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Pour un français qui ressemble aux Français

Blog - Anathème - France orthographe par Anathème

février 2016

Hier, une annonce a pro­vo­qué un tol­lé : celle de la prise en compte, par les édi­teurs de manuels sco­laires, d’une réforme de l’orthographe vieille de 26 ans. Le scan­dale n’était pas celui du rythme de mise à jour des sup­ports péda­go­giques, mais la dis­pa­ri­tion de bizar­re­ries de la langue fran­çaise, au pre­mier rang des­quelles une série d’accents […]

Anathème

Hier, une annonce a pro­vo­qué un tol­lé : celle de la prise en compte, par les édi­teurs de manuels sco­laires, d’une réforme de l’orthographe vieille de 26 ans. Le scan­dale n’était pas celui du rythme de mise à jour des sup­ports péda­go­giques, mais la dis­pa­ri­tion de bizar­re­ries de la langue fran­çaise, au pre­mier rang des­quelles une série d’accents cir­con­flexes muets, comme celui qui orne coût. « Tout fout le camp », « on brade la langue », « on nivèle par le bas » (de la part de gens ne sachant pas qu’ils usaient déjà de la réforme de l’orthographe), « s’ait un scan­dal, on ruine la bau­té de la langue » (les Dys­or­tho­gra­phiques ano­nymes), « le niveau baisse» ; tout y est passé.

Levée de bou­cliers réac­tion­naire ? Atta­che­ment pas­séiste à un fran­çais à la pure­té fan­tas­mée ? Jubi­la­tion de pou­voir s’offusquer d’un pro­blème moins déli­cat et moins coû­teux à régler que la mort par noyade de cen­taines de réfu­giés ? Certes non !

Le pro­blème est réel, il tient à l’âme d’un peuple en ce qu’elle s’incarne dans l’âme de sa langue. En cla­mant leur atta­che­ment à une ortho­graphe dog­ma­tique, inuti­le­ment com­pli­quée et éli­tiste, les Fran­çais ne font que défendre leur être pro­fond, le génie propre de leur Nation.

Que devien­drait en effet la France si elle ne pra­ti­quait plus une langue per­met­tant aisé­ment de dis­cri­mi­ner les der­niers arri­vés, les moins que rien et ceux qui ne sortent pas d’une grande école ? La socié­té ne s’écroulerait-elle pas d’être pri­vée de ce concours d’admission per­ma­nent qu’est le foi­son­ne­ment de lettres muettes, de redou­ble­ments et d’accents inutiles ?

Pour­raient-ils se recon­naître dans une langue écrite qui ne fasse pas de l’ornementation ridi­cule une seconde Gale­rie des Glaces, dans laquelle la noblesse de Répu­blique aime à se pava­ner ? Com­ment expri­me­raient-ils leur monar­chisme frus­tré s’ils ne dis­po­saient plus d’une gram­maire qui le dis­pute en com­pli­ca­tions inutiles à l’étiquette ver­saillaise ? Com­ment se recon­naî­traient-ils dans leur langue s’ils n’en confiaient la ges­tion à un cénacle de caco­chymes dégui­sés, por­tant épée pour mieux pour­fendre le manant qui s’aviserait de souiller de son tex­to le noble héri­tage de la France éternelle ?

Vieillot, conser­va­teur et rigide, incom­pré­hen­sible, pétri de pré­ten­tion et dis­cri­mi­na­toire, le fran­çais de la Contre-Réforme est l’expression fidèle et indis­pen­sable de l’âme fran­çaise. En faire une langue acces­sible et pra­tique, logique et en phase avec le monde, ce serait rui­ner l’exception fran­çaise ; ce serait don­ner à pen­ser que la France doit s’adapter à la marche du monde, alors que c’est à ce der­nier d’infléchir sa course pour cal­quer son pas sur celui de l’Hexagone.

Depuis que l’on apprend aux fils d’ouvriers à écrire, le niveau baisse ; il ne man­que­rait plus qu’on amé­nage la langue pour per­mettre à cha­cun de s’y sen­tir chez soi, plu­tôt que de veiller à ce que les invi­tés en godillots, sur les par­quets de bois pré­cieux, conti­nuent de sen­tir com­bien c’est par cha­ri­té qu’on leur concède un coin près du feu. Puisqu’il faut se rési­gner à voir le vul­gaire non seule­ment par­ler, mais aus­si écrire le fran­çais, au moins veillons à ce que leur sabir se dis­tingue aisé­ment de notre noble par­ler, au moins gar­dons à por­tée un bâton pour les battre si d’aventure ils s’essayaient à une morgue qui nous est réservée.

Il est à cet égard récon­for­tant de voir, que dans des pays à la fran­co­pho­nie peu légi­time, comme la Bel­gique, un concert de pro­tes­ta­tions s’élève aus­si. Il est bon que le nègre aime son maître sans qui il serait un sau­vage, il est juste que l’ouvrier ché­risse le patron sans qui il serait un vaga­bond, il est récon­for­tant que le fran­co­phone d’adoption baise avec recon­nais­sance la main de l’Académicien sans qui il crou­pi­rait dans la glèbe patoisante.

Pour para­phra­ser des gens qui œuvrent quo­ti­dien­ne­ment au main­tien d’une France fran­çaise et dont le lan­gage, faute d’être raf­fi­né, est mer­veilleu­se­ment gau­lois et expres­sif : le fran­çais, tu l’aimes comme il est ou tu le quittes.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.