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Plan Trump : Une certaine « vision de l’Apocalypse »

Blog - e-Mois - Benyamin Netanyahou Israël Palestine plan de paix Trump par Pascal Fenaux

février 2020

Au com­men­ce­ment était le Verbe. Et quel Verbe… Ce 28 jan­vier 2020, c’est en grande pompe que le pré­sident amé­ri­cain Donald Trump a pré­sen­té sa « vision de la paix », en pré­sence du seul Pre­mier ministre israé­lien Binya­min Neta­nya­hou. Les repré­sen­tants pales­ti­niens n’étaient pas conviés à la pré­sen­ta­tion d’un plan à l’élaboration duquel l’administration amé­ri­caine n’avait pas jugé bon […]

e-Mois

Au com­men­ce­ment était le Verbe. Et quel Verbe… Ce 28 jan­vier 2020, c’est en grande pompe que le pré­sident amé­ri­cain Donald Trump a pré­sen­té sa « vision de la paix », en pré­sence du seul Pre­mier ministre israé­lien Binya­min Neta­nya­hou. Les repré­sen­tants pales­ti­niens n’étaient pas conviés à la pré­sen­ta­tion d’un plan à l’élaboration duquel l’administration amé­ri­caine n’avait pas jugé bon de les asso­cier. Au propre comme au figu­ré, les Pales­ti­niens n’étaient pas à la fête. Et, si ce plan devait réel­le­ment être mis en appli­ca­tion, ils ne risquent pas de l’être de sitôt.

Inti­tu­lé Peace to Pros­pe­ri­ty – A Vision to Improve the Lives of the Pales­ti­nian and Israe­li People, le docu­ment de 181 pages pré­sen­té par l’administration amé­ri­caine a, contrai­re­ment à ceux éla­bo­rés sous la pré­si­dence de Bill Clin­ton, l’insigne mérite d’offrir un luxe de détails tech­niques sur les­quels la place manque ici pour s’y arrê­ter. Mais de méchantes langues, israé­liennes en l’occurrence, ont esti­mé, tel Zvi Barel dans Ha’Aretz1, que « la seule chose réa­liste dans le plan Trump est qu’il est pré­sen­té comme une “vision”. En l’occurrence, il s’agit rien de moins que d’une vision de l’Apocalypse selon le pro­phète Ezéchiel ».

Que pro­pose ce plan et pour­quoi sus­cite-t-il, au choix, tant de haine ou tant d’humour noir ? Grande nou­velle, une admi­nis­tra­tion amé­ri­caine répu­bli­caine et, sur­tout, le par­ti israé­lien de droite natio­na­liste Likoud pro­posent en chœur la créa­tion d’un État pales­ti­nien. Dans le chef de Binya­min Neta­nya­hou, cette approche pour­rait appa­raître comme une révo­lu­tion coper­ni­cienne, sauf que le conte­nu du « deal du siècle » res­semble à s’y méprendre au dis­cours pro­non­cé au prin­temps 2009 par le Pre­mier ministre israé­lien devant l’université Bar-Ilan2, pépi­nière intel­lec­tuelle du natio­na­lisme reli­gieux israélien.

Contrai­re­ment à toutes les pro­jec­tions réa­listes fon­dées sur le droit inter­na­tio­nal et les réso­lu­tions du Conseil de Sécu­ri­té de l’ONU, ain­si qu’à rebours de toutes les pré­cé­dentes ébauches de plan de paix, l’État de Pales­tine ne serait pas créé à côté de l’État d’Israël, mais à l’intérieur du ter­ri­toire sou­ve­rain israé­lien. Éta­bli sur quelque 60% de la Cis­jor­da­nie occu­pée (et sur l’intégralité de la bande de Gaza), cet État serait ampu­té, en Cis­jor­da­nie, de 40% de ter­ri­toires annexés à l’État juif, dont les zones stra­té­giques (car fron­ta­lières de la Jor­da­nie jor­da­no-pales­ti­nienne) que sont le ver­sant occi­den­tal de la Val­lée du Jour­dain et le nord de la mer Morte.

