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Pour des élites populaires

Blog - Anathème - élitisme populisme par Anathème

novembre 2016

Force est de consta­ter que, de plus en plus de citoyens en ont assez du sys­tème (vous savez, le sys­tème) et des élites. On les com­prend. Ces enviables pro­fi­teurs, exer­çant un pou­voir dont cha­cun rêve secrè­te­ment, vivant dans un confort scan­da­leux pour les vraies gens, ces escrocs népo­tistes sont émi­nem­ment détes­tables… au sens lit­té­ral : cha­cun adore les détester.

Anathème

Dans le même temps, il faut admettre que les mêmes citoyens sont éga­le­ment assez remon­tés contre les pauvres, les migrants, les déclas­sés de toute sorte, bref, les déchets de notre socié­té. Ces répu­gnants pro­fi­teurs, dépour­vus de tout pou­voir au point d’en être mépri­sables, vivant dans une misère scan­da­leuse car trop douce encore au regard de leur abjec­tion, ces traine-savates héré­di­taires sont émi­nem­ment détes­tables… au sens lit­té­ral : rien n’est plus ras­su­rant que de les haïr.

La situa­tion est déli­cate : bien qu’ils n’aient aucune pro­po­si­tion alter­na­tive, des mil­liers d’électeurs rêvent d’abattre le sys­tème dont ils espèrent secrè­te­ment tirer des for­tunes – maté­rielles et sym­bo­liques – et dont ils craignent qu’il les réduise à l’état de loques. Des mil­lions de votants veulent déchoir des élites qu’ils détestent à force de les envier, tout en mépri­sant les exclus, par crainte de se recon­naitre en eux.

La qua­dra­ture du cercle.

Heu­reu­se­ment, chaque fois que l’homme est face à un défi nou­veau, son génie lui per­met de dépas­ser l’obstacle. Puisqu’il faut détruire le sys­tème, mais dans l’ordre et la dis­ci­pline, puisqu’on ne peut faire confiance aux dam­nés de la Terre pour s’en char­ger, il suf­fit de choi­sir, au sein même de l’élite, quelqu’un qui accep­te­ra de se pro­cla­mer adver­saire du système.

C’est ain­si que Marine Le Pen, femme for­tu­née et héri­tière de l’empire d’extrême droite de son père, Donald Trump, des­cen­dant d’un riche homme d’affaire dont il pour­suit l’œuvre, Nigel Farage, pro­duit de la City lon­do­nienne, ou encore Sil­vio Ber­lus­co­ni, magnat de l’immobilier et de la presse, se dévouent pour endos­ser la dure pos­ture d’ennemi du système.

Ras­su­rants parce que bien nés, par­faits can­di­dats au poste de mana­ger d’une révo­lu­tion iso­morphe, habiles à mépri­ser les faibles, prompts à flat­ter les puis­sants, ils ouvrent la pers­pec­tive d’une récon­ci­lia­tion des élites et du peuple. Se char­geant elle-même de son propre débou­lon­nage, l’élite se met au ser­vice d’un peuple qui, en retour, accepte que la mise à mort du sys­tème soit pure­ment dis­cur­sive. Ce com­pro­mis natio­nal-auto­crate, pre­nant le relais du tris­te­ment célèbre com­pro­mis social-démo­crate, est la pro­messe de len­de­mains qui chantent pour une socié­té apai­sée. Enfin !

Demain, le Pape sera accla­mé pour ses dis­cours fus­ti­geant le clé­ri­ca­lisme, Cyril Hanou­na pour sa cri­tique sans conces­sion de la télé­vi­sion pou­belle et Ber­nard Tapie pour sa satire au vitriol de l’affairisme. Chez nous, Mau­rice Lip­pens sera appe­lé à réfor­mer le sys­tème ban­caire, Elio Di Rupo à net­toyer le monde poli­tique belge et Filip Dewin­ter à lut­ter contre la domi­na­tion de la bour­geoi­sie blanche. À n’en pas dou­ter, on publie­ra bien­tôt les consi­dé­ra­tions de BHL sur la digni­té d’une pen­sée droite et pure, les charges de Ber­lus­co­ni contre le patriar­cat, le pam­phlet d’Erdogan contre la presse aux ordres du pou­voir et des groupes finan­ciers, ain­si que, récem­ment décou­vert dans ses papiers per­son­nels, le cri d’indignation d’Augusto Pino­chet face au pou­voir des militaires.

C’est ain­si que, enfin récon­ci­liées, élites et masses popu­laires pour­ront, la main dans la main, mar­cher vers demain. Au pas. La fleur au fusil.

Mis­ter Trump n’est qu’un avant-gout.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.