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Plan Trump : Une certaine « vision de l’Apocalypse »
Au commencement était le Verbe. Et quel Verbe… Ce 28 janvier 2020, c’est en grande pompe que le président américain Donald Trump a présenté sa « vision de la paix », en présence du seul Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou. Les représentants palestiniens n’étaient pas conviés à la présentation d’un plan à l’élaboration duquel l’administration américaine n’avait pas jugé bon […]
Au commencement était le Verbe. Et quel Verbe… Ce 28 janvier 2020, c’est en grande pompe que le président américain Donald Trump a présenté sa « vision de la paix », en présence du seul Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou. Les représentants palestiniens n’étaient pas conviés à la présentation d’un plan à l’élaboration duquel l’administration américaine n’avait pas jugé bon de les associer. Au propre comme au figuré, les Palestiniens n’étaient pas à la fête. Et, si ce plan devait réellement être mis en application, ils ne risquent pas de l’être de sitôt.
Intitulé Peace to Prosperity – A Vision to Improve the Lives of the Palestinian and Israeli People, le document de 181 pages présenté par l’administration américaine a, contrairement à ceux élaborés sous la présidence de Bill Clinton, l’insigne mérite d’offrir un luxe de détails techniques sur lesquels la place manque ici pour s’y arrêter. Mais de méchantes langues, israéliennes en l’occurrence, ont estimé, tel Zvi Barel dans Ha’Aretz1, que « la seule chose réaliste dans le plan Trump est qu’il est présenté comme une “vision”. En l’occurrence, il s’agit rien de moins que d’une vision de l’Apocalypse selon le prophète Ezéchiel ».
Que propose ce plan et pourquoi suscite-t-il, au choix, tant de haine ou tant d’humour noir ? Grande nouvelle, une administration américaine républicaine et, surtout, le parti israélien de droite nationaliste Likoud proposent en chœur la création d’un État palestinien. Dans le chef de Binyamin Netanyahou, cette approche pourrait apparaître comme une révolution copernicienne, sauf que le contenu du « deal du siècle » ressemble à s’y méprendre au discours prononcé au printemps 2009 par le Premier ministre israélien devant l’université Bar-Ilan2, pépinière intellectuelle du nationalisme religieux israélien.
Contrairement à toutes les projections réalistes fondées sur le droit international et les résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU, ainsi qu’à rebours de toutes les précédentes ébauches de plan de paix, l’État de Palestine ne serait pas créé à côté de l’État d’Israël, mais à l’intérieur du territoire souverain israélien. Établi sur quelque 60% de la Cisjordanie occupée (et sur l’intégralité de la bande de Gaza), cet État serait amputé, en Cisjordanie, de 40% de territoires annexés à l’État juif, dont les zones stratégiques (car frontalières de la Jordanie jordano-palestinienne) que sont le versant occidental de la Vallée du Jourdain et le nord de la mer Morte.
En d’autres termes, constitué de multiples portions reliées par des tunnels et des viaducs, voire augmenté de quelques territoires d’Israël majoritairement habités par des citoyens arabes israéliens, l’État de Palestine ne disposerait d’aucune frontière extérieure et serait une enclave objectivement non souveraine à l’intérieur d’un Israël seul souverain de la Méditerranée au Jourdain. Comme l’écrit l’éditorialiste de centre droit Nahum Barnea dans Yediot Aharonot3, « le plan Trump clôt un chapitre et ouvre un nouveau chapitre dans le conflit israélo-palestinien. La solution des deux États, qui dominait le discours international depuis les accords d’Oslo de 1993, a perdu toute pertinence. Un seul État régnera entre le Jourdain et la Méditerranée, avec la grâce de l’Amérique. Ce n’est pas un plan de paix, c’est un plan d’annexion ».
