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Pour une démocratie de confort

Blog - Anathème - démocratie par Anathème

février 2016

Comme il est com­mode d’hériter. Moi-même qui dus mon trône à mon père, je sais qu’il est doux, le moment venu, de se parer d’une her­mine qu’il n’a fal­lu ni tuer ni dépe­cer. Il en va ain­si de tout héri­tage. Quel bon­heur que de pou­voir, sans l’once d’un talent, régir une com­mune, diri­ger un par­ti, pré­si­der aux des­ti­nées d’un peuple, rou­ler en Jaguar de fonc­tion, prendre du bon temps sur sa plage pri­vée, dor­mir au chaud et dîner sous un lustre de cristal.

Anathème

Qu’il est doux, ensuite, de déam­bu­ler dans les beaux quar­tiers, mépri­sant ces misé­reux qui tendent leur sébile, les soup­çon­nant de dro­guer leur chien, de battre leurs enfants et de boire les oboles qu’on leur fait. Qu’il est bon de péro­rer sur la paresse des chô­meurs, sur l’inaction des mères céli­ba­taires, sur la lâche­té des réfu­giés qui fuirent leur pays plu­tôt que d’y mou­rir pour leurs droits.

Plai­sir de riche ? Peut-être, mais vous en êtes aus­si. N’avez-vous pas héri­té d’une démo­cra­tie en état de marche ? Voi­là bien long­temps que vous n’écoutez plus votre grand-père diva­guer sur ces temps obs­curs où il dut prendre les armes contre les hordes san­gui­naires venues de l’Est. Depuis tou­jours, vous son­gez aux Révo­lu­tions comme autant d’épisodes esthé­tiques et édi­fiants ima­gi­nés par quelque scé­na­riste d’une série HBO. Chaque matin, vous consi­dé­rez avec cir­cons­pec­tion ces gens qui, dans leur pays loin­tain, meurent pour la démo­cra­tie, et vous déplo­rez que ces peuples infé­rieurs se montrent si intem­pé­rants, inca­pables de prendre exemple sur nous et de bâtir un sys­tème à l’égal du nôtre.

Quel récon­fort que de ratio­ci­ner sur les sau­vages du Sud, sur les brutes de l’Est, sur les fana­tiques basa­nés… Nous qui avons héri­té de la démo­cra­tie en pleine pro­prié­té, comme tout héri­tier, sommes incon­tes­ta­ble­ment méri­tants. N’est-il pas légi­time que nous jouis­sions du fruit du labeur de nos parents ? Du reste, s’imagine-t-on, quand on est un va-nu-pied, ce que coûte l’entretien d’un châ­teau, la vidange d’une Bent­ley, le finan­ce­ment d’une démo­cra­tie ? Ces jar­dins, ces boi­se­ries, ces juges, ces par­le­ments, ces organes de presse, ces écoles.

Mais voi­là que sonnent au por­tail des misé­reux qué­man­dant asile. Une place près du feu, une fesse sur le bord de notre Ches­ter­field pré­fé­ré, une larme de notre meilleur cognac, le récon­fort de notre toit, le béné­fice de notre Conseil d’État, la pro­tec­tion de notre molosse et de nos poli­ciers… Mais qu’ont-ils fait pour le méri­ter ? Sont-ils propres ? Appré­cie­ront-ils notre 18 ans d’âge à sa juste valeur ? Com­bien nous coû­te­ront-ils alors que nous devons refaire le hall d’entrée, et embau­cher des magis­trats, et finan­cer l’université, et trou­ver du bou­lot à nos propres manants ?

En fin de compte, si c’est pour être confron­tés à de telles charges, la ques­tion se pose de savoir s’il ne vau­drait pas mieux revendre l’ensemble pour vivre de nos rentes. Plus petit, plus modeste, mais confor­table. Pour­quoi fau­drait-il que la démo­cra­tie soit une lutte, un far­deau, qu’elle nous contraigne ? Nous vou­lons une démo­cra­tie de confort, d’un usage facile, sans sou­ci, dotée d’une inter­face agréable et ludique, consom­mant peu, ne don­nant ni la migraine ni mau­vaise conscience.

Il est hors de ques­tion de se battre sans fin pour la démo­cra­tie Vive le sale and lease back ! Bra­dons le tout et louons notre propre sys­tème. Avec un contrat de confiance. Et une garan­tie « zéro soucis ».

Enfin tran­quilles, au chaud, chez soi. En sécurité.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.