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Pandémie et changements climatiques, la bataille des urgences
Emboitant le pas aux États membres qui ont tous déployé une batterie de mesures pour affronter la pandémie du Covid-19 et ses conséquences pour la vie économique, la Commission européenne a présenté une série de propositions (certaines devant être validées par le Conseil, voire le Parlement européen). Elles vont de la levée des obstacles aux douanes […]
Emboitant le pas aux États membres qui ont tous déployé une batterie de mesures pour affronter la pandémie du Covid-19 et ses conséquences pour la vie économique, la Commission européenne a présenté une série de propositions (certaines devant être validées par le Conseil, voire le Parlement européen). Elles vont de la levée des obstacles aux douanes pour le passage de biens de première nécessité et équipements médicaux à la création d’un plan d’investissement anti-coronavirus, en passant par la suspension du Pacte de Stabilité et la mobilisation du mécanisme européen de stabilité pour aider financièrement les pays mis en difficulté par la pandémie.
Dans toutes les initiatives sur la table et en discussion, on est frappé de constater l’absence de lien avec le Pacte vert européen. Celui-ci avait été annoncé par la présidente de la Commission comme le squelette de la stratégie de transition écologiste garantissant le respect de l’Accord de Paris et la neutralité climatique pour 2050 au plus tard.
Une urgence en chasse une autre. Mais est-il raisonnable de les déconnecter l’une de l’autre ? À contrario, les lier ne serait-il pas une manœuvre légèrement cynique pour instrumentaliser la pandémie au service d’un projet sociétal légitime ?
En mai 2008, quelques mois avant l’effondrement de la banque Lehman Brothers qui fut le déclic de la crise financière et économique, Margareth Chan, la cheffe de l’Organisation mondiale de la santé tirait la sonnette d’alarme et alertait sur les risques en termes de santé publique des futures crises alimentaires, de pandémies et des changements climatiques. Elle appelait les États à s’y préparer.
« Les investissements dans la technologie et les interventions “n’achèteront pas” automatiquement à eux seuls de meilleurs résultats sanitaires. Nous devons également investir dans les moyens humains et institutionnels, dans l’information sanitaire et dans les systèmes de prestation des services. […] De plus en plus, nous affrontons des problèmes qui ne peuvent être vraiment résolus que par une collaboration mondiale bien orientée et bien coordonnée. […] De plus en plus, un événement dans une partie du monde peut vite faire sentir ses effets dans le système international et nous toucher tous. De plus en plus, la transparence électronique qui caractérise le monde d’aujourd’hui amplifie les préoccupations sociales après une catastrophe, et la désorganisation sociale et économique après une flambée épidémique. »
Peu de temps après, la crise survenait plombant les finances publiques lesquelles furent par le suite victime de cures d’austérité. Les avertissements de Madame Chan n’étaient plus qu’un vague souvenir. Les budgets que les gouvernements consacraient à la Santé ne passèrent pas au travers des mailles de l’austérité. Dans la majorité des États membres (y compris la Belgique), on observa un ralentissement de la hausse des dépenses de santé par habitant. En Grèce, la réduction fut particulièrement sévère et l’Italie, le pays le plus touché par le coronavirus, fut l’autre pays d’Europe où il ne fut guère question de ralentissement, mais de baisse d’année en année au cours de la décennie écoulée.
En 2017, David Wallace-Wells (DWW) publia un article qui allait devenir le plus consulté sur le site du New York Magazine. S’appuyant sur une riche bibliographie d’articles scientifiques qu’il croise avec des dépêches de médias locaux et nationaux, DWW rend compte des répercussions des changements climatiques dans un grand nombre de registres et en esquisse les amplitudes si, comme certains le redoutent, la température moyenne augmentait de 4°C faute d’action rapide et vigoureuse de la communauté internationale. Il enrichit ultérieurement son article pour en faire un ouvrage à part entière : La Terre inhabitable : vivre avec 4°C de plus. L’un des chapitres traite des « pestes » du réchauffement ». Il explique : « Il existe aujourd’hui, prises au piège de la banquise arctique, des maladies qui n’ont pas circulé dans l’air depuis des millions d’années — et, pour certaines, qui précèdent la présence humaine sur Terre. Nos systèmes immunitaires se trouveront bien dépourvus pour organiser la riposte lorsque ces épidémies préhistoriques émergeront de la glace. […] En Alaska, les chercheurs ont découvert des traces de la grippe de 1918 qui a infecté pas moins de 500 millions de personnes, dont 50 millions sont décédées. […] Les scientifiques soupçonnent la glace sibérienne de receler la variole et la peste bubonique, entre autres maladies légendaires. »
Que se passera-t-il si du fait de la fonte des glaces parce que nous n’aurons été capable de réduire la concentration en CO2 de l’atmosphère, ces maladies se retrouvaient dans l’atmosphère et qu’elles parvenaient jusqu’à nous?… Outre ces menaces du passé, les experts s’inquiètent de la modification des écosystèmes sous l’effet du réchauffement qui va étendre les zones d’expansion des maladies tropicales comme le paludisme et le rayonnement des vecteurs de maladies comme les moustiques et les tiques. Ainsi, on comprend bien et mieux encore en jetant un regard à ce tableau de l’OMS, le lien entre changements climatiques et menace sanitaire.
Par contre, on comprend moins bien qu’alors qu’il est question de déployer 750 milliards d’euros au titre de l’action de la Banque centrale européenne, 37 milliards d’euros dans le cadre d’un plan d’investissements anti-coronavirus, on n’envisage pas de cibler les mesures favorisant l’accélération de la transition écologique et sociale. Les changements climatiques ainsi que les pandémies partagent le point commun de déclencher des effets systémiques. Les premiers risquent bien d’attiser les secondes, ce qui accroitra d’autant plus la difficulté de nos sociétés à y faire face. Certes, à court terme, les pandémies peuvent avoir pour effet de limiter les émissions de particules fines et de gaz à effet de serre, en réduisant l’activité industrielle ou les déplacements.
Mais, comme on l’a expérimenté avec la crise économique de 2008, la baisse des émissions de gaz à effet de serre n’avait été que marginale (-1% alors que le PIB mondial avait plongé de 1,7%) et temporaire. Elles avaient repris de plus belle dès l’année suivante en rebondissant à un rythme deux fois supérieur à la hausse moyenne des 2% constatées les quinze années précédentes.
Entre le premier décès en lien avec le Covid-19 enregistré en Europe le 15 février et le bazooka de mesures économiques dégainé par la Commission et la BCE, il n’aura fallu que quelques semaines. La rapidité d’action était bien entendu justifiée.
Nous prenons dès à présent les paris quant au délai qui s’écoulera entre le vote par le Parlement européen qui décréta le 28 novembre 2019 l’urgence climatique et le jour où la loi climat européenne, à priori pièce centrale du Pacte vert européen (pour autant qu’elle ne soit pas déforcée sous la pression des lobbies économiques et conservateurs), entrera en vigueur !