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Ouverture et imposture, quand Le Vif mélange les genres

Blog - e-Mois - économie journalisme média migration par

avril 2014

Récem­ment, Le Vif a publié le billet d’un pro­fes­seur d’université auquel je fais ici l’immense cha­ri­té de taire le nom et de ne pas ren­voyer vers son texte… Ledit aca­dé­mique y défen­dait l’idée que l’on ins­taure des quo­tas d’immigration par ori­gine et par reli­gion. Pas­sons sur les contor­sions amu­santes qu’il fau­drait réa­li­ser pour défendre pareille énor­mi­té devant […]

e-Mois

Récem­ment, Le Vif a publié le billet d’un pro­fes­seur d’université auquel je fais ici l’immense cha­ri­té de taire le nom et de ne pas ren­voyer vers son texte… Ledit aca­dé­mique y défen­dait l’idée que l’on ins­taure des quo­tas d’immigration par ori­gine et par reli­gion. Pas­sons sur les contor­sions amu­santes qu’il fau­drait réa­li­ser pour défendre pareille énor­mi­té devant les ins­tances qui, en démo­cra­tie, ont fort à faire pour défendre nos valeurs fon­da­men­tales. La pro­po­si­tion n’était pas seule­ment gro­tesque, elle était aus­si étayée par un sal­mi­gon­dis de contre-véri­tés sur les ques­tions d’immigration.

La vul­gate de la droite décom­plexée s’y éta­lait. L’auteur y condam­nait cou­ra­geu­se­ment le poli­ti­que­ment cor­rect. Il y affir­mait que le Belge pou­vait à bon droit – tel son frère Peau-Rouge d’Amérique – se sen­tir enva­hi par les immi­grés. Il n’oubliait pas les consi­dé­ra­tions conster­nantes sur la si facile inté­gra­tion des Ita­liens, ces braves catho­liques, tel­le­ment proches de nous, que nous accueillîmes à bras ouverts en les trai­tant – sommes-nous facé­tieux ! – de mafieux, de maca­ro­nis et de pares­seux… N’oublions pas, bien enten­du, la constante confu­sion entre musul­mans et immi­grés, entre musul­manes et femmes voi­lées, entre inté­gra­tion et assi­mi­la­tion, etc.

Sor­tir de son strict domaine de com­pé­tence scien­ti­fique com­porte de grands risques que, croyons-nous à La Revue nou­velle, les intel­lec­tuels doivent prendre. Nous sommes res­pon­sables des idio­ties que nous pour­rions dire, nous le serions plus encore de nos silences cou­pables, de notre refus de nous mouiller, de nos répu­gnances à nous enga­ger. Je n’appellerai donc pas à ce que cha­cun se can­tonne à des consi­dé­ra­tions sec­to­rielles tirées de ses études les plus pointues.

Il ne me semble pour­tant pas utile, ici, de tirer encore sur l’ambulance qui convoie la digni­té mori­bonde de l’auteur de ce papier, mais il me paraît néces­saire de me tour­ner vers un acteur qui aurait beau jeu, sous cou­vert de démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive, d’ouverture à la socié­té civile et d’accueil des débats, de se dédoua­ner de toute res­pon­sa­bi­li­té. Je songe, on l’aura com­pris, à ceux qui prirent la déci­sion de publier ces inep­ties. Don­ner écho à une opi­nion dis­so­nante, voire déran­geante, pour­quoi pas ? Mais publier un tis­su de contre-véri­tés dont on ne peut igno­rer qu’elles sous-tendent les posi­tions de ceux qui crachent sur la démo­cra­tie et ses valeurs, voi­là qui est dif­fi­cile à admettre. L’opinion, soit, mais la dés­in­for­ma­tion ? Et dans un média natio­nal jouis­sant d’une répu­ta­tion de sérieux, encore bien…

Se peut-il que les contrôles et l’exercice col­lec­tif de la rai­son, dans la rédac­tion concer­née, soient si lacu­naires que nul n’ait rien vu venir ? Faut-il en conclure que la publi­ca­tion d’un texte engage si peu le média, est si déri­soire ou répond à une telle urgence de sus­ci­ter du « clic » qu’elle peut se déci­der en quelques minutes ou en petit comi­té ? Le Vif serait-il malade à ce point ?

Devons-nous au contraire consi­dé­rer que les jour­na­listes qui gèrent ce média sont inca­pables de déce­ler, dans les lignes qui leur sont sou­mises, l’imposture, l’incompétence et le popu­lisme ? Pire encore, nous faut-il nous rési­gner à pen­ser que ces jour­na­listes adhèrent à cette vision du monde ?

Que l’on ouvre ses colonnes à des opi­nions diver­gentes, qu’une rédac­tion ne soit pas mono­li­thique, voire que l’on pense qu’il est pos­sible de faire du jour­na­lisme en res­tant neutre, soit… Mais que l’on ima­gine pou­voir publier ceci sans salir ses pages, sans flé­trir la répu­ta­tion de son titre, voi­là qui est conster­nant. Je n’ose son­ger à ce qu’il fau­drait conclure s’il s’avérait que cer­tains, par­ta­geant la fine ana­lyse qui nous était livrée par ce pro­fes­seur, la pen­saient com­pa­tible avec le mini­mum d’intelligence et de sens de l’analyse qui est consub­stan­tiel au jour­na­lisme. Je pré­fère m’épargner cette douleur.