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Pour une démocratie de confort
Comme il est commode d’hériter. Moi-même qui dus mon trône à mon père, je sais qu’il est doux, le moment venu, de se parer d’une hermine qu’il n’a fallu ni tuer ni dépecer. Il en va ainsi de tout héritage. Quel bonheur que de pouvoir, sans l’once d’un talent, régir une commune, diriger un parti, présider aux destinées d’un peuple, rouler en Jaguar de fonction, prendre du bon temps sur sa plage privée, dormir au chaud et dîner sous un lustre de cristal.
Qu’il est doux, ensuite, de déambuler dans les beaux quartiers, méprisant ces miséreux qui tendent leur sébile, les soupçonnant de droguer leur chien, de battre leurs enfants et de boire les oboles qu’on leur fait. Qu’il est bon de pérorer sur la paresse des chômeurs, sur l’inaction des mères célibataires, sur la lâcheté des réfugiés qui fuirent leur pays plutôt que d’y mourir pour leurs droits.
Plaisir de riche ? Peut-être, mais vous en êtes aussi. N’avez-vous pas hérité d’une démocratie en état de marche ? Voilà bien longtemps que vous n’écoutez plus votre grand-père divaguer sur ces temps obscurs où il dut prendre les armes contre les hordes sanguinaires venues de l’Est. Depuis toujours, vous songez aux Révolutions comme autant d’épisodes esthétiques et édifiants imaginés par quelque scénariste d’une série HBO. Chaque matin, vous considérez avec circonspection ces gens qui, dans leur pays lointain, meurent pour la démocratie, et vous déplorez que ces peuples inférieurs se montrent si intempérants, incapables de prendre exemple sur nous et de bâtir un système à l’égal du nôtre.
Quel réconfort que de ratiociner sur les sauvages du Sud, sur les brutes de l’Est, sur les fanatiques basanés… Nous qui avons hérité de la démocratie en pleine propriété, comme tout héritier, sommes incontestablement méritants. N’est-il pas légitime que nous jouissions du fruit du labeur de nos parents ? Du reste, s’imagine-t-on, quand on est un va-nu-pied, ce que coûte l’entretien d’un château, la vidange d’une Bentley, le financement d’une démocratie ? Ces jardins, ces boiseries, ces juges, ces parlements, ces organes de presse, ces écoles.
Mais voilà que sonnent au portail des miséreux quémandant asile. Une place près du feu, une fesse sur le bord de notre Chesterfield préféré, une larme de notre meilleur cognac, le réconfort de notre toit, le bénéfice de notre Conseil d’État, la protection de notre molosse et de nos policiers… Mais qu’ont-ils fait pour le mériter ? Sont-ils propres ? Apprécieront-ils notre 18 ans d’âge à sa juste valeur ? Combien nous coûteront-ils alors que nous devons refaire le hall d’entrée, et embaucher des magistrats, et financer l’université, et trouver du boulot à nos propres manants ?
En fin de compte, si c’est pour être confrontés à de telles charges, la question se pose de savoir s’il ne vaudrait pas mieux revendre l’ensemble pour vivre de nos rentes. Plus petit, plus modeste, mais confortable. Pourquoi faudrait-il que la démocratie soit une lutte, un fardeau, qu’elle nous contraigne ? Nous voulons une démocratie de confort, d’un usage facile, sans souci, dotée d’une interface agréable et ludique, consommant peu, ne donnant ni la migraine ni mauvaise conscience.
Il est hors de question de se battre sans fin pour la démocratie Vive le sale and lease back ! Bradons le tout et louons notre propre système. Avec un contrat de confiance. Et une garantie « zéro soucis ».
Enfin tranquilles, au chaud, chez soi. En sécurité.