Des colonies sanctuarisées
De fait, bien que « gelés » pendant quatre ans, les blocs de colonies israéliennes de peuplement seraient annexés unilatéralement à Israël, ce qui n’est pas une nouveauté dans la saga des plans de paix avortés. Ce qui est nouveau, c’est que même les colonies isolées au cœur de l’hypothétique État de Palestine seraient non seulement maintenues en l’état mais échapperaient à la souveraineté palestinienne. Concrètement, les implantations et leurs habitants juifs israéliens continueraient de relever du droit civil israélien, tandis que les habitants arabes de l’État de Palestine continueraient de relever d’un mixte de droit civil palestinien et de droit militaire israélien.
Le plan de Donald Trump entérine ainsi une situation de fait qui, bien que contraire au droit international et condamnée par l’ONU, fait coexister deux régimes juridiques sur un même territoire. Nahum Barnea, toujours, enfonce le clou4 : « Sur le terrain, cela ne changera pas grand-chose. Aujourd’hui déjà, la loi israélienne s’applique aux habitants juifs des implantations de peuplement. Mais ces faits vont devenir irréversibles. Ils entérineront définitivement la réalité de deux systèmes juridiques pour deux populations sur un même territoire : la population dominante et la population dominée. En d’autres termes, le plan Trump ouvre la voie à un État d’apartheid ».
Jérusalem
Jérusalem et son statut constituent un autre point névralgique du conflit israélo-palestinien. Le plan de partition de novembre 1947 en faisait un corpus separatum détaché des deux États juif et arabe appelés à coexister. Entre 1949 et 1967, remisé au placard par l’issue de la première guerre israélo-arabe, ce statut à part laissa la place à une Jérusalem divisée. D’une part, les quartiers occidentaux de la Nouvelle Ville (« Jérusalem-Ouest ») passèrent sous contrôle de l’État d’Israël et lui furent annexés. D’autre part et simultanément à la Cisjordanie, la Vieille Ville (et ses lieux saints) et les quartiers orientaux de la Nouvelle Ville (« Jérusalem-Est ») passèrent sous contrôle du Royaume hachémite de Jordanie et lui furent annexés.
La guerre de juin 1967 changea une nouvelle fois les règles du jeu. Vainqueur, Israël annexa « Jérusalem-Est » et y lança une entreprise de colonisation de peuplement destinée à empêcher toute restitution à quelque État arabe souverain que ce soit. Petit à petit, les ébauches de plans de paix avaient conclu que, idéalement, Jérusalem-Ouest et les nouveaux quartiers juifs de Jérusalem-Est constitueraient la capitale de l’État d’Israël, tandis que le reste de Jérusalem-Est constituerait celle du futur État de Palestine. La Vieille Ville et ses lieux saints juifs, chrétiens et musulmans feraient l’objet d’accords particuliers.
La « vision » de Donald Trump est venue effacer tous ces paramètres subtils et entériner l’annexion de Jérusalem-Est à Israël. Quid de l’État de Palestine ? Ce dernier se verrait concéder le droit de proclamer « sa » Jérusalem dans le faubourg misérable (dans tous les sens du terme) d’Abou Dis, qui plus est, territorialement déconnecté de l’État-enclave de Palestine et encerclé par une « mer de souveraineté » israélienne.
La redéfinition des réfugiés
La question des réfugiés arabes de 1948 et 1967 n’est pas la moins explosive du conflit israélo-palestinien. Peace to Prosperity l’aborde, disons-le, frontalement. L’administration américaine, en partenariat avec l’État d’Israël, se réserve le droit de définir qui sont réellement les réfugiés palestiniens et leurs descendants pouvant arguer de ce statut. Non seulement, ce droit unilatéral réviserait sérieusement à la baisse les chiffres de l’UNRWA, mais stipule d’ores et déjà que, non seulement aucun réfugié ne sera autorisé à se réinstaller en Israël, et que ceux qui ne seront pas reconnus comme réfugiés devront quitter la Cisjordanie et la bande de Gaza pour se réinstaller dans un pays arabe. Tous les regards se sont ainsi tournés vers la Jordanie (cf. infra).
