirs à superviser ni de tartines à faire pour le lendemain — il ne faut pas qu’il tombe dans l’isolement social.
Au travers de ce document consternant, apparaissent les stigmates habituels du chômeur : il est cette personne qui manque de structure et risque de sombrer dans la solitude et la perte de repères, il a donc besoin d’une discipline. Le chômage, cette luxure moderne, n’est pas une fatalité, il se combat par la mise en place d’une discipline se substituant à celle prodiguée par l’emploi. Horaire strict, souci du corps et de l’esprit, recherche de revenus, entretien de son réseau social, tels sont les bénéfices d’une recherche d’emploi orthodoxe.
Qu’importe, dès lors, l’obtention d’un contrat de travail ? Le chercheur d’emploi est efficace parce qu’il remplit correctement son rôle. Il cherche le Graal. Aventurier moderne, le sens de sa vie est dans sa quête, pas dans la réussite.
Ce qui se donne à voir, également, c’est la promotion d’un chômeur idéal qui, de toute évidence, appartient aux classes moyennes et supérieures. L’individu montré en exemple est soucieux de son corps et de son équilibre mental, gère des propositions et projets multiples, est présent sur les réseaux sociaux conçus pour les cadres et dispose de suffisamment de moyens pour entretenir une socialité épanouissante. Combien de chômeurs non qualifiés sont-ils présents sur LinkedIn ? Combien sont-ils à recevoir des propositions « alimentaires » en tel nombre qu’il leur faille une heure par jour pour les traiter ? Qui donc serait capable de tenir ce rythme absurde, pendant un, trois, cinq, dix ans ? Ce chômeur idéal est qualifié, socialement inséré dans des réseaux susceptibles de lui fournir un emploi et sa situation est transitoire. C’est lui qui est montré en exemple à l’ensemble des chômeurs. À chacun son rêve d’ascension sociale…
Pôle Emploi n’a sans doute pas entendu parler du chômage structurel touchant préférentiellement des personnes peu qualifiées ou déqualifiées et des régions s’apparentant à de véritables déserts économiques. À moins qu’il ne s’agisse, inconsciemment et une fois de plus, de renforcer l’idée que le chômage est conjoncturel et se combat au niveau individuel, par un surcroit de foi et de sacrifices. Nul besoin d’interroger la place du travail et de l’emploi dans nos sociétés, de critiquer les mécanismes de redistribution des moyens d’existence ou de questionner le sens de la vie.
Peut-on imaginer qu’un tel document serve aux chômeurs et les aide, ou est-il plus vraisemblable qu’il est un élément de langage supplémentaire, un écrit de propagande renforçant les récits sociaux sur le chômage et la stigmatisation de ceux qu’il frappe, une modalité supplémentaire d’exercice d’une violence sociale symbolique à l’égard des exclus.
La question se pose, en effet, de savoir si l’on n’aiderait pas davantage les individus en leur rappelant qu’ils peuvent investir leur énergie et se rendre socialement utiles hors de l’emploi, en tournant le dos à l’entretien de stratégies concurrentielles de dépassement de soi pour atteindre l’inaccessible emploi, en interrogeant les modalités et le but de leur intégration sociale.