En d’autres termes, consti­tué de mul­tiples por­tions reliées par des tun­nels et des via­ducs, voire aug­men­té de quelques ter­ri­toires d’Israël majo­ri­tai­re­ment habi­tés par des citoyens arabes israé­liens, l’État de Pales­tine ne dis­po­se­rait d’aucune fron­tière exté­rieure et serait une enclave objec­ti­ve­ment non sou­ve­raine à l’intérieur d’un Israël seul sou­ve­rain de la Médi­ter­ra­née au Jour­dain. Comme l’écrit l’éditorialiste de centre droit Nahum Bar­nea dans Yediot Aha­ro­not3, « le plan Trump clôt un cha­pitre et ouvre un nou­veau cha­pitre dans le conflit israé­lo-pales­ti­nien. La solu­tion des deux États, qui domi­nait le dis­cours inter­na­tio­nal depuis les accords d’Oslo de 1993, a per­du toute per­ti­nence. Un seul État régne­ra entre le Jour­dain et la Médi­ter­ra­née, avec la grâce de l’Amérique. Ce n’est pas un plan de paix, c’est un plan d’annexion ».

Des colonies sanctuarisées

De fait, bien que « gelés » pen­dant quatre ans, les blocs de colo­nies israé­liennes de peu­ple­ment seraient annexés uni­la­té­ra­le­ment à Israël, ce qui n’est pas une nou­veau­té dans la saga des plans de paix avor­tés. Ce qui est nou­veau, c’est que même les colo­nies iso­lées au cœur de l’hypothétique État de Pales­tine seraient non seule­ment main­te­nues en l’état mais échap­pe­raient à la sou­ve­rai­ne­té pales­ti­nienne. Concrè­te­ment, les implan­ta­tions et leurs habi­tants juifs israé­liens conti­nue­raient de rele­ver du droit civil israé­lien, tan­dis que les habi­tants arabes de l’État de Pales­tine conti­nue­raient de rele­ver d’un mixte de droit civil pales­ti­nien et de droit mili­taire israélien.

Le plan de Donald Trump enté­rine ain­si une situa­tion de fait qui, bien que contraire au droit inter­na­tio­nal et condam­née par l’ONU, fait coexis­ter deux régimes juri­diques sur un même ter­ri­toire. Nahum Bar­nea, tou­jours, enfonce le clou4 : « Sur le ter­rain, cela ne chan­ge­ra pas grand-chose. Aujourd’hui déjà, la loi israé­lienne s’applique aux habi­tants juifs des implan­ta­tions de peu­ple­ment. Mais ces faits vont deve­nir irré­ver­sibles. Ils enté­ri­ne­ront défi­ni­ti­ve­ment la réa­li­té de deux sys­tèmes juri­diques pour deux popu­la­tions sur un même ter­ri­toire : la popu­la­tion domi­nante et la popu­la­tion domi­née. En d’autres termes, le plan Trump ouvre la voie à un État d’apartheid ».

Jérusalem

Jéru­sa­lem et son sta­tut consti­tuent un autre point névral­gique du conflit israé­lo-pales­ti­nien. Le plan de par­ti­tion de novembre 1947 en fai­sait un cor­pus sepa­ra­tum déta­ché des deux États juif et arabe appe­lés à coexis­ter. Entre 1949 et 1967, remi­sé au pla­card par l’issue de la pre­mière guerre israé­lo-arabe, ce sta­tut à part lais­sa la place à une Jéru­sa­lem divi­sée. D’une part, les quar­tiers occi­den­taux de la Nou­velle Ville (« Jéru­sa­lem-Ouest ») pas­sèrent sous contrôle de l’État d’Israël et lui furent annexés. D’autre part et simul­ta­né­ment à la Cis­jor­da­nie, la Vieille Ville (et ses lieux saints) et les quar­tiers orien­taux de la Nou­velle Ville (« Jéru­sa­lem-Est ») pas­sèrent sous contrôle du Royaume haché­mite de Jor­da­nie et lui furent annexés.

