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Plus de quinze années de « guerre » au Kivu : Ça suffit !
La communauté internationale ou plutôt les grandes ou moyennes « puissances » qui parlent en son nom ont été paralysées par la barbarie d’un despote syrien et les doutes légitimes et compréhensibles sur l’action de ceux qui veulent y mettre fin. Dont acte. Ces mêmes puissances ont été, et sont, hésitantes face au choix qu’elles perçoivent devoir faire […]
La communauté internationale ou plutôt les grandes ou moyennes « puissances » qui parlent en son nom ont été paralysées par la barbarie d’un despote syrien et les doutes légitimes et compréhensibles sur l’action de ceux qui veulent y mettre fin. Dont acte. Ces mêmes puissances ont été, et sont, hésitantes face au choix qu’elles perçoivent devoir faire entre la peste et le choléra dans un autre pays du Moyen-Orient, l’Égypte. Dont acte encore. Dans les deux cas, les opinions ont été profondément divisées et les réseaux sociaux se sont déchaînés sur le qui, sur le quoi et sur le comment.
Dans l’est de la République « démocratique » du Congo, il ne s’agit ni de choix entre peste et choléra, ni de la barbarie d’un tyran, mais bien d’indifférence et surtout d’inconscience et d’inconsistance de la part des institutions et des responsables chargés par un mandat international dûment acté de maintenir la paix dans une région d’Afrique centrale où la pauvreté et l’exclusion font bon ménage avec un énorme potentiel de ressources naturelles convoitées par une large gamme d’acteurs, nationaux ou internationaux. Il s’agit aussi d’un « réseau d’élite » congolais soucieux avant tout d’accaparer le pouvoir et de le conserver par des stratégies de cooptation et de prébendes dans le contexte d’un système politique où la débrouillardise règne en maître depuis plus d’une décennie et a mis à mal l’état de droit comme l’État tout court.
Or donc, depuis 1999, l’ONU s’est vu investir d’une mission de pacification devant lui permettre de sécuriser les populations en mettant fin à la nuisance de groupes armés – plus d’une trentaine aujourd’hui – dont la plupart sont nés dans la foulée du génocide rwandais de 1994. Après d’interminables palabres diplomatiques entre les États concernés dans la région (Rwanda, RDC, Ouganda), après de longues et difficiles négociations avec les chefs de petites et moyennes milices ainsi qu’avec les représentants de troupes mutinées, après des appels récurrents et gesticulatoires à la réforme d’un système de sécurité (RSS) totalement défaillant (soldats mal ou non payés, structure de commandant inexistante, équipement dérisoire, officiers corrompus, etc.), on a cru l’an dernier à une possible sortie du tunnel. Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est décidé à mettre en place une brigade d’intervention composée de casques bleus sud-africains, tanzaniens et malawites et dotée d’un mandat clairement offensif lui permettant d’en finir avec les bandes armées avec ou sans l’appui de l’armée régulière. Cette résolution onusienne, qui n’était pas une primeur puisque, en 1960, une semblable résolution avait été prise pour mettre fin à la sécession katangaise, faisait suite au très humiliant abandon de la ville de Goma par les FARDC, trahis par leurs officiers, et les casques bleus de la Monusco en novembre 2012 face à une attaque de mutins congolais appuyés, en toute connaissance de cause, par des supplétifs du Rwanda voisin, comme cela fut certifié par plusieurs rapports d’un groupe d’experts indépendants des Nations unies.
« On va voir ce qu’on va voir »
« On allait donc voir ce qu’on allait voir ». Car jusqu’ici, les missions de maintien de la paix onusiennes étaient gênées aux entournures par les réticences des pays contributeurs de troupe qui avaient le dernier mot sur la question de savoir si l’on ouvrait le feu ou pas et qui ne voyaient pas d’un bon œil le rapatriement de leurs hommes dans des cercueils. C’était bien entre leurs mains que se trouvait la clé des directives opérationnelles, et non pas entre celles du commandement onusien sur place. Dans les deux provinces du Kivu, mais pas uniquement là, les contingents népalais, uruguayens, indiens, pakistanais et autres restèrent à quelques très rares exceptions l’arme au pied alors que groupes armés et soldats mutinés faisaient la pluie et le beau temps.
« On allait donc voir ». Mais chasser la diplomatie par la porte et elle revient vite par la fenêtre. Cette fenêtre avait été ouverte dans la capitale de l’Union africaine, Addis Abeba, où les représentants de pas moins de onze pays africains avaient apposé, en février 2013, leur signature au bas d’un « accord-cadre » qui, dans la langue de bois usuelle, entendait mettre à nouveau tout le monde autour des tables : celle de Kampala qui rassemblait le gouvernement congolais et des représentants « politiques » de troupes mutinées du M23, celle de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) où se réunissaient onze autres pays dont trois, le Rwanda, la RDC et l’Ouganda, sont, depuis 2000, « parties prenantes » à la « guerre ». Or, alors que la brigade d’intervention se mettait lentement en place, les palabres de Kampala et de la CIRGL étaient totalement bloquées pour la première et secouées par les accusations que se lançaient Kigali et Kinshasa à propos de qui tirait sur qui pour la seconde. Qu’importe, le sacro-saint exercice diplomatique devait continuer au risque de retarder au maximum, voire de faire imploser l’exercice militaire attendu.
