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Poker menteur (conte de Noël)
Tout a commencé, bêtement, la semaine dernière sur un coup de tête. Comme tous les jeudis soirs, c’était poker menteur dans l’arrière-salle du Café « Chez Bart et Charlie ». Elke et Jacqueline, deux sacrées délurées, nous servaient. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Depuis des années, nous avons pris l’habitude de jouer par équipes. D’un côté, comme de coutume, il y avait le docteur X., spécialiste renommé des Voies et Moyens respiratoires à l’hôpital E. (pas de noms, Maggie pourrait nous lire!) et mon ami Lorenzo qu’une heureuse issue venait de libérer de ses obligations carcérales. Il purgeait une peine outrancière pour une ridicule histoire de faux billets de 15 tengues kazakhs.
De l’autre côté de la table, siégeaient votre serviteur et le célèbre professeur de Droit constitutionnel Marc-Eudore Delpuydaele de l’Université.
Nous ne jouons jamais pour de l’argent, mais pour ce que nous appelons entre nous depuis des lunes « des agaceries ». Des défis si vous préférez. L’équipe perdante doit impérativement les relever sous peine de payer les tournées liquides et solides. Et croyez-moi, le boire et le manger coutent bonbon chez Charlie et Bart.
Ce soir-là, le professeur Delpuydaele était de très mauvaise humeur. Une mauvaise dent, je crois. Ou peut-être la présidence perdue d’un « machin » qui lui tenait terriblement à cœur. Ou alors une étudiante particulièrement réticente, allez savoir. Pour détendre l’atmosphère et puisque c’était mon tour d’imposer une « agacerie », je lançai celle-ci :
— Qui perdra s’attèlera dès cette nuit à la réécriture de notre Constitution. Remise des copies jeudi prochain, même lieu, même heure.
Stupéfaction autour de la table de jeu.
— Mais enfin, argumentai-je : voyez-vous dans quel État nous errons ? Chaque jour qui passe nous prouve que la Loi fondamentale est en total porte à faux avec la réalité de ce Royaume en déconstruction larvée ! Sus camarades ! N’attendons d’hypothétique majorité spéciale… Ou un pronunciamiento des fascistoïdes de la N‑VA alliés aux néonazis du Blok/Belang ! Déblayons le terrain de sorte que, demain, les braves, les vrais, les sincères élus de la Nation n’aient qu’à ramasser la copie. Et à nous décorer plus lourdement que ce pauvre Amand Debecker !
Pour la petite histoire, Debecker est un ancien combattant de la guerre de Corée couvert de décorations. Il fit ensuite fortune comme marchand d’ivoire en Afrique avant d’ouvrir un salon de thé pour dames finissantes dans une commune huppée de Bruxelles.
Nous étions quelques-uns à savoir que son établissement servait en fait de couverture à un trafic de faux papiers. Du haut de sa fortune et de sa renommée, le bel Amand fréquentait naguère notre petit Cercle de joueurs. Il en fut exclu par Charlie et Bart pour avoir tenté d’y introduire un capo mafieux originaire d’un pays de l’Est.
Mais revenons à nos moutons et à nos cartes.
Quand je tonnai mon défi, je crus donc que Marc-Eudore allait nous faire une syncope. Je lui fis un clin d’œil (de ceux que je lui adresse discrètement quand j’ai un full par les as, mais cela ne regarde que nous).
— Ça ne fait pas un pli, repris-je : nous allons gagner le Professeur et moi ! Comme d’habitude, n’est-ce pas Marc-Eudore ? (Le docte fit mine de se moucher)… Ce sont donc deux honnêtes Citoyens – vous docteur et toi mon bon Lorenzo – qui vont se coltiner la Constitution.
Et je ris à m’en décrocher la mâchoire. Marc-Eudore me consentit un rictus ponctué d’un hoquet. Bref, l’affaire était dans le sac.
Nous menions largement quand ce crétin de contrefacteur pourri sortit de dieu sait où (ses manches, on parie?) un carré de dix avec lequel flirtait outrageusement un Roi. C’est ce que nous, les semi-professionnels, nommons vulgairement « le coup du peignoir ».
Bardaf, c’était l’embardée. Nous avions perdu.
Je fus saisi d’angoisse. D’autant que je savais pertinemment que le professeur Delpuydaele serait requis dès le lendemain et pour une longue semaine par son épouse. Il devait surveiller d’importants travaux à leur villa de L. (Pas de noms, Paul et Elio pourraient nous lire…).
Nous nous revoyons demain et je n’ai toujours réécrit que deux articles de cette foutue Constitution. Mais quels deux ! On a sa fierté tout de même. Je vous les livre, ne les lisez pas distraitement. Ils sont le fruit de huit jours et d’autant de nuits de réflexion.
Art 1. La Belgique est un État fédéral qui se compose de plusieurs Communautés, de plusieurs Régions, de deux pandas (adultes) et de deux Premiers ministres. Le Premier détient les clés de la Conciergerie du 16, rue de la Loi, le second tous les pouvoirs.
Art 2. Encore un tout petit peu de patience et cette Constitution s’autodétruira.
Je les entends déjà ! « Quoi, c’est tout ! » Ah ! Les ingrats ! Il ne me reste plus qu’à tenter de les convaincre de cette évidence pascalienne : mon article 2 contient désormais en son sein tous les autres.
Mais susceptibles comme je les connais, ces apôtres, je sais déjà que je devrai payer l’addition.