La guerre de juin 1967 chan­gea une nou­velle fois les règles du jeu. Vain­queur, Israël annexa « Jéru­sa­lem-Est » et y lan­ça une entre­prise de colo­ni­sa­tion de peu­ple­ment des­ti­née à empê­cher toute res­ti­tu­tion à quelque État arabe sou­ve­rain que ce soit. Petit à petit, les ébauches de plans de paix avaient conclu que, idéa­le­ment, Jéru­sa­lem-Ouest et les nou­veaux quar­tiers juifs de Jéru­sa­lem-Est consti­tue­raient la capi­tale de l’État d’Israël, tan­dis que le reste de Jéru­sa­lem-Est consti­tue­rait celle du futur État de Pales­tine. La Vieille Ville et ses lieux saints juifs, chré­tiens et musul­mans feraient l’objet d’accords particuliers.

La « vision » de Donald Trump est venue effa­cer tous ces para­mètres sub­tils et enté­ri­ner l’annexion de Jéru­sa­lem-Est à Israël. Quid de l’État de Pales­tine ? Ce der­nier se ver­rait concé­der le droit de pro­cla­mer « sa » Jéru­sa­lem dans le fau­bourg misé­rable (dans tous les sens du terme) d’Abou Dis, qui plus est, ter­ri­to­ria­le­ment décon­nec­té de l’État-enclave de Pales­tine et encer­clé par une « mer de sou­ve­rai­ne­té » israélienne.

La redéfinition des réfugiés

La ques­tion des réfu­giés arabes de 1948 et 1967 n’est pas la moins explo­sive du conflit israé­lo-pales­ti­nien. Peace to Pros­pe­ri­ty l’aborde, disons-le, fron­ta­le­ment. L’administration amé­ri­caine, en par­te­na­riat avec l’État d’Israël, se réserve le droit de défi­nir qui sont réel­le­ment les réfu­giés pales­ti­niens et leurs des­cen­dants pou­vant arguer de ce sta­tut. Non seule­ment, ce droit uni­la­té­ral révi­se­rait sérieu­se­ment à la baisse les chiffres de l’UNRWA, mais sti­pule d’ores et déjà que, non seule­ment aucun réfu­gié ne sera auto­ri­sé à se réins­tal­ler en Israël, et que ceux qui ne seront pas recon­nus comme réfu­giés devront quit­ter la Cis­jor­da­nie et la bande de Gaza pour se réins­tal­ler dans un pays arabe. Tous les regards se sont ain­si tour­nés vers la Jor­da­nie (cf. infra).

Autre point hau­te­ment sen­sible : l’État de Pales­tine serait com­plè­te­ment démi­li­ta­ri­sé. Si cette exi­gence peut se com­prendre au vu du contexte géo­po­li­tique actuel dans lequel se déploie le conflit israé­lo-pales­ti­nien, tous les obser­va­teurs se demandent, mi-amu­sés, mi-incré­dules, com­ment pareil para­mètre pour­rait être impo­sé à la bande de Gaza, gou­ver­née par le mou­ve­ment isla­mo-natio­na­liste Hamas, et par quelle force armée. Autre­ment dit, quel acteur poli­tique (local ou inter­na­tio­nal) serait assez incons­cient pour s’embarquer dans un conflit ter­restre des­ti­né à désar­mer la bande de Gaza, non seule­ment le Hamas, mais aus­si et sur­tout les milices dissidentes ?

Là où le plan de l’administration amé­ri­caine se montre, disons, le plus inno­vant, c’est sur deux points : l’annulation du droit inter­na­tio­nal et la défi­ni­tion des iden­ti­tés et légi­ti­mi­tés natio­nales d’Israël et de la Palestine.