Les diplomaties occidentales et la représentation du secrétaire général des Nations unies n’étaient pas en reste. Lorsque, au mois d’août 2013, des obus furent tirés sur la capitale du Nord Kivu — et même au Rwanda si l’on en croit le secrétaire général des Nations unies — à partir des positions des mutins du M23 autour de Goma et alors que la brigade d’intervention de la Monusco était à 80 % opérationnelle, on assista à un « tir groupé » des diplomates qui, condamnant unanimement des « actes inacceptables », voire un « crime de guerre », insistèrent lourdement sur une « solution politique négociée ». « Le problème est d’abord congolais », « la brigade d’intervention n’est pas une solution miracle », déclara le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies qui, en visite sur le terrain des affrontements, était visiblement pris entre les impératifs de la diplomatie et le mandat offensif confié à la Monusco. De son côté, l’envoyée spéciale de l’ONU dans les Grands Lacs, l’ancienne Première ministre irlandaise Mary Robinson, embraya : « il faut une solution négociée dans l’esprit et la lettre de l’accord-cadre d’Addis Abeba », tandis que les États-Unis et l’Union européenne plaidaient eux aussi en faveur d’une « solution politique ». Ceci dit, il y eut bien une action militaire concertée entre les FARDC et la brigade d’intervention pour répondre aux tirs d’obus sur Goma lancés à partir des positions du M23 qui se trouvaient à quelques kilomètres de la capitale du Nord Kivu. Mais il n’est pas dit que cette « offensive » soit le début de la fin.
Prendre la dossier par le bon bout
En fait, diplomates et politiques ont posé le problème en le prenant par le mauvais bout et en se trompant d’interlocuteurs. Indépendamment du jeu dangereux pratiqué par le voisin rwandais, dont il sera question plus loin, la « guerre » au Kivu est surtout le produit du génocide rwandais qui a fait déferler dans l’est du Congo des centaines de milliers de hutu fuyant l’avancée du FPR de Paul Kagame. Cette « guerre » a aggravé et renforcé les tensions communautaires préexistantes entre communautés rwandophones et congolaises d’une région peuplée où les litiges fonciers étaient omniprésents, surtout depuis qu’un secteur minier artisanal s’était substitué au début des années 1980 à une industrie minière qui avait déserté la région. Ni le régime Mobutu, ni celui de Kabila père, ni celui de son fils, engoncés dans des problèmes de fin de règne ou soucieux d’asseoir leur pouvoir et celui de leur entourage dans le haut du haut, ne se sont inquiétés de prendre à bras le corps cette problématique par le bas. La « communauté internationale » s’est quant à elle laissée obnubiler par les prescrits de la bonne gouvernance au sommet et par la tenue d’élections conçues comme indicateur majeur de « bonne démocratie ».
C’est donc à une double stratégie qu’il convient de recourir pour tenter de mettre fin à une « guerre » qui dure depuis plus de quinze ans et a fait plusieurs centaines de milliers de victimes, sans compter les dizaines de milliers de femmes violées par ceux qui sont issus des forces de l’ordre ou de mutins et de groupes armés. D’une part, il y a la mise au pas de ces derniers acteurs. La décision de déployer une brigade d’intervention offensive et capable d’encadrer des forces armées « à la traîne » est à ce sujet une initiative qui va en principe dans la bonne direction : cette brigade doit de toute urgence, de préférence avec l’aide de bataillons congolais judicieusement choisis, remporter une bataille et faire une véritable percée qui fera tache d’huile comme c’est le cas déjà dans certains coins du Nord Kivu. « Négocier » avec les chefs des bandes armées et de mutins est contreproductif : l’exercice a été tenté en 2009 et a largement échoué à l’époque car il n’existait pas de dissuasion crédible. Aujourd’hui, cette dissuasion existe potentiellement : on ose espérer que les Mary Robinson, John Kerry, Martin Kobler et autres Catherine Ashton retourneront sept fois leur langue avant de la torpiller.
D’autre part, le régime d’un Joseph Kabila mal réélu, qui mise sur le processus fastidieux de « concertations nationales » lesquelles visent à renforcer sa légitimité par un nouveau « Sun City » et sont une manière de s’évader des discussions avortées de Kampala, doit être mis sous pression pour qu’il opère, à défaut d’une implication personnelle, une « décentralisation » dans la gestion de la conflictualité locale, une décentralisation que son entourage et lui ont fait systématiquement traîner. Çà et là, des exercices de dialogue intercommunautaire se font jour et doivent être stimulés et pas seulement par la tenue de prochaines d’élections locales qui n’ont jamais eu lieu. Mais la poursuite de ces exercices, il ne faut pas se le cacher, sera rendue très difficile par la tâche énorme de restructurer un tissu social local déchiré par les centaines de milliers de personnes déplacées et les dizaines de milliers de jeunes qui n’ont connu que les milices comme cadre de vie. Elle est pourtant indispensable.
Cette stratégie ne signifie pas que la diplomatie, aujourd’hui discréditée sur le terrain des conflits, n’ait plus de rôle à jouer. Elle doit toutefois se cantonner au rôle qui lui revient et cesser de verser dans l’angélisme. En l’occurrence, il s’agit pour elle de mettre fin aux ingérences flagrantes surtout du Rwanda voisin qui a pourtant été montré plusieurs fois du doigt par le groupe d’experts indépendants des Nations unies. Il est à cet égard tout à fait paradoxal que la teneur de ces rapports soit aujourd’hui de facto mise en cause par les velléités « négociatrices » des diplomates onusiens ou autres dont les esprits se sont laissés trop longtemps « ramollir » par une idéologie anti-génocidaire qui sert de fonds de commerce à Kigali et par la « gouvernance autocratique » efficace d’un pays longtemps cité comme exemplaire par les chancelleries occidentales.
En attendant, la population de Goma exprime légitimement son ras-le-bol : quinze années de guerre, ça suffit !