Autre point hautement sensible : l’État de Palestine serait complètement démilitarisé. Si cette exigence peut se comprendre au vu du contexte géopolitique actuel dans lequel se déploie le conflit israélo-palestinien, tous les observateurs se demandent, mi-amusés, mi-incrédules, comment pareil paramètre pourrait être imposé à la bande de Gaza, gouvernée par le mouvement islamo-nationaliste Hamas, et par quelle force armée. Autrement dit, quel acteur politique (local ou international) serait assez inconscient pour s’embarquer dans un conflit terrestre destiné à désarmer la bande de Gaza, non seulement le Hamas, mais aussi et surtout les milices dissidentes ?
Là où le plan de l’administration américaine se montre, disons, le plus innovant, c’est sur deux points : l’annulation du droit international et la définition des identités et légitimités nationales d’Israël et de la Palestine.
Il n’y a plus d’occupation, donc plus de contestation légitime
Sur le plan du droit international, l’administration Trump estime que son plan met fin à l’occupation et donc soustrait l’État d’Israël à ses obligations en tant que puissance occupante : interdiction du transfert de citoyens de la puissance occupante vers un territoire occupé, obligation d’assurer une vie normale aux populations occupées, etc. Mais ce n’est pas tout. Dès lors que, selon Washington, l’ère de l’occupation est terminée, l’Autorité palestinienne se voit dans l’interdiction de plaider contre Israël devant quelque instance internationale que ce soit. De même, outre les opérations armées, les Palestiniens sont sommés de rompre avec toute forme de protestation contre une occupation qui n’en est théoriquement plus une. Cela inclut donc les manifestations pacifiques contre les expropriations foncières ou la construction de la barrière de séparation israélienne en Cisjordanie occupée.
Sur le plan de la définition des deux États, la « vision » de Donald Trump fait sienne l’exigence posée par le Likoud de Binyamin Netanyahou : la reconnaissance d’Israël comme État-nation du peuple juif. Outre que cette définition, votée par la Knesset l’hiver 2019, fait sérieusement débat en Israël même, elle n’est pas accompagnée d’une reconnaissance identique pour le peuple arabe palestinien, un peuple dont l’enracinement en Palestine n’est pas reconnu comme légitime mais tout au plus, et du bout des lèvres, comme une simple contingence monnayable. On est là à mille lieues des préalables bibliques invoqués dans le document Peace to Prosperity et destinés à séduire la droite évangélique américaine et l’extrême droite nationaliste et religieuse israélienne5. En effet, la création d’un État de Palestine d’ici quatre ans, selon les paramètres de Donald Trump, est soumise à l’acceptation sans conditions du « deal du siècle » par l’Autorité palestinienne, une acceptation qui se verrait récompensée par l’injection de 50 milliards de dollars américains dans l’économie palestinienne.
Divorce à la palestinienne
Les réactions à la publication de Peace to Prosperity ne se sont pas fait attendre. Dans une proclamation unanime aussi vibrante que rare, les deux principaux mouvements nationaux palestiniens, le Fatah (épine dorsale de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie occupée) et le Hamas (qui administre la bande de Gaza) ont dénoncé en chœur le plan de Donald Trump. En clôture d’une réunion extraordinaire de la Ligue arabe (malgré les résistances de l’Arabie saoudite), l’Autorité palestinienne de Ramallah, seule liée par les accords d’Oslo et autres accords ultérieurs avec Israël et les États-Unis, a ensuite annoncé la « cessation » (suspension ? annulation ?) de tous ces accords, y compris sécuritaires.