Il n’y a plus d’occupation, donc plus de contestation légitime

Sur le plan du droit inter­na­tio­nal, l’administration Trump estime que son plan met fin à l’occupation et donc sous­trait l’État d’Israël à ses obli­ga­tions en tant que puis­sance occu­pante : inter­dic­tion du trans­fert de citoyens de la puis­sance occu­pante vers un ter­ri­toire occu­pé, obli­ga­tion d’assurer une vie nor­male aux popu­la­tions occu­pées, etc. Mais ce n’est pas tout. Dès lors que, selon Washing­ton, l’ère de l’occupation est ter­mi­née, l’Autorité pales­ti­nienne se voit dans l’interdiction de plai­der contre Israël devant quelque ins­tance inter­na­tio­nale que ce soit. De même, outre les opé­ra­tions armées, les Pales­ti­niens sont som­més de rompre avec toute forme de pro­tes­ta­tion contre une occu­pa­tion qui n’en est théo­ri­que­ment plus une. Cela inclut donc les mani­fes­ta­tions paci­fiques contre les expro­pria­tions fon­cières ou la construc­tion de la bar­rière de sépa­ra­tion israé­lienne en Cis­jor­da­nie occupée.

Sur le plan de la défi­ni­tion des deux États, la « vision » de Donald Trump fait sienne l’exigence posée par le Likoud de Binya­min Neta­nya­hou : la recon­nais­sance d’Israël comme État-nation du peuple juif. Outre que cette défi­ni­tion, votée par la Knes­set l’hiver 2019, fait sérieu­se­ment débat en Israël même, elle n’est pas accom­pa­gnée d’une recon­nais­sance iden­tique pour le peuple arabe pales­ti­nien, un peuple dont l’enracinement en Pales­tine n’est pas recon­nu comme légi­time mais tout au plus, et du bout des lèvres, comme une simple contin­gence mon­nayable. On est là à mille lieues des préa­lables bibliques invo­qués dans le docu­ment Peace to Pros­pe­ri­ty et des­ti­nés à séduire la droite évan­gé­lique amé­ri­caine et l’extrême droite natio­na­liste et reli­gieuse israé­lienne5. En effet, la créa­tion d’un État de Pales­tine d’ici quatre ans, selon les para­mètres de Donald Trump, est sou­mise à l’acceptation sans condi­tions du « deal du siècle » par l’Autorité pales­ti­nienne, une accep­ta­tion qui se ver­rait récom­pen­sée par l’injection de 50 mil­liards de dol­lars amé­ri­cains dans l’économie palestinienne.

Divorce à la palestinienne

Les réac­tions à la publi­ca­tion de Peace to Pros­pe­ri­ty ne se sont pas fait attendre. Dans une pro­cla­ma­tion una­nime aus­si vibrante que rare, les deux prin­ci­paux mou­ve­ments natio­naux pales­ti­niens, le Fatah (épine dor­sale de l’Autorité pales­ti­nienne en Cis­jor­da­nie occu­pée) et le Hamas (qui admi­nistre la bande de Gaza) ont dénon­cé en chœur le plan de Donald Trump. En clô­ture d’une réunion extra­or­di­naire de la Ligue arabe (mal­gré les résis­tances de l’Arabie saou­dite), l’Autorité pales­ti­nienne de Ramal­lah, seule liée par les accords d’Oslo et autres accords ulté­rieurs avec Israël et les États-Unis, a ensuite annon­cé la « ces­sa­tion » (sus­pen­sion ? annu­la­tion ?) de tous ces accords, y com­pris sécuritaires.

Mais l’annonce de ce « divorce » a quelque chose de pathé­tique. Sous per­fu­sion finan­cière inter­na­tio­nale, l’AP dépend presque entiè­re­ment du bon vou­loir de l’armée israé­lienne, ne serait-ce que pour auto­ri­ser le libre dépla­ce­ment de ses ministres et hauts fonc­tion­naires hors des enclaves pales­ti­niennes auto­nomes. Cer­tains obser­va­teurs croient pou­voir affir­mer que l’AP est sur le point de décré­ter sa propre dis­so­lu­tion et de lais­ser Israël face à ses res­pon­sa­bi­li­tés de seule et entière puis­sance occu­pante et sou­ve­raine en Cis­jor­da­nie. C’est peut-être aller vite en besogne car, ce fai­sant, le Fatah de Mah­moud Abbas se pri­ve­rait de ses maigres et der­niers leviers de pou­voir, tout en lais­sant à la rue des dizaines de mil­liers de sala­riés (fonc­tion­naires, poli­ciers, ensei­gnants, etc.), créant ain­si une situa­tion explo­sive pour tout le monde et pas seule­ment les civils israé­liens. Et peut-on ima­gi­ner les membres des ser­vices de sécu­ri­té pales­ti­niens (Sécu­ri­té pré­ven­tive et Police) rendre leurs armes en même temps que leurs tabliers ? On le voit, dans ce scé­na­rio de l’autodissolution, la situa­tion pro­met­trait d’être explosive.

