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Poutine : Nomination Potemkine

Blog - e-Mois - démocratie élections Russie par Najman

mars 2018

Faut-il par­ler de la gou­ver­nance au Krem­lin ? Une très grande majo­ri­té de nos conci­toyens ne porte aucune atten­tion à la Rus­sie et encore moins à Pou­tine. Quel sens don­ner au modèle auto­cra­tique que nous pro­pose le Krem­lin ? Que nous dit la Rus­sie sur le monde dans lequel nous vivons ?

e-Mois

J’ai écrit ce billet avant le dimanche 18 mars, date de la nomi­na­tion de Vla­di­mir Vla­di­mi­ro­vitch Pou­tine à la pré­si­dence de l’oligarchie de Rus­sie, plus com­mu­né­ment appe­lée « Fédé­ra­tion de Rus­sie ». Pas de sur­prise à attendre puisque d’élections il n’y en a pas. Pas d’opposition, pas de médias libres, pas de jus­tice indé­pen­dante, pas d’observateurs sauf ceux finan­cés par le Krem­lin pour venir sou­te­nir sa can­di­da­ture, de fait, presque unique. Pas d’abstention pos­sible, et nous le savons depuis les élec­tions de 2011 – 2012, puisque les urnes sont bour­rées bien au-delà par­fois du nombre d’inscrits. Pas d’opposants puisque depuis l’assassinat de Boris Nemt­sov, sa mise à mort est quo­ti­dienne dans les jour­naux et les télé­vi­sions du régime. Pas même de fleurs sur son pont1, elles sont régu­liè­re­ment jetées et détruites par les ser­vices de la pro­pre­té du Krem­lin. Pas même de sou­tien popu­laire2 du régime, il n’en a pas besoin, aucune alter­na­tive poli­tique n’est tolé­rée par Pou­tine, à quoi bon puisque la contra­dic­tion est en pri­son ou sous terre. Pou­tine n’a d’ailleurs même pas pris la peine de faire cam­pagne pour sa nou­velle nomination.

Alors pour­quoi cette mas­ca­rade, ce jeu de mot autour d’une nomi­na­tion qui n’a rien d’une élec­tion ? Il y a là une expé­ri­men­ta­tion de l’autocratie comme mode de gou­ver­ne­ment à l’heure où ce modèle poli­tique veut s’exporter dans toute l’Europe. C’est la dic­ta­ture de la loi du plus fort. Pour Pou­tine cette nomi­na­tion, c’est le moyen de créer plus d’instabilité. Il gou­verne par le chaos, il mobi­lise à cette occa­sion ses troupes à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Cet évé­ne­ment mis en scène comme une élec­tion est fina­le­ment sur­tout une opé­ra­tion de com­mu­ni­ca­tion des­ti­née à accroitre la ter­reur et les guerres. En pre­mier lieu en Syrie où se joue notre ave­nir, mais éga­le­ment en Ukraine, Géor­gie, Libye, dans les Bal­kans, en Mol­da­vie… et jusqu’à Londres. Les zones grises de désta­bi­li­sa­tion s’accumulent et le Krem­lin jubile de notre faiblesse. 

Faibles nous sommes car dépen­dants de l’argent des oli­garques3 et nous ne cher­chons dans cette nomi­na­tion qu’à pro­lon­ger cet état de fait. Pou­tine, lui, veut étendre son sys­tème, sorte de machine à laver : l’argent, les esprits et fina­le­ment les morts. Il achète, cor­rompt, lave et para­lyse nos cer­veaux si besoin par la ter­reur (poli­tique des zom­bies4). Ter­reur ignoble et noire en Syrie, ter­reur que nous ne vou­lons pas voir, ter­reur qui nous annonce l’avènement de l’autocratie.

Depuis quatre ans, les élec­tions, en Europe et aux États-Unis, ont été l’objet d’intenses cam­pagnes russes de pro­pa­gande, de divi­sion et de vio­lence contre nos espaces poli­tiques, essen­tiel­le­ment via les médias sociaux et vrai­sem­bla­ble­ment le pira­tage infor­ma­tique. Les finan­ce­ments, les visites et les cam­pagnes de publi­ci­tés « gra­tuites » en faveur des par­tis d’extrême droite s’organisent et se déve­loppent à par­tir de la Russie. 

Alors pour­quoi écrire ? Com­ment redon­ner du sens face à ce qui n’est rien de moins qu’un achar­ne­ment à détruire nos socié­tés ouvertes ? En pre­mier lieu, il nous appar­tient de recons­truire des espaces com­muns, de résis­ter à la des­truc­tion des lieux de discussions. 

Mais ce texte est sur­tout un appel. Il n’y pas de fata­li­té, il n’y a pas d’im­puis­sance poli­tique. Ce qui peut arrê­ter Pou­tine, c’est de tou­cher à ses finan­ce­ments. Cette auto­cra­tie est essen­tiel­le­ment à but lucra­tif. L’oligarchie/FSB (ex-KGB) est une agence fédé­rale russe du busi­ness. C’est le pire du capi­ta­lisme sau­vage et pré­da­teur, qui, en Europe, séduit à la fois ceux qui veulent chan­ger de sys­tème et ceux qui veulent accroitre, par tous les moyens, leurs pro­fits. Ce régime rejoint Trump dans sa haine des régle­men­ta­tions, des contre-pou­voirs et de la justice. 

Cette auto­cra­tie est-elle pous­sée par la volon­té de retrou­ver une puis­sance per­due, un nou­veau patrio­tisme ? Peu plau­sible tant l’élite poli­tique et finan­cière russe place son argent à l’étranger, évite de payer des impôts et envoie ses enfants étu­dier à l’étranger. Vu des banques russes, le natio­na­lisme à ten­dance eur­asienne n’est rien moins qu’un écran de fumée.

Le 18 mars 2018 n’est cer­tai­ne­ment pas une (ré)élection, c’est une nomi­na­tion Potem­kine qui ne se cache même plus.

  1. Pont, face au Krem­lin, où Boris Nemt­sov a été assas­si­né le 27 février 2015. Le nom de B. Nemt­sov a été don­né à ce pont.
  2. Le sou­tien popu­laire ne peut pas être consi­dé­ré de la même manière dans une démo­cra­tie ou un sys­tème auto­cra­tique. Ceau­ses­cu ou Mus­so­li­ni sont-ils popu­laires ? Lorsque l’on fait face à une mobi­li­sa­tion natio­na­liste et auto­cra­tique, et par­ti­cu­lier en temps de guerre, la ques­tion ne se pose pas.
  3. Une grande par­tie des pro­fits des sec­teurs éner­gé­tiques et mili­taires russes sont pla­cés grâce à des banques euro­péennes, voire l’enquête sur la Deutsche Bank. Début 2017, la jus­tice amé­ri­caine à condam­ner la banque alle­mande et lui a impo­sé une amende de 650 mil­lions de dollars.
  4. Terme uti­li­sé dans la presse russe proche du pou­voir pour dési­gner l’état des socié­tés occidentales.

Najman


Auteur

Boris Najman est maître de conférences et chercheur en économie du développement à l'université Paris Est Créteil (UPEC)/ département d'économie depuis 2002. Il est directeur du Master « études économiques internationales » à l'UPEC.