Mais l’annonce de ce « divorce » a quelque chose de pathétique. Sous perfusion financière internationale, l’AP dépend presque entièrement du bon vouloir de l’armée israélienne, ne serait-ce que pour autoriser le libre déplacement de ses ministres et hauts fonctionnaires hors des enclaves palestiniennes autonomes. Certains observateurs croient pouvoir affirmer que l’AP est sur le point de décréter sa propre dissolution et de laisser Israël face à ses responsabilités de seule et entière puissance occupante et souveraine en Cisjordanie. C’est peut-être aller vite en besogne car, ce faisant, le Fatah de Mahmoud Abbas se priverait de ses maigres et derniers leviers de pouvoir, tout en laissant à la rue des dizaines de milliers de salariés (fonctionnaires, policiers, enseignants, etc.), créant ainsi une situation explosive pour tout le monde et pas seulement les civils israéliens. Et peut-on imaginer les membres des services de sécurité palestiniens (Sécurité préventive et Police) rendre leurs armes en même temps que leurs tabliers ? On le voit, dans ce scénario de l’autodissolution, la situation promettrait d’être explosive.
Une Jordanie aux abois
Sur le plan régional, de tous les États arabes, celui qui a le plus à craindre de l’initiative de Washington est sans conteste la Jordanie. De sa création jusqu’à 1974, le régime hachémite s’était perçu comme le dépositaire de la Palestine, allant jusqu’à y intégrer l’État d’Israël dans ses cartes officielles et dans les manuels scolaires. De même, avec ou sans la Cisjordanie, la Jordanie était un État dont la majorité relative et ensuite absolue était composée de citoyens jordaniens d’origine palestinienne. Les prétentions hachémites à représenter la Palestine furent battues en brèche par l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et, au prix d’une guerre civile (Septembre Noir, 1970 – 71) opposant Palestiniens pro-hachémites et Palestiniens pro-OLP, les premiers furent intégrés dans l’appareil hachémite et l’OLP reconnue comme représentante du peuple palestinien, essentiellement celui de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Cette reconnaissance fut définitive avec la rupture administrative entre la (Trans-)Jordanie et la Cisjordanie occupée en 1988, dans le contexte de la Première Intifada (1988 – 1992).6
Depuis l’éclatement de la guerre de Syrie et l’afflux de plusieurs millions de réfugiés syriens sur le sol jordanien, le fragile équilibre entre « Jordastiniens » et Jordaniens « de souche » est d’autant plus menacé que le régime hachémite fait face depuis plus d’un an à une contestation sociale peu médiatisée mais soutenue7. Le carcan colonial, territorial et sécuritaire imaginé par l’administration Trump pour l’hypothétique État de Palestine (ou même sans État) fait craindre aux responsables jordaniens un afflux de réfugiés vers le royaume hachémite. En cas d’explosion de violence dans les territoires occupés, cette crainte serait encore plus réaliste et la Jordanie redoute par-dessus tout le retour d’une vieille lubie de la droite israélienne et d’une partie de l’appareil sécuritaire israélien : l’option jordanienne. Entendez : la Jordanie est la Palestine et l’autodétermination et le destin du peuple palestinien ne peuvent être que jordaniens.
Soutien massif de l’opposition israélienne
Des lignes qui précèdent, l’on pourrait conclure que Peace to Prosperity n’est l’affaire que de l’administration Trump et du Likoud de Binyamin « Bibi » Netanyahou. L’adhésion quasi totale de la « vision pour Israël » du président américain à la vision messianique des évangéliques américains et des droites annexionnistes dures israéliennes pourrait faire croire également que Trump a offert un cadeau électoral à un Netanyahou en pleine campagne électorale pour sa réélection, d’autant qu’il est aux prises avec la Justice de son pays.
C’est oublier que le cartel de centre droit emmené par l’ancien chef d’État-major Binyamin « Benny » Gantz a endossé bruyamment le plan Trump et s’est engagé à l’appliquer dans son intégralité8. Certains optimistes inoxydables y verront une simple promesse électorale. Mais l’on est en droit de ne pas adhérer à cette certitude relevant du wishful thinking. Pourquoi ? Parce que le cartel Kaḥol Lavan (« Bleu Blanc ») de Benny Gantz, outre un grand parti libéral, rassemble la crème de la crème des anciens responsables de l’armée israélienne et incarne, certes une volonté d’en finir avec la corruption qui mine le champ politique israélien, mais surtout les priorités fixées par les responsables des différentes institutions sécuritaires israéliennes, à commencer par le désarmement de la bande de Gaza et la détermination du Jourdain et de sa vallée comme seule et unique frontière orientale de l’État d’Israël, sans droit de regard aucun pour quelque entité palestinienne que ce soit.