Une Jordanie aux abois

Sur le plan régio­nal, de tous les États arabes, celui qui a le plus à craindre de l’initiative de Washing­ton est sans conteste la Jor­da­nie. De sa créa­tion jusqu’à 1974, le régime haché­mite s’était per­çu comme le dépo­si­taire de la Pales­tine, allant jusqu’à y inté­grer l’État d’Israël dans ses cartes offi­cielles et dans les manuels sco­laires. De même, avec ou sans la Cis­jor­da­nie, la Jor­da­nie était un État dont la majo­ri­té rela­tive et ensuite abso­lue était com­po­sée de citoyens jor­da­niens d’origine pales­ti­nienne. Les pré­ten­tions haché­mites à repré­sen­ter la Pales­tine furent bat­tues en brèche par l’Organisation de Libé­ra­tion de la Pales­tine (OLP) et, au prix d’une guerre civile (Sep­tembre Noir, 1970 – 71) oppo­sant Pales­ti­niens pro-haché­mites et Pales­ti­niens pro-OLP, les pre­miers furent inté­grés dans l’appareil haché­mite et l’OLP recon­nue comme repré­sen­tante du peuple pales­ti­nien, essen­tiel­le­ment celui de Cis­jor­da­nie et de la bande de Gaza. Cette recon­nais­sance fut défi­ni­tive avec la rup­ture admi­nis­tra­tive entre la (Trans-)Jordanie et la Cis­jor­da­nie occu­pée en 1988, dans le contexte de la Pre­mière Inti­fa­da (1988 – 1992).6

Depuis l’éclatement de la guerre de Syrie et l’afflux de plu­sieurs mil­lions de réfu­giés syriens sur le sol jor­da­nien, le fra­gile équi­libre entre « Jor­das­ti­niens » et Jor­da­niens « de souche » est d’autant plus mena­cé que le régime haché­mite fait face depuis plus d’un an à une contes­ta­tion sociale peu média­ti­sée mais sou­te­nue7. Le car­can colo­nial, ter­ri­to­rial et sécu­ri­taire ima­gi­né par l’administration Trump pour l’hypothétique État de Pales­tine (ou même sans État) fait craindre aux res­pon­sables jor­da­niens un afflux de réfu­giés vers le royaume haché­mite. En cas d’explosion de vio­lence dans les ter­ri­toires occu­pés, cette crainte serait encore plus réa­liste et la Jor­da­nie redoute par-des­sus tout le retour d’une vieille lubie de la droite israé­lienne et d’une par­tie de l’appareil sécu­ri­taire israé­lien : l’option jor­da­nienne. Enten­dez : la Jor­da­nie est la Pales­tine et l’autodétermination et le des­tin du peuple pales­ti­nien ne peuvent être que jordaniens.

Soutien massif de l’opposition israélienne

Des lignes qui pré­cèdent, l’on pour­rait conclure que Peace to Pros­pe­ri­ty n’est l’affaire que de l’administration Trump et du Likoud de Binya­min « Bibi » Neta­nya­hou. L’adhésion qua­si totale de la « vision pour Israël » du pré­sident amé­ri­cain à la vision mes­sia­nique des évan­gé­liques amé­ri­cains et des droites annexion­nistes dures israé­liennes pour­rait faire croire éga­le­ment que Trump a offert un cadeau élec­to­ral à un Neta­nya­hou en pleine cam­pagne élec­to­rale pour sa réélec­tion, d’autant qu’il est aux prises avec la Jus­tice de son pays.

C’est oublier que le car­tel de centre droit emme­né par l’ancien chef d’État-major Binya­min « Ben­ny » Gantz a endos­sé bruyam­ment le plan Trump et s’est enga­gé à l’appliquer dans son inté­gra­li­té8. Cer­tains opti­mistes inoxy­dables y ver­ront une simple pro­messe élec­to­rale. Mais l’on est en droit de ne pas adhé­rer à cette cer­ti­tude rele­vant du wish­ful thin­king. Pour­quoi ? Parce que le car­tel Kaḥol Lavan (« Bleu Blanc ») de Ben­ny Gantz, outre un grand par­ti libé­ral, ras­semble la crème de la crème des anciens res­pon­sables de l’armée israé­lienne et incarne, certes une volon­té d’en finir avec la cor­rup­tion qui mine le champ poli­tique israé­lien, mais sur­tout les prio­ri­tés fixées par les res­pon­sables des dif­fé­rentes ins­ti­tu­tions sécu­ri­taires israé­liennes, à com­men­cer par le désar­me­ment de la bande de Gaza et la déter­mi­na­tion du Jour­dain et de sa val­lée comme seule et unique fron­tière orien­tale de l’État d’Israël, sans droit de regard aucun pour quelque enti­té pales­ti­nienne que ce soit.

C’est ce que, dans le jar­gon poli­ti­co-mili­taire israé­lien, on appelle « l’État pales­ti­nien moins » (Medi­na falas­ti­nit minus). Ce der­nier concept n’a pas été for­gé par les plus radi­caux des res­pon­sables poli­tiques et mili­taires israé­liens, mais remonte au temps des accords d’Oslo (1993). Dans Maa­riv, Ben Cas­pit9), tout en se mon­trant cri­tique à l’égard de la par­tia­li­té amé­ri­caine, se fait un malin plai­sir de s’attaquer à une vache sacrée en invo­quant feu le Pre­mier ministre Yitz­hak Rabin (assas­si­né par un extré­miste de droite en novembre 1995), sou­vent pré­sen­té comme l’incarnation de la paix.

« Si vous lisez bien le plan de Trump, vous recon­naî­trez l’“État pales­ti­nien moins” défen­du par le tra­vailliste Yitz­hak Rabin et le dis­cours pro­non­cé par Binya­min Neta­nya­hou à l’Université (natio­na­liste reli­gieuse) de Bar-Ilan en juin 2009. Neta­nya­hou s’inscrit dans les pas de Rabin en reven­di­quant et en obte­nant de Washing­ton l’annexion de plus de 30% de la Cis­jor­da­nie, dont la val­lée du Jour­dain, face à la Jor­da­nie, ain­si que le refus de toute sou­ve­rai­ne­té pales­ti­nienne sur tout ou par­tie de Jérusalem-Est. »

On ne peut pour­suivre et conclure cet article sans tordre soi-même le cou à quelques vaches sacrées. Oui, l’État d’Israël a le droit de vivre dans des fron­tières sur­es et recon­nues par son enne­mi intime et sia­mois, le peuple pales­ti­nien. Il a éga­le­ment le droit et le devoir de pro­té­ger ses popu­la­tions consti­tu­tives arabes et juives. Il a enfin le droit de se voir recon­nu, confor­mé­ment aux réso­lu­tions de l’ONU10, un carac­tère natio­nal juif et donc de per­mettre au peuple juif d’exercer et garan­tir son droit à l’autodétermination, sans pré­ju­dice pour sa mino­ri­té arabe / pales­ti­nienne autoch­tone11.