C’est ce que, dans le jargon politico-militaire israélien, on appelle « l’État palestinien moins » (Medina falastinit minus). Ce dernier concept n’a pas été forgé par les plus radicaux des responsables politiques et militaires israéliens, mais remonte au temps des accords d’Oslo (1993). Dans Maariv, Ben Caspit9), tout en se montrant critique à l’égard de la partialité américaine, se fait un malin plaisir de s’attaquer à une vache sacrée en invoquant feu le Premier ministre Yitzhak Rabin (assassiné par un extrémiste de droite en novembre 1995), souvent présenté comme l’incarnation de la paix.
« Si vous lisez bien le plan de Trump, vous reconnaîtrez l’“État palestinien moins” défendu par le travailliste Yitzhak Rabin et le discours prononcé par Binyamin Netanyahou à l’Université (nationaliste religieuse) de Bar-Ilan en juin 2009. Netanyahou s’inscrit dans les pas de Rabin en revendiquant et en obtenant de Washington l’annexion de plus de 30% de la Cisjordanie, dont la vallée du Jourdain, face à la Jordanie, ainsi que le refus de toute souveraineté palestinienne sur tout ou partie de Jérusalem-Est. »
On ne peut poursuivre et conclure cet article sans tordre soi-même le cou à quelques vaches sacrées. Oui, l’État d’Israël a le droit de vivre dans des frontières sures et reconnues par son ennemi intime et siamois, le peuple palestinien. Il a également le droit et le devoir de protéger ses populations constitutives arabes et juives. Il a enfin le droit de se voir reconnu, conformément aux résolutions de l’ONU10, un caractère national juif et donc de permettre au peuple juif d’exercer et garantir son droit à l’autodétermination, sans préjudice pour sa minorité arabe / palestinienne autochtone11.
Simultanément, le peuple palestinien a le droit de vivre dans des frontières sures et reconnues par son ennemi intime et siamois, le peuple juif et l’État d’Israël. Conforté qui plus est par le droit international et les résolutions de l’ONU12, le peuple palestinien doit pouvoir exercer son droit à l’autodétermination sur l’ensemble des territoires occupés depuis 1967 dans le cadre d’un État souverain, aux frontières garanties par la « communauté internationale » et au territoire reconnu par l’État juif.
En ce sens, la demande / injonction de démilitariser la bande de Gaza et le Hamas ne serait ni absurde ni inique si l’État d’Israël et ses principaux partis politiques reconnaissaient le droit à l’autodétermination pleine et entière du peuple arabe palestinien dans le cadre d’un État de Palestine digne de ce nom. Elle ne serait ni absurde ni inique si l’Autorité palestinienne, incarnation de l’OLP dans les territoires occupés, avait été associée à l’initiative diplomatique américaine. Mais nous sommes loin du compte.
Un fiasco qui doit aussi aux errements palestiniens
Il n’empêche. La « victoire » (à la Pyrrhus ?) enregistrée par Israël n’est pas sans responsabilité palestinienne. D’une part, l’OLP et l’AP ont accepté pendant 27 ans de vivre sous une occupation israélienne de fait et d’en tirer des bénéfices très prosaïques pour une clientèle palestinienne « captive ». D’autre part, l’irrédentisme armé du Hamas, exercé et exprimé à partir de la bande de Gaza, n’a eu pour effet que de durcir le blocus auquel est soumis ce territoire depuis l’implosion13, en 2007, de l’Autorité palestinienne entre une AP dominée par le Fatah en Cisjordanie et une AP par défaut dominée par le Hamas à Gaza.
On le sait, la reconnaissance du droit à l’existence d’Israël par l’OLP14 en 1993 n’a pas débouché sur la reconnaissance du droit l’indépendance d’un État de Palestine établi sur l’ensemble des territoires occupés de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est. Pour autant, la poursuite de la lutte armée par le Hamas, l’entretien d’une stratégie armée de la tension à partir du territoire de Gaza et le refus de reconnaître l’État d’Israël rendent la représentativité de l’AP problématique, dès lors que cette dernière n’exerce plus aucune… autorité sur cette zone.
La division du mouvement palestinien15, l’esprit de clientèle du Fatah et l’aventurisme militaire politiquement contre-productif du Hamas ont eu raison de la crédibilité dudit mouvement national palestinien, comme le souligne l’éditorialiste libanais Hazem Saghieh16. Cette situation a permis à l’administration américaine la plus aveuglément pro-israélienne de s’engouffrer dans les brèches béantes du nationalisme palestinien et d’imposer ses vues à l’ensemble d’une « communauté internationale » (on pense à l’Europe, à la Russie et à la Chine) dépourvue de tout levier palestinien crédible et fiable. En ce sens, le « deal du siècle » présenté par Donald Trump, plus qu’une « victoire » israélienne, signe et contresigne les errements et la défaite du nationalisme palestinien.
Le 6 février 2020
- Zvi Barel, « Trump fait étalage d’une liste de promesses intenables », Haaretz, 29 janvier 2020.
- Pascal Fenaux, « Obama : la méthode du discours », La Revue nouvelle, juillet 2009.
- Nahum Barnea, « Une soirée historique », Yediot Aharonot, 29 janvier 2020.
- Nahum Barnea, op. cit.
- Zvi Barel, « La vision de Trump : la souveraineté d’Israël est basée sur la Bible et non sur les accords internationaux », Haaretz, 31 janvier 2020.
- Pascal Fenaux, « Vie et mort de Monsieur Jourdain », La Revue nouvelle, mars 1999.
- Jamal Altahat, « Jordanie : vers un rééquilibrage des pouvoirs ?», Arab Reform Initiative, 6 juillet 2018.
- Hemi Shalev, « Le plan Trump clarifie les choses : la gauche israélienne est menacée d’extinction », Haaretz, 4 février 2020.
- Ben Caspit, « Hier, le legs diplomatique de Netanyahou a épousé celui de Rabin », Maariv, 29 janvier 2020.
- La résolution 181 de l’ONU du 29 novembre 1947 prône la partition de la Palestine sous mandat britannique entre un État juif et un État arabe. En acceptant cette résolution en 1988, l’OLP a donc reconnu le droit à l’existence d’Israël en tant qu’État juif.
- Pascal Fenaux, « L’État binational, une promesse infernale ?», La Revue nouvelle, n°7, 2018.
- L’État de Palestine est reconnu par l’Assemblée générale de l’ONU depuis le 29 novembre 2012, et ce dans les limites territoriales tracées par la résolution 242 du Conseil de Sécurité.
- Pascal Fenaux, « Aveugles à Gaza », La Revue nouvelle, n°8, août 2007.
- Concernant l’évolution du mouvement national palestinien entre 1959 et 2004 : Pascal Fenaux, « La Palestine, entre promesse et élection », La Revue nouvelle, décembre 2004.
- Bien qu’ayant participé aux élections législatives de 2006 et obtenu la majorité des voix et des sièges au CLP, le Hamas dirige l’Autorité palestinienne dans la bande de Gaza. Mais, en dépit de tentatives éphémères, le mouvement islamo-nationaliste ne fait pas partie de l’OLP. En Palestine et dans la diaspora palestinienne, le Hamas reste donc une organisation totalement indépendante de l’OLP et n’est donc pas représenté par l’État de Palestine reconnu par l’Assemblée générale de l’ONU en novembre 2012. Pascal Fenaux, « Israël-Palestine. Depuis septante ans, deux nations toujours en quête d’État(s)», La Revue nouvelle, Blogs, 18 mai 2018.
- Hazem Saghieh, « Réinventer la cause palestinienne », Asharq Al-Awsat, 2 février 2020.