Simul­ta­né­ment, le peuple pales­ti­nien a le droit de vivre dans des fron­tières sur­es et recon­nues par son enne­mi intime et sia­mois, le peuple juif et l’État d’Israël. Confor­té qui plus est par le droit inter­na­tio­nal et les réso­lu­tions de l’ONU12, le peuple pales­ti­nien doit pou­voir exer­cer son droit à l’autodétermination sur l’ensemble des ter­ri­toires occu­pés depuis 1967 dans le cadre d’un État sou­ve­rain, aux fron­tières garan­ties par la « com­mu­nau­té inter­na­tio­nale » et au ter­ri­toire recon­nu par l’État juif.

En ce sens, la demande / injonc­tion de démi­li­ta­ri­ser la bande de Gaza et le Hamas ne serait ni absurde ni inique si l’État d’Israël et ses prin­ci­paux par­tis poli­tiques recon­nais­saient le droit à l’autodétermination pleine et entière du peuple arabe pales­ti­nien dans le cadre d’un État de Pales­tine digne de ce nom. Elle ne serait ni absurde ni inique si l’Autorité pales­ti­nienne, incar­na­tion de l’OLP dans les ter­ri­toires occu­pés, avait été asso­ciée à l’initiative diplo­ma­tique amé­ri­caine. Mais nous sommes loin du compte.

Un fiasco qui doit aussi aux errements palestiniens

Il n’empêche. La « vic­toire » (à la Pyr­rhus ?) enre­gis­trée par Israël n’est pas sans res­pon­sa­bi­li­té pales­ti­nienne. D’une part, l’OLP et l’AP ont accep­té pen­dant 27 ans de vivre sous une occu­pa­tion israé­lienne de fait et d’en tirer des béné­fices très pro­saïques pour une clien­tèle pales­ti­nienne « cap­tive ». D’autre part, l’irrédentisme armé du Hamas, exer­cé et expri­mé à par­tir de la bande de Gaza, n’a eu pour effet que de dur­cir le blo­cus auquel est sou­mis ce ter­ri­toire depuis l’implosion13, en 2007, de l’Autorité pales­ti­nienne entre une AP domi­née par le Fatah en Cis­jor­da­nie et une AP par défaut domi­née par le Hamas à Gaza.

On le sait, la recon­nais­sance du droit à l’existence d’Israël par l’OLP14 en 1993 n’a pas débou­ché sur la recon­nais­sance du droit l’indépendance d’un État de Pales­tine éta­bli sur l’ensemble des ter­ri­toires occu­pés de la Cis­jor­da­nie, de la bande de Gaza et de Jéru­sa­lem-Est. Pour autant, la pour­suite de la lutte armée par le Hamas, l’entretien d’une stra­té­gie armée de la ten­sion à par­tir du ter­ri­toire de Gaza et le refus de recon­naître l’État d’Israël rendent la repré­sen­ta­ti­vi­té de l’AP pro­blé­ma­tique, dès lors que cette der­nière n’exerce plus aucune… auto­ri­té sur cette zone.

La divi­sion du mou­ve­ment pales­ti­nien15, l’esprit de clien­tèle du Fatah et l’aventurisme mili­taire poli­ti­que­ment contre-pro­duc­tif du Hamas ont eu rai­son de la cré­di­bi­li­té dudit mou­ve­ment natio­nal pales­ti­nien, comme le sou­ligne l’éditorialiste liba­nais Hazem Saghieh16. Cette situa­tion a per­mis à l’administration amé­ri­caine la plus aveu­glé­ment pro-israé­lienne de s’engouffrer dans les brèches béantes du natio­na­lisme pales­ti­nien et d’imposer ses vues à l’ensemble d’une « com­mu­nau­té inter­na­tio­nale » (on pense à l’Europe, à la Rus­sie et à la Chine) dépour­vue de tout levier pales­ti­nien cré­dible et fiable. En ce sens, le « deal du siècle » pré­sen­té par Donald Trump, plus qu’une « vic­toire » israé­lienne, signe et contre­signe les erre­ments et la défaite du natio­na­lisme palestinien.

Le 6 février 2020

  1. Zvi Barel, « Trump fait éta­lage d’une liste de pro­messes inte­nables », Haa­retz, 29 jan­vier 2020. 
  2. Pas­cal Fenaux, « Oba­ma : la méthode du dis­cours », La Revue nou­velle, juillet 2009. 
  3. Nahum Bar­nea, « Une soi­rée his­to­rique », Yediot Aha­ro­not, 29 jan­vier 2020.
  4. Nahum Bar­nea, op. cit.
  5. Zvi Barel, « La vision de Trump : la sou­ve­rai­ne­té d’Israël est basée sur la Bible et non sur les accords inter­na­tio­naux », Haa­retz, 31 jan­vier 2020. 
  6. Pas­cal Fenaux, « Vie et mort de Mon­sieur Jour­dain », La Revue nou­velle, mars 1999.
  7. Jamal Alta­hat, « Jor­da­nie : vers un rééqui­li­brage des pou­voirs ?», Arab Reform Ini­tia­tive, 6 juillet 2018. 
  8. Hemi Sha­lev, « Le plan Trump cla­ri­fie les choses : la gauche israé­lienne est mena­cée d’extinction », Haa­retz, 4 février 2020. 
  9. Ben Cas­pit, « Hier, le legs diplo­ma­tique de Neta­nya­hou a épou­sé celui de Rabin », Maa­riv, 29 jan­vier 2020. 
  10. La réso­lu­tion 181 de l’ONU du 29 novembre 1947 prône la par­ti­tion de la Pales­tine sous man­dat bri­tan­nique entre un État juif et un État arabe. En accep­tant cette réso­lu­tion en 1988, l’OLP a donc recon­nu le droit à l’existence d’Israël en tant qu’État juif.
  11. Pas­cal Fenaux, « L’État bina­tio­nal, une pro­messe infer­nale ?», La Revue nou­velle, n°7, 2018. 
  12. L’État de Pales­tine est recon­nu par l’Assemblée géné­rale de l’ONU depuis le 29 novembre 2012, et ce dans les limites ter­ri­to­riales tra­cées par la réso­lu­tion 242 du Conseil de Sécurité.
  13. Pas­cal Fenaux, « Aveugles à Gaza », La Revue nou­velle, n°8, août 2007. 
  14. Concer­nant l’évolution du mou­ve­ment natio­nal pales­ti­nien entre 1959 et 2004 : Pas­cal Fenaux, « La Pales­tine, entre pro­messe et élec­tion », La Revue nou­velle, décembre 2004. 
  15. Bien qu’ayant par­ti­ci­pé aux élec­tions légis­la­tives de 2006 et obte­nu la majo­ri­té des voix et des sièges au CLP, le Hamas dirige l’Autorité pales­ti­nienne dans la bande de Gaza. Mais, en dépit de ten­ta­tives éphé­mères, le mou­ve­ment isla­mo-natio­na­liste ne fait pas par­tie de l’OLP. En Pales­tine et dans la dia­spo­ra pales­ti­nienne, le Hamas reste donc une orga­ni­sa­tion tota­le­ment indé­pen­dante de l’OLP et n’est donc pas repré­sen­té par l’État de Pales­tine recon­nu par l’Assemblée géné­rale de l’ONU en novembre 2012. Pas­cal Fenaux, « Israël-Pales­tine. Depuis sep­tante ans, deux nations tou­jours en quête d’État(s)», La Revue nou­velle, Blogs, 18 mai 2018.
  16. Hazem Saghieh, « Réin­ven­ter la cause pales­ti­nienne », Asharq Al-Awsat, 2 février 2020. 

Pascal Fenaux


Auteur

Pascal Fenaux est membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle depuis 1992. Sociologue, il a poursuivi des études en langues orientales (arabe et hébreu). Il est spécialiste de la question israélo-palestinienne, ainsi que de la question linguistique et communautaire en Belgique. Journaliste indépendant, il est également «vigie» (veille presse, sélection et traduction) à l’hebdomadaire Courrier international (Paris) depuis 2000. Il y traite et y traduit la presse «régionale» juive (hébréophone et anglophone) et arabe (anglophone), ainsi que la presse «hors-zone» (anglophone, yiddishophone, néerlandophone et afrikaansophone).